les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l`intentionnalité

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les attitudes propositionnelles, problèmes et
théories
l’intentionnalité, 1
philosophie de la psychologie et des
sciences cognitives
séance 5
M. Cozic
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
I
nous avons présenté et discuté le fonctionnalisme: son
idée générale, certaines de ses variantes, les difficultés
qu’il rencontre
I
nous avons été (délibérément!) vague sur l’application du
fonctionnalisme aux différentes familles d’états mentaux
I
nous allons maintenant nous intéresser plus en détails aux
attitudes propositionnelles (APs) et, de manière générale,
à l’intentionnalité (= capacité de l’esprit à avoir des
représentations)
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
1. Les attitudes propositionnelles: problèmes et théories
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
1.1. Le problème de Brentano
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
AP et intentionnalité
I
exemples d’APs:
• Paul croit que la Terre est ronde
• Paul espère que Marie sera présente
I
les APs ont un contenu sémantique - elles représentent ou
portent sur quelque chose, elles sont intentionnelles
. les APs ont des conditions de satisfaction (une croyance
correcte ou pas, un désir satisfait ou pas, etc) qui
dépendent de ce contenu sémantique
I
problème de Brentano ou problème de l’intentionnalité:
comment un système physique peut-il représenter quelque
chose ?
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
Brentano et l’intentionnalité
. F. Brentano, Psychologie vom Empirischem Standpunkt,
trad. fr. M. de Gandillac, Psychologie du point de vue
empirique
“Tout phénomène psychique est caractérisé par ce que les
Scolastiques du Moyen Age ont appelé l’"inexistence
intentionnelle" (ou encore mentale) d’un objet, et ce que
nous pourrions encore appeler bien qu’avec des
expressions quelque peu équivoques, la relation à un
contenu, l’orientation vers un objet (sans qu’il faille
entendre par là une réalité), ou l’objectivité immanente.
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
Brentano et l’intentionnalité, suite
. F. Brentano, Psychologie du point de vue empirique
“...(T1)* Tout phénomène psychique contient en lui-même
quelque chose comme objet bien que chacun le contienne
à sa façon. Dans la représentation c’est quelque chose qui
est représenté, dans le jugement quelque chose qui est
admis ou rejeté, dans l’amour quelque chose qui est aimé,
dans la haine quelque chose qui est haï, dans le désir
quelque chose qui est désiré, et ainsi de suite” (p. 102)
“(T2) Cette présence intentionnelle appartient
exclusivement aux phénomènes psychiques. Aucun
phénomène physique ne présente rien de semblable.”
(ibid.)
(* C’est moi qui nomme les thèses.)
M. Cozic
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I
2 thèses distinctes :
(T1) la thèse d’exclusivité ou thèse intentionnaliste selon
laquelle l’intentionnalité est la propriété exclusive des états
mentaux : un état est un état mental ssi il est intentionnel.
On exprime également cette thèse en disant que
l’intentionnalité est la marque distinctive du mental.
(T2) la thèse d’irréductibilité selon laquelle les états physiques
ne peuvent êtres dotés d’intentionnalité
I
nous n’allons pas discuter la thèse (T1) mais nous
concentrer sur la thèse d’irréductibilité.
M. Cozic
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le problème de Brentano selon Stalnaker
. Stalnaker (1984)
“Le problème de l’intentionnalité est un problème qui concerne
la nature de la représentation. Certaines choses dans le monde
- par exemple, les images, les noms, les cartes, les expressions,
certains états mentaux - représentent ou signifient (stand for )
ou portent sur d’autres choses - par exemple, sur des gens, sur
des villes, sur des états de choses...
Pour plusieurs raisons familières, les relations intentionnelles ou
représentationnelles semblent différentes des relations qui
existent entre les choses et les événements dans le monde
naturel: les interactions causales, les relations
spatio-temporelles, les notions variées de similitude et de
différences. ” (p. 6)
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
le problème de Brentano selon Stalnaker
. Stalnaker (1984)
“Il semble que l’on puisse figurer, décrire, ou penser à des
choses comme des dieux ou des montagnes d’or même si elles
n’existent pas. Et on peut figurer, décrire, ou penser à un
triangle ou à un coucher de soleil sans qu’il y ait de triangle ou
de coucher de soleil particulier qui soit figuré, décrit ou auquel
on pense. Certains philosophes se sont appuyés sur ces
caractéristiques distinctives des relations intentionnelles pour
affirmer qu’elles sont irréductibles aux relations naturelles....Le
défi qui s’offre au philosophe qui veut voir les êtres humains et
les phénomènes mentaux comme des parties du monde naturel
est d’expliquer ces relations intentionnelles en termes
naturalistes.” (p. 6)
M. Cozic
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accepter (ou pas) la thèse d’irréductibilité
. W.V.O. Quine, Word and Object, MIT Press, 1960, trad.fr.
Le mot et la chose, Flammarion, 1977, p.
“Nous pouvons accepter la thèse de Brentano et
l’interpréter soit comme la preuve que les constructions
intentionnelles sont indispensables et qu’il est important
d’avoir une science autonome de l’intention, soit comme la
preuve que les constructions intentionnelles manquent de
fondement et qu’une science de l’intention est vide.
Mon attitude, à l’opposé de celle de Brentano, est la
seconde.”
I
rejeter la thèse d’irréductibilité = “réconcilier l’existence de
l’intentionnalité avec une ontologie physicaliste” (Jacob,
2003) = chercher à naturaliser l’intentionnalité
M. Cozic
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naturaliser l’intentionnalité
. P. Jacob, (1997)
“Naturaliser l’intentionnalité, c’est comprendre en termes
non sémantiques comment un système physique peut
posséder des propriétés sémantiques.”
. J. Fodor, "Meaning and the World Order" (1987)
“Je veux une théorie de la signification naturalisée; une
théorie qui propose, en termes non sémantiques et non
intentionnels, des conditions suffisantes pour qu’une partie
du monde porte sur (exprime, représente, soit vraie de)
une autre partie du monde.”
M. Cozic
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1.2. Le problème de Descartes
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
AP et activité de penser
I
penser, ce n’est pas qu’avoir des APs, c’est aussi former,
modifier, abandonner des APs
• Paul croit que si Marie était présente, Marc était content
• Paul apprend que Marie était présente
• Paul conclut que Marc était content
I
on voudrait donc non seulement une théorie de ce que
c’est que d’avoir des APs, mais également de ce en quoi
consiste l’activité de penser, et en particulier comment il se
peut qu’un système physique forme de manière rationnelle
des APs.
M. Cozic
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AP et activité de penser
I
on peut appeler problème de Descartes la question de
savoir comment il se peut qu’un système physique forme
de manière rationnelle des APs, parce que Descartes
soutient dans le Discours de la méthode qu’un système
purement physique ne peut pas jouir des propriétés
caractéristiques de la pensée rationnelle (et en particulier
de ses manifestations linguistiques).
I
on va présenter une théorie qui entend répondre aux deux
questions: la théorie du langage de la pensée
mais avant on va donner un aperçu théoriques des
analyses philosophiques des APs
M. Cozic
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1.3. théories des APs
M. Cozic
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le réalisme intentionnel
I
toute théorie des APs doit dire ce que c’est que d’avoir une
AP, et notamment expliquer ce qui détermine le contenu
sémantique d’une AP.
I
nous allons commencer par dresser un paysage des
grandes options théoriques contemporaines concernant la
nature des APs (cf. Fodor, 1985).
I
première ligne de partage: le réalisme intentionnel (RI) (ou
réalisme à l’égard des APs) = les APs existent bel et bien.
. plus précisément, selon Fodor, l’RI soutient
(a) il y a des états mentaux qui interagissent entre eux et
causent le comportement ainsi que le décrit la psychologie
naïve
(b) ces états mentaux causalement efficaces sont
sémantiquement évaluables.
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
l’irréalisme intentionnel
I
l’irréalisme intentionnel, rejette l’existence des APs (telles
que nous les concevons d’ordinaire) et rejette par
conséquent un fragment essentiel de notre psychologie
naïve.
I
2 versions principales:
. l’éliminativisme (ex: Churchland): les APs sont des
constructions postulées par une théorie radicalement
fausse, et par conséquent n’existent pas. Elles sont le
même statut que, par ex., le phlogiston.
. l’instrumentalisme (ex: Dennett): les APs sont des
instruments pour prédire le comportement de nos
semblables. On les attribue en adoptant une certaine
attitude, que Dennett appelle la “stratégie intentionnelle”.
M. Cozic
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Dennett sur les APs: la stratégie intentionnelle
. Dennett (1987/1990)
“...[la] stratégie intentionnelle consister à traiter l’objet dont vous
voulez prédire le comportement comme un agent rationnel doté
de croyance et de désirs et d’autres (états) mentaux manifestant
ce que Brentano et d’autres appellent de l’intentionnalité...[N’]
importe quel objet - ou, comme je le dirai, n’importe quel
système - dont cette stratégie prédit bien le comportement est,
au sens le plus plein du terme, un sujet doué de croyances. Ce
que c’est qu’être un vrai sujet doué de croyances, c’est être un
système intentionnel, un système dont on peut prédire le
comportement de façon fiable et détaillée à travers la stratégie
intentionnelle.” (p. 27)
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
Dennett sur les APs: statut ontologique des APs
. Dennett (1987/1990)
“La psychologie populaire est abstraite en ceci que les
croyances et les désirs qu’elle attribue ne sont pas - ou n’ont
pas besoin d’être - présumés intervenir dans un système interne
capable de causer le comportement...Le rôle du concept de
croyance est comparable au rôle du concept de centre de
gravité, et les calculs qui produisent les prédictions ressemblent
plus aux calculs que l’on accomplit avec un parallèlogramme
des forces qu’aux calculs que l’on accomplit avec un schéma de
leviers internes et de rouages.” (p. 73)
M. Cozic
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Dennett sur les APs: statut ontologique des APs
. Dennett (1987/1990)
“La psychologie populaire est ainsi instrumentaliste en un sens
que le plus ardent des réalistes devrait accepter; les gens ont
réellement des désirs et des croyances, selon ma conception de
la psychologie populaire, tout comme il y a réellement des
centres de gravité et que la Terre a un équateur. Reichenbach
distinguait deux sortes de référents pour les termes théoriques:
les illata - des entités théoriques postulées - et les abstracta des entités liées au calcul ou des constructions logiques. Les
croyances et les désirs de la psychologie ordinaire...sont des
abstracta.” (p. 74)
M. Cozic
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objection à Dennett
I
nous ne ferons pas de discussion systématique de la
théorie de Dennett. Mentionnons simplement l’une des
principales objections.
I
la théorie de la stratégie intentionnelle explique ce que
c’est que pour un système x d’avoir des APs par la
réussite de l’adoption par y de la stratégie intentionnelle.
Mais qu’est-ce qui explique les APs de y , qui jouent un
rôle crucial dans la définition-même de ce que c’est
qu’adopter la stratégie intentionnelle ?
⇒ sorte de régression ou de manque de fondements dans
l’explication
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
analyses réalistes des APs
I
revenons au (RI): ses partisans ont souvent (mais pas toujours)
défendu une approche fonctionnaliste des APs. Il existe toutefois
des manières assez différentes de s’inpirer du fonctionnalisme
pour fournir une analyse des APs.
. 2 grandes options (qu’il n’est pas toujours si aisé de différencier) :
(O1) l’analyse relationnelle: Paul croit que P ssi Paul entretient une
relation (la croyance) à une représentation P douée du contenu
(signifiant) P
. Fodor (1987)
“...les tokens d’attitudes propositionnelles [...] sont des relations avec
des tokens de symboles”
. l’option relationnelle “suit” la langue naturelle: les APs semblent
se diviser en deux composantes: (a) un type attitude (croyance,
désir, espoir...) et (b) un contenu (la Terre est ronde, Marie était
présente,...)
M. Cozic
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analyses réalistes des APs
(O2) l’analyse monadique: quand Paul a la croyance que P, il n’est
pas en relation (même indirecte) avec P, mais P permet de
repérer son état mental parmi d’autres possibles. De la même
façon, quand Paul pèse 3 kg, il n’est pas en relation (même
indirecte) avec le nombre 3, mais ce nombre permet de repérer
l’une de ses propriétés physiques parmi d’autres possibles.
. Stalnaker (1984)
“Qu’ont donc les propriétés physiques comme avoir une certaine
hauteur ou un certain poids qui fasse qu’il soit juste de les représenter
comme des relations entre la chose à laquelle la propriété est attribuée
et un nombre ? La raison pour laquelle nous pouvons comprendre de
cette manière de telles propriétés - des quantités physiques - est
qu’elles appartiennent à des familles de propriétés qui ont une structure
en commun avec les nombres réels.”...“L’analogie suggère que définir
une relation entre une personne ou un objet physique et une
proposition revient à définir une classe de propriétés dont la structure
rend possible de sélectionner une des propriétés de la classe en
spécifiant une proposition (pp. 9 et 10, trad.fr. Pacherie)”
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
analyses monadiques vs. relationnelles selon
Stalnaker
Stalnaker (1984) distingue entre sa version de l’analyse
monadique et la plupart des versions de l’analyse
relationnelle en contrastant
X “l’image pragmatique”: les APs “doivent d’abord être
compris par le rôle qu’ils jouent dans la caractérisation et
l’explication de l’action”
X “l’image linguistique” qui voient les APs comme des
formes intériorisées d’actes de langage
I une version simple de l’image pragmatique des APs:
. (C) Paul croit que p = Paul est disposé à agir d’une façon
qui tend à satisfaire ses désirs dans un monde où p est vrai
. (D) Paul désire que p = Paul est disposé à agir d’une façon
qui tend à faire que p dans un monde où les croyances de
Paul sont vraies
I
M. Cozic
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le rôle causal des croyances
(i) la paire (C)-(D) suppose que Paul est rationnel au sens où Paul
choisit les actions qui réalisent au mieux ses désirs étant donné
ses croyances. Désirs et croyances “sont les états
dispositionnels corrélatifs d’un agent potentiellement rationnel”
(Stalnaker, 1984)
. rem: il y a des discussions sur la question de savoir s’il vaut mieux
parler de “disposition (à agir de telle façon)...” ou d’“état (qui cause telle
action dans telles circonstances)...”, voir Armstrong (1973).
(ii) la paire (C)-(D) est “prograde” (forward-looking): elle caractérise
les croyances (et les désirs) à partir de leurs effets, pas à partir
de leurs causes
M. Cozic
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le rôle causal des croyances
(iii) les monadistes les plus influents ne pensent pas que les
relations causales progrades suffisent à expliquer ce que c’est
que croire que P: elles permettent d’expliquer en quoi un état
est une croyance plutôt que, par exemple, un désir, mais pas en
quoi c’est une croyance que P plutôt qu’une croyance que Q.
Elles ne permettent donc pas de résoudre le problème de
Brentano.(Stalnaker 1984, p. 18 ; Loar 1981, p. 65)
(iv) ces monadistes pensent qu’il faut (et suffit) d’ajouter des
relations causales rétrogrades (backward-looking) qui disent (en
substance) que, quand il se passe l’événement e dans
l’environnement d’un individu, alors il se met à croire que P.
M. Cozic
les attitudes propositionnelles, problèmes et théories l’intentionna
I
il y a beaucoup d’ingrédients commun aux analyses
monadiques et relationnelles. Les analyses relationnelles
ont été plus développées, et c’est l’une d’elle que nous
allons détailler: le langage de la pensée (language of
thought, abrégée LOT)
. LOT est une théorie qui cherche à expliquer les pensées
(les attitudes propositionnelles) et l’activité de penser. Elle
est notamment défendue par Jerry Fodor (1975)
I
on surnomme ce langage de la pensée le Mentalais
(Mentalese)
I
idée fondamentale: les APs sont des relations à des
représentations mentales qui sont analogues à des signes
linguistiques
M. Cozic
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références
I
Dennett, D. (1987/1990) The Intentional Stance,
Cambridge: MIT Press, trad.fr. La stratégie de l’interprète,
Paris: Gallimard
I
Fodor, J. (1985) “Fodor’s Guide to Mental Representation:
The Intelligent Auntie’s Vade-Mecum”, Mind, 94, pp. 55-97
I
Fodor, J. (1987/2002) “Pourquoi il doit y avoir un langage
de la pensée ?” in Psychosemantics, trad.fr in Fisette &
Poirier, Philosophie de l’esprit
I
Stalnaker, R. (1984) Inquiry, Cambridge: MIT Press
M. Cozic
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