Les interactions médicamenteuses et la polypharmacie chez les patients âgés À cause de l’arrivée constante de nouveaux médicaments et de l’approbation de nouvelles indications thérapeutiques pour des médicaments existants, la polypharmacie est un phénomène de plus en plus fréquent, surtout chez les patients âgés. Bien que les bienfaits d’un programme de traitement global soient démontrés par des essais comparatifs, le risque d’interactions médicamenteuses inhérent à chaque ajout d’un médicament au schéma thérapeutique chez un patient donné doit être évalué très attentivement. Si l’on comprend bien la pharmacodynamie et la pharmacocinétique, il est possible de prévoir ces interactions, de les prévenir et de les réduire au minimum pour donner aux patients la chance de bénéficier de tous les aspects pertinents de leur traitement médical. par Peter Lin, M.D., CCFP Les personnes âgées sont fréquemment affligées de plusieurs maladies, et pour traiter toutes ces affections, il est souvent nécessaire de recourir à la polypharmacie. Chaque fois que de nouvelles lignes directrices sont publiées, on constate que d’autres médicaments pourraient aussi offrir des bienfaits aux patients. Après un infarctus du myocarde (IM) par exemple, la norme de soins actuelle consiste à administrer une statine, un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA), un bêta-bloquant et un antiplaquettaire. Chaque médicament de cette quadruple thérapie a été mis à l’épreuve dans des essais cliniques de grande envergure dont les résultats ont démontré qu’ils exercent des effets bénéfiques importants. C’est l’essence même de la médecine fondée sur les preuves scientifiques. Cependant, quels sont les risques d’interactions médicamenteuses avec la polypharmacie? À mesure qu’augmente le nombre de médicaments que prend un patient, Le Dr Lin est directeur médical au University of Toronto Health and Wellness Centre, à Scarborough (Ontario). le risque d’interactions médicamenteuses s’accentue également. Ce risque qui est d’environ 6 % chez un patient qui prend seulement 2 médicaments peut passer à 50 % chez ceux qui en prennent 5 et à 100 % chez ceux qui en prennent 101. De nombreuses interactions médicamenteuses peuvent être prévenues, mais, dans le cas des interactions inévitables, on doit apprendre à les connaître pour la prise en charge appropriée du traitement et pour l’adaptation des doses. En réalité, on doit posséder d’excellentes connaissances non seulement au sujet des interactions médicamenteuses, mais aussi des profils d’innocuité des divers médicaments que l’on prescrit aux patients. Les interactions médicamenteuses ne sont qu’un des aspects de cette problématique complexe. Par exemple, la pharmacocinétique non linéaire peut sembler non pertinente aux cliniciens très occupés, mais elle peut avoir des conséquences importantes chez leurs patients. Lorsqu’on augmente du double la dose d’un médicament dont la pharmacocinétique est non linéaire, cela ne se traduit pas seulement par une augmentation du double de la 10 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 concentration sanguine ou par un effet thérapeutique deux fois plus grand. Dans le cas de nombreux agents, les augmentations de la dose produisent des élévations exponentielles de ces paramètres. Par conséquent, une légère modification de la dose risque d’augmenter significativement la concentration du médicament et, ainsi, le risque d’effets indésirables. C’est un aspect important dont il faut tenir compte si on veut prescrire des médicaments en toute sécurité aux patients. De même, il importe de connaître les médicaments dans tous les champs thérapeutiques, car un médicament prescrit par un autre médecin ou spécialiste peut influer sur les effets des médicaments que prend déjà le patient. Cet article portera donc principalement sur l’aspect des interactions médicamenteuses de cette problématique, et, plus précisément, sur le système des cytochromes. À l’aide d’exemples, on illustrera les mécanismes des interactions. Il faut néanmoins préciser que cette liste d’interactions possibles est loin d’être exhaustive. Types d’interactions En pharmacologie, il importe de bien comprendre deux concepts clés : phar- macodynamie et pharmacocinétique. « Pharmacodynamie » se dit de l’étude des effets d’un médicament sur l’organisme. L’acide acétylsalicylique (AAS), entre autres, inhibe la fonction des plaquettes, ce qui a pour effet d’allonger le temps de saignement. Le saignement est donc un effet pharmacodynamique de l’AAS. Voici un exemple d’une interaction pharmacodynamique : un patient prend de l’AAS en vente libre pour soulager la douleur rhumatismale et du gingko biloba pour prévenir les troubles de mémoire. Il subit une crise de fibrillation auriculaire, et son médecin lui prescrit de la warfarine pour prévenir un accident vasculaire cérébral (AVC). Chez ce patient, l’AAS inhibe la fonction des plaquettes et la warfarine influe sur les facteurs de coagulation. Ces deux agents augmentent le risque d’hémorragie, alors l’interaction possible est donc une hémorragie. À des doses élevées, le gingko biloba allonge également le temps de saignement2. C’est pourquoi l’interaction pharmacodynamique entre ces agents risquent de causer une hémorragie chez ce patient. La pharmacocinétique est l’étude du sort des médicaments dans l’organisme, c’est-à-dire la façon dont il les absorbe, les distribue, les métabolise puis les élimine. Tous les facteurs qui influent sur ces quatre étapes modifient les concentrations des médicaments; et des interactions médicamenteuses peuvent survenir à chacune de ces étapes. Par exemple, beaucoup de personnes âgées prennent des bisphosphonates pour traiter l’ostéoporose. Elles prennent aussi des suppléments de calcium. Lorsqu’elles prennent ces agents de façon concomitante, le calcium se lie au bisphosphonate et, par conséquent, en réduit l’absorption par l’organisme. Les bisphosphonates sont caractérisés par un taux d’absorption peu élevé3. Ainsi, l’interaction risque d’empêcher presque complètement l’absorption du bisphosphonate. Le cas échéant, ces personnes n’obtiennent pas tous les bienfaits prévus, voire aucun bienfait, de leur traitement avec un bisphosphonate. Certaines interactions pharmacocinétiques risquent toutefois d’avoir des conséquences plus graves. Par exemple, le cisapride est prescrit pour traiter la gastroparésie, l’iléus, la constipation chronique et le reflux gastro-œsophagien. La dose thérapeutique de ce médicament est de 40 mg par jour. Dans certains cas, une interaction peut survenir en présence d’un autre médicament qui bloque la voie du métabolisme du cisapride; on observe alors l’accumulation du cisapride dans l’organisme4. À des concentrations élevées, le cisapride prolonge l’intervalle Q-T5, ce qui peut causer des torsades de pointe. gamme thérapeutique et à éviter les doses toxiques. Malheureusement, tous les médicaments ne sont pas « égaux ». Certains, comme l’amoxicilline, peuvent être administrés à des doses allant jusqu’à 2 g sans causer d’effets toxiques, alors qu’il en va tout autrement avec des agents comme la warfarine, pour laquelle un changement de 1 mg peut avoir des conséquences désastreuses. Cette situation s’explique par le fait que chaque médicament présente une gamme de doses thérapeutiques et une gamme de doses toxiques. L’écart entre ces deux gammes de doses est appelé « indice thérapeutique ». Un indice thérapeutique étroit signifie que les deux gammes de doses sont très De nombreuses interactions médicamenteuses peuvent être prévenues, mais, dans le cas des interactions inévitables, on doit apprendre à les connaître pour la prise en charge appropriée du traitement et pour l’adaptation des doses. En réalité, on doit posséder d’excellentes connaissances non seulement au sujet des interactions médicamenteuses, mais aussi des profils d’innocuité des divers médicaments que l’on prescrit aux patients. En résumé, les quatre étapes de la pharmacocinétique déterminent la quantité de médicament présente dans l’organisme. Si on influe sur l’une de ces étapes, la concentration du médicament risque d’être trop élevée ou trop faible. Il importe de se rappeler qu’il existe pour chaque médicament une gamme de doses thérapeutiques et une gamme de doses toxiques. Il en est ainsi de toute substance chimique qui pénètre dans l’organisme. Même l’oxygène a des concentrations thérapeutiques et des concentrations toxiques (on observe des effets toxiques lorsqu’un patient reçoit de l’oxygène pur à 100 % pendant longtemps). Si on veut prescrire des médicaments aux patients de manière sécuritaire, on doit alors veiller à garder les doses dans la rapprochées et qu’une faible modification des concentrations du médicament peut faire passer le patient de la gamme thérapeutique à la gamme toxique. De son côté, un indice thérapeutique large signifie que la dose peut être augmentée de façon significative avant que des effets toxiques soient observés. L’indice thérapeutique de chaque médicament est un important facteur de prédiction du risque d’interactions médicamenteuses parce que les médicaments dont l’indice thérapeutique est étroit entraînent un risque plus élevé d’interactions. Voilà pourquoi on doit surveiller attentivement les concentrations sanguines pour déterminer la dose de médicaments comme la digoxine, la théophylline et la warfarine. Toutefois, même dans le cas d’un médicament qui présente un La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 • 11 indice thérapeutique large (le cisapride notamment), une interaction qui contrecarre l’élimination du médicament risque de faire augmenter la concentration sanguine au point d’atteindre la dose toxique. Voilà pourquoi l’emploi d’un médicament, peu importe lequel, doit être fondé à la fois sur la prudence et sur la connaissance. Cytochrome P450 Le cytochrome P450 est constitué d’un ensemble d’enzymes présentes dans l’intestin grêle, le foie, les reins, les poumons et le cerveau. Ces enzymes traitent diverses substances chimiques sanguine augmente, entraînant l’effet indésirable décrit précédemment (allongement des intervalles Q-T). À l’opposé, les « inducteurs » sont des substances chimiques qui accélèrent la fonction du cytochrome. Ainsi, on sait que le millepertuis est un inducteur du CYP 3A42, une des voies métaboliques de certains bloqueurs des canaux calciques (BCC). La prise de millepertuis accélère donc le métabolisme de ces BCC, ce qui risque de nuire à la maîtrise de l’hypertension par les BCC. Enfin, une interaction peut survenir par « compétition ». En effet, si un En résumé, les quatre étapes de la pharmacocinétique déterminent la quantité de médicament présente dans l’organisme. Si on influe sur l’une de ces étapes, la concentration du médicament risque d’être trop élevée ou trop faible. et participent à l’étape « métabolisme » du profil pharmacocinétique d’un médicament. Leur fonction est de transformer des molécules liposolubles en molécules hydrosolubles pour qu’elles puissent être éliminées par le rein. Les molécules qui se lient à ces enzymes et qui sont métabolisées par elles sont dites « substrats de l’enzyme ». Par exemple, le cisapride est un substrat de l’enzyme CYP 3A46. Les substances chimiques peuvent également influer sur le fonctionnement des systèmes enzymatiques. Certaines substances chimiques inhibent l’enzyme. Elles pénètrent dans le système et se lient de façon permanente à l’enzyme de telle façon que cette dernière est incapable de transformer d’autres substances chimiques ou médicaments. Ces substances chimiques sont donc appelées « inhibiteurs ». L’érythromycine, par exemple, est un inhibiteur du CYP 3A47, alors que le cisapride a besoin du CYP 3A4 pour être éliminé de l’organisme. Lorsque l’érythromycine bloque cette enzyme, le cisapride ne peut plus quitter l’organisme et la concentration trop grand nombre de médicaments sont dirigés vers la même enzyme, ces médicaments doivent se faire concurrence pour se lier à cette enzyme. Prenez la warfarine. Tout autre médicament qui est métabolisé par la même voie « déplacera » la warfarine, et cette dernière ne pourra être métabolisée (ce qui se traduit par l’augmentation des concentrations de warfarine et par les effets indésirables qui en découlent). À l’aide de ces quatre mots – inhibiteur, substrat, inducteur et compétition – il est plus facile de décrire les effets des médicaments sur les cytochromes. Imaginez qu’un nouveau médicament vient d’être lancé pour traiter la maladie d’Alzheimer (MA), mais qu’aucun essai clinique n’a été mené pour évaluer les interactions médicamenteuses de ce médicament. Des épreuves de base montrent que le médicament est un substrat du CYP 2C9. Cela signifie que tout médicament qui bloque l’activité du CYP 2C9 ralentira l’élimination de ce nouvel agent et, comme on peut le prévoir, les concentrations de ce 12 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 médicament dans le sang augmenteront. C’est pourquoi un inhibiteur du CYP 2C9 ne devrait pas être administré en concomitance avec ce nouvel agent. Plus important encore, si le patient a besoin d’un traitement d’association, il faudra réduire la dose pour éviter des effets toxiques. Une bonne connaissance de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie permet donc d’utiliser de manière sécuritaire ce nouveau médicament hypothétique. Si on pose l’hypothèse que ce tout nouveau médicament contre la MA est un inhibiteur du CYP 3A4, cela veut dire qu’il bloquera alors le CYP 3A4, ce qui ralentira le métabolisme de tous les médicaments qui, dans des conditions normales, sont métabolisés par cette voie. Par conséquent, toutes les concentrations sanguines de ces agents augmenteront. D’un autre côté, si le nouveau médicament est un inducteur du CYP 2C19, alors tous les médicaments normalement métabolisés par le CYP 2C19 le seront beaucoup plus rapidement. Leurs concentrations sanguines seront donc abaissées. La phénytoïne est métabolisée par le CYP 2C19, ce qui signifie que le nouveau médicament accélérerait le métabolisme de la phénytoïne et que les concentrations sanguines de cette dernière diminueraient; un effet indésirable de cette combinaison de médicaments serait la perte de la maîtrise des crises d’épilepsie. Bref, lorsqu’on comprend bien ces termes (substrats, inhibiteurs, inducteurs, compétition), on peut prévoir les interactions médicamenteuses avant qu’elles surviennent. Variations génétiques On a découvert il y a 40 ans environ que l’hydrolyse de la succinylcholine, un myorelaxant, par la butyrylcholinestérase (pseudocholinestérase) était anormale chez certains patients. En effet, chez les sujets de race blanche, 1 sur 3 500 présentait une forme atypique de butyrylcholinestérase8, et cette forme était incapable d’hydrolyser la succinylcholine (ce qui se traduisait par la prolongation de l’effet myorelaxant). À la suite de cette découverte, on a élaboré le concept selon lequel il existe des variations génétiques dans les différentes populations de patients, et que ces variations se traduisent par des différences du taux de métabolisme de certains médicaments. Depuis, des chercheurs ont décrit les variations liées à plusieurs cytochromes, dont le CYP 2D6. Le CYP 2D6 a été l’objet de recherches très approfondies. Des scientifiques ont entrepris les premières recherches sur cette voie enzymatique après avoir constaté que certains médicaments étaient métabolisés rapidement chez certains patients alors que, chez d’autres, les mêmes médicaments étaient métabolisés plus lentement. Les concentrations sanguines des médicaments étaient donc altérées. Ne pouvant encore expliquer ce phénomène, les chercheurs ont classé les patients comme ayant un métabolisme rapide ou un métabolisme lent. Cette classification n’est pas vraiment utile parce qu’elle dépend d’un patient et d’un médicament donné. En d’autres mots, le fait de savoir qu’un patient métabolise rapidement le métoprolol n’aide pas à savoir si d’autres médicaments vont aussi être métabolisés rapidement. D’autres recherches ainsi que le développement de la génétique moléculaire ont permis de découvrir qu’il existe différentes copies du gène qui code pour l’enzyme CYP 2D6. Certains allèles produisent des enzymes fonctionnelles, alors que d’autres variants produisent des enzymes non fonctionnelles. Chez les sujets qui métabolisent lentement les médicaments, on a décelé des copies non fonctionnelles, alors que chez ceux qui métabolisent les médicaments rapidement, on a décelé plusieurs copies du gène fonctionnel. Grâce à cette découverte, il est beaucoup plus facile de prévoir les interactions. Tout ce dont on a besoin est une liste de tous les médicaments métabolisés par le CYP 2D6. Les patients porteurs de plusieurs copies du gène codant pour le CYP 2D6 métaboliseraient tous ces médicaments plus rapidement, et ces patients auraient donc besoin de doses plus élevées pour maintenir les mêmes concentrations sanguines. À l’opposé, dans le cas d’allèle dysfonctionnel, même une dose faible de médicament risque de produire des effets toxiques. De 7 % à 10 % des personnes de race blanche et 3 % des personnes de race noire ou asiatique présentent un déficit en ce qui concerne l’enzyme CYP 2D69. Voilà un exemple du rôle important de la génétique pour étudier le métabolisme des médicaments. Traitements de la MA rivastigmine sont les inhibiteurs de la cholinestérase actuellement commercialisés au Canada et approuvés pour le traitement de la MA. Pour employer un médicament de façon judicieuse, il faut en connaître les caractéristiques et il faut évaluer tous les aspects du médicament avant de décider de le prescrire à un patient donné. Le donépézil, par exemple, est caractérisé par un taux d’absorption de 100 % et il n’entraîne pas d’interaction avec les aliments. Sa demi-vie est de 70 heures, ce qui en fait un médicament à dose quotidienne unique. De plus, en raison de sa longue demi-vie, il ne devrait pas y avoir d’apparition de symptômes de sevrage en cas d’arrêt brusque du traitement10. Tous ces points sont importants, surtout chez les patients âgés qui risquent d’omettre une dose ou d’oublier qu’ils doivent [...] lorsqu’on comprend bien ces termes (substrats, inhibiteurs, inducteurs, compétition), on peut prévoir les interactions médicamenteuses avant qu’elles surviennent. Parce que la MA touche surtout les personnes âgées, les questions de polypharmacie et d’interactions médicamenteuses sont particulièrement pertinentes dans cette population. Pourtant, il importe de ne pas écarter des médicaments efficaces à cause du risque d’interactions médicamenteuses. Il faut, au contraire, apprendre à mieux connaître les interactions pour prendre les mesures appropriées afin de les maîtriser. Connaître et comprendre les interactions médicamenteuses revêt une importance primordiale pour améliorer le traitement des patients. Lorsqu’une interaction contribue à augmenter la concentration du médicament, il faut alors réduire la dose. Au contraire, si l’interaction réduit la concentration, la dose doit être augmentée. En portant une attention particulière à ces aspects, on peut prescrire de manière sécuritaire divers médicaments en traitement d’association. Le donépézil, la galantamine et la prendre des médicaments plus d’une fois par jour. Pour leur part, la galantamine et la rivastigmine ont toutes deux des demi-vies plus courtes et doivent donc être prises deux fois par jour11,12. Le donépézil est métabolisé par le CYP 3A4 et le CYP 2D6, tout comme la galantamine9,13. Cela signifie que les inhibiteurs de ces enzymes pourraient, en théorie, accroître leurs concentrations sanguines. Les principaux inhibiteurs des enzymes CYP 3A4 et CYP 2D6 sont abordés dans d’autres sources de documentation6. Les médecins qui traitent des patients prenant des inhibiteurs de la cholinestérase (ou d’autres médicaments) métabolisés par ces enzymes doivent bien connaître ces inhibiteurs. On sait, par exemple, que de nombreuses personnes âgées boivent du jus de pamplemousse, un inhibiteur du CYP 3A4. Il importe d’expliquer à ces patients que le jus de pamplemousse risque d’augmenter la concentration La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 • 13 du donépézil ou de la galantamine. Plus important encore, cette inhibition de l’enzyme risque de modifier les concentrations d’un BCC, d’une statine ou de la warfarine. L’interaction est donc pertinente non seulement pour les inhibiteurs de la cholinestérase, mais aussi pour le CYP 3A4, qui influe de diverses façons sur les médicaments que prend le patient. Il en est de même pour les macrolides l’ajout d’un inhibiteur de la cholinestérase devrait se faire à une dose moins élevée, que l’on augmentera progressivement jusqu’à la dose efficace. Les inducteurs de ces enzymes réduiraient les concentrations sanguines des inhibiteurs de la cholinestérase. Le millepertuis est un inducteur du CYP 3A4; il accélérerait donc le métabolisme (c’est-à-dire qu’il réduirait les concentrations) de ces inhibi- Parce que la MA touche surtout les personnes âgées, les questions de polypharmacie et d’interactions médicamenteuses sont particulièrement pertinentes dans cette population. Pourtant, il importe de ne pas écarter des médicaments efficaces à cause du risque d’interactions médicamenteuses. Il faut, au contraire, apprendre à mieux connaître les interactions pour prendre les mesures appropriées afin de les maîtriser. (érythromycine, clarithromycine) qui sont aussi des inhibiteurs du CYP 3A4. Beaucoup de patients prennent des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) pour traiter des troubles de l’humeur, dont la paroxétine et la fluoxétine qui inhibent le CYP 2D6. Si le patient prend son ISRS en traitement concomitant avec un inhibiteur de la cholinestérase, la concentration sanguine de ce dernier risque d’augmenter. Le médecin doit donc choisir un antidépresseur qui influe moins sur cette enzyme ou il doit réduire la dose de l’inhibiteur de la cholinestérase. Si un patient prend déjà un ISRS qui inhibe cette enzyme, Références 1. Johnson AG, Seidemann P, Day RO. « NSAID-related adverse drug interactions with clinical relevance: An update », Int J Clin Pharmacol Ther 1994;32(10):509-32. 2. De Smet, P. « Herbal Remedies », N Engl J Med 2002;347(25):2046-56. 3. Solomon CG. « Bisphosphonates and osteoporosis », N Engl J Med 2002; 346(9):642. 4. Desta Z et coll. « Interaction of Cisapride with the Human Cytochrome P450 System: Metabolism and teurs de la cholinestérase. Le patient aurait donc besoin d’une dose plus élevée pour obtenir le même effet clinique. Règle générale, en évitant les inducteurs et les inhibiteurs de ces enzymes, on facilite le traitement avec un inhibiteur de la cholinestérase mais aussi avec d’autres médicaments métabolisés par ces voies. La rivastigmine n’utilise pas le système CYP 450, et il est peu probable qu’elle entraîne des interactions avec un cytochrome14. Voici une caractéristique très importante. Toutefois, il faut tenir compte d’autres aspects dans le cas de ce médicament. De fait, la rivastigmine a une courte demi-vie et 5. 6. 7. 8. 9. Inhibition Studies », Drug Metab Dispos 2000;28(7):789- 800. Santé Canada. Therapeutic Products Programme, mai 2000. Herman, RJ. « Drug interactions and the statins », CMAJ 1999;161:1281-6. The Medical Letter 1999;41(1056):61-2. Kalow W, Gunn DR. « Some statistical data on atypical cholinesterase of human serum », Ann Hum Genet 1959;23:239-50. Spatzeneger M, Jaeger W. « Hepatic P450 in drug metabolism », Drug Metab Rev 1995;27:397-417. 14 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 doit être prise deux fois par jour. Le profil pharmacocinétique de la rivastigmine est également différent : la pharmacocinétique est linéaire à des doses allant jusqu’à 3 mg deux fois par jour, mais elle devient non linéaire à des doses plus élevées. Cela signifie que, si on augmente du double la dose de 3 mg deux fois par jour (soit 6 mg deux fois par jour), l’aire sous la courbe (ASC) risque d’augmenter par un facteur de trois12. À cause de ce bond, le patient risque de manifester des effets indésirables, tels que des nausées et des vomissements. Conclusions Avec le recours de plus en plus répandu à la polypharmacie, il n’est pas rare que des patients prennent 8 à 10 médicaments en même temps. L’enjeu des interactions médicamenteuses devient alors évident. Il est donc sage d’apprendre à connaître les interactions pour être en mesure de les prévenir efficacement. Des choix judicieux quant aux associations médicamenteuses peuvent être faits, et les doses peuvent être modifiées pour maintenir les patients dans la plage thérapeutique. Enfin, il faut savoir que les interactions médicamenteuses ne sont qu’un des aspects de l’emploi sécuritaire des médicaments. Il importe de tenir compte des autres aspects : effets indésirables, observance et profil pharmacocinétique. Ce n’est qu’en comprenant chacun de ces aspects pour chaque médicament que les médecins pourront faire des prescriptions sans danger. 10. Monographie d’Aricept, 2003. 11. Monographie du Reminyl, 2003. 12. Monographie d’Exelon, 2003. 13. Crismon ML. « Pharmacokinetics and drug interactions of cholinesterase inhibitors administered in Alzheimer's disease », Pharmacotherapy 1998; 18(2 Pt 2):47-54. (Discussion 79-82). 14. Grossberg GT et coll. « Lack of adverse pharmacodynamic drug interactions with rivastigmine and 22 classes of medications », Int J Geriatr Psychiatry 2000;15(3):242-7.