UNE NATION PEUT-ELLE NE PAS ETRE PROTECTIONNISTE ? PROPOSITION DE CORRECTION Lecture du sujet nation : espace géographique (territoire) + dimension politique et sociale (groupe humain, communauté) protectionnisme : intervention publique pour protéger les producteurs nationaux de la concurrence internationale (extension : favoriser les exportations) Introduction Pratique du protectionnisme est ancienne (cf. P. Bairoch : « au 19ème siècle, le protectionnisme est la règle et le libre-échange l'exception ») mais le débat autour de la légitimité de la mise en œuvre de logiques protectionnistes revient périodiquement avec un paradoxe entre la domination d'analyses théoriques privilégiant le libre échange et la persistance de pratiques protectionnistes → contexte de la crise actuelle procure une nouvelle actualité à cette opposition dans une large mesure à partir d'arguments sociaux (lutte contre le chômage, indépendance nationale, ...) comment rendre compte de la persistance dans le temps et dans l'espace de pratiques et de politiques protectionnistes alors que le débat théorique semble pencher en faveur du libre échange ? 1- Les expériences historiques et la réflexion théorique peuvent justifier le recours au protectionnisme pour une nation a/ Le protectionnisme, un élément central des expériences de Révolution Industrielle et des stratégies de développement enclenchement de la Révolution Industrielle se fait dans un contexte généralement protectionniste (même en Angleterre : Corn laws, Actes de Navigation) : protectionnisme apparaît comme un moyen de faciliter le développement d'un marché national (exemple des États-Unis jusqu'en 1945) Logique protectionniste est partie intégrante de stratégies de développement avec différentes facettes : protectionnisme éducateur (F. List) qui correspond à la fois à une volonté d'indépendance nationale et à une protection des industries « dans l'enfance », protectionnisme dans le cadre des stratégies de substitution d'importations(Amérique latine) ou comme moyen de rendre compétitives des industries avant de s'insérer sur le marché mondial (NPIA) protectionnisme apparaît comme un élément clé pour rattraper un retard de développement, le libre échange étant alors plutôt l'apanage d'une puissance établie (Royaume-Uni, États-Unis) b/ La complexité du débat théorique entre protectionnisme et libre échange Économie classique voit l'émergence d'une réflexion théorique prônant l'avantage de l'insertion dans l'économie mondiale (Smith, Ricardo) et donc justifie des politiques de libre-échange (Ricardo et abolition des corn laws) réflexion reprise par le courant néo-classique autour des règles de spécialisation optimales (théorème HOS) interrogations sur la pertinence de cette réflexion : - analyse se fonde sur des hypothèses de concurrence et sur l'existence de rendements décroissants. Prise en compte de situations de concurrence imparfaites et de phénomènes de rendements croissants conduit à s'interroger sur la réalité des gains du libre échange (P. Krugman : « le libre échange a perdu sa pureté originelles ») - possibilité de gains globaux au libre échange mais pas nécessairement pour tous les agents. Question de la balance des gains et des pertes justification du protectionnisme dans certaines situations (cf. A. Smith, Gatt justifie le recours au protectionnisme dans certaines situations) + double conception de l’individu dans la perspective libérale : comme consommateur et comme citoyen c/ L'actualité du protectionnisme : une réponse aux difficultés de l'économie mondiale depuis 2008 ? crise de 2008 voit le retour d'interrogations sur la légitimité du protectionnisme dans un contexte de mondialisation et de nouvelles formes de concurrences entre pays développés et pays émergents - protectionnisme justifié dans une perspective défensive (amortissement du coût social de la crise et des mutations structurelles dans une économie mondialisée – exemple des années 1880 avec un bilan positif à court et moyen terme pour la croissance européenne) - gains attendus du libre échange ne peuvent se réaliser compte tenu de l'avantage majeur en terme de coûts des producteurs des pays émergents (P. Samuelson) - protectionnisme comme moyen de relance économique (cf. Amérique latine, principalement Argentine) Discours protectionniste croissant en se traduit pas cependant dans les faits avec autant d'intensité qu'en 1929 (tarif Hawley-Smoot, généralisation du protectionnisme à partir de 1932) 2- La question centrale semble alors être celle du degré acceptable de protectionnisme et des conditions de sa mise en œuvre a / Les risques d'un protectionnisme généralisé protectionnisme comporte des coûts significatifs : - perte de pouvoir d'achat (F. List « Le protectionnisme représente une perte à la valeur », analyse de l’équilibre partiel de marché avec introduction de droits de douane) - impact sur les structures économiques (faible incitation à la destruction créatrice et à la mutation des structures – impact des lois Méline sur l'agriculture française) danger majeur apparaît comme celui des enchaînements protectionnistes (rétorsion) qui sont perçus comme responsables d'une partie des enchaînements dépressionnistes des années 30 protectionnisme systématique et durable peut apparaître alors comme devant être évité b/ Protectionnisme et choix politique racines du protectionnisme apparaissent liées au fonctionnement des démocraties : - pressions effectuées par les gagnants au protectionnisme (rentes) dans un contexte où les coûts sont dilués sur la plus grande partie de la population - mise en œuvre de logiques non coopératives entre les États dans le domaine international (théorie des jeux) protectionnisme apparaît comme un moyen de résoudre (ou de proposer une réponse à) des questions politiques protectionnisme peut favoriser la puissance nationale à travers le développement industriel (Politiques Commerciales Stratégiques) c/ Les aspects du protectionnisme contemporain diversité des formes du protectionnisme (droits de douanes, barrières non tarifaires, manipulations monétaires) importance du protectionnisme « furtif » (Sandretto) qui permet de concilier intérêt national du protectionnisme et respect (au moins apparent) des règles de libre échange dominantes dans l'économie mondiale (OMC) question de la régionalisation avec une combinaison entre principe libre échangiste et principes protectionnistes qui peut être vu comme une évolution du protectionnisme vers le libre échange ou comme un moyen de conserver une part de protectionnisme dans les politiques commerciales tout en affichant une volonté libre-échangiste (cf. revendications d’un protectionnisme aux frontières de l’Europe)