Référentiels Marocains de Chirurgie Cancérologique Digestive Chirurgie de l’adénocarcinome du pancréas Pr Kafih - Pr Amraoui - Pr Mohsine 1. Introduction Ce référentiel ne traitera que le cancer du pancréas exocrine (adénocarcinome canalaire), excluant les autres tumeurs malignes du pancréas, notamment les ampullomes, les tumeurs endocrines et les cystadénocarcinomes qui posent des problèmes différents. Les recommandations suivantes ont été établies sous l'égide de la Société Marocaine de Chirurgie et la Société Marocaine de Chirurgie Digestive. La méthodologie d'adaptation a été utilisée, telle qu'elle a été proposée et décrite par le groupe ADAPTE Collaboration (www.adapte.org). Elles sont issues de l'adaptation au contexte Marocain des recommandations pour la pratique clinique des sociétés savantes françaises (SFCD, ACHBT, FFCD). 2. Eléments nécessaires à la décision thérapeutique Le cancer de la tête du pancréas est suspecté chez un malade qui a un ictère cholestatique, souvent avec altération de l’état général et une grosse vésicule palpable à l’examen. L’échographie permet de mettre en évidence une dilatation des voies biliaires intra-hépatiques et de différencier entre une tumeur du hile et une tumeur de la tête du pancréas. En l’absence d’ictère, dans les cancers du corps, de la queue et plus rarement le crochet pancréatique, se sont les douleurs qui motivent la réalisation d’une échographie. Cela dit, moins de 20% des cancers du pancréas sont accessible à une résection chirurgicale, qui reste seul traitement potentiellement curatif. a) Bilan d’extension tumorale i) Standards Tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne (TDM TAP) spiralée avec injection vasculaire artério-parenchymateuse et portale et coupes fines (2 à 3 mm) centrées sur l’étage sus-mésocolique avec injection: indispensable pour le bilan de résécabilité et la recherche de métastases hépatiques et pulmonaires. ii) Options L’échoendoscopie est utile: pour le diagnostic positif des petites tumeurs pancréatiques (< 1 cm). pour préciser la résécabilité chirurgicale (rapports vasculaires), si l'imagerie en coupes (TDM/IRM) ne permet pas de conclure. pour obtenir une histologie à la cytoponction si nécessaire (en vue d’un traitement médical néo-adjuvant ou exclusif). IRM pancréatique : pour l’étude des petites tumeurs pancréatiques. Laparoscopie exploratrice : pour diagnostiquer une carcinose péritonéale limitée ou de petites métastases hépatiques périphériques. Echographie abdominale : examen indiqué pour l’orientation diagnostique devant la suspicion de cancer et non pour l’extension tumorale. Tomographie par Emission de Positons (TEP) : sa place dans la prise en charge des adénocarcinomes pancréatique n’est pas définie et sa prescription doit être discutée au cas par cas. Marqueurs Tumoraux : aucune étude méthodologiquement correcte n’a été réalisée sur l’utilité du dosage des marqueurs tumoraux. Leur dosage est optionnel lorsqu’ils peuvent être utiles à l’évaluation d’une thérapeutique. Consultation oncogénétique : en cas de survenue d’un cancer du pancréas chez au moins deux apparentés au premier degré. NB: une preuve histologique de cancer est indispensable en cas de tumeur non résécable (biopsie sous échoendoscopie sur l’extension locale ou biopsie percutanée radioguidée de métastase) et en cas de tumeur « borderline » faisant discuter un traitement d’induction et une résection secondaire en cas de réponse. b) Bilan préopératoire De l'état général (échelle OMS et ASA). Du statut nutritionnel (pourcentage d’amaigrissement, bilan biologique comportant protidémie et albuminémie). De l’état cardiologique (ECG, échocardiographie), pulmonaire (EFR) en fonction du terrain et des traitements envisagés (chimiothérapie cardiotoxique). De la fonction rénale. et enfin un bilan hématologique de crase. c) Classification UICC 2009 actualisée (7ème Edition) Tx : renseignements insuffisants pour classer la tumeur primitive. Tis : carcinome in situ. T1 : tumeur limitée au pancréas inférieure ou égale à 2 cm dans son plus grand diamètre. T2 : tumeur limitée au pancréas supérieure à 2 cm dans son plus grand diamètre T3 : tumeur s’étendant au-delà du pancréas mais sans envahir le tronc coeliaque ni l’artère mésentérique supérieure. T4 : tumeur étendue au tronc coeliaque ou à l’artère mésentérique supérieure (tumeur primitive non résécable). Adénopathies (N) : L’examen d’au moins 10 ganglions est souhaitable: Nx : renseignements insuffisants pour classer les adénopathies régionales. N0 : pas de métastase ganglionnaire régionale. N1 : envahissement des ganglions lymphatiques régionaux. Metastases (M): M0 : pas de métastase. M1 : présence de métastase(s) à distance. Synthèse : les stades Stade 0 : Tis N0M0. Stade IA : T1, N0, M0. Stade IB : T2, N0, M0. Stade IIA : T3, N0, M0. Stade IIB : T1-3, N1, M0. Stade III : T4, tout N, M0.` Stade IV : M1 quel que soit T et N. 3. Définition de la résécabilité La résection des cancers du pancréas, qui reste le seul traitement permettant des guérisons, doit toujours être discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) comprenant au moins un chirurgien, un oncologue et un radiologue expérimentés en pathologie pancréatique. On distingue 3 degrés de résécabilité concernant les tumeurs de la tête du pancréas à l’imagerie: Tumeur résécables d’emblée: Absence de métastases hépatiques. Absence d’atteinte artérielle. Absence d’atteinte veineuse ou atteinte de la VMS ou VP <180°. Tumeur de résécabilité douteuse «borderline»: Atteinte de la VMS ou VP >180° ou thrombose veineuse courte. Engainement de l’AMS <180°. Artère hépatique (reconstructible). Tumeur non résécable: Engainement de l’AMS >180°. Atteinte du tronc coeliaque. Thrombose de la VMS ou tronc porte. Envahissement de la veine cave ou aorte. 4. Contre-indications opératoires a. Générale Défaillance viscérale (cardiaque, pulmonaire, rénale ou cirrhose prouvée avec signe d’hypertension portale..). Envahissement ganglionnaire à distance (aortico-cave) prouvé. b. Spécifique La duodénopancréatectomie céphalique pour adénocarcinome canalaire ne doit pas être réalisée en cas: d’extension artérielle (tronc coeliaque, artère mésentérique supérieure, artère hépatique). d’envahissement veineux complexe (circonférentiel, avec cavernome) ou associé à une extension à la lame rétro portale envahissant la gaine artérielle. Une pancréatectomie caudale pour adénocarcinome canalaire est contre-indiquée : en cas d’extension artérielle (artère mésentérique supérieure, artère hépatique). NB: Une extension veineuse au confluent splénomésaraïque ou artérielle au tronc coeliaque peut faire discuter une exérèse chez un patient à faible risque opératoire, à la condition que ces résections vasculaires permettent une exérèse R0. 5. Recommandations techniques a. Exploration L’intervention débute par l’exploration complète de la cavité abdominale puis l’exploration visuelle et manuelle du foie complétée par l’échographie peropératoire en cas de doute. Tout tissu extra pancréatique suspect doit être prélevé et examiné en extemporané si la positivité change la stratégie thérapeutique. b. Chirurgie curative i. Duodénopancréatectomie céphalique Une résection R0 pour adénocarcinome céphalique doit comporter les étapes suivantes: le contrôle premier de l’artère mésentérique supérieure avant toute section digestive ou pancréatique. section de la voie biliaire principale haute sous le confluent biliaire supérieur. «squelettisation» de l’artère hépatique et de la veine porte pédiculaire; section pancréatique isthmique avec examen histologique extemporané systématique de la tranche de section. dissection et mobilisation circonférentielle de l’axe veineux mésentéricoportal. mise à nu de l’hémi-circonférence droite de l’artère mésentérique supérieure, ce qui permet l’exérèse complète de la «lame rétro-portale» ou «pancréas rétro-vasculaire». un curage ganglionnaire« régional » est recommandé et doit emporter les ganglions péri pancréatiques antérieurs et postérieurs, hépatiques propres et communs, pédiculaires hépatiques, et situés au bord droit du tronc coeliaque et de l’artère mésentérique supérieure. Le curage ganglionnaire « étendu » qui emporte tous les relais coeliaques, ceux situés au bord gauche de l’artère mésentérique supérieure, et les ganglions aortico-caves, n’est pas recommandé. La conservation du pylore peut être réalisée selon l’habitude du chirurgien. Cependant, une DPC avec antrectomie est recommandée si la localisation de la tumeur (partie haute de la tête) expose à une résection R1 en cas de conservation pylorique. Le choix du mode rétablissement de continuité digestive (notamment le drainage du pancréas restant) revient au chirurgien : anastomoses pancréato-jéjunales, anastomoses wirsungo-jéjunales ou anastomoses pancréato-gastriques. Il est recommandé d’élargir en monobloc la DPC: à l’axe veineux mésentérico-porte, lorsque l’extension néoplasique est limitée à l’axe veineux car l’élargissement peut permettre une résection curative (R0). au côlon droit, en cas d’envahissement du mésocolon. Il est recommandé que la pièce opératoire soit préparée par le chirurgien avec un repérage des limites de résection et encrage de la lame rétro-portale. ii. Technique de la splénopancréatectomie gauche Une résection R0 pour adénocarcinome corporéo-caudal devrait comporter les étapes suivantes: section de l’isthme à proximité de l’artère gastroduodénale. «squelettisation» de l’artère hépatique et de l’axe veineux mésentérico-porte. ligature proximale des vaisseaux spléniques. curage du bord gauche du tronc coeliaque et de l’AMS. mobilisation de la pièce par décollement du mésogastre postérieur ou, en cas de doute sur une extension au fascia para-rénal gauche, ouverture de la loge rénale gauche. La préparation de la pièce opératoire doit suivre les mêmes règles que pour une DPC. c. Chirurgie palliative En cas de découverte peropératoire d’une contre indication à une résection curative (R0) pour une tumeur de la tête du pancréas avec ictère: un traitement chirurgical palliatif doit être réalisé à type de double dérivation biliaire et digestive (anastomose cholédoco-duodénale et anastomose gastro-jéjunale précolique) éventuellement associée à une alcoolisation à visée antalgique du plexus solaire. Dans cette situation, une preuve de cancer par biopsies tumorales à l’aiguille fine peropératoires doit être obtenue. En cas de tumeur non résécable de la tête du pancréas (avec ictère et/ou sténose duodénale) connue en peropératoire, un traitement palliatif chirurgical (non endoscopique) garde une place chez les patients opérables et ayant une espérance de vie prévisionnelle > 6 mois (pas de carcinose,…). d. Chirurgie secondaire En cas de tumeur borderline, une stratégie comportant un traitement médical d’induction et une chirurgie secondaire peut être discuté en RCP. En cas de non progression ou réponse au traitement médical, une résection secondaire selon les mêmes règles carcinologiques décrites ci-dessus doit être envisagée. Le temps de résection secondaire doit être précédé d’une exploration minutieuse avec examen extemporané de la gaine de l’AMS et des ganglions interaorticocaves (contre indications).