Janvier 2012 LES DOSSIERS DE L’ENVIRONNEMENT EN POITOU-CHARENTES N°5 Donner un prix à la Nature ? Le prix de la nature Dans ce dossier, l’ORE présente des théories et des instruments économiques aidant à la compréhension du sujet. Leur connaissance permet de mieux appréhender les questions en débat et de prendre part aux choix de société. Prix ? Eau Air Biodiversité ? ...€ ...€ ? es années 1960 marquent le début d’une prise de conscience écologique : les ressources naturelles comme l’air, l’eau, la biodiversité sont menacées. Du fait de l’action de l’Homme, elles sont de plus en plus polluées, ou de plus en plus rares. ...€ L Nature La théorie économique néoclassique l’explique par le fait que leur véritable valeur sociale, mesurée par les multiples services qu’elles peuvent rendre (ressources productives, biens de consommation, espaces récréatifs, intérêts esthétiques ou scientifiques…), n’est que rarement reflétée dans les prises de décisions de production, de consommation ou d’aménagement, prédisposant à leur détérioration. Les dommages infligés concernent la nature (détérioration de la qualité d'un milieu, disparition d'un habitat, épuisement d'une ressource, disparition d’une espèce...), mais ils concernent aussi directement les individus (atteinte à la santé, à la qualité de vie...). En appui de la réglementation, des instruments basés sur le principe pollueurpayeur sont mis en place : indemnisation, compensation, écotaxe, quotas transférables. Ils sont censés traduire la valeur sociale de la nature en valeur monétaire, en une unité de mesure ayant la dimension de prix, afin de l’intégrer dans toutes les décisions privées ou publiques dans le but de responsabiliser les acteurs économiques qui y portent atteinte. p2 p6 Aujourd’hui, la gravité des problèmes environnementaux (réchauffement climatique, stress hydrique, pollution des eaux continentales et marines, érosion de la biodiversité) et la nécessité de parvenir à les résoudre pour le bien-être et la survie de l’Homme font que ces instruments économiques prennent de plus en plus de place dans les débats et les décisions qui entourent les politiques de préservation de la nature. Pour comprendre... On parle de prix sur des tonnes de CO2 rejetées dans l’air, sur des tonnes de pesticides utilisées et susceptibles de dégrader la qualité des sols et de l’eau, Evaluer la nature. sur des unités de biodiversité … Quels Enjeux ? p7 Quel prix pour la nature ? p8 Le cas de l’air p 10 Le cas de l’eau p 12 Le cas de la biodiversité p 14 Questions en débat Cela reste cependant une vision très économique de la notion de préservation. C’est accepter l’idée que la nature n’est perçue qu’à travers l’intérêt que lui portent les individus. C’est pourquoi la monétarisation de la nature se heurte à une opposition forte de certains qui considèrent sa valeur comme une fin en soi audelà de son utilité, pour qui le bien-être de l’Homme n’est pas l’unique raison de la protéger et pour qui il n’est donc pas toujours possible d’y mettre un prix. A la préconisation économique des uns se superposent des considérations d’acceptabilité et d’équité des autres. Parler de prix de la nature fait donc débat. Et s’il s’agissait moins de choisir entre deux approches que de saisir l’opportunité de repenser un mode de développement basé sur un nouveau rapport Homme/Nature ? Pour comprendre Quand la nature devient ressources Par définition, la nature est ce qui, dans le monde physique, n’a pas été transformé par l’être humain. Qualifier la nature de « ressources », c’est alors implicitement la faire entrer dans la sphère économique ; les ressources étant porteuses d’une utilité. Une ressource naturelle est en effet une substance, une matière, du vivant ... susceptible d’être utilisée pour les besoins de l’Homme. Il peut s’agir d'une matière première d’origine minérale (l'eau, l’air) ou d'origine vivante (le bois). Ce peut être de la matière organique fossile (le pétrole, le charbon, le gaz naturel). Il peut s'agir d'une source d'énergie (énergie solaire, énergie éolienne). Les surfaces de sol disponibles, la biodiversité sont aussi des ressources naturelles. La nature trouve sa place dans l’économique par les services qu’elle peut rendre. L’adjectif naturel fait de cette « ressource » quelque chose d’extérieur à la société qui entend l’utiliser. A partir du moment où l’Homme se l’approprie, le problème n’est donc pas celui de sa fourniture (comme pour les biens économiques) puisqu’elle préexiste à l’action humaine ; il est celui de sa conservation (ou de sa dégradation), dépendante de l’évolution des relations Homme-Nature. Schéma simplifié de la circulation des ressources dans la sphère de production/consommation -Zoom sur les ressources AIR, EAU et BIODIVERSITELongtemps, l’économie a traité l’air, l’eau, la biodiversité, comme des ressources inépuisables et gratuites, utilisées lors du processus de production ou de consommation : --> l’industriel qui utilise l’air ou l’eau pour déverser des polluants issus de son activité, --> l’agriculteur qui supprime des haies et qui utilise des engrais et des pesticides pour une production plus intensive, --> l’aménageur qui utilise l’espace pour la construction d’une route ou d’une voie de chemin de fer, --> le consommateur qui utilise le sol comme décharge pour stocker ses déchets... Consommation directe des ressources PRODUCTION CAPITAL Autres ressources CONSOMMATION TRAVAIL Biens et Services Autres ressources naturelles Ressources naturelles AIR EAU BIODIVERSITE Pollution diffuse ou accidentelle Déchets Destruction Forte pollution et destruction des ressources Aucune contrainte environnementale : naturelles : la primauté de l’économie est substituée à celle de la nature. Du début de l’ère industrielle aux années aprèsguerre, leur «utilisation» lors des activités de production et de consommation a entraîné leur détérioration (pollution de l’air et de l’eau, perte de biodiversité) considérée comme une conséquence inévitable des activités économiques dans un objectif de croissance. Les services qu’elles offraient avaient la particularité d’être gratuits. Ils ont été «utilisés» de façon abusive alors que la capacité d’assimilation des polluants ou la capacité de résilience de la nature est limitée. Années 1960-1970 Premiers mouvements environnementaux La réglementation devient le principal outil des politiques de protection de l’environnement. Théorie : Chaque bien économique constitue un marché propre, c'est-à-dire qu'il existe une demande (des consommateurs) et une offre (des producteurs) pour ce bien, équilibrées par un prix : ► le marché du travail où les salariés échangent leur force de travail contre un salaire ; ► le marché des biens et services qui sont achetés à un certain prix (les ressources naturelles épuisables ou non renouvelables comme le pétrole, les métaux...en font parties). ... .... Pendant longtemps, les biens économiques se sont opposés en ce sens aux biens naturels tels que l’air, l’eau ou la biodiversité, qui ne s’échangeaient pas sur un marché : rejeter des polluants dans l’air, dans l’eau, détruire la faune et la flore se faisaient sans contrepartie monétaire. Les phénomènes de pollution ou de destruction résultaient donc d’une défaillance du marché. Il était alors nécessaire d’introduire une autorité extérieure aux agents, l’État, pour pallier aux insuffisances du marché (en tout premier lieu par la réglementation). 2 -La réglementation est la solution la plus efficace pour assurer un niveau élevé de protection de la nature : normes de qualité (concentration maximale autorisée d’un polluant par litre d’eau...), normes d’émissions (quantités maximales autorisées de rejets de SO2 dans l’atmosphère), normes de produits (teneurs en soufre maximale des combustibles). Son objectif est de fixer un niveau de pollution acceptable avec comme conséquence de ne laisser aucun choix au pollueur dans la mesure où ce dernier n’a pas d’autres possibilités que de s’y conformer. Contraignante, elle est très coûteuse à respecter. -De même, les lois ou directives portant directement sur la protection des espaces de nature ou des espèces restent la logique prépondérante dans l’approche de préservation et conservation (parcs nationaux). L’air, l’eau, la biodiversité : des ressources très spécifiques Dans le processus de production/consommation -Ce sont des biens dits libres : en théorie (en l’absence d’une réglemention), ils sont non limités, disponibles en quantité infinie. On les trouve en abondance (donc suffisamment par rapport aux besoins) et gratuitement. Ils ne font pas l’objet d’échanges marchands contrairement aux biens économiques créés par l’activité de production. -Ils ne sont pas rares en théorie, mais dans la réalité, ils peuvent être pollués ou détruits, donc raréfiés par une utilisation lors du processus de production. Par contre, ce même processus de production gère la rareté d’autres biens : l’offre répond rapidement à la demande pour des biens économiques. -A la différence des autres biens, ils ne sont pas produits (donc leurs coûts de production sont nuls) ; ils ont une offre fixe ; la production n’est pas déterminée par une demande comme pour les biens qui relèvent des mécanismes de marché et qui sont disponibles en quantité indéterminée. -Ils ne s’épuisent pas à l’usage (pour l’air et l’eau), c’est-à-dire qu’ils peuvent supporter un grand nombre d’usages et ne s’épuisent pas dans le processus de production-consommation. Ce sont des ressources renouvelables à la différence d’autres matières premières. La biodiversité d’un écosystème est par contre plus difficilement reproductible ; elle fait partie des biens qui se détruisent en se partageant. Elle existe dans son ensemble et la fragmentation des écosystèmes la détruit. Elle résulte d’une infinie diversité de régulations qu’il est impossible de reproduire. -La durée d’un bien de production quelconque peut être prévue. Quand le bien devient obsolète, il doit être remplacé. Par contre, pour que le bien naturel se « reproduise » (amélioration de sa qualité pour l’air ou l’eau, reconquête d’un milieu pour la biodiversité), il faut un certain temps qui ne peut être réduit. -Ils impliquent une concurrence d’ordre économique (comme pour les autres biens) : l’emploi de l’eau par exemple se répartit entre eau potable, eau d’irrigation, eau industrielle... Par contre, ils impliquent aussi une concurrence d’ordre écologique : l’eau n’est pas accaparée uniquement par des emplois économiques mais aussi par des emplois écologiques liés à l’existence et au fonctionnement des écosystèmes. -Ce sont des biens qui sont affectés par la somme d’actions individuelles. Au niveau collectif, personne n’a l’objectif de détruire l’équilibre des milieux, de modifier les climats... La préservation de ce type de biens relève donc d’une responsabilité partagée. Dans le domaine du droit Ce sont des biens communs : des choses qui n’appartiennent à personne (ou à tous), qui ne sont susceptibles d’aucune appropriation mais dont chacun peut user à sa convenance (res communis) --> l’air, la mer. Certains de ces biens n’appartiennent à personne mais sont néanmoins appropriables (res nullius)--> le gibier sauvage. contrairement aux autres biens (issus de la production) qui font l’objet de propriété classique : droit de propriété exclusif et absolu d'utiliser, de jouir, de disposer et de transmettre des biens (res propria). Dans l’analyse économique Ce sont des biens publics purs : -des biens dont la consommation par une personne ne diminue pas la consommation d’une autre personne (non rivalité) --> le fait de respirer ne prive pas les autres d’air. On parle aussi de non divisibilité d’un bien. -il n’est pas possible non plus d’empêcher une personne de consommer ce bien (non-exclusion) --> il n’est pas possible d’empêcher quelqu’un de respirer l’air. ou des biens publics impurs : -souvent des biens communs qui ne vérifient que la caractéristique de non-exclusion --> le caractère non exclusif de la ressource eau est largement accepté, mais il existe une rivalité dans son usage : la surexploitation d’une nappe par un acteur prive les autres de sa jouissance ; idem pour des rejets de polluants dans un cours d’eau. La rivalité est fonction de la rareté relative du bien --> les conflits d’usage de l’eau n’existent vraiment qu’en période d’étiage (période pendant laquelle le cours d'eau est au plus bas, avec un débit faible). contrairement aux autres biens (issus de la production) qui sont des biens privés (qui répondent aux critères inverses que sont la rivalité et l’exclusion). Ce sont également des biens publics mondiaux ou globaux, des biens ayant les caractéristiques de non rivalité et de non exclusion non seulement entre individus mais aussi entre populations des différents pays ; des biens à enjeux environnementaux planétaires ; --> changement climatique, disparition de la biodiversité, pollution des océans. L’air, l’eau, la biodiversité sont des biens naturels qui n’appartiennent à personne mais qui conditionnent la vie de tous. De part la spécificité de ces ressources, le problème est celui de trouver un juste équilibre entre le développement quantitatif (répondre aux besoins de l’Homme par la production et la consommation) et qualitatif (protection de l’environnement), car le bien-être de l’Homme est très dépendant des deux. La nécessité sous-jacente à cet arbitrage est celle de concilier activités économiques et protection de la nature. Théorie : L’économie du bien-être étudie les conditions dans lesquelles il est possible d’assurer le maximum de satisfaction aux individus qui composent la société. 3 Quand les dommages apparaissent...ou quand le bien-être de l’Homme est remis en cause L’introduction des aspects monétaires dans l’analyse permet d’envisager la problématique sous un angle nouveau, non pas seulement par rapport à la détérioration de la nature, mais aussi par rapport à la façon dont cela affecte les individus. Toute décision de production ou de consommation a des conséquences sur le milieu naturel, mais aussi sur la situation des agents économiques. A partir du moment où un dommage apparaît, ils en supportent le coût. Exemples «pollution»-->dommages-->coûts Décisions de production ou de consommation Emissions de SO2, NOx... par les industries ou par les activités de transport Dommages sur la nature Dommages pour l’Homme --pollution de l’air --détérioration de la flore ( forêts...) --détérioration de la faune (acidification des lacs...) ... --impact sur la santé (mortalité, morbidité) --effet sur les matériaux (corrosion, salissures...) ... Coût social -- coûts des soins médicaux --coûts des journées de travail perdues --coûts des services de nettoyage ... -- coûts de dépollution pour répondre aux exigences de qualité de l’eau destinée à la consommation humaine -- coûts de voyages plus longs pour aller pêcher ailleurs (plus une perte de satisfaction)... --pollution du sol et par voie de conséquence des eaux de surfaces, des eaux souterraines et des eaux marines --détérioration de la faune (mortalité des poissons...) ... --altération de la qualité physico-chimique des eaux --diminution de la diversité» piscicole ... Utilisation d’espaces de nature pour la construction de maisons individuelles en bord de mer -- destruction d’un écosystème --perte d’un patrimoine naturel, d’un paysage emblématique... -- coûts des pertes d’aménités... Extraction de pétrole offshore --> destruction d’un écosystème en cas d’accident et de marée noire --pollution des plages --diminution du stock de poissons ... --coûts de la dépollution --manque à gagner pour les activités de pêche, conchyliculture, tourisme ... Utilisation d’engrais par les agriculteurs pour les besoins d’une agriculture intensive En cas de non-réparation des dommages par le «pollueur», le coût en incombe à l'ensemble de la société. Pollution de l’air Théorie : --> quand le pollueur ne supporte pas la totalité des coûts de son action, on désigne cette situation comme un cas de divergence entre les coûts privés et les coûts sociaux. Cet écart entre coûts privés et coûts sociaux représente le coût des dommages causés par la pollution, que l’on appelle coût externe. L’effet ayant provoqué cet écart, la pollution, s’appelle effet externe ou externalité ; le coût de la détérioration étant « extérieur » au mécanisme des prix (Pigou 1920). Exemple : si la pollution n’est pas incluse dans les coûts de production de l’industriel (coûts privés) il faut par contre considérer qu’elle représente un coût pour le reste de la société (coût social) par le fait qu’elle exerce un effet défavorable. Le niveau de pollution de l’environnement donne lieu à des coûts que la communauté doit supporter : services de santé plus élevés, dommages infligés aux matériaux, aux cultures, dégradation de la qualité de l’air. En polluant l’air ou l’eau au cours de son activité de production, il utilise les services d’absorption des rejets qu’offre l’environnement, qui peuvent être considérés comme des facteurs de production qui, par rapport au travail, au capital ou aux matières premières, ont la particularité d’être gratuits. PRODUCTEURS SOCIETE Coûts privés = 0 Coûts sociaux ≠ 0 --services de santé plus élevés, --coûts liés à l’entretien ou au nettoyage supplémentaire pour les bâtiments... C’est pourquoi on peut interpréter les externalités environnementales en termes d’utilisation gratuite des ressources ou d’un prix qui ne reflète pas ou mal leur rareté. Un moyen de combler cet écart est de faire payer les coûts externes aux pollueurs au moyen d’une taxe ; cela justifie l’intervention d’un organisme régulateur, l’Etat. -->Une autre analyse très proche de celle des externalités est également avancée : la pollution résulte de l’absence de droits de propriété sur la nature. Pollutions et destructions proviennent de ce que la nature n’appartient à personne et nul alors n’est incité à la bien gérer ou protéger. L’instauration de tels droits (répartition de droits à utiliser l’environnement), transférables entre agents économiques (négociations privées), peut suffire à résoudre le problème de prise en compte des coûts sociaux (Coase 1960). L’intervention de l’Etat est alors remise en cause. Cela inspira les fondements des permis à polluer (Cf page 7). 4 -->Dans tous les cas, faire payer le coût de la pollution ou de la détérioration des ressources à ceux qui l’occasionnent, faire prendre en charge les externalités négatives par les acteurs économiques qui en sont à l’origine, relève du principe pollueur-payeur. L’écart entre les coûts privés et sociaux est éliminé. On dit alors que le principe permet «d’internaliser» les coûts des dommages dans le calcul économique. Donner une valeur monétaire aux dommages -ce qui sous-entend le calcul du coût social- et l'intégrer dans les décisions publiques et privées de production et de consommation relève du principe pollueur-payeur. Années 1970-1990 Application du principe pollueur-payeur -Le coût des dommages environnementaux doit être pris en compte par le pollueur au même titre que les coûts de prévention et de lutte contre la pollution issus de la réglementation. -Les pouvoirs publics développent alors la mise en place d’instruments économiques qui visent à donner un prix à la nature : indemnisation, compensation des nuisances environnementales, écotaxes, permis d’émissions (Cf page 7). En outre, ils favorisent l’apparition de comportements plus Prendre en compte les incitatifs à la correction et à la dommages à la nature prévention. -Ces instruments viennent compléter et/ou renforcer l’action des instruments réglementaires dans la politique environnementale. et à l’Homme dans le processus de décisions des agents économiques implique de pouvoir chiffrer le coût social des dommages. Comment évaluer les coûts des dommages à la nature ? Donner une valeur monétaire aux dommages, ou calculer les coûts des dommages, revient à faire l’évaluation économique des ressources naturelles, puisque le dommage représente la perte ou l’altération de la ressource (ou la perte de bien-être qui lui est associé). La procédure d’évaluation des dommages consiste donc à placer des valeurs monétaires sur les conséquences directes et connues des impacts d’une ou de plusieurs activités économiques sur l’environnement, mais aussi sur les conséquences plus indirectes basées sur la perte de services rendus par la nature. Connaître les coûts liés à la «réparation» de la nature Il s’agit de chiffrer la valeur de l’environnement en fonction des coûts nécessités pour sa réparation et les coûts liés à la prise en charge des conséquences de la pollution. Lors d’un accident pétrolier par exemple, la lutte contre la marée noire est à l’origine de nombreux coûts (traitement des fuites par barrages, pompage en mer, dispersion de produits chimiques par avion pour permettre la dilution du pétrole et le rendre davantage biodégradable, prélèvements du pétrole sur la couche supérieure du sable et son transport pour évacuation...). Connaître les coûts liés à la perte des services rendus Il s’agit aussi d’estimer la valeur de la perte des services rendus par la nature. Dans le cas de valeur marchande, l’évaluation ne pose pas de problème particulier puisqu’il est possible d’obtenir directement une mesure monétaire, il n’en va pas de même pour l’évaluation des valeurs non marchandes. Une difficulté vient de la diversité des éléments à prendre en compte pour déterminer la valeur de ce type de dommages, diversité liée aux différentes fonctions attendues des milieux naturels. Les services rendus par la nature sont classés en deux catégories dans le calcul économique et s’attachent à dissocier la valeur d’usage de la valeur de non-usage ; l’ensemble formant la valeur économique totale : Valeur d’usage Valeur d’usage directe Valeur d’usage indirecte Prestations directement consommables avantages fonctionnels Nourriture, bois, plantes médicinales, activités récréatives payantes... Fonction de protection, fonction écologique, fonction hydrologique Valeur de non-d’usage valeur d’option usages potentiels futurs conservation pour les générations futures valeur d’héritage Valeur patrimoniale Altruisme Legs pour les générations futures Sources potentielles de matières premières, opportu- Paysages, espèces animales et végétales ... nité de loisirs, conservation d’habitats, de paysages... Valeur marchande valeur d’existence Attachement à la nature en dehors de tout usage. La nature a une valeur en elle et pour elle-même, une valeur intrinsèque. Valeur non marchande Ainsi par exemple, la forêt a des fonctions marchandes comme la sylviculture et l’exploitation forestière, mais elle a également des fonctions non marchandes comme la protection des eaux et des sols, la séquestration du carbone, la préservation de la biodiversité ou l’accueil du public. Lorsqu’un dommage est causé à la forêt (construction d’une autoroute ...), cela porte atteinte à chacune de ces fonctions et par là même à sa valeur économique totale. Il existe plusieurs méthodes d’évaluation des coûts des dommages ou de la perte des services rendus par la nature. Dans la pratique, de nombreuses difficultés de calcul demeurent (Cf page 14). Théoriquement, les méthodes d’évaluation visent à construire des indicateurs ayant la dimension de prix pour l’utilisation de la nature. Le but de faire payer est celui d’inciter à restaurer, à améliorer ou à maintenir la qualité de l'environnement et, par voie de conséquence, les services qui y sont associés. Même si, dans la réalité, les prix fixés sont beaucoup plus bas par rapport à la véritable valeur de la nature (Cf page 14), connaître les coûts des dommages permet une meilleure compréhension des problèmes environnementaux et donc une meilleure rationalité dans le choix des politiques (rajustement dans la réglementation, analyse des alternatives dans le choix des instruments économiques). Théorie : Du principe général de rationalité économique, l’objectif global d’une politique d’environnement est de minimiser à la fois les coûts sociaux (coûts liés aux dommages causés par une pollution) et les coûts privés (coût de la lutte contre la pollution ou coût du prix à payer pour polluer) afin de concilier au mieux développement économique et protection de la nature. Il s’agit de chercher à minimiser le coût total de la pollution pour l’ensemble de la société. EN SAVOIR + E Voir les méthodes de Voi monétarisation mon sur notre site internet Années 2000 Volonté de renforcement de l’application du principe pollueur-payeur -La notion de coûts des dommages environnementaux s’élargit avec la volonté d’une meilleure prise en compte de la globalité des services que peut rendre la nature. Le calcul des coûts des dommages, basé jusqu’alors principalement sur des coûts de «réparation» de la nature ou sur des coûts liés à une valeur marchande, prend une autre dimension en insistant sur l’importance des services rendus par la nature et donc sur les coûts liés à une perte de sa valeur non marchande. -La directive européenne sur la responsabilité environnementale (2004) stipule qu’il appartient aux autorités publiques de veiller à ce que les responsables prennent eux-mêmes ou financent les mesures nécessaires de prévention et de réparation. -Au niveau de l’utilisation des instruments de marché, les permis d’émissions transférables, sont largement mis en avant. 5 5 Evaluer la nature. Quels enjeux ? Un enjeu de préservation ... Evaluer économiquement les actifs naturels est un des moyens de lutter contre leur dégradation : --> en améliorant la prise de décision Prendre en compte la valeur des fonctions et des services fournis par la nature améliore les prises de décisions dans les choix de politiques territoriales. La valeur économique est ici souvent de nature instrumentale. Elle n’implique pas nécessairement une monétarisation. L’objectif est, en permettant la saisie de la valeur de la nature en unité monétaire, de la comparer avec d’autres valeurs économiques et ainsi d’arbitrer de façon plus efficace les décisions à prendre (s’assurer que les bénéfices d’un projet sont supérieurs aux coûts sociaux qu’il engendre). Dans le cas de l’étude de projet de construction d’une autoroute, c’est aller au-delà des valeurs strictement économiques (coûts d’investissement, coûts d’exploitation et de gestion, coûts des accidents/valeur des gains de temps des usagers, recettes de péage…) ou sociales (coûts des morts évités...) en soulignant les impacts sur les coûts attribués à la nature (dans le cas de disparition d’une forêt : perte de séquestration du CO2 ou de la régulation de la qualité de l’air, menaces sur certaines espèces végétales et animales, perte des plaisirs récréatifs -promenade, écotourisme-). On peut ainsi mieux estimer si la construction de l’autoroute provoque des avantages supérieurs à la perte des espaces naturels détruits (méthode coûts/avantages). La valeur monétaire attachée aux espaces naturels peut aussi permettre aux gestionnaires d’espaces naturels d’argumenter le bien-fondé d’une politique de protection. Au delà du choix d’un projet, il s’agit également de compenser ou d’indemniser à sa juste valeur la destruction d’un espace une fois les décisions prises. --> en améliorant la prise en charge de préjudices commis Connaître la valeur de la nature c’est aller plus loin que la simple dimension réparatrice dans la reconnaissance d’un préjudice écologique. C’est prendre en compte la valeur des ressources perdues. Dans le cas du naufrage d’un pétrolier, c’est aller au-delà du calcul des coûts de nettoyage, des pertes de revenus des pêcheurs…en évaluant la perte de biodiversité, les atteintes au paysage maritime… Evaluer le préjudice écologique permet d’aller au-delà du préjudice économique et permet d’engager le développement d’une logique de sanction. Sans prix, toute dégradation échappe à une logique punitive. Il est alors possible d’introduire une réelle indemnisation (qui dépasse les frais de restauration et les pertes marchandes) par le biais de sanctions financières au titre des dommages aux écosystèmes par exemple. Ceci constitue un signal de nature à inciter celui ou ceux reconnus pénalement responsables à engager davantage de mesures de prévention. --> en régulant et optimisant l’accès et l’utilisation aux ressources En attribuant une valeur aux dommages infligés à la nature, il devient possible d’avoir une idée de la modification de sa qualité et des conséquences de cette modification, afin de faire payer sa détérioration. En faisant payer pour son utilisation (forte pollution de l’air par une industrie, prélèvements d’eau importants pour irriguer les cultures…), on cherche alors à dissuader d’utiliser la ressource sans réserve ; à poursuivre les actions curatives, mais également à prévenir et inciter les industriels à modifier progressivement leur " process " et inciter les autres acteurs à adopter des comportements plus respectueux. Dans le cas des rejets de CO2, c’est acheter des droits à polluer ou payer une éco-taxe. Dans le cas de prélèvements d’eau, c’est imposer des quotas et faire payer pour leur dépassement... ...pour le bien-être de l’Homme ... pour sa survie ? En continuant sur la voie de la destruction d’espaces de nature, de l'extinction des espèces, de la pollution de l’air et de l’eau, du réchauffement climatique..., la qualité de vie et les opportunités de développement des générations présentes et à venir se trouvent réduites. Le capital naturel disparaît à un rythme incompatible avec un développement durable. Théorie : Le développement durable se veut un processus de développement qui concilie l’écologique, l’économique et le social. C’est un développement, respectueux des ressources naturelles et des écosystèmes, qui garantit l’efficacité économique mais sans perdre de vue la lutte contre les inégalités, l’exclusion et la recherche de l’équité. 66 Il en va peut-être de la survie de l’espèce humaine. --le réchauffement climatique est à l’origine d’une augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements extrêmes comme les sécheresses, les ouragans ou les cyclones avec des dégâts humains importants. Il est également responsable d’une élévation du niveau moyen des océans et des populations pourraient à l’avenir être déplacées suite à la montée des eaux. --le processus de disparition des espèces vivantes ne cesse de s’accélérer. Pourtant, elles rendent la planète vivable par leur action sur la fertilisation des sols arables, la fixation du carbone de l’atmosphère, la production de l’eau potable, la décomposition des déchets…Elles peuvent aussi fournir de nouveaux médicaments, des substituts au pétrole.. Quel prix pour la nature ? L’indemnisation L’auteur d’une atteinte à l’environnement doit réparer les dommages causés, notamment dans les situations de pollution accidentelle (marée noire, rejets de produits toxiques). Le prix à payer doit refléter le coût du préjudice. L’indemnisation doit donc porter sur le coût de la réparation du dommage, sa restauration, sa remise en état. Mais elle doit également porter sur la compensation de pertes : des pertes marchandes (liées à des activités touristiques...) ou non marchandes (perte de biodiversité, baisse d’activités de loisirs (pêche récréative, promenade...). La compensation Tous travaux ou projets d’aménagement sont soumis à une étude d’impact qui comprend au minimum une analyse de l’état initial du site et de son environnement, l’étude des modifications que le projet y engendrerait et les mesures envisagées pour les supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l’environnement. Compenser signifie donc financer et réaliser une action en faveur de la biodiversité générant un gain au moins équivalent à la perte résiduelle. L’écotaxe Les permis d’émission négociables Une taxe sur des émissions ou des prélèvements vise à introduire une incitation à réduire les atteintes à la nature en leur donnant un prix. On pénalise les activités en prélevant un impôt proportionnel à l’usage de la ressource ou à l’impact du polluant. Le principe est que le pollueur compare le coût de réduction de sa pollution au prix de la taxe. Il sera incité à dépolluer jusqu’à ce que le coût de dépollution soit égal au montant de la taxe. Dans le cas d’une pollution de l’air par exemple, la taxe laisse le choix à l’entreprise. Elle peut décider de maintenir le niveau de ses émissions. Elle ne fait alors aucune dépense d’amélioration de ses performances environnementales mais paie une taxe élevée. Elle peut aussi choisir de réduire les émissions polluantes ; ceci entraîne des dépenses d’amélioration de ses performances environnementales mais diminue sa dépense fiscale. Dans les deux cas, la pollution entre dans les coûts de production de l’entreprise : par le biais d’un prix reflétant l’utilisation des services d’absorption de l’air, par le biais d’un prix reflétant «l’évitement» à polluer. Il opère des choix de façon à minimiser ses coûts de production. Cependant, la taxe est un système dans lequel on ne met pas de limite d’émissions ; on dit simplement à l’avance combien il en coûtera d’émettre (le prix est fixé). Son effet sur les quantités polluantes émises est donc incertain et difficile à prévoir. Théorie : L’instauration d’une taxe ou d’un système d’échange de quotas présente l’avantage sur la réglementation de laisser aux agents économiques la décision de l’ajustement de leurs comportements. Ils peuvent en effet arbitrer entre réduire la pollution qu’ils causent (baisser le coût social) ou maintenir celle-ci en contrepartie du paiement de la taxe ou de l’achat de permis d’émissions (augmenter le coût privé). Les analyses démontrent, qu’en théorie, ces instruments sont plus efficaces économiquement que les outils réglementaires (par leur capacité à minimiser les coûts de réalisation d’un objectif de protection donné). Avec la réglementation, l’Etat dicte des comportements (normes, interdictions), avec les instruments de marché, il laisse des choix (réduire la pollution ou payer). Mais lorsque ces derniers s’ajoutent aux réglementations, ils ne font que renforcer l’incitation à réduire les coûts privés et peuvent ainsi accélérer le rythme des innovations visant à protéger l’environnement (mise au point de nouvelles technologies, amélioration des procédés de production ...). La différence fondamentale entre les deux outils économiques est que, dans le cas de la taxe, l’Etat fixe un coût global de la pollution, mais il ne connaît pas quelles seront les quantités de polluants émises au moment où il fixe la taxe. Dans le cas des permis, l’Etat a fixé un niveau de pollution, donc de réduction d’émissions attendues, mais il ne saura pas en chiffrer le coût. Le principe est d’acheter des droits à polluer (ou permis, ou quotas). Un droit représente l’autorisation de rejeter une unité de polluant dans l’air pendant une période donnée. Après avoir fixé un volume total d’émissions admissibles, une agence de régulation répartit cette quantité entre les différents agents concernés. L’allocation initiale de permis est souvent gratuite. L’obtention de nouveaux droits (si la pollution doit être supérieure au montant alloué) ne peut s’opérer que par des échanges de permis entre pollueurs. La possibilité d’échanger les permis fait émerger un prix selon les lois de l’offre et de la demande. De façon générale, si l’effort de réduction de pollution demandé est important et que le nombre de permis en vente sur le marché est faible, alors le prix du permis sera élevé. Une entreprise qui n’aurait pas assez de ses droits initiaux alloués pour produire peut soit réduire ses émissions, soit acheter des permis à une autre entreprise qui elle ne les aurait pas tous utilisés. Une entreprise pour laquelle les coûts de réduction sont plus faibles diminue en effet davantage ses émissions pour revendre des permis à l’entreprise dont les coûts de réduction de la pollution sont plus élevés. L’Etat ou une institution peut également racheter des droits sur le marché pour en abaisser la quantité totale disponible et ainsi réduire la pollution. Les marchés de droits à polluer régulent donc les émissions par les quantités et non par les prix comme les taxes. Il existe également, sur le même modèle, des marchés de droits à prélever. Les instruments économiques exposés dans les six pages suivantes ne sont donnés qu’à titre d’exemples de l’existant. Leur présentation n’a pas vocation à l’analyse de leurs avantages et leurs inconvénients, des conditions et des conséquences de leur mise en oeuvre et de leur fonctionnement. 77 S EM PL E EX Des prix pour la réduction des émissions de CO2 Le quatrième rapport d’évaluation du Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), publié en 2007, confirme que le réchauffement de la planète est sans équivoque : hausse des températures moyennes de l’atmosphère et de l’océan, fonte massive de la neige et de la glace, élévation du niveau moyen de la mer. Températures moyennes dans le monde (courbe de tendance) La hausse des concentrations de gaz à effet de serre (GES) produits par les activités humaines en est la raison essentielle. Elles ont très fortement augmenté dans le monde ces dernières décennies (+ 70 % entre 1970 et 2004). Lecture : une stabilisation des températures moyennes de la planète en 2100 à un niveau supérieur de 2 à 2,4°C par rapport à l’ère préindustrielle suppose qu’en 2050, les émissions de CO2 aient déjà diminué de 50 % à 85 % par rapport à leur niveau de 2000. Des émissions supérieures de 20 % à 85 % pourraient entraîner une hausse des températures de 4 à 4,9 °C. Source : Alternatives Economiques, «L’économie durable», Hors-Série N°83, 4ième trimestre 2009. Le coût des dommages engendrés par le réchauffement climatique Le rapport Stern, réalisé en 2006, avait pour objet de calculer le prix idéal du carbone, à partir d’informations sur le coût des dommages engendrés par le réchauffement climatique. La conclusion est que si rien n’est fait pour diviser par deux les émissions mondiales de CO2 à l’horizon 2050, l’augmentation de la température moyenne dépassera les 2°C et les dommages climatiques représenteraient entre 5 et 20 % du PIB annuel. Par contre, il a chiffré le coût de la lutte contre le réchauffement climatique à 1 % du PIB mondial chaque année si l’on agit dès aujourd’hui pour limiter la température moyenne de la planète dans une limite de 2°C. Il en a déduit le prix que devrait avoir une tonne de CO2 émise pour «internaliser» ces dommages : 85 dollars en l’occurence dans le cas d’un scénario de «laisser faire» où les dommages seraient maxima. Cependant, un prix aussi élevé aurait des conséquences majeures sur de nombreux secteurs économiques et risquerait de créer ou d’aggraver la précarité pour une partie de la population. Le prix du carbone La mise en place d’une taxe carbone est étudiée en France. Elle s’appliquerait aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon, GPL) et serait calculée en fonction de leur contenu en CO2. France : part des différents secteurs dans les émissions totales de gaz à effet de serre en France en 2005 Le montant de la taxe avait été fixé à 17€/t de CO2 pour l’année 2010. Elle devait encourager les ménages, les entreprises, à adopter des pratiques de consommation et d’achat plus sobres en carbone et en énergie. Elle correspondait au prix à payer pour leurs émissions de chauffage, de transport... Les fonds prélevés devaient ensuite être redistribués sous forme de crédits d’impôts pour les ménages afin d’éviter de créer ou d’aggraver une «précarité énergétique». Aujourd’hui, les modalités d’application de cette contribution carbone sont en cours de révision. Elle a été jugée inégalitaire entre les entreprises qu’elle allait frapper à taux plein, celles qui seraient frappées à taux partiel (agriculteurs, transporteurs routiers) et celles qui seraient totalement exonérées (grands établissements industriels qui relèvent du système européen des permis d’émissions et qui négocient actuellement le quota autour de 13 euros/tonne, soit moins que le prix fixé par la taxe carbone). La tarification du carbone est utilisée au plan national dans plusieurs pays européens (Suède, Norvège, Danemark, Irlande). 8 Source : ADEME Poitou-Charentes La stabilisation de la concentration des GES implique une réduction massive des émissions, soit la nécessité de réformes importantes des politiques énergétique, industrielle, urbaine… Par la taxe, le prix des énergies fossiles se trouve ainsi augmenté de manière à inciter les utilisateurs à réduire leur consommation. Des investissements visant à réduire les rejets de CO2 deviennent rentables, alors qu’ils ne l’auraient pas été sans la taxe. Le prix du quota sur le marché européen du carbone Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’Union Européenne a décidé de limiter les émissions de CO2 qu’un site industriel peut occasionner (plus de 11 000 établissements européens sont concernés). Les Etats attribuent des autorisations annuelles d’émissions (encore appelées allocations, quotas ou permis) à chaque acteur concerné : les producteurs d’électricité (un peu plus de 60 % des quotas attribués), la sidérurgie, les producteurs de ciment ou de verre...). Pour le moment, cette allocation est gratuite. Chaque installation, par l’intermédiaire des quotas, est donc dotée d’un plafond d’émissions (un quota équivaut à une quantité de CO2), qu’elle doit respecter. Pour y parvenir, elle peut soit réduire ses émissions, soit acheter des quotas à un autre site industriel, qui lui, aurait réduit ses émissions en deçà de son plafond. Plutôt que de revendre des quotas, l’entreprise peut également garder la part qu’elle n’utilise pas pour le reste de la période. Note : Le marché couvre deux périodes : 2005-2007 a été une phase de mise en route ; 2008-2012 correspond à celle des engagements pris lors du protocole de Kyoto (réduction de 8 % des émissions de CO2). L’industriel ne peut pas garder de quotas d’une période sur l’autre. L’incertitude demeure quant à la possibilité de garder des quotas de la seconde période (mise en banque) pour la troisième période (2013-2020). Le système autorise donc ceux qui ont trop de permis à les vendre à ceux qui n’en ont pas assez. C’est à l’occasion de cet échange que se matérialise le «prix du CO2». Les entreprises ne supportent donc pas le coût d’achat des quotas tant que leurs émissions se situent en deçà de leur allocation. Le paiement d’un coût intervient à compter de la première tonne de CO2 émise au-delà de l’allocation initiale. A partir de 2013, les entreprises industrielles et les producteurs d’énergie vont progressivement payer le CO2 émis dès la première tonne, alors qu’ils ne paient aujourd’hui qu’après avoir dépassé les quotas d’émissions alloués gratuitement. Ceci devrait les inciter à rejeter encore moins. Enfin, le total des émissions autorisées ne relèverait plus de plans nationaux mais d’un plan européen. Les quantités globales émises sont pilotées par les pouvoirs publics et les prix de ces quotas varient en fonction de l’offre et de la demande. Le nombre de quotas devrait diminuer de façon drastique entre 2013 et 2020 pour atteindre une baisse de 21% par rapport à 2005. Volume et valeur des transactions de quotas européens depuis 2005 Volumes échangés Valeurs des transactions (millions de quotas) (millions d’euros) Prix moyen du quota (en euros) 2005 262 5 400 20,6 2006 828 14 500 17,5 2007 1 458 25 200 17,3 2008 2 731 61 200 22,4 2009 5 016 65 900 13,1 Source : calculs Mission Climat de la Caisse des Dépôts à partir des données Point carbon in «Conseil économique pour le développement durable, N°12, 2010. En 2009, les transactions de quotas européens ont atteint 5 016 millions de tonnes de CO2. En valeur, ces transactions ont représenté environ 66 milliards d’euros avec un prix moyen de 13,1 euros la tonne. Sur la période 2005-2008, les transferts se sont principalement opérés vers le secteur électrique, acheteurs de quotas, en provenance des autres secteurs industriels, vendeurs de quotas. Le prix du carbone sur le marché volontaire de compensation De plus en plus d’entreprises, d’acteurs publics, de particuliers s’engagent volontairement (en dehors de contraintes réglementaires) dans l’acquisition de crédits d’émissions de CO2 afin de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. La compensation consiste à mesurer les émissions de GES d’une activité (transport, chauffage...), puis, après avoir cherché à réduire ces émissions, à financer un projet de réduction des émissions de GES ou de séquestration carbone : énergies renouvelables, efficacité énergétique, reboisement qui permettra de réduire, dans un autre lieu un même volume de GES. Le marché volontaire est formé d’entreprises à but lucratif ou d’associations et fondations à but non lucratif. Ce marché de crédits carbone connaît une croissance rapide. En 2007, 42 milions de tonnes d’équivalent CO2 ont été échangées (dont 17 % issues de projets forestiers). Le prix moyen était de 10 euros/tonne. 9 MP LE S EX E Des prix pour la préservation de la ressource eau Les sécheresses des dernières décennies, l’inadéquation entre les ressources en eau disponibles et les besoins des usagers (agriculteurs, industriels, particuliers) et les phénomènes de pollution posent un problème majeur de préservation des écosystèmes aquatiques. Les ressources en eau subissent donc une pression croissante, tant au niveau de l’approvisionnement que de la qualité de l’eau. De nombreuses parties du monde sont déjà confrontées à des pénuries ; et plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. La pénurie d’eau douce Source : d’après Alternatives Economiques, «L’économie durable», Hors-Série N°83, 4ème trimestre 2009. Les coûts complets de l’eau En Europe, la Directive Cadre sur l’Eau (2000) spécifie que les Etats membres doivent veiller à ce que la politique de tarification incite les usagers à une utilisation plus efficace de la ressource. Pour cela, conformément au principe pollueur-payeur, les différents secteurs utilisateurs doivent contribuer de manière appropriée à une meilleure récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau (les coûts financiers classiques mais aussi les coûts pour l’environnement et la ressource). Ce concept de récupération des coûts complets cherche bien à intégrer l’ensemble des coûts au sein du processus décisionnel à l’origine des politiques de gestion de l’eau. Cela fait appel à une caractérisation de l’ensemble des fonctionnalités des écosystèmes pouvant conduire à des besoins d’évaluation monétaires du coût de leur dégradation et des services induits. L’application du principe pollueur-payeur doit permettre de mettre à la charge des pollueurs les coûts supportés du fait des rejets ou des prélèvements (épuration, distribution, ...) mais aussi les coûts équivalents aux coûts des dommages environnementaux qu’ils provoquent (perturbation du régime hydraulique, consommation de la ressource, pollution de la ressource...) ou des services induits perdus (recharge de nappes, biodiversité, paysages...). La Directive a donc exigé des états membres qu’ils mettent en place des démarches d’évaluation économique des dommages et des bénéfices environnementaux. De nombreuses études ont été faites, au plan local, pour évaluer notamment le caractère disproportionné ou non des coûts des travaux nécessaires pour atteindre le «bon état des eaux» : état chimique (respect des concentrations de substances prioritaires), état écologique (biologique, physico-chimique, hydromorphologique....) et état quantitatif. 10 Le prix des droits de prélèvement d’eau Les pays d’Europe sont très attachés à la taxation (ou aux redevances) pour le paiement des prélèvements d’eau. Cependant, il apparaît que la taxe remplit plus une mission de collecte financière qu’une incitation à mieux gérer la ressource. Il faudrait pour cela un prix qui reflète plus que le coût de l’usage de l’eau, un prix significatif, proportionnel à sa rareté. La DCE, avec les principes de recouvrement des coûts et de tarification incitative, génère aujourd’hui un contexte plus propice à l’amélioration de ces systèmes de taxation. Des pays comme l’Australie et le Chili ont quant à eux choisi de gérer l’utilisation de la ressource en mettant en place un système de droits de prélèvement (quotas), attribués par l’administration (gratuitement ou non), échangeables (sur un marché), à l’instar des quotas de CO2. L’introduction d’un tel système implique le passage d’une eau gratuite à une eau payante (prix de la ressource et non prix de l’usage). Le droit d’eau peut correspondre à un débit prélevable ou à un volume disponible. La ressource échangée est souterraine (nappe) ou de surface (rivière, réservoir). Le transfert est permanent (vente d’un droit d’accès à la ressource) ou temporaire (vente d’un volume d’eau). Enfin, les échanges s’effectuent à l’intérieur d’un même usage ou entre usages, à un niveau individuel ou collectif (association), à une échelle locale ou régionale. Les quotas alloués initialement sont très dépendants de la pluviométrie et les taux d’allocation sont souvent réévalués en fonction de la quantité d’eau disponible. Ces marchés sont fortement réglementés. Les droits sur l’eau et les possibilités d’échanges et de ventes sont totalement contrôlés par les Etats ou les autorités locales. Le marché des quotas dans la gestion de l’eau en Australie Un marché de l’eau est un lieu d’échange de droits d’eau initialement attribués aux différents usagers. Des quotas volumétriques de prélèvement d’eau sont initialement attribués aux différents usagers. Le marché de l’eau repose ensuite sur la possibilité d’échanger ces quotas. Les transactions peuvent être temporaires (=transfert de tout ou partie du quota alloué, pour une période maximale de 1 an) ou permanente (=transfert du droit avec le quota de référence associé). Comparaison des volumes d’eau alloués et mis sur le marché dans différents Etats en 2004-2005 La part des volumes échangés sur le marché est variable selon les Etats. Mais ce sont majoritairement les agriculteurs, principaux détenteurs des droits de prélèvement, qui participent au marché. Les prix sur le marché peuvent varier fortement selon les années. Ils reflètent les variations de la disponibilité de la ressource : le prix moyen annuel de 1 000 m3 d’eau s’est vendu 54 dollars australiens en 2005/2006 et 519 dollars australiens en 2006/2007. Des prix pour la pollution par les pesticides La plupart des pays scandinaves ont entrepris depuis plus de 20 ans un programme de réduction d’utilisation des pesticides dans le secteur agricole. Le Danemark, la Suède, la Norvège par exemple ont réussi à réduire d’au moins 50 % leur consommation. Cette diminution s’explique par la nouveauté des matières actives utilisées (à spectre plus large ou plus efficaces à moindre dose), par la moindre fréquence de traitement des cultures, mais surtout par une réglementation très stricte (interdiction de matières actives pourtant toujours autorisées par la Commission Européenne) et par la taxation importante des pesticides vendus. Au Danemark par exemple, depuis 1999, la taxe représente 34 % du prix des herbicides et fongicides et 54 % du prix des insecticides (3 % en 1986). Elle a accru, de manière directe, le coût relatif de l’utilisation de ces intrants, et en a réduit l’intérêt pour les agriculteurs. En outre, cette écotaxe a permis à d’autres mesures de devenir compétitives (lutte biologique, désherbage mécanique), d’autant plus que 83 % de l'argent récolté par les taxes est reversé aux agriculteurs sous diverses formes. En France : la redevance pour pollutions diffuses La loi sur l’eau de 1964 avait déjà établi un système de redevances de pollution afin de lutter contre la contamination des eaux continentales. Mais depuis janvier 2008, une redevance vise tout spécifiquement à limiter l’utilisation des pesticides. Elle concerne les distributeurs et est à acquitter aux Agences de l’eau. Elle est plafonnée à 0,50 euro par kilo pour les substances dangereuses pour l’environnement relevant de la chimie minérale, à 1,20 euro par kilo pour les substances dangereuses pour l’environnement, et à 3 euros par kilo pour les substances toxiques, très toxiques, cancérogènes pour l’Homme. Note :Taxe ou redevance ? La distinction entre taxe et redevance repose essentiellement sur la destination des recettes. Les recettes de la taxe sont versées au budget général de l’Etat, sans affectation particulière. Les recettes de la redevance sont affectées à des fins spécifiques, de lutte contre la pollution ou d’amélioration de l’environnement. 11 LE S EM P EX Des prix pour la protection de la biodiversité La destruction des habitats naturels, le réchauffement climatique, la pollution (de l’air, de l’eau, des sols), sont des menaces pour la biodiversité avec pour conséquence la perturbation des écosystèmes. La Liste rouge des espèces menacées qu’a publiée l’Union mondiale pour la conservation de la nature (UICN) confirme le risque d'extinction de nombreuses espèces : 17 291 espèces sur 47 677 répertoriées en 2009. Les résultats révèlent que 21 % de tous les mammifères connus, 30 % des amphibiens, 12 % des oiseaux, 28 % des reptiles, 37 % des poissons d’eau douce, 70 % des plantes, 35 % des invertébrés répertoriés à ce jour sont menacés. Lecture : la perte de la biodiversité est mesurée par l’indicateur MAS (Mean Species Abundance ou abondance des espèces communes). La construction d’infrastructures serait à l’origine de la disparition de près de 5 % des espèces communes dans le monde. Pour l’ensemble de la planète, la perte de zones naturelles entre 2000 et 2050 devrait s’élever à 750 millions d’hectares (taille de l’Australie). Perte de biodiversité mondiale 2000-2050 Source : Communautés Européennes, «L’économie des écosystèmes et de la biodiversité», 2008. L’évaluation financière de l’apport de la biodiversité et du coût de sa destruction Les rapports de Pavan Sukhdev et Bernard Chevassus-au-Louis tentent de donner un prix à la biodiversité pour démontrer l’importance des services rendus par la diversité biologique ainsi que le coût d’une perte de cette diversité et de sa compensation. Le premier, dans un rapport commandé par l’Union Europénne, estime à 23 500 milliards d’euros par an la valeur des services rendus par les écosystèmes au niveau mondial (dans la première partie de son étude publiée en 2008). Il estime également que ce sont près de 60 % des services rendus par les ecosystèmes de la planète qui se sont dégradés au cours des 50 dernières années et que si rien n’est fait, ce sont encore 11 % de zones naturelles qui vont disparaître d’ici 2050 (et donc les services associés). Le second, dans un rapport du Centre d’Analyse Stratégique (2009), propose des valeurs de références, en terme monétaire, de milieux semi-naturels. Ainsi, un hectare de forêt aurait une valeur moyenne de 970 euros par an ; la fourchette pouvant varier de 500 à 2 000 euros/ha/an en fonction de l’importance des différents services tels que le stockage de carbone ou la fonction touristique. Cette valeur minimale de 500 euros/ha/an serait près de 4 fois supérieure à la valeur de la seule production de bois. Une valeur minimale de l’ordre de 600 euros/ha/an est proposée pour les prairies utilisées de manière extensive. Il fait référence également à l’étude de Braat et ten Brink (2008) qui estime que la perte des services écologiques pourrait représenter jusqu’à 7 % du PIB mondial en 2050, soit environ 13 938 milliards d’euros par an. ERIKA : le prix du préjudice écologique Le 16 janvier 2008, le Tribunal de Grande Instance de Paris a reconnu Total coupable de délit de pollution. Il a ainsi pris en compte le fait que le préjudice écologique va bien au-delà du préjudice économique : réparer le préjudice environnemental va plus loin que le seul prix à payer pour des opérations de nettoyage et de remise en état du site pollué et que les compensations économiques induites par une baisse du chiffre d’affaires ou de la fréquentation touristique. Des indemnisations ont été accordées aux associations de protection de la nature pour un préjudice écologique. Note : Le préjudice écologique correspond à l’ensemble des dommages n’entrant pas dans la valeur marchande. 12 Le procés Erika -Les montants demandés par les parties civiles lors de ce procès étaient de l’ordre de 500 millions d’euros parmi lesquels 110 millions étaient demandés par les différentes collectivités territoriales au titre de préjudice écologique. La LPO était également partie civile au titre de cette catégorie de dommages. -Une étude de F. Bonnieux, «Evaluation économique du préjudice écologique causé par le naufrage de l’Erika», avait avancé le chiffre global de 371,5 millions d'euros (valeur 2005). -Finalement, une indemnisation au titre de préjudice écologique a été attribuée à la Ligue pour la Protection des Oiseaux en reconnaissance de son rôle de gardien de l’environnement (300 000 euros). 200,6 millions d’euros de dommages et intérêts ont également été accordés aux collectivités territoriales. Compensation : le prix d’unités de biodiversité Les Etats-Unis offrent aujourd’hui le système de compensation le plus développé. Les entreprises et agriculteurs qui portent atteintes aux zones naturelles doivent en effet acheter des crédits environnementaux à des banques spécialisées pour compenser les dégradations. En 2006, le montant des échanges de crédits des banques de compensation spécialisées dans les zones humides s’est chiffré à 350 millions de dollars. Un système d’échange de crédits d’espèces en voies d’extinction existe également afin de compenser les impacts négatifs sur des espèces menacées et leurs habitats. En mai 2005, le volume du marché avait dépassé 40 millions de dollars, avec 930 transactions réalisées. Dans le même ordre d’idées, en France, des conventions ont été signées entre le Ministère de l'Ecologie et la filière biodiversité de la Caisse des Dépots et Consignation (CDC) pour engager la création de « réserves d'actifs naturels ». Depuis 1976, la loi sur la protection de la nature impose aux aménageurs du territoire, en tant que maîtres d'ouvrages, en premier lieu d'éviter les impacts sur la biodiversité, ensuite de réduire ceux qui n'auront pas pu être évités, et en dernier recours de compenser ceux qui n'auront pu être ni évités ni réduits. Aujourd’hui, des programmes se mettent en place afin « d'anticiper » le besoin de compensation en créant « des réserves », des unités d'échange de biodiversité, disponibles à l’avance pour répondre à cette demande de compensation. Il s’agit de constituer des actifs naturels pour permettre aux maîtres d’ouvrages de compenser les atteintes que leurs activités auraient causées ou seraient susceptibles de causer, ceci en aidant à la réhabilitation de terrains spécifiques : --les espaces sont ensuite convertis en «unités de biodiversité» (d’où l’importance de connaître leur valeur économique). --un aménageur ou un promoteur peut alors convertir les impacts résiduels de son projet en unités de biodiversité. Il peut compenser ses impacts en acquérant autant d’unités de biodiversité qu’il en aura détruit. L’achat d’unités de biodiversité ne doit pas être privilégié au détriment d’efficaces mesures d’évitement. La CDC Biodiversité a acquis par exemple le site de Cossure, 357 hectares d’anciens vergers, à Saint-Martin-de-Crau dans les Bouches-du-Rhône. Elle s’est engagée à réhabiliter un espace favorable à la biodiversité originale du territoire par la reconstitution d’ensembles végétaux (végétation de steppe) permettant la présence d’espèces animales communes en Crau sèche : Outarde canepetière, Ganga cata, Oedicnème criard, Lézard ocellé… Suisse : une taxe pour compenser La suisse, quant à elle, suite à une étude de la WWF, réfléchit à la mise en place d’une taxe comme nouvel instrument de compensation, notamment une taxe sur l’utilisation de surface et l’imperméabilisation du sol lors de la construction de nouveaux bâtiments. Celle-ci permettrait de créer un fonds pour la renaturation de certains espaces. Elle dissuaderait le bétonnage tout en encourageant la densification dans les villes. -- des surfaces à conserver ou à reconquérir sont acquises pour fabriquer des réserves d’actifs naturels. Pêche : le prix des quotas individuels transférables Les quotas individuels transférables font partie des solutions proposées pour l’amélioration de la gestion des ressources halieutiques. Ils existent aux Pays-Bas, en Islande, en Australie... Basé sur le principe de droits d’émissions, ce système consiste à fixer, pour une espèce exploitée, un quota global (TAC= Totaux Autorisés de Captures), révisable en fonction de l’évolution du stock. Ces TAC sont ensuite attribués sous forme de quotas individuels transférables (QIT) aux pêcheurs, pour une période donnée. Le caractère individuel permet au pêcheur d’arrêter de chercher à s’accaparer la part la plus importante du quota collectif. Il n’est plus obligé à chercher à pêcher une plus grande part que celle de ses concurrents sur zone et peut étaler ses captures sur l’année. Le caractère transferable lui permet d’accroître son efficacité économique car les pêcheurs les moins efficaces ou qui sont dans l'incapacité une année donnée de pêcher leur quota, peuvent céder leurs droits ; les vendre ou les louer sur un marché privé. Le jeu des négociations fixe le prix du quota. Le quota individuel vise à introduire l’idée de propriété privée de stock de poissons qui est censée inciter les pêcheurs à ménager la ressource, car une fois propriétaires, ils ont tout intérêt à la gérer de façon optimale pour en accroître la valeur afin d’augmenter leurs revenus ou de revendre au mieux lorsqu’ils cesseront leur activité. Pour exemple, en 1994, le prix du quota individuel transférable sur le marché néerlandais de la sole avoisinait en moyenne les 27 euros du kilo. Au delà de la pêche Ce type de marché existe aux Etats-Unis pour une gestion plus durable de l’espace (protection des terres agricoles ou des espaces naturels contre l’étalement urbain), par l’intermédiaire de la vente de quotas ou de droits d’aménagement transférables. L’Etat distribue à tous les propriétaires de terrain non bâtis des droits à construire. Chaque fois qu’un droit d’utilisation de sol doit être supprimé dans une zone (un espace à protéger), les propriétaires se voient offrir des droits équivalents dans une autre zone, où ces droits pourront être exploités ou vendus. 13 Questions en débat «Le prix de la nature» est-il réellement le reflet de sa valeur ? Attribuer un «juste prix» aux actifs naturels suppose que l’on puisse évaluer «au mieux» les dommages environnementaux passés (pour l’indemnisation de dommages, pour une incitation à moins polluer) ou futurs (pour la prise en compte de l’impact environnemental de projets). Cependant, les analyses critiques des méthodes d’évaluation nourrissent des controverses sur la validité des chiffres produits. En tout premier lieu, ces méthodes sont limitées par des défauts d’informations. La valeur que l’on attribue à un bien naturel dépend en effet de nombreux paramètres incertains. Par exemple, le coût d’une tonne de GES est lié à l’ampleur des conséquences futures du changement climatique, à l’évolution des nouvelles technologies et des modes de vie, aux préférences des générations futures...points sur lesquels l’incertitude est grande. Cela pose la question de l’échelle temporelle et spatiale des impacts. C’est pourquoi, de nombreux scenari sont souvent proposés. En second lieu, les valeurs monétaires calculées peuvent en effet varier considérablement, en particulier au niveau du calcul de la valeur de non-usage. Cette dernière est en effet très dépendante des préférences de chacun. Autant la valeur d’usage renvoie à des bénéfices collectifs, autant la valeur de non-usage, en particulier la valeur d’existence, renvoie à l’appréciation subjective des individus : deux personnes n’accorderont pas forcément la même valeur à l’existence d’un paysage ou à l’existence de la baleine. C’est pourquoi, les méthodes de calcul basées sur les préférences déclarées des individus (comme celle de l’évaluation contingente) sont souvent remises en cause (inclinaison pour surestimer les préférences, introduire des réponses fausses...pour influencer les résultats de l’étude). Mais bien souvent, la valeur de la nature est difficilement estimable ou trop importante. Comment pourrait-on mesurer, par exemple, la valeur d’existence d’une espèce, le coût de la disparition d’une espèce, ou bien mesurer le coût de la rupture de l’équilibre écologique et ses conséquences ? Enfin, des coûts de dommages trop élevés ne sont ni économiquement, ni socialement acceptables et donc rarement retenus. De fait, les mécanismes de régulation sont souvent indépendants du coût réel des dommages. Un tel système de prix est alors une représentation incomplète de la valeur réelle de la nature. L’idée même de prix ne prédispose-t-elle pas à l’idée que la nature puisse s’acheter ?...que le risque de spéculation puisse s’immiscer ? Il n’est pas rare de trouver des oppositions fortes au recours à l’évaluation monétaire des ressources naturelles suivant l’argument qu’elles conduisent à une marchandisation de l’environnement. Les conséquences sont importantes. Le fait par exemple qu’un aménageur ou qu’un promoteur puisse convertir les impacts résiduels de son projet en acquérant autant d’unités de biodiversité qu’il en aura détruit («renaturer» ailleurs) peut favoriser la poursuite de la dégradation de la nature en toute bonne conscience, puisqu’il en aura le droit s’il en a les moyens. La compensation financière pourrait devenir «une licence de destruction» de la nature. Le seul intérêt serait alors celui de l’organisme en charge du système (souvent une banque). Habilité à transformer les territoires en actifs financiers, il pourrait avoir l’avantage de spéculer. De même, avec n’importe quel permis négociable, le bien acquis devenant marchand peut entraîner spéculation. Enfin, il est très difficile de concevoir de mettre un prix sur la nature (qui peut être assimilé à un droit à polluer ou à détruire, lui-même assimilé à un droit de propriété sur la nature) alors même qu’elle représente un bien commun. Est-il éthique d’évaluer la nature ? L’économie évalue la nature ; une idée choquante pour bon nombre de citoyens pour qui la nature, le vivant, n’a pas de prix. La monétarisation de la nature correspond à faire abstraction de l’éthique et à dévaloriser les biens publics mondiaux. Cette idée est particulièrement mise en avant dans le cadre de l’évaluation de la biodiversité. Aujourd’hui, l’Homme considère que la dégradation de la nature et de ses fonctions implique un dommage à son encontre et une diminution de son bien-être. Ainsi, l’obligation de préserver l’environnement, si elle existe, reste principalement dérivée des intérêts humains de préserver les supports de la vie sur Terre. 14 Les instruments de marché ne promulguent-ils pas une approche trop «anthropocentrée» de la protection de la nature ? Cette politique par les prix analyse la protection de l’environnement dans l’optique exclusivement économique. Elle peut s’apparenter en cela à une approche trop «anthropocentrée» de la protection de la nature. Celle-ci énonce en effet que la poursuite de la croissance économique reste possible avec des contraintes environnementales. Elle s’inscrit dans le cadre d’une théorie économique dominante. La nature n’a qu’une valeur instrumentale ; une logique qui revient à maximiser les compensations marchandes de la destruction de l’environnement. On compte sur les progrès techniques et scientifiques pour réparer tout dommage. L’ économie englobe la sphère environnementale ; elle est identifiée comme une priorité. L’ évaluation économique se place alors dans une vision utilitariste de la nature (la nature est ressource) et se définit en référence au bien-être humain. C’est au bénéfice de l’Homme qu’il faut la protéger, une protection très dépendante des comportements des agents face aux instruments économiques, souvent ex-post et à valeur compensatoire, laissant une large place au «correctif» par rapport au «préventif». De la même façon, cela peut sous-entendre que la nature ne peut que se dégrader et l’on reste plus dans une logique de «réparation» de dommages. Théorie : L’approche anthropocentrée s’oppose à deux autres approches : --> Une approche dites «écocentrée» insiste sur l’existence des limites naturelles. La croissance économique ne peut être durable si elle menace son support écologique. La nature est un capital qu’il convient de préserver. Elle fournit des services fondamentaux ainsi que des valeurs de non usages uniques et irremplaçables. Elle prône donc une gestion mesurée, rationnelle et scientifique des ressources naturelles, une protection de la nature de type «conservationniste». Elle impose le respect de la nature en tant que lieu habitable pour l’Homme. L’Homme, et par là-même le système économique, fait partie de la nature. L’Homme profite des services rendus par la nature mais ces productions se doivent d’intégrer la contrainte de régénération des ressources naturelles. --> Une approche dites «biocentrée», défend une conception «préservationniste» de la nature, qui justifie la protection intégrale de la nature pour la valeur que celle-ci possède en elle-même. La nature a une valeur intrinsèque, indépendante de l’utilité qu’en ont les humains. La valorisation et la monétarisation de la nature correspond alors à une dévalorisation de cette dernière. Basée sur des considérations éthiques, cette approche correspond à une critique radicale des modes de production et consommation de notre société. La protection de la nature n’est alors compatible qu’avec une décroissance économique. Ces différentes approches : «anthropocentrée», «écocentrée», «biocentrée», conditionnent la valeur que l’on souhaite associer à la nature et la façon dont on souhaite privilégier sa protection. Vers une économie durable ou repenser le développement ? Aujourd’hui, les enjeux sur la nature sont tels que les réflexions se tournent vers l’exploration de nouvelles voies qui satisfassent au besoin de croissance économique, de responsabilité sociale et de préservation de la nature ; celles qui seront à même d’avancer vers une mutation écologique de l’économie et donc de promouvoir de nouveaux modèles comportementaux des agents économiques basés sur de véritables choix de « prévention ». L’ensemble des secteurs de la société est concerné : les entreprises (concept de Responsabilité Sociétale de l’entreprise...), les agriculteurs (initiatives volontaires de modes de productions contribuant à l’entretien des écosystèmes...), les citoyens (comportements d’achat favorable à l’environnement...), les collectivités territoriales (nouveaux mode de gouvernance, soutien à la recherche et à l’innovation, aux éco-industries…). Pour un bon usage de la nature ? Vers une responsabilisation individuelle ? et une réelle volonté politique ? -L’air, l’eau, la biodiversité ont une valeur sociale qui reflète leurs multiples usages et non usage. Traduire cette valeur sociale en valeur monétaire, c’est vouloir prendre en compte les différentes raisons qui fondent l’intérêt de les préserver (ne plus raisonner en termes de dommages à la nature, mais en termes d’intérêts à la protéger). Les conditions de fonctionnement d’une telle économienécessitent cependant la mise en place de plans stratégiques de long terme. L’action publique, couplée à un nouvel esprit civique, doit y jouer un rôle fondamental. Possible ou utopique ? un tel mode de développement reste de toutes les façons subordonné à une réelle volonté politique. -L’évaluation des services rendus par la nature doit alors devenir un outil de sensibilisation et de mobilisation au-delà de sa fonction de diagnostic et d‘analyse afin d’orienter les comportements vers un mode de développement basé sur une logique plus «écocentrée», une logique «d’ échange avec la nature». -L’approche réglementaire reste prépondérante. -Les instruments économiques, notamment les mécanismes de marché (taxes, permis négociables), peuvent trouver leur place mais doivent être une modalité de fonctionnement des institutions parmi d’autres. EN SAVOIR + Vo la bibliographie Voir et le glossaire su sur notre site internet 15 Echanger et partager n© da Sou L’ORE invite les différents acteurs de l’environnement en Poitou-Charentes à partager leur savoir, à confronter leurs analyses pour suivre et expliquer la situation environnementale de la région. Ces informations sont mises à disposition du public. N IG SE E Re né - Découvrir D et s’impliquer au quotidien s’i L’O.R.E. met à jour régulièrement les informations info io sur les grands sujets d’actualités de l’environnement en Poitou-Charentes. L’O.R.E. organise et soutient les expositions, la production de documents, analyses, supports pédagogiques. 20 05 Répondre à chacun L’O.R.E. met à disposition du public sur son site www.observatoire-environnement.org des informations fiables, analysées, expliquées, illustrées ; des réponses personnalisées ; des liens avec 150 experts acteurs de l’environnement en Poitou-Charentes. Auteur : Valérie Barbier Comité de lecture : Ch Patricia BUSSEROLE (CREN), Michel HORTOLAN (CESER), Christian HUYGHE (INRA), Jean-François LOUINEAU (Région Poitou-Charentes), Francesco RICCI (Université de Poitiers-Faculté de Sciences Economiques) Francis THUBE (Ifrée). er ve ux © SE IG NE Ren é - 20 Directeur de publication : Catherine TROMAS Rédacteur en chef : Franck TROUSLOT 04 Action soutenue par la Région Poitou-Charentes avec la participation de : ISSN 2110-8366 ISBN 978-2-36354-012-6 ORE Téléport 4 Antarès - BP 50163 86962 FUTUROSCOPE CHASSENEUIL Cedex Tèl.: +33 (0) 5 49 49 61 00 | Fax : +33 (0) 5 49 49 61 01 [email protected] http://www.observatoire-environnement.org http://www.eau-poitou-charentes.org http://www.biodiversite-poitou-charentes.org Impression : imprimerie SIPAP OUDIN Certification PEFC