023 - Messaoudi

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La dimension philosophique de Sémiramis
Abderhaman Messaoudi
Cet article est issu d’une communication prononcée dans le cadre des
Journées d’études du centre Ledoux. Ces journées, placées sous le thème «“Bête –
ou créative – comme la Paix” ? La situation des arts en 1748», ont eu lieu à
l’Université Paris I Panthéon Sorbonne les 7 et 8 juillet 2006. Mon étude
ouvrait l’atelier consacrée à la Sémiramis de Voltaire.
Cette pièce de Voltaire dont la première représentation eut lieu le 29
août 1748 pouvait bien être soupçonnée d’être exemplaire de la période
considérée. Ma première idée de communication m’avait d’ailleurs amené à
envisager Sémiramis comme «un cas exemplaire de la situation de l’art
dramaturgique en France en 1748». L’intérêt d’étudier cette pièce est en
effet soutenu par des motifs multiples. De manière plus générale, il faudrait
d’abord souligner que le théâtre de Voltaire est particulièrement
représentatif des recherches et innovations théâtrales de ses contemporains.
Cela motive un regain d’intérêt de la recherche pour la figure du
dramaturge, qui était tombée dans l’oubli et se trouvait donc relativement
négligée jusqu’ici. Norbert Sclippa, auteur d’un Essai sur les tragédies de
Voltaire qui a contribué à ouvrir la voie, remarque: « Il ne faut pas oublier
que les tragédies de Voltaire sont aussi un témoignage essentiel sur la
sensibilité et le goût artistique de son temps, pour la compréhension duquel
elles nous offrent un vaste champ d’investigation, que nous ne saurions
négliger sans nous condamner à un appauvrissement de nos
connaissances»1.
Il cite encore Martine de Rougemont : «Voltaire est pour le XVIIIe siècle
le grand carrefour de toutes les recherches théâtrales, le grand inspirateur de
toutes les initiatives»2. Norbert Sclippa met également en avant «d’autres
raisons, plus purement littéraires, pour lesquelles les tragédies de Voltaire
devraient être étudiées, puisque son théâtre représente un lien de transition
essentiel entre la tragédie classique et le drame romantique»3. On connaît
également le besoin de l’écrivain français de plaire au public et de coller au
plus près de ses exigences, sa dimension de critique littéraire et son
attention anxieuse à l’actualité théâtrale du moment, la place exceptionnelle
qu’a tenue son théâtre à son époque.
Sémiramis fournit dans ces conditions un cas d’investigation d’autant plus
exemplaire que Voltaire a fait précéder la pièce d’une préface où il expose sa
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poétique et sa conception du théâtre et notamment ses vœux touchant à
l’amélioration de la scène. Dans cette Dissertation sur la tragédie ancienne et
moderne, Voltaire exprime son désenchantement mêlé d’admiration pour
Shakespeare, sa grande admiration pour Metastasio, il manifeste son goût
pour l’opera seria, le dramma per musica et définit sa poétique en référence au
théâtre grec. La tragédie de Sémiramis présente plusieurs autres centres
d’intérêt. On sait notamment qu’avec Sémiramis, qui se révèle être «la plus
mélodramatique des tragédies du poète»4, Voltaire fait accomplir au théâtre
un pas décisif vers le drame voire le mélodrame. Cette pièce a également
inspiré les livrets de douze opéras, dont notamment celui de la Semiramide
(1823) de Rossini. Elle a donné lieu à des parodies. Il serait également
possible de suivre les différents avatars de la pièce, qui se trouve être un
remaniement d’Ériphyle (1732) ou encore d’analyser les rapports qu’elle tisse
avec la pièce de Crébillon ou même avec Athalie de Racine5.
Je me propose d’étudier ici la dimension philosophique de Sémiramis.
D’une certaine manière, le sujet que je me propose de traiter a été déjà
abordé à l’intérieur d’études plus vastes. Je m’appuierai donc notamment sur
deux travaux, de Robert Niklaus (1963) et de Ronald Ridgway (1961). Le
théâtre de Voltaire semble fournir une bonne illustration des rapports que
peuvent nouer l’art et la philosophie. Ainsi, pour Robert Niklaus, «c’est
assurément par Voltaire qu’il convient d’entamer une étude de la
propagande philosophique»6. Un autre spécialiste de Voltaire a d’ailleurs
écrit que «la philosophie, chez Voltaire, est généralement théâtrale, comme
le théâtre est souvent philosophique» (Menant 1995: 53).
Cela dit, il convient d’abord de résumer l’histoire de la pièce. Celle-ci est
centrée sur la Reine de Babylone, Sémiramis. Pour régner, elle a fait périr
son mari Ninus avec la complicité d’Assur. Mais, prise de remord,
Sémiramis est tourmentée par l’esprit de Ninus. Cependant elle a fait venir à
la Cour Arzace, un jeune guerrier. Sémiramis en est amoureuse et après
avoir consulté les oracles, projette de se marier avec lui. Mais celui-ci est
épris de la princesse Azéma, ce qui en fait le rival d’Assur. A la fin de la
pièce, le spectre de Ninus apparaît à la Cour et ordonne à Arzace de venir à
son tombeau pour un sacrifice. Par mégarde, Arzace tue Sémiramis en
croyant tuer Assur. Le grand prêtre Oroès révèle alors à tous la véritable
identité d’Arzace : c’est Ninias, le fils de Ninus et de Sémiramis et qu’Assur
pensait avoir fait périr. Assur est arrêté et, avec la permission de Sémiramis
expirante, Ninias hérite du trône et obtient la main d’Azéma qui était
d’ailleurs promise au prince héritier.
La question de la dimension philosophique de Sémiramis n’est pas sans
difficulté. La première difficulté tient à la polysémie du mot philosophie lui-
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même. La définition de la philosophie est en effet extensive. Ce fait est
particulièrement sensible si l’on considère l’époque des Lumières:
Quand on traite de la «philosophie» du XVIIIe siècle, il faut abattre les
cloisons que le positivisme du siècle suivant dressa entre métaphysique et
science. La «philosophie», et d’abord celle des Lettres philosophiques, est un
mélange de métaphysique, de science, d’attaques contre la religion et
d’audaces politiques. Et quand nous disons un mélange, nous restons
tributaires d’un mode de pensée qui était étranger aux «philosophes» du
XVIIe siècle, l’unité de la « philosophie » leur apparaissant aussi essentielle
qu’à nous les distinctions entre les trois domaines métaphysiques,
scientifique et polémique (Pomeau 1956: 185-186).
La philosophie inclue d’ailleurs non seulement une dimension critique et
politique, mais aussi une dimension morale. La figure du philosophe peut se
rapprocher de celle du moraliste et du satiriste au point parfois de se
confondre avec elles. Cependant, il ne faudrait pas croire que nous avons
affaire à une conception de la philosophie totalement étrangère à notre
monde moderne, puisque le philosophe a toujours été en quelque sorte celui
qui se mêle des affaires de la cité.
Le deuxième ordre de difficulté renverrait à la mise en œuvre
problématique de la philosophie au théâtre. Les contraintes sont en effet
nombreuses et, notamment chez Voltaire, l’alliance entre la tragédie de
facture, ou du moins d’inspiration classique, et d’une philosophie moderne
peut apparaître comme particulièrement artificielle7. Cette tension est celle
qu’on retrouve chez le personnage lui-même. En effet, Voltaire est classique
par son goût, son admiration esthétique des grands modèles du siècle
précédent, son mépris de l’art géométrique. Il est moderne par ses idées, sa
conception de la tâche d’un écrivain.
Il peut donc exister des contradictions entre le dramaturge et le
philosophe et Voltaire peut donner l’impression d’hésiter, car il est
conscient de cette tension contradictoire entre les exigences de l’art et celle
de la philosophie. De nombreuses déclarations de Voltaire vont dans le sens
d’une conception de l’art comme instrument de la morale ou comme
véhicule de la philosophie8. Cette conception se retrouve bien sûr dans la
Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne. Ce texte sert de préface à
Sémiramis et voici ce que Voltaire y déclare : «La véritable tragédie est l’école
de la vertu ; et la seule différence qui soit entre le théâtre épuré et les livres
de morale, c’est que l’instruction se trouve dans la tragédie toute en action,
c’est qu’elle y est intéressante, et qu’elle se montre relevée des charmes d’un
art qui ne fut inventé autrefois que pour instruire la Terre et pour bénir le
ciel, et qui, par cette raison fut appelé le langage des dieux»9.
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Voltaire est cependant conscient de tout ce qui peut parfois séparer l’art
de la philosophie et qu’on ne saurait les confondre. Le 20 décembre 1738, il
déclare ainsi dans une lettre à Jean Baptiste Nicolas Formont: «Je me flatte
du moins que le compas des mathématiques ne sera jamais la mesure des
mes vers; et si vous avez versé quelques larmes à Zaïre ou à Alzire, vous
n’avez point trouvé parmi les défauts de ces pièces là l’esprit d’analyse, qui
n’est bon que dans un traité de philosophie, et la sécheresse, qui n’est bonne
nulle part »10.
Cela dit, la philosophie des Lumières, peut à première vue apparaître
absente de la Sémiramis de Voltaire. Celui-ci est censé être l’ennemi du
moralisme et de la tradition. Or, avec cette pièce, il prône une morale
apparemment conventionnelle et semble défendre l’orthodoxie. A lire sa
préface, il n’aurait écrit la pièce que pour illustrer la maxime d’« un dieu
vengeur » punissant les crimes secrets :
On voit, dès la première scène, que tout doit se faire par le ministère céleste ;
tout roule d’acte en acte sur cette idée. C’est un dieu vengeur qui inspire à
Sémiramis des remords, qu’elle n’eût point eus dans ses prospérités, si les
cris de Ninus même ne fussent venus l’épouvanter au milieu de sa gloire.
C’est un dieu qui se sert de ces remords mêmes qu’il lui donne pour préparer
son châtiment ; et c’est de là même que résulte l’instruction qu’on peut tirer
de la pièce. Les anciens avaient souvent, dans leurs ouvrages, le but d’établir
quelque grande maxime ; ainsi Sophocle finit son Œdipe en disant qu’il ne
faut jamais appeler un homme heureux avant sa mort : ici toute la morale de
la pièce est renfermée dans ces vers:
…Il est donc des forfaits
Que le courroux des dieux ne pardonne jamais!
Maxime bien autrement importante que celle de Sophocle. Mais quelle
instruction, dira-t-on, le commun des mortels peut-il tirer d’un crime si rare
et d’une punition plus rare encore? J’avoue que la catastrophe de Sémiramis
n’arrivera pas souvent ; mais ce qui arrive tous les jours se trouve dans les
derniers vers de la pièce :
…Apprenez tous du moins
11
Que les crimes secrets ont les dieux pour témoins .
Il faudrait évidemment faire la part de l’exagération et de l’opportunisme
et tenir compte du souci chez Voltaire de désarmer la censure dans cette
dissertation dédiée au cardinal Quirini. Cependant force est de constater que
même dans sa correspondance privée, Voltaire appelle sa pièce un «livre de
morale»12. Un critique de l’époque note que Sémiramis «a une couleur
religieuse et une teinte de superstition diamétralement opposée à cet esprit
philosophique qui distingue les ouvrages de Voltaire»13. Force aussi est de
constater que dans la pièce elle-même, c’est effectivement une morale
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fondée sur la crainte d’un Dieu vengeur qui est défendue. Comme le déclare
le prêtre Oroès:
Mais on ne peut tromper l’œil vigilant des dieux:
Des plus obscurs complots il perce les abîmes
(M, t. IV: 513, I, 3)
Les mots-clefs qui sont prononcés par la reine coupable sont «remords»,
«crainte», «justice», «vengeance»:
Croyez-moi, les remords, à vos yeux méprisables,
Sont la seule vertu qui reste à des coupables
(M, t. IV: 532, II, 7)
Cette crainte n’est pas honteuse au diadème ;
Elle convient aux rois
(M, t. IV: 532, II, 7)
La crainte suit le crime, et c’est son châtiment.
(M, t. IV: 557, V, 1)
on peut, sans s’avilir,
S’abaisser sous les dieux, les craindre, et les servir.
(M, t. IV: 532)
La vérité terrible est du ciel descendue,
Et du sein des tombeaux la vengeance est venue.
(M, t. IV: 550, IV, 2)
Éternelle justice,
Qui lisez dans mon âme avec des yeux vengeurs,
(M, t. IV: 537, III, 2)
Oroès déclare encore que :
Du ciel, quand il le faut, la justice suprême
Suspend l’ordre éternel établi par lui-même
(M, t. IV: 536, III, 2, Oroès)
Voltaire, philosophe des Lumières, est censé être anti-clérical. Or avec le
personnage d’Oroès, Voltaire fournit un modèle de «bon prêtre». Il a
d’ailleurs écrit à son ami Thiériot : «Je mets sur la scène un grand prêtre qui
est un honnête homme» (10 août 1746, D 3 444). Interprète de la volonté
divine, ce grand prêtre tient effectivement un rôle important et montre au
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jeune héros Arzace le chemin du devoir. Il est paré de toutes les vertus
convenables à son état:
obscur et solitaire,
Renfermé dans les soins de son saint ministère,
Sans vaine ambition, sans crainte, sans détour,
On le voit dans son temple, et jamais à la cour.
Il n’a point affecté l’orgueil du rang suprême,
Ni placé sa tiare auprès du diadème;
Moins il veut être grand, plus il est révéré.
(M, t. IV: 510, I, 1, Mitrane)
Comme le dit la Reine Sémiramis, c’est un « mage révéré que chérit
Babylone » (M, t. IV: 519, I, 5).
Mais c’est parce qu’il ne se mêle pas des affaires politiques:
Je remplis mon devoir, et j’obéis aux rois:
Le soin de les juger n’est point notre partage;
C’est celui des dieux seuls.
(M, t. IX: 536, III, 2, Oroès)
C’est que la pièce de Voltaire contient aussi des attaques nettes contre
l’orthodoxie et ses représentants. Ainsi des vers qui attaquent la croyance
aux prodiges ont été insérés dans Sémiramis et lorsque le censeur Crébillon a
demandé leur suppression, Voltaire a tout fait pour les rétablir14. Ces vers
sont les suivants:
Je suis épouvanté, mais c’est de vos remords.
Les vainqueurs de vivants redoutent-ils les morts?
Ah! ne vous formez plus de craintes inutiles!
C’est par la fermeté qu’on rend les dieux faciles
Ces deux derniers vers sont d’ailleurs devenus par la suite (M, t. IV: 530,
II, 7, Assur):
Ah ! ne consultez point d’oracles inutiles:
C’est par la fermeté qu’on rend les dieux faciles
Voici encore ce que dit Assur (M, t. IV: 530, II, 7) :
Pour qui ne les craint point il n’est point de prodiges.
Ils sont l’appât grossier des peuples ignorants,
L’invention du fourbe, et le mépris des grands.
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Lorsque la Reine va consulter les oracles de Jupiter, Voltaire lui fait dire
de même (M, t. IV: 519, I, 5 :
Comme si, loin de nous, le dieu de l’univers
N’eût mis la vérité qu’au fond de ces déserts
Ces vers sont à comparer à ceux qui sont présents dans le poème sur la
Loi naturelle (première partie):
Sans doute, il a parlé, mais c’est à l’univers.
Il n’a point de l’Egypte habité les déserts;
Delphes, Délos, Ammon, ne sont point ses asiles;
Il ne se cacha point aux antres des Sibylles.
Cependant, la teinte conservatrice de Sémiramis pourrait s’expliquer par
l’appartenance de la pièce à la période en quelque sorte la moins voltairienne
de Voltaire, celle du Voltaire courtisan, «domestique du Roi», celle où il était
en faveur à Versailles. En 1748, Voltaire est historiographe de France,
académicien, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi15. C’est l’heure
des faveurs et des honneurs: Voltaire est à cette époque membre de
l’Académie française et de plusieurs autres académies16. Pendant une dizaine
d’années il s’était oublié dans les mondanités, protégé par le marquis
d’Argenson et par Mme de Pompadour. C’était notamment l’ère des
poèmes officielles et des pièces de commande: Voltaire a fourni une Princesse
de Navarre (comédie-ballet créé le 23 février 1745) pour le mariage du
dauphin, un Poème de Fontenoy pour la célébration d’une victoire royale
(victoire du 11 mai 1745), un Temple de la gloire (opéra ballet créé à Versailles
le 27 novembre 1745) pour célébrer les triomphes de Louis XV, et Sémiramis
elle-même était une «grande pièce» commandée pour une fête royale. Il avait
fait des « vers pour la cour » qui devait d’ailleurs assumer la dépense de la
mise en scène et des costumes17. Par ailleurs, Voltaire s’était fait confié des
missions diplomatiques auprès de son ami le roi de Prusse (en novembre
1740, en 1742 et 1743), il avait reçu des lettres et médailles du pape (pour sa
tragédie appelée Mahomet, et dédiée au pape le 17 août 1745), et avait réussi
une spéculation importante dans les fournitures aux armées…
Cependant cette période du Voltaire bien en cours et plutôt optimiste
tirait vers sa fin18. De ce point de vue, 1748 représente bien une date
charnière. Les déboires personnels, les malheurs et les disgrâces avaient en
effet déjà commencé; ils allaient se poursuivre et s’enchaîner. 1748, c’est
aussi après octobre 1747 où déjà Voltaire avait dû fuir chez la duchesse de
Maine pour une insolence lancée au jeu de la reine19. 1748, c’est encore peu
avant la mort de son amie intime Mme du Châtelet (le 10 septembre 1749).
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Sémiramis (représentée le 29 août 1748) ouvre la série des pièces nouvelles de
Voltaire qui ont connu une forte opposition ou l’échec: qu’on songe à
Nanine (représentée le 16 juin 1749), ou à Oreste (représentée le 12 janvier
1750). 1748, c’est encore juste avant l’ère des désillusions et des
mésaventures avec le roi de Prusse20.
Les lettres écrites pendant la période de Sémiramis nous révèlent d’ailleurs
un Voltaire conscient de la vanité des honneurs à laquelle il oppose la valeur
de l’amitié. Elle révèle aussi un Voltaire malade et souffrant, agacé par les
rumeurs de son exil21, et également préoccupé par des problèmes liés à
l’édition de ses œuvres, notamment par les éditions pirates. Même Sémiramis
qui lui a bien sûr fourni des motifs de satisfaction lui causé des soucis, à
cause du comportement de certains acteurs et des problèmes liés à la mise
au point et enfin à cause de la mauvaise réception critique de l’ouvrage. Le
19 août 1746, Voltaire se présentait déjà à Cideville comme «un homme qui
a été accablé de maladies, et d’une tragédie» (D 3 450). Aux d’Argental, il
expose l’ensemble des maux qui l’assaillent : «Je suis livré aux mauvais
génies. […] Pour moy j’avale bien des calices. […] D’ailleurs me voylà outre
mes coliques, attaqué d’une édition en douze volumes qu’on vend à Paris
sous mon nom, remplie de sottises à déshonorer, et d’impiétez à faire brûler
son homme. Les Français me persécutent sur terre, les Anglais me pillent
sur mer. Ah pour Sémiramis quel temps choisissez vous ? […] et
Sémiramis ! que deviendra t’elle ?» (10 juin 1748, D 3 665, Voltaire exagère :
en réalité seul le premier volume de la collection était en vente). Voltaire
malade se compare à l’ombre qui fait son apparition dans Sémiramis : « En
fait d’ombre il m’en faut croire, car j’ay l’honneur de l’être un peu, et je le
suis plus que jamais » (à d’Argental, 15 août 1748, D 3732) ; « Le père de
Sémiramis mourrait de peur sans vous. Je défie l’ombre de Ninus d’avoir
l’air plus ombre que moi. Je crois que la peur m’a encore maigri. Je ne
reprendrai des forces que lorsque j’apprendrai que mon enfant se porte bien
» (à Henri Philippe Chauvelin, le 12 août 1748, D 3 731). Voltaire se déclare
encore malade à Faulkner le 5 novembre 1748 (« Time that alters all things,
and chiefly my poor tattered body », D 3 803, il se montre aussi plus
sensible à l’amitié qu’aux honneurs : « the court of a King is not comparable
to the house of a friend »). Les inquiétudes pour Sémiramis ou les soucis liés
à son édition peuvent se lire dans une lettre à d’Argental du 19 septembre
1748 (D 3 759) : « Praut n’est il pas venu la gueule enfarinée ? N’a-t-il pas
bien envie d’imprimer Semiramis ? Mais ne faut il pas tenir le bec de Praut
dans l’eau, afin de prévenir les éditions subreptices dont on me menace
continuellement ? ». Il y eut effectivement une édition de Sémiramis et de
Nanine à partir de manuscrits volés à Voltaire. De surcroît, avec « cette pièce
qui partagea Paris et qui excita une espèce de guerre civile parmi les beaux
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esprits », l’opposition à Voltaire se fit plus violente (dès la phase même
d’élaboration). En témoigne une lettre de Vauvenargues du 23 mai 1746 (D
3 400) :
Vos ennemis répandent dans le monde qu’il n’y a que votre premier acte qui
soit supportable, et que le reste est mal conduit et mal écrit. On n’a jamais
été si horriblement déchaîné contre vous, qu’on l’est depuis quatre
mois. Vous devez vous attendre que la plupart des gens de lettres de Paris
feront les derniers efforts pour faire tomber votre pièce. Le succès médiocre
de la Princesse de Navarre et du Temple de la Gloire leur fait déjà dire que
vous n’avez plus de génie.
Le ressentiment des acteurs après la distribution des rôles est dévoilé
dans une lettre à d’Argental (4 octobre 1748, D 3 772) : « A l’égard des
comédiens, Sarrazin m’a parlé avec beaucoup plus que de l’indécence quand
je l’ay prié au nom du public de mettre dans son jeu plus d’âme et de
dignité. Il y en a quatre ou cinq qui me refusent le salut pour les avoir fait
paraître en qualité d’assistans. La Noue a déclamé contre la pièce beaucoup
plus haut qu’il n’a déclamé son rôle. En un mot je n’aye essuié d’eux que de
l’ingratitude et de l’insolence ». En août si un regain de vigueur permet à
Voltaire de venir à Paris pour la première de Sémiramis, il en repart miné
sourdement par une fièvre lente. A Commercy vers la mi-octobre, encore
malade, inquiet du bruit que fait Zadig, fort tourmenté de la parodie de
Sémiramis dont on le menace, il surprend sa compagne Mme du Châtelet dans
les bras de Saint-Lambert.
Dans ces conditions, on comprend la teinte sombre de Sémiramis ses
expressions lugubres, son climat lourd d’horreur et de mélancolie, à l’image
de cet extrait :
Sémiramis, à ses douleurs livrée,
Sème ici les chagrins dont elle est dévorée :
L’horreur qui l’épouvante est dans tous les esprits.
Tantôt remplissant l’air de ses lugubres cris,
Tantôt morne, abattue, égarée, interdite,
De quelque dieu vengeur évitant la poursuite,
Elle tombe à genoux vers ces lieux retirés,
A la nuit, au silence, à la mort consacrés ;
Séjour où nul mortel n’osa jamais descendre,
Où de Ninus mon maître, on conserve la cendre.
Elle approche à pas lents, l’air sombre, intimidé,
Et se frappant le sein de ses pleurs inondé.
(M, t. IV : 508, I, 1)
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Sémiramis a d’ailleurs été qualifiée comme la plus sombre des tragédies de
Voltaire. Cela est significatif sur le plan philosophique puisqu’elle signale
une nouvelle orientation philosophique liée à un changement d’humeur22.
Elle marque à ce titre le début d’une évolution intellectuelle23. Ainsi, Oroès
qui représente le premier portrait du « bon prêtre » voltairien, annonce un
des thèmes du Dictionnaire philosophique, à savoir l’utilité d’une religion24.
Sémiramis est la première œuvre importante de Voltaire dans laquelle il
s’interroge sur les conséquences de l’inexistence de Dieu et dans laquelle il
pressent les dangers de l’athéisme. Il y manifeste son souci d’une justice
divine qui comblerait les lacunes de la justice humaine. Le pessimisme
croissant de l’auteur, sa préoccupation des problèmes insolubles de la
métaphysique se retrouvent dans un conte de la même période et qui est
Zadig (écrit en 1747). On a qualifié Zadig d’anti-Versailles, parce que ce
conte refléterait déjà une prise de distance de Voltaire avec la vie de
courtisan. Zadig ou la destinée traduit également une réflexion désabusée sur la
Providence25. Enfin, le problème du mal a sans doute commencé pour
Voltaire à devenir plus aigu avec la guerre qui était en train de s’achever26
(puisque le traite d’Aix-la-Chapelle, qui met fin à la guerre de Succession
d’Autriche, date du 18 octobre 1748).
Pour conclure, si Voltaire, avec cette pièce pleine de terreur et de
spectacle a voulu selon ses propres termes créé « une espèce de drame » et
« un nouveau genre de tragédie », bien des éléments indiquent que sa
nouvelle esthétique est liée à un virage philosophique. La philosophie dans
ses tragédies n’est d’ailleurs pas qu’une affaire de propagande mais renvoie
également à l’expérience et aux méditations d’une vie. Enfin, la date de 1748
apparaît bien comme une date importante pour Voltaire, aussi bien donc
pour le Voltaire dramaturge que pour le Voltaire philosophe.
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Notes
1
2
3
4
5
6
7
Sclippa 1993 : 118, 8 (voir aussi, à la même page, au paragraphe suivant : « la sensibilité
que nous nous sommes efforcés d’étudier ici à propos de ses tragédies n’est pas
particulière à Voltaire, puisqu’on la retrouve dans la majorité des œuvres artistiques de
son époque »).
de Rougemont 1988 : 38. Elle regrette également le fait que nous n’ayons toujours pas
une connaissance suffisante de la dramaturgie de Voltaire.
Sclippa 1993 : 11. Et de citer en note Brunetière (1910 : 328) : « Si nous voulons être
justes à notre tour, ce n’est pas à Diderot, à Beaumarchais ou à Mercier, comme nous
faisons quand nous sommes très savants, c’est à Voltaire que nous ferons l’honneur de
la plupart des innovations qui, de la tragédie classique, ont dégagé le drame romantique
et moderne ».
Pour reprendre le mot de René Vaillot (1988 : 277) : « Sémiramis, telle qu’on la verra à la
scène beaucoup plus tard, est la plus mélodramatique des tragédies du poètes ».
La conclusion de Sémiramis évoque ces vers d’Athalie : « Apprenez, roi des Juifs, et
n’oubliez jamais / Que les rois dans le ciel ont un juge sévère / L’innocence un
vengeur, et l’orphelin un père ». La magnificence du spectacle, le rôle important accordé
à un prêtre, la punition d’une reine par le dieu de la vengeance sont des traits communs
aux deux pièces, et les hantises de Sémiramis peuvent rappeler le songe d’Athalie. Un
apparentement avec la Phèdre de Racine peut même être suggéré à cause du motif
commun de l’inceste (toutefois il s’agit d’un motif répandu dans le théâtre de cette
période : voir Scherer 1959 : 395 et suiv).
Niklaus 1963 : 1235. Voir : 1235-1236 : « C’est assurément par Voltaire qu’il convient
d’entamer une étude de la propagande philosophique. Voltaire, poète-philosophe, qui a
vu dès le début que le théâtre pouvait contribuer puissamment à façonner l’esprit et la
conscience publics, et qui fut le premier à s’engager dans cette voie. […] il a estimé à sa
juste mesure l’esprit de ses contemporains, et ses petites innovations théâtrales […] ont
pu paraître un moment comme des transformations de la plus haute importance. Il a su
habituer petit à petit ses auditeurs à une indépendance dont ses successeurs ont profité.
Il a su intéresser, amuser, provoquer, choquer et ameuter un public qu’il remplit de ses
idées. Le théâtre était évidemment à ses yeux un moyen d’action efficace ; d’abord parce
qu’il faisait les réputations, ensuite parce qu’à une époque où la presse n’existait pas, où
les journaux n’avaient qu’un faible tirage et où le public qui compte était lui aussi peu
nombreux, encore qu’il comportât un nombre grandissant de bourgeois, une assistance
de 10 000 à 17 000 personnes n’était pas à dédaigner ». Voir aussi : 1237 : « il est
toujours à la mesure de son public. Il est même beaucoup plus audacieux qu’on ne le
croit d’ordinaire. A cause de sa réputation, il a été craint et traité avec indulgence, il
avait des protections en haut lieu et des censeurs parfois gagnés à sa cause. Sa
prodigieuse activité et ses relations nombreuses lui créaient somme toute une situation
privilégiée même s’il a connu des moments inquiétants. D’emblée il a vu le rôle de la
pièce à thèse, de la pièce sociale, et a indiqué la technique à adopter. Son théâtre est
avant tout un théâtre d’idées ».
« S’il est vrai que Voltaire utilise la tragédie pour la propagande philosophique, c’est en
refusant d’en subvertir la forme traditionnelle […]. A tel point que ses slogans
finissaient par y apparaître comme des éléments étrangers au corps de l’œuvre luimême » Goulemot 1989 : 76-77.
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Il a plusieurs fois défini le théâtre comme une école de mœurs : M, t. XXII : 247 (dans
« Conseils à un journaliste »), t. II : 458 (« Discours prononcé avant la représentation
d’Eriphyle »), au vers 496 d’une épître dédicatoire à la Marquise de Pompadour
précédant Tancrède). Dans une Lettre à un premier commis datée du 20 juin 1733, il affirme :
« Je regarde la tragédie et la comédie comme des leçons de vertu, de raison et de
bienséance. Corneille, ancien Romain parmi les Français, a établi une école de grandeur
d’âme ; et Molière a fondé celle de la vie civile ». (M, t. XXXIII : 354). Voir aussi la
lettre au marquis Francesco Albergati Capacelli du 23 décembre 1760 (Besterman 19681977 : D 9 492) : le théâtre ? « c’est ce que l’esprit humain a jamais inventé de plus
noble & de plus utile pour former les mœurs, & pour les polir », « C’est la plus belle
éducation qu’on puisse donner à la jeunesse, le plus noble délassement du travail, la
meilleure instruction pour tous les ordres de citoyens : c’est presque la seule manière
d’assembler les hommes pour les rendre sociables », « Qu’est-ce qu’en effet que la vraie
comédie ? C’est l’art d’enseigner la vertu & les bienséances en action & en dialogues.
[…] A-t-on jamais retenu une seule phrase de trente ou quarante mille discours
moraux ». Les bonnes tragédies françaises « n’ont pas produit une admiration stérile ;
elles ont souvent corrigé les hommes », « Si les financiers ne sont plus grossiers ; si les
gens de cour ne sont plus de vains petits maîtres ; si les médecins ont abjuré la robe, le
bonnet, & les consultations en latin ; si quelques pédants sont devenus hommes ; à qui
en a-t-on l’obligation ? au théâtre, au seul théâtre ». Conformément à une tradition bien
établie, la lettre M est mise pour l’édition Louis Moland des Œuvres complètes de Voltaire
(1877-1882, 52 vol., Garnier Frères).
9 M, t. IV : 505 (dans le dernier paragraphe de la « Dissertation sur la tragédie »).
10 D 1 697. Voltaire, qui a plaidé pour la nécessité morale du théâtre, a également affirmé :
« malheur à l’auteur qui veut toujours instruire ! » (M, t. IX : 419, sixième discours des
« Discours en vers sur l’homme ») et, dans sa correspondance, il a cette phrase : « J’aime
encore mieux voir les mœurs du public dépravés que si c’était son goût » (à Cideville, le
8 mars 1732).
11 M, t. IV : 504. Il est fait référence aux passages respectifs suivants de la pièce : M, t. IV :
566-567, Sémiramis, V, 8.
12 Lettre en anglais à Faulkner, 5 novembre 1748 : « It has the fate of moral books that
please many, without mending any body ». « This Semiramis is quite an’other kind. J
have try’d, tho it was a hard task, to change our french petits maitres into athenian
hearers. The transformation is notamment quite perform’d; but the piece has met with
great applause. It has the fate of moral books that please many, without mending any
body ». Voir aussi la lettre à Cideville, D 3 828, 24 décembre 1748, qui traduit la même
conscience des difficultés : « J’ay un peu de peine à transporter Athene dans Paris. Nos
jeunes gens ne sont pas grecs, mais je les accoutumeray au grand tragique ou je ne
pouray »). La lettre à Mme Denis du 28 octobre 1748 (D 3 799) parle d’un sermon
(« Mon sermon de Semiramis a été fort bien reçu à Fontainebleau »).
13 Geoffroy, Cours, t. III : 177, cité par Ridgway 1961 : 143. « Remplir les cœurs coupables
d’un salutaire effroi, les innocens d’une juste confiance, intéresser le Ciel au supplice
des uns, au bonheur des autres ; faire parler les Dieux, les Prêtres, les Morts même ;
soumettre à la voix de l’inspiration les Monarques tremblans, les peuples prosternés ; ce
sont les objets dignes du zèle qui l’anime. En un mot, ce divin Poëte, consacré
désormais à l’édification publique, nous a donné Sémiramis comme son chef-d’œuvre en ce
genre » [Favier], dans un éloge ironique de l’orthodoxie de Sémiramis, 1748 Le poète
réformée ou Apologie pour la Sémiramis de M. de V., Amsterdam : 20, cité par Ridgway : 143.
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Voltaire à Berryer, lieutenant de police : « Je vous prie de vouloir bien permettre qu’on
récite quelques vers que M. de Crébillon a retranchés, et qui sont absolument
nécessaires. Je vous en fait juge. Si le personnage chargé de ces vers ne les débite pas,
Sémiramis, qui lui réplique, ne répond plus convenablement, et ce disparate gâte un
endroit essentiel à l’ouvrage. Vous trouverez ci-joint les vers en question ; je vous prie
de me les renvoyer approuver de votre main, afin que l’acteur puisse les réciter. Je vous
demande bien pardon de ces bagatelles, mais vous entrez dans les petites choses
comme dans les grandes ».
15 En effet, Voltaire avait été nommé historiographe du roi le 1er avril 1745 ; il était devenu
gentilhomme ordinaire du roi le 22 décembre 1745. Mais dès 1725, il avait obtenu une
pension sur la cassette de la Reine. En 1750, il sera chambellan de Frédéric II.
16 Voltaire avait été élu à l’Académie française le 25 avril 1746, le 12 juin 1746 à l’académie
de Bordeau, le 15 novembre 1747 à l’Académie Royale d’Angers (voir lettre de Menou,
secrétaire de cette académie à Voltaire, de la même date, D 3 583). Le 12 janvier 1746 il
fut élu comme membre associé de l’Académie des belles lettres de Marseille (voir la
lettre de La Visclède, secrétaire perpétuelle de cette académie à Voltaire, 13 mai 1746, D
3 380).
17 « Figurez vous qu’on m’avoit ordonné une grande pièce de téâtre pour Les relevailles de
madame la dauphine, que j’en étois au quatrième acte quand madame la dauphine
mourut et que moy chétif j’ay été sur le point de mourir pour avoir voulu luy plaire.
Voylà comme la destinée se joue des têtes couronnées, des premiers gentilshommes de
la chambre et ceux qui font des vers pour la cour » (le 19 août 1746, à Cideville, D 3
450). Un Panégyrique de Louis XV (1748), qui semble être l’œuvre de Voltaire, a
également été publié sous l’anonymat.
18 « Sémiramis fit son apparition vers la fin de la période la moins voltairienne, pour ainsi dire,
de la vie de Voltaire » (Ridgway 1961 : 143, nous soulignons).
19 Voltaire avait déclaré en anglais à Mme du Châtelet qu’elle jouait avec des filous.
20 Arrivée le 21 juillet 1750 à Potsdam. La lettre des « mais » (expressions de désillusion) de
Voltaire date du 6 novembre 1750 (D 4 256, à Marie Louise Denis). La déclaration de
Frédéric II : « on presse l’orange, puis on jette l’écorce » daterait du 2 septembre 1751.
21 Voir les lettres à François Hénault, 15 février 1748, D 3 621 ; à Marie Louise Denis, 1er
mars 1748, D 3 626 ; à d’Argental, 13 février 1748, D 3 616 ; à la comtesse d’Argental,
25 février 1748, D 3 624.
22 Pour Ridgway (1961 : 154) : « Sémiramis révèle donc un changement d’humeur et une
nouvelle orientation philosophique ». L’humeur de Voltaire était de défi et non de
conciliation : il a fait représenter Sémiramis pendant le mois d’août, mois étouffant de
l’été. C’était une période de l’année que tout le monde savait pertinemment très
mauvaise pour représenter une nouvelle pièce à la Comédie Française, particulièrement
mal aérée. D’autre part, Voltaire a voulu effectivement faire une œuvre « vraiment
terrible et tragique ». D’où son idée du spectre. En outre, à la fin de la pièce, Voltaire se
permet une audace (Sémiramis arrive sur scène « expirante et percée de la main de son
fils », M, t. IV : 501).
23 « C’est la première œuvre importante fondée sur la morale de “si dieu n’existait pas…”.
Elle marque donc le début d’une évolution intellectuelle qui amènera à considérer
l’athéisme comme un danger encore plus pressant que l’ignorance, la superstition et le
fanatisme » (Ridgway 1961 : 156).
24 « Il est indubitable que, dans une ville policée, il est infiniment plus utile d’avoir une
religion, même mauvaise, que de n’en avoir point du tout » (Dictionnaire philosophique).
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« ce roman moral, qu’on devrait intituler plutôt la Providence que la Destinée, si on osait se
servir de ce mot respectable de providence dans un ouvrage de pur amusement » (à
Bernis, 14 octobre 1748, D 3 784).
26 A Faulkner, le 5 novembre 1748, D 3 803, il dit : « I’ll tell you that being appointed too
historiografer of France j do write the history o the late fatal war which did much harm
to all the parties, and did good only to the King of Prussia. […] My history should not
be the work of a courtier, not that of a partial man, but that of a lover of mankind ». A
Cideville le 24 décembre 1748, il parle de : « cette mauditte guerre » (D 3 828).
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Bibliographie
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