Fruit of that monst`rous night - IRCL

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© 2015 ARRÊT SUR SCÈNE / SCENE FOCUS (IRCL-UMR5186 du CNRS)
ISSN 2268-977X. Tous droits réservés. Reproduction soumise à autorisation.
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« Fruit of that monst’rous night ! » : Le théâtre anglais 1660-­‐1760 et les plaisirs de la nuit Andrew HISCOCK Bangor University, Wales L’homme est cette nuit, ce néant vide qui contient tout dans la simplicité de cette nuit : une richesse de représentations, d’images infiniment multiples dont aucune précisément ne lui vient à l’esprit ou qui ne sont pas en tant que présentes. C’est la nuit, l’intérieur de la nature qui existe ici – pur soi – dans les représentations fantasmagoriques ; c’est la nuit tout autour ; ici surgit alors subitement une tête ensanglantée, là, une autre silhouette blanche, et elles disparaissent de même. C’est cette nuit qu’on découvre lorsqu’on regarde un homme dans les yeux – on plonge son regard dans une nuit qui devient effroyable, c’est la nuit du monde qui s’avance ici à la rencontre de chacun1. Au début du XIXe siècle, Hegel a communiqué dans les manuscrits de la Jenaer Realphilosophie sa vision de la nature complexe et ténébreuse de l’identité, une « nuit » angoissante qui vit au cœur même de la psyché humaine : « C’est cette nuit qu’on découvre lorsqu’on regarde un homme dans les yeux ». Pour le jeune penseur allemand, cette « nuit » représentait le potentiel indiscipliné et irrépressible qu'a l’esprit humain de transgresser et de violer. D’ailleurs, ses recherches philosophiques au sujet de la nocivité nocturne de l’homme répondaient vivement à l’exploration intense du désir et de la transcendance humaine qui caractérise l’âge du Romantisme. Toutefois, dans ses recherches, Hegel s’engageait à sonder les possibilités d’un langage symbolique de la nuit qui a été exploité déjà dans une multitude de contextes (y compris le théâtre) depuis des siècles. Sénèque, par exemple, affirmait dans De Ira : « Entre autres infirmités de notre nature mortelle, il y a cet aveuglement de l'esprit qui nous fait une nécessité, non seulement d'errer, mais d'aimer nos erreurs2 ». Et au cours des siècles suivants, ce langage symbolique fut adopté stratégiquement par des générations successives de dramaturges. En effet, il importe peu de savoir si une représentation a eu lieu tout au long du jour (comme ce pourrait être le cas dans le théâtre médiéval), dans l’après-­‐midi (comme c’était souvent le cas dans les théâtres élisabéthains et jacobéens), ou le soir (comme c’est le cas 1
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La Philosophie de l’Esprit, 1805, trad. Guy Planty-­‐Bonjour, Paris, PUF, 1982, p. 13. 2
Sénèque, De la Colère, trad. M. Charpentier et Félix Lemaistre, Œuvres de Sénèque le Philosophe, Paris, Garnier, 1860, t. 2, livre 2, chapitre 10, 1. Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) pendant la période moderne), la représentation visuelle et/ou rhétorique de la nuit continuait à offrir des tentations et des plaisirs particuliers aussi bien aux dramaturges qu’au public. Cette étude se concentre sur des scènes de nuit qui se jouaient dans les théâtres londoniens à la fin du XVIIe et au cours du XVIIIe siècle. L’analyse suivante sert à indiquer que l’interprétation de la nuit comme temps maléfique (comme temps néfaste envisagé par Hegel) peut être régulièrement opposée à la représentation de la nuit comme temps de communication divine, de rencontres heureuses et d’aventures érotiques. En effet, les évocations théâtrales de la nuit pourraient être le prélude à une multitude d’événements inattendus – à savoir la dépossession, le crime, la destruction, la rencontre avec le surnaturel, l'approfondissement soudain de la connaissance de soi, la fugue amoureuse, ou l’arrivée d’un invité désiré depuis longtemps. Les théâtres élisabéthain et jacobéen Ce lexique symbolique de la nuit a été régulièrement exploité pour de nouveaux publics au cours de la période de la première modernité. Pendant le règne d’Élisabeth Ire, par exemple, Christopher Marlowe se montre très sensible à de telles idées, non seulement quand son protagoniste se livre de nuit à la nécromancie au début de sa pièce Le Docteur Faust (« À cet instant où l'ombre opaque de la Terre, / […] ternit la voûte de son haleine épaisse, / Commence, Faust, tes incantations3 »), mais aussi pendant la scène finale spectaculaire, lorsque Faust essaie désespérément de fuir la nuit de son jugement dernier : « Immobilisez-­‐vous, mouvantes sphères du ciel, / Pour que le temps s'arrête et que minuit ne vienne !4 » (V.ii.74-­‐75). Ailleurs, dans l’œuvre de William Shakespeare, les heures nocturnes de Macbeth ne sont pas seulement présentes dans les intrigues sinistres des sorcières ou dans les crimes odieux. Au début du règne du héros régicide, le noble Banquo cherche à fuir l’ambiance de mauvais augure qui caractérise le château de Macbeth : « Il me faudra emprunter à la nuit / Une heure obscure ou deux5 ». En effet, il a raison de s’éloigner du nouveau roi qui entend donner la mort à son sujet éminent : « Viens, nuit qui couds nos paupières, / Aveugle l'œil tendre du jour compatissant, / Et de ta main sanglante et invisible / Annule et déchire ce grand pacte / Qui me tient ligoté6 » (III.ii.47-­‐51). Vers la fin de la tragédie, Lady Macbeth somnambule arpente les remparts du château, tourmentée par la gravité de ses péchés. Ces moments précis relèvent de la théorie plus 3
Christopher Marlowe, Le Docteur Faust, trad. Robert Ellrodt, Théâtre élisabéthain, dir. Line Cottegnies, François Laroque et Jean-­‐Marie Maguin, 2 vol., coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 2009, vol. 1, I.iii.1-­‐5. « Now that the gloomy shadow of the earth, / [...] dims the Welkin with her pitchy breath, / Faustus, begin thine incantations ». C. Marlowe, Doctor Faustus, éd. Roma Gill, New Mermaids, Londres, (Ernest Benn, 1968) A & C Black, 1989, sc. iii, 1-­‐5. Les références ultérieures à ces éditions sont insérées dans le texte. 4
« Stand still, you every-­‐moving spheres of heaven, / That time may cease, and midnight never come » (sc. xiii, 62-­‐63). 5
William Shakespeare, Macbeth, trad. Jean-­‐Michel Déprats, Œuvres complètes, 5 vol., dir. J.-­‐M. Déprats et Gisèle Venet, édition bilingue, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 2002-­‐2013, vol. 2 (2002), III.i.26-­‐27. « I must become a borrower of the night / For a dark hour, or twain ». W. Shakespeare, Macbeth, The Norton Shakespeare, éd. Stephen Greenblatt et al, New York/Londres, W. W. Norton & Company, 1997, III.i.27-­‐28. Toutes les citations de W. Shakespeare sont tirées de cette édition. Les références ultérieures à ces deux éditions sont insérées dans le texte. 6
« Come, seeling night, / Scarf up the tender eye of pitiful day, / And with thy bloody and invisible hand / Cancel and tear to pieces that great bond / Which keeps me pale » (III.iii.47-­‐51). <34> A. HISCOCK, Le Théâtre anglais 1660-1760 et les plaisirs de la nuit
générale de la critique Susan Sontag, qui souligne que « la maladie est le côté nocturne de la vie7 ». Dans de telles scènes, la nuit hégélienne au cœur d’un esprit torturé peut se révéler sur le plateau à travers la représentation de pensées pénibles exprimées à haute voix, de dialogues angoissés et d'actes meurtriers. Néanmoins, l’intérêt que porte Shakespeare au langage symbolique de la nuit ne se borne nullement à la tragédie, aux récits de pressentiments, de violations, d'apparitions surnaturelles ou à l’évocation d’une ambition démesurée. Dans Le Marchand de Venise, par exemple, Jessica profite de la nuit pour s'affranchir de l'autorité paternelle et lui voler des sacs d'argent : « Car la nuit cachotière s'enfuit, / […] Je vais verrouiller les portes et me dorer / De quelques ducats de plus, et je suis à vous sur-­‐le-­‐champ8 ». Et dans l’une des dernières scènes de la pièce, elle se retrouve courtisée par son amoureux, Lorenzo, au clair de lune : « La lune resplendit. Par une nuit pareille, / Lorsque la douce brise embrassait tendrement les arbres / Silencieux, par une nuit pareille […]9 » (V.i.1-­‐3). Cependant, dans le langage symbolique et théâtral de la nuit chez W. Shakespeare, il est aussi important de comprendre que le fait de méditer profondément après le coucher du soleil n’est pas réservé au prince du Danemark, Hamlet. Dans sa pièce historique Henry V, par exemple, le chœur nous attire vers un monde plongé dans les ténèbres : « Supposez maintenant que vous êtes en cette heure / Où murmures furtifs et ténèbres impénétrables / Emplissent le vaste vaisseau de l'univers10 » (IV.Prologue.1-­‐3). Plus tard dans le noir, le roi belliqueux découvre au fur et à mesure qu’il prend le pouls de ses troupes la veille de la bataille les devoirs de la souveraineté : « Je dois délibérer avec ma conscience11 » (IV.i.31). Ainsi, à maintes reprises, les théâtres élisabéthain et jacobéen articulent un lexique symbolique de la nuit – un répertoire de présences surnaturelles, de transactions érotiques, de flagrants délits, d’épreuves angoissantes de la perte, et d’espaces réservés à la vita contemplativa. Des scènes de nuit dans le théâtre de la Restauration : Lee, Behn et Shadwell Fait intéressant, avant même la restauration de la monarchie Stuart (c’est-­‐à-­‐dire l’avènement de Charles II en 1660), le potentiel théâtral de la représentation de la nuit s'exprime dans une production lyrique de Sir William Davenant, Le Siège de Rhodes, mise en scène pour la première fois en 1656 à Rutland House à Londres. Le récit dramatique s’ouvre sur les exhortations de l’amiral de Rhodes : Armez-­‐vous, armez-­‐vous, voici la flotte du Bassa qui apparaît. Venant de Chios, elle met le cap sur Rhodes. Ses ailes noires se déploient au lointain comme les voiles de la nuit. Chaque escadron se fait plus gros et plus sombre encore. La flotte évoque une multitude de forêts flottantes12. 7
« Illness is the night-­‐side of life ». Susan Sontag, Illness as Metaphor and AIDS and Its Metaphors, New York, Anchor Books/Doubleday, 1989, p. 3. Les traductions non référencées sont les miennes. 8
W. Shakespeare, Le Marchand de Venise, trad. J.-­‐M. Déprats, Œuvres complètes, vol. 5 (2013), II.vi.47-­‐50. « For the close night doth play the runaway, / […] I will make fast the doors, and gild myself / With some more ducats, and be with you straight », W. Shakespeare, The Merchant of Venice, II.vi.47-­‐50. 9
« The moon shines bright. In such a night as this, / When the sweet wind did gently kiss the trees / And they did make no noise […] », V.i.1-­‐3. 10
W. Shakespeare, La Vie d'Henry V, trad. J.-­‐M. Déprats, Œuvres complètes, vol. 4 (2008), IV.Chorus.1-­‐3. « Now entertain conjecture of a time, / When creeping murmur and the poring dark / Fills the wide vessel of the universe », W. Shakespeare, The Life of Henry V, IV.Chorus.1-­‐3. 11
« I and my bosom must debate a while », IV.i.32. 12
« Arm, Arm, the Bassa’s Fleet appears ; / To Rhodes his Course from Chios steers ; / Her shady wings to distant sight, / Spread like the Curtains of the Night. / Each Squadron thicker and still darker grows ; / The Fleet like many <35> Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) Cette évocation figurative du pouvoir de la nuit est mise en relief à la fin de la pièce : « Changement de décor : une perspective de Rhodes la nuit, avec le palais du grand maître en flammes13 ». Une bataille entre les forces ottomanes et celles de Rhodes s’ensuit : « SOLYMAN. Regardez, Pirrhus, regardez ! Que signifie cette lumière inattendue qui rend la figure de la nuit toute pâle ?14 ». La représentation d’une telle pièce est tout à fait extraordinaire pendant les années de la république cromwellienne, mais ce semi-­‐opéra spectaculaire est ainsi construit entre deux images signifiantes de la nuit qui expriment d’une façon saisissante le destin précaire des nations occidentales en état de guerre avec l’empire turc. La thématique politique de la tragédie Lucius Junius Brutus (1681) de Nathaniel Lee reste encore un sujet de débat animé. Même à l’époque, la tragédie provoquait des réactions violentes et fut interdite par le Lord Chamberlain après quelques représentations en raison de son sujet républicain, propre à mettre le feu aux poudres si l'on en croit le gouvernement de Charles II. Il est tout à fait intéressant de noter, dès le début de cette pièce (I.i), la juxtaposition de deux situations nocturnes : l’impatience du fils du héros qui veut consommer son mariage avec la fille du roi le soir même (« Ô dieux ! Qu'avez-­‐vous à m’offrir en échange de la longue nuit qui m’attend ?15 »), et l'arrivée d'un visiteur sinistre à la villa où la femme de Collatin, Lucrèce, se trouve seule : « BRUTUS. Tu dis que Sextus a dormi chez Collatin à Collatia hier soir ?16 ». Presque cent ans plus tôt, W. Shakespeare (comme l’avaient fait Thomas Middleton et Thomas Heywood) avait offert une variante de ce célèbre récit de l’Antiquité au public élisabéthain dans son poème The Rape of Lucrece. Toutefois, dans le cas de la tragédie de Lee, le protagoniste décide rapidement que « [l]e viol de Lucrèce est comme la lanterne de minuit qui éclaire le fin fond de [s]es ambitions17 ». Le corps de Lucrèce (violé durant « le silence absolu de la nuit meurtrière18 ») est donc brusquement exploité à des fins politiques par ceux qui s’opposent au régime des Tarquins. À l’ouverture de cette tragédie, Lee exploite de manière consciente un langage théâtral de la nuit déjà bien établi (un temps de rendez-­‐vous illicites et d’actes criminels) afin d’attirer l’attention et la sympathie de son public – un public qui connaissait bien les conventions du théâtre tragique. Ainsi, au début de la pièce de Lee (I.i), nous sommes plongés dans le monde des ténèbres nocturnes comme dans les ténèbres des désirs humains qui conduisent à l’effritement des liens de parenté et à la genèse de la république romaine. Cette nuit symbolique devient une source constante d'inquiétude politique. Elle floating Forrests shows ». Sir William Davenant, « The First Entry », The Siege of Rhodes made a representation by the art of prospective in scenes, and the story sung in recitative musick. At the Cock-­‐pit in Drury Lane, Londres, Henry Herringman, 1659, p. 3. 13
« The Scene is chang’d to a Prospect of Rhodes by night, and the Grand Masters Palace on Fire ». W. Davenant, The Siege of Rhodes, V.o, p. 48. 14
« SOLYMAN. Look Pirrhus, Look ! what means that sudden light, / Which casts a paleness o’re the face of Night ? ». W. Davenant, The Siege of Rhodes, V.i, p. 48. 15
« O, the Gods ! / What can you proffer me in vast exchange / For this ensuing night ? ». Nathaniel Lee, Lucius Junius Brutus, father of his country a tragedy : acted at the Duke's Theater, by their royal highnesses servants, Londres, Richard et Jacob Tonson, 1681, I.i, p. 1. 16
« BRUTUS. Did Sextus, say’st thou, ly at Collatia, / At Collatin’s house last night ». N. Lee, Lucius Junius Brutus, I.i, p. 3. 17
« The Rape of Lucrece is the midnight Lantorn / That lights my Genius down to the Foundation ». N. Lee, Lucius Junius Brutus, I.i, p. 9. 18
« [T]hat dead stilness of the murd’ring Night ». N. Lee, Lucius Junius Brutus, I.i, p. 11. <36> A. HISCOCK, Le Théâtre anglais 1660-1760 et les plaisirs de la nuit
communique une peur aiguë des ambitions tyranniques et dévoile la structure fragile de la citoyenneté (civitas). D’ailleurs, au fur et à mesure que le récit de Lee se déroule, les allégeances chancelantes des fils de Brutus mènent à un autre complot meurtrier « au cœur de la nuit, et la nuit la plus noire qui ait jamais dissimulé un meurtre19 ». Fait intéressant, par contraste avec la tragédie de Lee, un an plus tard dans Venice Preserv'd, or, A Plot Discover'd (1682), Thomas Otway cherche non seulement à célébrer ceux qui ont soutenu le statu quo politique, mais transporte le public dans l’ambiance envoûtante de la Serenissima où le héros angoissé, Jaffeir, erre dans le Rialto et envisage les actions les plus noires : « Alors que les ténèbres de la nuit m'enveloppent, on dirait que l’enfer tout entier habite mon cœur20 ». Ici encore, nous pouvons constater l’obsession des tragédies de cette époque pour le monde nocturne et pour la femme violée. Belvidera, la bien-­‐aimée de Jaffeir, est violée par Renault, un ennemi du Sénat de Venise : « À peine m'étais-­‐je mise au lit […] que le misérable vieillard à l'apparence effrayante […] se présenta (comme Tarquin), plein de désirs lubriques21 ». Toutefois, Brian Corman affirme de manière convaincante que durant toute la période de la Restauration « la tragédie demeura le genre le plus respecté […] [mais] la comédie, le genre le plus en vogue22 ». Au moment du règne perturbé de Charles Ier, pendant la « nuit des brigands » (« thievish night ») du masque intitulé Comus (1634), John Milton le tentateur avait demandé : « Qu'a donc la nuit à voir avec le sommeil ? La nuit s’occupe de plaisirs bien plus doux23 ». Trente ans plus tard, les exemples de nuits qui favorisent les enlèvements et les intrigues, les rendez-­‐vous galants et les entreprises criminelles, se multiplient dans les comédies mises en scène pendant le règne de Charles II. La pièce d'Aphra Behn The Rover, or, The Banish’t Cavaliers (1677) est assez représentative de ce phénomène puisqu'elle dramatise des personnages qui méditent, et s'adonnent à une variété d’expériences sensuelles. Si à la même époque Paradise Lost, le poème épique de J. Milton, insiste sur le fait que « quand la nuit obscurcit les rues, alors vagabondent les fils de Bélial, gonflés d’insolence et de vin24 », dans sa propre comédie A. Behn se montre également consciente des effets du fruit de la vigne – mais, cette fois, au moment du carnaval à Naples. Au cours des saturnales nocturnes au bord de la Méditerranée, il apparaît que le Rover ne manque jamais de bouteilles de vin : « L'amour veille toute la journée sur le grand empire de l’âme, mais la nuit venue le vin endort le tendre dieu en le berçant25 ». Dans l’une des intrigues rocambolesques, le malheureux Anglais Blunt (jusqu’ici privé des plaisirs érotiques du carnaval) devient la proie de la 19
« [T]he dead of night. / And ’tis the blackest that e’re mask’d a Murder ». N. Lee, Lucius Junius Brutus, IV.i, p. 44. 20
« [T]he Shades of Night around me, / I look as if all Hell were in my Heart ». Thomas Otway, Venice Preserv’d, or, A plot Discovered, Londres, Joseph Hindmarsh, 1682, II.ii, p. 13. 21
« No sooner was I to my bed repaired, / […] the old hoary wretch […] / […] came / (Like Tarquin) gastely with infernal Lust ». T. Otway, Venice Preserv’d, III.ii, p. 28. 22
« Tragedy was consistently the most respected of the genres […] [but] comedy was always the most popular ». Brian Corman, « Restoration Drama after the Restoration : The Critics, the Repertory and the Canon », A Companion to Restoration Drama, dir. Susan J. Owen, Oxford, Blackwell, 2008, p. 184. 23
« What hath night to do with sleep ? Night hath better sweets to prove ». John Milton, A Maske Presented at Ludlow Castle, 1634, Londres, Augustine Matthews, 1637, p. 5. 24
J. Milton, Le Paradis Perdu, trad. François-­‐René de Chateaubriand, Paris, Calmann Lévy, 1882, livre I, p. 16. « […] when night / Darkens the streets, then wander forth the sons / Of Belial, flown with insolence and wine ». J. Milton, Paradise lost, a Poem in Twelve Books, Londres, S. Simmons, 1674, v.500-­‐502. 25
« Love does all day the Soules great Empire keep, / But Wine at night Lulls the soft God asleep ». Aphra Behn, The Rover, or, The Banish’t Cavaliers as it is Acted at His Royal Highness the Duke’s Theatre, Londres, John Amery, 1677, I.i, p. 37. <37> Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) prostituée Lucetta : « cette nuit de plaisir en sa compagnie vaut bien à elle seule toutes les journées que j’ai pu passer dans le comté d’Essex26 ». Dans cette scène extravagante (III.ii), l’obscurité nocturne reste le pivot de la représentation farfelue d’une fugue amoureuse. Si Blunt se réfugie dans la nuit pour jouir de la compagnie de Lucetta, plus généralement les aristocrates de A. Behn se réfugient dans la nuit napolitaine pour fuir les rigueurs de l’interrègne puritain dans leur pays de naissance. D’ailleurs, cette nuit napolitaine semble pénétrer jusque dans la résidence labyrinthique de Lucetta : Blunt se retrouve complètement désorienté par la noirceur de la chambre et la force de son désir, de sorte que le dénouement spectaculaire de cette intrigue le voit dépouillé, volé et expulsé de la chambre de sa maîtresse par une trappe. Entretemps, ailleurs au clair de lune à Naples (III.iii), l’héroïne romantique Florinda est découverte dans un jardin, déterminée à échapper à sa famille et à rejoindre son prétendant, le colonel anglais Belvile. Profondément influencée par les récits émaillés de fugues nocturnes et d’entreprises criminelles, fréquents dans la comédie espagnole et les romans d’aventures de la période, A. Behn crée ici une scène de nuit qui se prête aux amours illicites et aux mésaventures. Destinée à un mariage de convenance depuis le début de la pièce, Florinda cherche désespérément à tromper la surveillance étroite de ses gardiens pendant les heures d’obscurité. En exploitant la seule possibilité d’évasion que lui offre Naples, Florinda déguisée se croit en sécurité et se lance dans un monde ténébreux à la recherche de son amoureux. Malheureusement, elle tombe dans les griffes du Rover, un Willmore ivre, et plus tard elle doit repousser les avances de sa suite pour ne pas être déshonorée. La tombée de la nuit n’améliore nullement la situation de la belle héroïne – en effet, le pouvoir terrifiant de ce patriarcat, dominé par des hommes qui essaient de façonner la vie quotidienne des femmes, prend son essor dans la noirceur du carnaval à Naples. Si, dans ses aventures nocturnes, Florinda échappe au viol qui la menace, le public de la Restauration ne se faisait sans doute aucune illusion sur le sort d’une femme dans une telle situation en dehors du monde de la comédie. Chacun à sa façon, des dramaturges comme A. Behn, T. Otway et N. Lee soutinrent ou critiquèrent la cause Stuart pendant la période de la Restauration. Quant à Thomas Shadwell (qui remplaça John Dryden comme poète lauréat après la Glorieuse Révolution de 1688), il s’attira les foudres des censeurs Stuart en 1681 avec sa satire anticatholique, The Lancashire-­‐Witches and Tegue O Divelly, the Irish-­‐Priest. Une grande partie du texte fut coupée par les censeurs de Shadwell dont la pièce resta néanmoins populaire et fut imprimée en entier l’année suivante. Dans ce récit théâtral fort improbable, Belfort et Doubty, deux gentlemen du Yorkshire, s’attirent rapidement notre sympathie quand ils cherchent un abri pendant la nuit dans la maison en désordre de Sir Edward Harfort. Malgré tous ses défauts, celui-­‐ci (hôte et pater familias) témoigne d'une loyauté indéfectible envers le royaume d’Angleterre : « En véritable Anglais que je suis, je tiens en très haute estime les droits du prince et les libertés du peuple, et je les défendrai bec et ongles, dût-­‐il m'en coûter la fortune et la vie, en résistant aux stupides complots des papistes27 ». Malheureusement, les invités au foyer Harfort, le magistrat Shacklehead 26
« [T]his one Night’s enjoyment with her, will be worth all the days I ever past in Essex ». A. Behn, The Rover, I.ii, p. 38. 27
« I am a true English man, I love the Prince’s Rights and People’s liberties, and will defend ’em both with the last penny in my purse, and the last drop in my veins, and dare defy the witless Plots of Papists ». Thomas Shadwell, The Lancashire-­‐Witches and Tegue O Divelly, the Irish-­‐Priest, a Comedy Acted at the Duke’s Theater, Londres, John Starkey, 1682, II.i, p. 23. <38> A. HISCOCK, Le Théâtre anglais 1660-1760 et les plaisirs de la nuit
(chasseur de sorcières), Smerk (l’aumônier farfelu), et le prêtre irlandais Tegue O'Divelly ont peu à faire pour éveiller les superstitions de sorcellerie dans la maisonnée. Toutefois, dans ce monde comique, les gentlemen du Yorkshire obtiennent la main des demoiselles au nez et à la barbe du patriarche Harfort lors du dénouement de la pièce. L’humour grivois qui soutient cette satire contre le catholicisme romain se manifeste dans un récit qui multiplie les sorcières volantes, les intrigues romantiques et les actions fort improbables. Si, au début, une nuit d’orage reste signifiante dans la pièce pour expliquer l’arrivée inattendue des deux gentlemen du Yorkshire à la porte des Harcourt, il devient évident très rapidement que T. Shadwell s’intéresse principalement aux heures d'obscurité pour des raisons comiques : l’intrigue satirique et fantaisiste de la sorcellerie. Les sorcières de T. Shadwell sont des personnages extravagants qui conspirent et se livrent à des rites macabres. D’ailleurs, de toute évidence, elles tiennent compagnie au Diable lui-­‐même dans le monde théâtral de T. Shadwell. Toutefois, il reste bien clair que même sans les sortilèges et les potions magiques des sorcières, il y a déjà largement de quoi faciliter l’effondrement de l’ordre social dans la maison. L'héroïne romantique et fille de Sir Edward, Isabella, résiste à la déclaration de Smerk à qui son statut d'ecclésiastique offre un rang suffisamment élevé pour la demander en mariage. Entretemps, Sir Edward découvre que les gentlemen du Yorkshire, bloqués dans la tempête, ne sont pas des étrangers : « J'ai bien connu vos pères, nous sommes allés en Italie ensemble, d'où nous sommes tous revenus fidèles à notre religion anglaise, et à nos principes anglais28 ». Par la suite, l’habitude qu'ont ces visiteurs du Yorkshire de scruter les événements improbables sans perdre la raison offusque l’aumônier Smerk, pour qui ils sont « des partisans de Hobbes et des athées29 ». Ainsi, dans ce monde théâtral la noirceur existe partout. Cependant, précisément au cours de l’acte III, la compagnie des sorcières et du diable lui-­‐même engendre d'autres plaisirs de scènes de nuit. Si l’acte III offre à T. Shadwell le moyen de divertir son public avec le spectacle des danses et des chants diaboliques, il devient de plus en plus évident que la folie de la nécromancie ne représente qu’un écho lointain de la folie principale de la superstition catholique qui a pénétré jusqu’au cœur de la maison Harcourt (et jusqu’au cœur de la cour Stuart dans les années 1680). Ainsi, les singeries comiques des sorcières qui, accompagnées du Diable, bouleversent complètement la communauté du Yorkshire. Toutefois, le monde à l’envers dans cette scène de chants et de danses (« Tes enchantements feront descendre la lune et les étoiles, et dans l'obscurité complète, ils cacheront le soleil à midi30 ») communique symboliquement les mésaventures et les superstitions catholiques auxquelles succombent certains parmi l’élite de la nation. À la fin de la pièce de T. Shadwell, seul le prêtre catholique irlandais, O'Divelly, se retrouve souillé par les rencontres nocturnes dans la maison Harfort. « [E]ven Night her self is here » : la nuit lyrique dans les théâtres anglais L’opéra le plus renommé qu’Henry Purcell ait créé fut une collaboration avec Nahum Tate (aujourd'hui plus célèbre pour sa révision du Roi Lear) qui composa le livret. En 1689 Dido and Aeneas fut mis en scène pour la première fois dans un collège de jeunes filles à Chelsea. Tate avait déjà travaillé sur des thèmes qui rappelaient fortement le livre IV de 28
« I knew your Fathers well, we were in Italy together, and all of us came home with our English Religion, and our English Principles ». T. Shadwell, The Lancashire-­‐Witches, II.i, p. 23. 29
« [D]amn’d Hobbists and Atheists ». T. Shadwell, The Lancashire-­‐Witches, II.i, p. 24. 30
« Thy Charms shall make the Moon and Stars come down, /And in thick darkness, hide the Sun at Noon ». T. Shadwell, The Lancashire-­‐Witches, III.i, p. 43. <39> Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) l’Énéide dans sa tragédie héroïque Brutus of Alba : or, The Enchanted Lovers (1678). Dans ce texte (et dans la version de Macbeth de W. Davenant qui se jouait au lieu de la pièce originale de W. Shakespeare dans les théâtres anglais de 1674 à 1744), nous retrouvons des rôles importants pour les « sœurs errantes » (« weyward sisters31 ») qui sont aussi des personnages marquants dans Dido and Æneas. Dans celle-­‐ci, les sorcières s’amusent non seulement à terroriser les voyageurs pendant la nuit, elles ont connaissance des fonctionnements du destin et peuvent déclencher des catastrophes : les « sœurs errantes » décident que la reine Didon sera « ruinée avant le coucher du soleil32 » et, à la fin de ce récit bien connu, Énée impuissant est abandonné à son sort. De toute façon, si le prince troyen prend brusquement congé de Carthage pour fonder l’empire romain, c’est Didon qui domine aux niveaux lyrique et théâtral à la fin de la production de Henry Purcell et de Tate. Cependant, dans une perspective plus générale sur les productions lyriques de la fin du XVIIe siècle, il existait manifestement des continuités entre les scènes de nuit (à savoir, temps d’accidents, de présages, de méfaits politiques, et de rendez-­‐vous érotiques) dans les pièces de théâtre de la Restauration et dans les spectacles musicaux montés sur scène pendant la même période. The Fairy Queen (1692) de H. Purcell (et d’Elkanah Settle ?), par exemple, a ses origines dans Le Songe d’une nuit d’été, mais son récit (comme celui de Macbeth) fut adapté au goût des spectateurs de la période : la comédie originale de W. Shakespeare avait reçu un accueil mitigé du public de la Restauration. L’opéra de H. Purcell s’ouvre dans l’acte I sur l’entrée de la reine des fées, Titania, accompagnée de sa suite enchantée et de son jeune valet indien – et toute la compagnie assemblée est résolue à profiter de la liberté nocturne aux environs du palais : TITANIA. Maintenant, le ver luisant fait voir sa lumière, et les étoiles étincelantes ornent la nuit. Cette nuit, dont les ombres sont projetées tout autour de nous, tandis que Phoebus éclaire les Enfers. Maintenant, nous nous glissons hors de nos demeures pour chanter et pour nous divertir dans ces bois33. Ainsi, une fois de plus, le public de la Restauration fut invité à contempler la nuit comme un moment qui confère davantage de liberté et de pouvoir. Dans cette scène en particulier, la compagnie féérique profite de l’éloignement de la vie quotidienne au palais et de la possibilité de se réfugier dans un paysage nocturne qui s'adonne librement à la fête et aux plaisirs sensuels. Dans l’acte II, nous pénétrons dans un bois au clair de lune où, de manière tout à fait frappante, la mise en scène se transforme en jardin à la française34. Dans ce paysage labyrinthique très à la mode pendant la Restauration, toutes sortes de possibilités de quiproquos et de rencontres clandestines peuvent avoir lieu au clair de lune – un monde de délices de perspectives sans fin, de ruelles et de retraites à perte de vue, où, comme Sir Philip Sidney l’avait célébré un siècle plus tôt dans son recueil de sonnets Astrophil et Stella, on pourrait toujours se retrouver dans des endroits « fort ombragés » 31
Henry Purcell, Dido and Æneas. An Opera, éd. Curtis Price, New York, Norton, 1986, p. 69. « Ruin’d ere the set of sun ». H. Purcell, Dido and Aeneas, p. 70. 33
« TITANIA. Now the Glow-­‐worm shews her Light, / And twinkling Stars adorn the Night. / The Night, whose Shades are round us hurl’d, / While Phoebus lights the under World. / Now we glide from our abodes, / To Sing, and Revel in these Woods ». H. Purcell, The Fairy Queen, The Works of Henry Purcell, éd. J. S. Sherlock et Anthony Lewis, Borough Green, Sevenoaks, Novello, 1968, t. 12, p. xi. 34
« [A] Prospect of Grottoes, Arbors and delightful Walks ». H. Purcell, The Fairy Queen, p. xiii. 32
<40> A. HISCOCK, Le Théâtre anglais 1660-1760 et les plaisirs de la nuit
(« most rich of shade35 »). Dans une ambiance si séduisante, l’on ne doit pas être surpris par les airs apaisants chantés par la nuit même : NUIT. Vois, même la Nuit en personne est ici Pour favoriser ton dessein, Et tout son paisible cortège est proche, Qui incline les humains au sommeil. Que le bruit et le souci, Le doute et le désespoir, L’envie et la rancune (Le délice du Malin) Soient toujours bannis d’ici. Que le doux repos Lui ferme les paupières, Et que des ruisseaux murmurants Apportent des rêves plaisants ; Que rien ne reste qui agresse36. Bien entendu, cet air apaisant de l’acte II est rendu encore plus séduisant par la musique de H. Purcell. À ce moment, la Nuit domine l’intrigue et enchante les spectateurs sur scène (et dans la salle) en les invitant à pénétrer dans un environnement qui résout tout conflit et qui satisfait tous nos désirs. Cet appel est ensuite renforcé par des interventions de la part de Mystère, de Secret et de Sommeil. Fait intéressant, il semble qu’il importait peu au public de la Restauration que ce divertissement musical ait eu une origine shakespearienne. Un périodique de l’époque, The Gentlemen’s Journal, rapporte que le public londonien n'allait pas forcément au théâtre pour célébrer le poète national, mais pour jouir des spectacles dont les plaisirs enchantaient tous les sens : « La pièce originale est de Shakespeare, la musique et le décor sont extraordinaires. J'ai entendu dire que les danses sont fort admirées, et l'ensemble est sans aucun doute très divertissant37 ». Au siècle suivant, Georg Friedrich Haendel fit son entrée en Angleterre en 1711 et, en comparaison de ses prédécesseurs, il se montra tout à fait sensible aux ressources de la nuit pour colorer une succession d'opéras et d'oratorios pour le public anglais. Charles Jennens composa le livret de son oratorio Saul (1738) dont les détails sont tirés du premier livre de Samuel. Les actes I et II de l’oratorio donnent l’occasion à G. F. Haendel de composer des chansons de chœur – un genre lyrique qui ne pouvait pas figurer dans les opera serie à l’italienne qui l'occupaient à la même période. Le début de Saul plonge le spectateur au cœur des célébrations collectives de la victoire de David sur Goliath. Toutefois, par la suite, les conflits d'allégeances qui déchirent la cour du roi Saül deviennent de plus en plus évidents, surtout à la fin de l’acte II au Festival de la Nouvelle Lune. Au troisième acte, G. F. Haendel et C. Jennens se concentrent sur un monde 35
Sir Philip Sidney, Astrophel and Stella, London, Thomas Newman, 1591, p. 56. 36
Henry Purcell and Elkanah Settle, The Fairy Queen, trad. Jacqueline et Alain Duc, http://livretsbaroques.fr/Purcell/Fairy_Queen.htm. « NIGHT. See, even Night her self is here, / To favour your Design ; / And all her Peaceful Train is near, : That Men to Sleep incline. / Let Noise and Care, / Doubts and Despair, / Envy and Spight, / (The Fiends delight) / Be ever Banish’d hence, / Let soft Repose, / Her Eye-­‐lids close ; / And murmuring Streams, / Bring pleasing Dreams ; / Let nothing stay to give offence ». H. Purcell, The Fairy Queen, p. xiv. 37
« The Drama is originally Shakespears, the Music and Decorations are extraordinary. I have heard the Dances commended, and without doubt the whole is very entertaining ». Cité dans Katherine West Schiel, The Taste of the Town. Shakespearean Comedy and the Early Eighteenth-­‐Century Theater, Lewisburg, Bucknell University Press, 2003, p. 77. <41> Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) nocturne. Saül, le monarque envieux, en est réduit à enfiler un déguisement et à prendre conseil auprès de la sorcière d’Endor, caché dans l’obscurité (« Si le Ciel vous refuse l'aide, cherchez-­‐la aux Enfers !38 ») pour essayer d’apprendre comment triompher de David, le favori de Dieu. La sorcière récite des sorts en présence du roi et convoque les fantômes des morts : « Forces infernales, qui avez le pouvoir de faire apparaître les âmes des morts sous forme humaine, rendez l'heure de minuit plus affreuse encore et glacez d'effroi les cœurs les plus hardis39 ». Dans cette scène la nuit devient le refuge du péché et de l’autorité corrompue. Une fois convoqué, l’esprit de Samuel ne prévoit que la destruction à venir de la dynastie de Saül. Le désir irrépressible du roi désespéré de triompher sur David le pousse à fréquenter les esprits de l'enfer, et cette retraite dans le domaine nocturne de la sorcière l'éloigne irrémédiablement de Jéhovah. « [L]ike Wolves by Night we roam » : Gay, Fielding et la rencontre nocturne au théâtre Au cours d’une étude du théâtre de la Restauration, Geoffrey Smith a récemment montré que des relations étroites existaient entre la cour et les acteurs dans une société où les troupes de théâtres se trouvaient sous le haut patronage des courtisans. Dès 1660, les textes dramatiques devaient être autorisés par des employés nommés à la cour, le Lord Chamberlain et le Master of the Revels. Les deux troupes officiellement patentées (et dirigées respectivement par Sir Thomas Killigrew et Sir William Davenant) bénéficiaient de la protection du roi et de son frère, le duc de York ; et on avait conféré aux acteurs eux-­‐
mêmes le titre de « comédiens du roi » (« the king’s players40 »). Cependant, après l’avènement de William et Mary en 1688, le théâtre devint moins intimement lié à la cour et les dramaturges, surtout les dramaturges tragiques, purent ainsi se tourner vers des thèmes jusque-­‐là négligés, tels que la tyrannie et la corruption judiciaire. En outre, les dramaturges qui avaient plu au public pendant le règne de Charles II, comme J. Dryden, George Etherege, A. Behn, William Wycherley et T. Shadwell, ne restèrent populaires que très peu de temps après la mort du roi, et le répertoire théâtral du nouveau siècle fut dominé par la génération suivante, dont William Congreve, George Farquhar, John Vanbrugh, Richard Steele et Susanna Centlivre faisaient partie. Il est tout à fait possible d’établir des parallèles dans la représentation de la nuit sur scène entre les pièces de cette nouvelle génération et celles des précédentes. Dans The Beaux' Stratagem (1707) de G. Farquhar, par exemple, pièce fort populaire pendant longtemps, les bandits de grand chemin (Gibet, Hounslow et Bagshot) décident de cambrioler la maison de Lady Bountiful et au début tout semble contribuer à leur contentement : GIBBET. Eh bien, messieurs, voilà une nuit parfaite pour notre affaire. HOUNSLOW. 38
« If heav’n denies thee aid, seek it from hell ! ». Georg Friedrich Haendel, Saul. An oratorio for soprano, alto, tenor & bass soli, éd. Ebenezer Prout, Borough Green, Sevenoaks, Novello, s.d., p. ix. 39
« Infernal spirits, by whose power / Departed ghosts in living forms appear, / Add horror to the midnight hour, / And chill the boldest hearts with fear ». G. F. Haendel, Saul, p. ix. 40
Geoffrey Smith, « “A Gentleman of Great Esteem with the King” : The Restoration Roles and Reputations of Thomas Killigrew », Thomas Killigrew and the Seventeenth-­‐Century English Stage. New Perspectives, dir. Philip Major, Farnham, Surrey, Ashgate, 2013, p. 151-­‐74. <42> A. HISCOCK, Le Théâtre anglais 1660-1760 et les plaisirs de la nuit
41
Une nuit aussi noire que l’enfer . Ici, le symbolisme déjà bien établi d'une nuit propice aux délits (soit comiques, soit funestes) reste clairement en évidence et c’est ce symbolisme même que John Gay exploite dans sa seule tentative de tragédie, The Captives (1724). Dans ce texte explicitement exotique, nous sommes transportés dans l’environnement lointain de la tyrannie orientale et des passions illicites – environnement déjà reconnaissable dans Bajazet de Racine (1672), Aureng-­‐Zebe de Dryden (pièce créée en 1675, puis représentée à nouveau dans les années 1720) et Cyrus the Great de John Banks (1696). Une fois de plus, une intrigue tragique s’ouvre sur un complot nocturne contre un empereur redoutable (dans ce cas, Phoartes) : « Nous voilà au plus profond de la nuit et au-­‐delà des collines nul rayon de soleil n'annonce l'aube42 ». Comme la sultane Roxane de Racine, l’impératrice Astarbe dans la tragédie de J. Gay exerce des pressions sur un jeune homme (à savoir Sophernes) pour obtenir sa soumission érotique : « Décidez-­‐vous et répondez-­‐moi. Car dès que la nuit dissimulera notre fuite, je cueillerai mon trésor. Préparez-­‐vous donc, de peur que la mort ne vous fauche et ne réduise à néant ma tranquillité d'esprit43 ». Heureusement, et en comparaison directe avec Le Siège de Rhodes de W. Davenant, le récit dramatique se termine par une manifestation grandiose de la clémence impériale. Toutefois, la tragédie The Captives n'est nullement représentative de l’œuvre ou du génie théâtral de J. Gay. D’ailleurs, la pièce ne plut pas au public, malgré le fait que le texte était dédié à la Princesse de Galles et que la première fut donnée en sa présence. Plus généralement, on pourrait se demander si le siècle des Lumières avait besoin de la nuit sur scène. En effet, dès les années 1720, les théâtres londoniens programmaient de plus en plus de satires politisées, notamment de J. Gay et de Henry Fielding – des satires qui exploitaient les grandes caricatures (frisant, par moments, le divertissement grand-­‐
guignolesque), les représentations grotesques, la farce (souvent grossière) et les parodies extravagantes. Dans de tels spectacles, il y avait souvent moins besoin de représenter la vie humaine selon une alternance de cycles diurne et nocturne, car les intrigues dépendaient principalement des dialogues et des allusions aux actualités politiques du jour. L'afterpiece ou divertissement de fin de soirée The What D’Ye Call It : a Tragi-­‐Comi-­‐
Pastoral Farce (1717) de J. Gay (et d’Alexander Pope ?) fut extrêmement populaire à l’époque et bénéficia de trente-­‐cinq représentations en 1717. Au début de cette farce qui se déroule au foyer de Sir Roger, le patriarche insiste : « Une pièce sans revenant ressemble à – à vrai dire, ne ressemble à rien du tout44 ». Néanmoins, il est tout à fait intéressant de noter que par la suite des revenants apparaissent sans aucun besoin d’obscurité. Cependant, tout change dans The Beggar's Opera, qui fit sensation à Londres en 1728, où J. Gay offre une célèbre série de scènes nocturnes qui dépeignent un monde peuplé de criminels et de vagabonds (dont la conduite ressemble fort aux actions mercenaires des hommes politiques de l’époque). Les Peachum, les Lockit et les Macheath sont autant de 41
« GIBBET. Well, Gentlemen, ’tis a fine Night for our Enterprise. / HOUNSLOW. Dark as Hell ». George Farquhar, The Beaux’ Stratagem. A comedy. As is it acted at the Queen’s Theatre in the Haymarket. By Her Majesty’s Sworn Comedians, Londres, Bernard Lintott, 1707, IV.i, p. 54. 42
« ’Tis yet the dead of night ; / And not a glimm’ring ray behind yon hills / Fore-­‐runs the morning’s dawn ». John Gay, The Captives. A Tragedy, John Gay : Dramatic Works, éd. John Fuller, t. 1, Oxford, Clarendon, 1983, I.i, p. 348. 43
« Resolve and answer me. For soon as night / Favours our flight I’ll gather up my treasures. / Prepare thee then, lest death should intercept thee, / And murder all my quiet ». J. Gay, The Captives, II.i, p. 369. 44
« A Play without a Ghost is like, is like – i’gad it is like nothing ». J. Gay, The What D’Ye Call It : a Tragi-­‐Comi-­‐
Pastoral Farce, Dramatic Works, t. 1, I.i, p. 180. <43> Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) créatures qui appartiennent à la nuit, au monde des délits, des tavernes sordides et des prisons misérables. En effet, à l’acte II, par le biais d’une chanson, le jeune Rusard admet que ses complices et lui sont des prédateurs : « comme font les loups la nuit, nous cherchons une proie45 ». D’ailleurs, au fur et à mesure du déroulement de la scène, on apprend que la nuit représente le moment le plus propice à la transgression des vagabonds : MRS. PEACHUM. Viens ici, Filch. J'aime cet enfant au même degré que si ce fût le mien. Il s'entend à fouiller les poches comme une femme et il a les doigts d'un prestidigitateur. Si un malencontreux tribunal ne tranche point le fil de ta vie, je te prédis, mon garçon, que tu deviendras un grand homme dans l'histoire. Quel poste occupais-­‐tu hier soir, mon garçon ? FILCH. Je m'étais installé à l'Opéra, madame46. Dans cet acte II, l’un après l’autre, les personnages de J. Gay indiquent que les heures d’obscurité sont les heures de travail pour les parias de la société britannique, les heures où la société se défait. Toutefois, si dans la pièce de J. Gay les heures nocturnes offrent un environnement idéal pour les actes criminels et les passions illicites, le public de théâtre (qui, bien entendu, sortait et circulait le soir) s'en délecta ! La pièce fut couronnée de succès – il y eut une succession inouïe de cent vingt-­‐huit représentations en 1728 au théâtre de Lincolns Inn Fields à Londres. Julia Swindells a montré de façon convaincante les ambitions politisées des dramaturgues anglais du XVIIIe siècle : « Par le biais de la satire théâtrale, John Gay, Henry Fielding, et d'autres tentaient de s’adresser au public comme à des spectateurs qui ne voulaient plus être considérés comme des ignorants ou des individus opportunément exclus du débat politique47 ». H. Fielding écrivit plus d’une vingtaine de pièces de théâtre et mit en scène sa première pièce l'année même où The Beggar's Opera fit fureur, à savoir 1728. À la fin de l’année suivante ou au début de 1730, il composa The Author’s Farce ; and the Pleasures of the Town. As Acted at the Theatre in the Hay-­‐Market. Written by Scriblerus Secundus. Dans ce texte, le prologue nous informe que la tragédie domine la scène depuis trop longtemps (« Depuis trop longtemps la muse tragique s’impose sur la scène et sa fureur fait frémir les femmes et les enfants48 ») et on nous rappelle au cours de l’acte III qu'en effet la farce fait plaisir à tout le monde : « une farce attire davantage de monde au 45
J. Gay, L’Opéra des Gueux, trad. Henri Demeurisse, Paris, Marcel Sautier, 1930, p. 16. « [L]ike Wolves by Night we roam for Prey ». J. Gay, The Beggar’s Opera. As it is acted at the Theatre-­‐Royal in Lincolns-­‐Inn-­‐Fields, Londres, John Watts, 1728, I.ii, p. 3, Air II. 46
J. Gay, L’Opéra des Gueux, p. 27-­‐8. « MRS. PEACHUM. Come hither, Filch. I am as fond of this Child, as though my Mind misgave me he were my own. He hath as fine a Hand at picking a Pocket as a Woman, and is as nimble-­‐
finger’d as a Juggler. If an unlucky Session does not cut the Rope of thy Life, I pronounce, Boy, thou wilt be a great Man in History. Where was your Post last Night, my Boy ? FILCH. I ply’d at the Opera, Madam ». J. Gay, The Beggar’s Opera, I.vi, p. 8. 47
« Through theatrical satire, John Gay, Henry Fielding, and others attempted to address the public as an audience no longer willing to regard itself as ignorant or appropriately excluded from political process ». Julia Swindells, « The Political Context of the 1737 Licensing Act », The Oxford Handbook of the Georgian Theatre 1737-­‐1832, dir. Julia Swindells et David Francis Taylor, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 116. 48
« Too long the Tragick Muse hath aw’d the Stage, / And frightned Wives and Children with her Rage ». Henry Fielding, « Prologue » de The Author’s Farce; and the Pleasures of the Town. As Acted at the Theatre in the Hay-­‐
Market. Written by Scriblerus Secundus (1730), Plays. Volume One: 1728-­‐1731, éd. Thomas Lockwood, Oxford, Clarendon Press, 2004, p. 222. <44> A. HISCOCK, Le Théâtre anglais 1660-1760 et les plaisirs de la nuit
théâtre que la meilleure pièce qui fût jamais écrite49 ». Par la suite, pendant un spectacle satirique de pseudo-­‐marionnettes, le gendarme confirme son identité complexe à son auditeur : « Madame, le jour je suis gardien de la paix et la nuit je suis juge de paix50 ». Cette déclaration fait allusion à la coutume contemporaine selon laquelle l’agent peut assumer l’autorité de l’interrogatoire et de la détention provisoire tandis que le juge de paix n’est pas disponible pendant les heures de nuit51. Fait intéressant, le potentiel comique de cette coutume judiciaire se renouvelle dans Rape Upon Rape ; or, The Justice Caught in his Own Trap (renommée plus tard The Coffee-­‐
House Politician) dont la première eut lieu le 23 juin 1730. Voilà encore une pièce où la corruption du gouvernement de Sir Robert Walpole est passée au crible – cette fois, on rappelle au public qu’un agent politique de R. Walpole, un certain colonel Francis Charteris, a récemment bénéficié d’un sursis de peine en tant que violeur condamné, grâce à des circonstances louches (si l'on en croit l’opinion du parti de l’opposition). Dans cette pièce, et surtout dans la représentation de la société corrompue du magistrat Squeezum, H. Fielding donne libre cours à une critique caustique des forces de l’ordre. Dans l’acte I, scène ix, Hilaret, l’héroïne romantique, déclare : « cette nuit même je me suis échappée de la maison de mon père avec ma femme de chambre52 », réitérant ainsi l'aventure de Florinda cinquante ans plus tôt dans The Rover de Behn. Cependant, Hilaret appartient à un monde dramatique tout à fait différent de celui de Florinda : l’héroïne dans cette comédie démesurée de H. Fielding habite un monde surtout préoccupé par la satire du gouvernement de R. Walpole. Ainsi, dans Rape Upon Rape, on peut, à la nuit tombante, identifier plus facilement la corruption politique qui envahit progressivement cette société. À l'acte I, scène ix, pendant les heures de nuit, la malheureuse Hilaret tombe dans les griffes du rustre Ramble – brute qui ressemble grandement à ceux qui représentent les forces de l’ordre dans l’Angleterre du XVIIIe siècle : RAMBLE. Je viens de débarquer. Je n’ai vu rien que des hommes et des nuages pendant six mois, et la vue d’une femme me ravit autant que le retour du soleil au Groenland. Je ne suis pas l’un de ces bellâtres puînés qui peut regarder une belle femme comme un homme repu de plaisir. J’ai l’estomac solide et vous êtes un gibier à plume. Que je me nourrisse de bœuf salé à jamais si je ne vous dévore pas. [Il la prend dans ses bras]. HILARET. Je vais appeler le gardien de la paix. RAMBLE. Je suis sûr que tu vas te montrer plus raisonnable. Quoi qu'il en soit, j’ai l’habitude d'affronter le danger. Donc, écoute, mon idole, si tu résistes, je te viole. HILARET. Au secours ! Au viol, au viol ! RAMBLE. Chut, chut, pas si fort. Les gens vont te prendre au sérieux53. 49
« [A] Farce brings more Company to a House than the best Play that ever was writ ». H. Fielding, The Author’s Farce, Plays. Volume One: 1728-­‐1731, III.i, p. 256. 50
« Madam, I’m a Constable by Day, and a Justice of Peace by Night ». H. Fielding, The Author’s Farce, III.i, p. 284. 51
H. Fielding, The Author’s Farce, III.i, p. 284. 52
« I have this very Night escaped with my Maid from my Father’s House ». H. Fielding, Rape Upon Rape ; or, The Justice Caught in his Own Trap (later The Coffee-­‐House Politician), Plays. Volume One : 1728-­‐1731, I.ix, p. 440. 53
« RAMBLE. I am just come on Shore, that I have seen nothing but Men and the Clouds this half Year, and a Woman is as ravishing a Sight to me as the returning Sun to Greenland. I am none of your puisny Beaux, that can look on a fine Woman, like a surfeited Man on an Entertainment. My Stomach’s sharp, and you are an Ortelan ; <45> Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) Comme Florinda, Hilaret se confronte au cours de sa fugue nocturne aux avances non désirées d'hommes lubriques. Cependant, au contraire de l’héroïne vulnérable de A. Behn, Hilaret garde son sang-­‐froid face à ses agresseurs, dans cette satire qui démontre au public dans la salle que la corruption pénètre tous les niveaux de cette société plongée dans les ténèbres. Ainsi, dans le monde déroutant de Rape Upon Rape (dont le titre signifie « viol après viol »), ce n’est pas un grand soulagement pour Hilaret de se retrouver sous la protection (ou la patte !) de « cet honnête homme, le gardien de la paix », du « juge de paix garant de l'ordre nocturne » ou du magistrat Squeezum : « Donne-­‐moi un baiser. Allons, ne fais pas la coquette avec moi […]54 ». Hilaret rétorque « Hé quoi, monsieur le juge, allez-­‐
vous jouer les violeurs ?55 ». Fait intéressant, dans un afterpiece qui date de 1731, The Letter-­‐Writers ; or, A New Way to Keep a Wife at Home, H. Fielding se montre encore résolu à mettre en scène les scandales politiques du jour – dans ce cas, la vague contemporaine de tentatives d’extorsion contre les nantis et les propriétaires fonciers. Dans ce court divertissement comique, une intrigue d’extorsion alterne de façon farfelue avec une deuxième intrigue qui tourne autour des tentatives désespérées de maris obligeant leur femme à rester au foyer. Lorsque le libertin Rakel se retrouve pour la deuxième fois fortuitement en présence de Mrs Wisdom en pleine nuit, il s’exclame : « Madame, vous avez, je trouve, un courage extraordinaire de vous présenter de nouveau la même nuit après avoir déjà essuyé une rebuffade56 ». Dans les années suivantes, H. Fielding consolida son talent de metteur en scène de pièces satiriques quand il acheta le bail du Little Theatre dans le Haymarket en 1734. Néanmoins, l’intensité croissante des attaques contre son gouvernement autant que contre la cour était telle que R. Walpole décida d’introduire le Licensing Act de 1737. Cette loi limita le nombre de théâtres patentés à deux (Drury Lane et Covent Garden) et réaffirma les pouvoirs du censeur du Lord Chamberlain. Tout texte de théâtre devait être soumis à l’inspection du censeur quatorze jours avant une représentation publique – régime qui perdura grosso modo en Grande-­‐Bretagne jusqu’en 1968. D’ailleurs, ceux qui violaient les conditions établies par la loi couraient le risque de lourdes amendes et de peines d’emprisonnement. Cette loi marqua la fin de la carrière de Fielding en tant que dramaturge et, en ce qui concerne le propos de cette étude, la fin d’un cycle de représentation sur scène des plaisirs de la nuit. Notre analyse a débuté par un examen de la nuit, source d’angoisse pour l’esprit humain dans la philosophie de Hegel. Peut-­‐être, en guise d’aperçu final, est-­‐il opportun de retourner à l’époque romantique, ou du moins préromantique. Pendant cette période, l’Europe assiste à l’émergence d’un nouveau mouvement artistique sur tout le continent, le Gothique. C’est sous les auspices de ce mouvement gothique que, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, nombre de genres, dont le théâtre, montreront un intérêt renouvelé pour la nuit. Il est intéressant de savoir qu'on attribue à Horace Walpole (fils de and if I do not eat you up, my salf Beef be my Fare for ever. [Takes here in his Arms] HILARET. I’ll alarm the Watch. RAMBLE. You’ll be better natur’d than that. At least, to encounter Danger is my Profession ; so have at you, my little Venus – If you don’t consent, I’ll ravish you. HILARET. Help there ! a Rape, a Rape ! RAMBLE. Hush, hush, you call too loud, People will think you are in earnest ». H. Fielding, Rape Upon Rape, I.ix, p. 442. 54
« [H]onest Mr. Constable, Mr. nocturnal Justice » ; « Give me a Kiss – Nay be not coy to me […] ». H. Fielding, Rape Upon Rape, II.viii, p. 455 et II.v, p. 451. 55
« Why you will commit a Rape your self, Mr. Justice ». H. Fielding, Rape Upon Rape, II.v, p. 451. 56
« To rally again the same Night after such a Rebuff, is, I think, Madam, a sign of uncommon Bravery ». H. Fielding, The Letter-­‐Writers ; or, A New Way to Keep a Wife at Home, Plays. Volume One : 1728-­‐1731, p. 646. <46> A. HISCOCK, Le Théâtre anglais 1660-1760 et les plaisirs de la nuit
l’épouvantail de H. Fielding, Sir Robert Walpole) l’honneur d’avoir fait découvrir le théâtre gothique aux Britanniques avec son texte The Mysterious Mother. A Tragedy (non représenté, mais publié en 1768). Au commencement de cette nouvelle période de l’histoire théâtrale, on obligeait le public à prêter à nouveau attention aux intrigues nocturnes : LA COMTESSE. Oui, fils souillé ! Le chagrin, la déception et l'occasion qui s'est présentée m’ont fait perdre la tête, au point que j’ai pris la place de la jeune demoiselle ; et tandis que tu croyais enlacer la taille d’une autre – Ciel, écoute et frémis ! – tu embrassais ta mère ! EDMUND. Hélas ! Situation exécrable ! [Adeliza s’évanouit]. LA COMTESSE. Qu’elle reste en pâmoison à jamais ! D’ailleurs, elle ne doit pas savoir la suite – elle est ta fille, le fruit de cette nuit monstrueuse ! EDMUND. Femme infernale57 ! * BIBLIOGRAPHIE BEHN, Aphra, The Rover, or, The Banish’t Cavaliers as it is Acted at His Royal Highness the Duke’s Theatre, Londres, John Amery, 1677. CORMAN, Brian, « Restoration Drama after the Restoration : The Critics, the Repertory and the Canon », A Companion to Restoration Drama, dir. Susan J. Owen, Oxford, Blackwell, 2008, p. 176-­‐92. DAVENANT, Sir William, The Siege of Rhodes Made a Representation by the Art of Prospective in Scenes, and the Story Sung in Recitative Musick. At the Cock-­‐pit in Drury Lane, Londres, Henry Herringman, 1659. FARQUHAR, George, The Beaux’ Stratagem. A Comedy. As is it Acted at the Queen’s Theatre in the Haymarket. By Her Majesty’s Sworn Comedians, Londres, Bernard Lintott, 1707. FIELDING, Henry, Plays. Volume One : 1728-­‐1731, éd. Thomas Lockwood, Oxford, Clarendon Press, 2004. GAY, John, The Beggar’s Opera. As it is Acted at the Theatre-­‐Royal in Lincolns-­‐Inn-­‐Fields, Londres, John Watts, 1728. _, John Gay : Dramatic Works, éd. John Fuller, t. I, Oxford, Clarendon Press, 1983. HAENDEL, Georg Friedrich, Saul. An Oratorio for Soprano, Alto, Tenor & Bass Soli, éd. Ebenezer Prout, Borough Green, Sevenoaks, Novello, s.d. HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, La Philosophie de l’Esprit, 1805, trad. Guy Planty-­‐Bonjour, Paris, Presses Universitaires de France, 1982. LEE, Nathaniel, Lucius Junius Brutus, Father of his Country a Tragedy : Acted at the Duke's Theater, by their Royal Highnesses Servants, Londres, Richard et Jacob Tonson, 1681. MILTON, John, [Comus] A Maske Presented at Ludlow Castle, 1634 on Michaelmasse Night, before the Right Honorable, Iohn Earle of Bridgewater, Vicount Brackly, Lord Praesident 57
« COUNTESS. Yes, thou polluted son ! / Grief, disappointment, opportunity, / Rais’d such a tumult in my madding blood, / I took the damsel’s place ; and while thy arms / Twin’d, to thy thinking, round another’s waist, / Hear, hell, and tremble ! – thou didst clasp thy mother ! EDMUND. Oh ! Execrable ! [Adeliza faints]. COUNTESS. Be that swoon eternal ! / Nor let her know the rest – she is thy daughter, / Fruit of that monst’rous night ! EDMUND. Infernal woman ! ». Horace Walpole, The Mysterious Mother. A Tragedy, Londres, Strawberry Hill, 1768, V.vii, p. 116. <47> Scènes de nuit/Night Scenes
ARRÊT SUR SCÈNE/SCENE FOCUS 4 (2015) of Wales, and One of His Majesties Most Honorable Privie Counsell, Londres, Augustine Matthews, 1637. OTWAY, Thomas, Venice Preserv’d, or, A Plot Discovered, Londres, Joseph Hindmarsh, 1682. PURCELL, Henry, The Works of Henry Purcell, t. 12 : The Fairy Queen, éd. J. S. Sherlock et Anthony Lewis, Borough Green, Sevenoaks, Novello, 1968. _, Dido and Æneas. An Opera, éd. Curtis Price, New York, Norton, 1986. SCHIEL, Katherine West, The Taste of the Town. Shakespearean Comedy and the Early Eighteenth-­‐Century Theater, Lewisburg, Bucknell University Press, 2003. SÉNÈQUE, Seneca. Moral Essays, trad. John W. Basore, 3 vol., London/New York, William Heinemann/G. P. Putnam, 1928. SHADWELL, Thomas, The Lancashire-­‐Witches and Tegue O Divelly, the Irish-­‐Priest. A Comedy Acted at the Duke’s Theater, Londres, John Starkey, 1682. SMITH, Geoffrey, « “A Gentleman of Great Esteem with the King” : The Restoration Roles and Reputations of Thomas Killigrew », Thomas Killigrew and the Seventeenth-­‐
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