AU-DELÀ DU CRITICISME KANTIEN

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Mais c’est aussi la notion de l’inconditionné qui permet à Tillich d’aller
au-delà du criticisme kantien, car à ses yeux l’approche critique à elle
seule ne parvient pas à saisir l’être même. L’inconditionné, qui représente
l’aboutissement du criticisme, est en même temps le berceau d’une
approche intuitive qui formera le deuxième volet de la méthode critiqueintuitive que Tillich préconise. Conçue très tôt dans la carrière de Tillich,
cette méthode paradoxale se maintiendra ainsi, malgré des éclipses et au
travers de métamorphoses multiples, jusque dans la période tardive du
Tillich américain, où elle continuera à jouer un rôle de principe actif pour la
saisie de l’élément religieux.
Né à Genève, Suisse, en 1948 et détenteur d’un doctorat en théologie de
l’Université Laval, Claude Perrottet enseigne la philosophie de la religion et des
disciplines voisines en tant que professeur adjoint à l’Université de Bridgeport (CT)
aux États-Unis. Il y est également chargé de la formation du corps professoral
dans l’application de pratiques pédagogiques appropriées pour l’enseignement à
distance contemporain.
Claude Perrottet
AU-DELÀ DU CRITICISME KANTIEN
La découverte récente du premier cours de Paul Tillich sur la philosophie
de la religion (Berlin, 1920) permet de jeter un regard neuf sur la pensée
religieuse du Tillich allemand. Le but du présent ouvrage est d’explorer
l’originalité de ce nouveau document par rapport aux textes publiés sur
le même sujet dans les années qui suivirent. L’auteur suit Tillich dans
sa déduction systématique de la fonction religieuse définie comme
une orientation vers l’inconditionné. Il relève en particulier l’importance
insoupçonnée de la philosophie critique de Kant dans l’élaboration
de la méthode critique-intuitive (ou métalogique) de Tillich. Ce rôle
largement méconnu ressort clairement des premières heures du cours
de 1920 : Tillich y montre notamment que sa notion de l’inconditionné
est directement reprise de Kant. Il décèle ainsi l’élément religieux dans
la partie apparemment la moins religieuse de la philosophie kantienne, la
déduction transcendantale de la première Critique.
Claude Perrottet
AU-DELÀ DU
CRITICISME KANTIEN
La méthode
critique-intuitive dans la
première philosophie de la
religion de Paul Tillich
Sciences religieuses
Tillich Perrottet.indd 1
12-07-19 10:11
AU-DELÀ DU CRITICISME KANTIEN
Claude Perrottet
AU-DELÀ DU CRITICISME KANTIEN
la méthode critique-intuitive
dans la première philosophie de la religion
de paul tillich
Presses de l’Université Laval
2012
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des
Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles
du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de
publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par
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La publication de cet ouvrage a bénéficié d’une subvention du Fonds GérardDion.
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Dépôt légal 3e trimestre 2012
ISBN: 978-2-7637-9926-1
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l’Université Laval.
À Rachel, ma fille bien-aimée,
dont la présence, désormais intangible,
remplit ces pages
AVANT-PROPOS
Je l’admets d’emblée : en rédigeant le texte qui suit, mon but
premier ne fut pas d’offrir un commentaire du cours de 1920 sur la
philosophie de la religion que nous a laissé Paul Tillich. On serait même
justifié de dire que ce manuscrit de 1920 me servit de « prétexte » pour
cerner les composantes essentielles de questions fondamentales sur la
nature et le rôle de la religion.
Pourtant, s’il fut possible de mener à bien ce projet, c’est
incontestablement parce que le document choisi comme point de départ
contenait les qualités et la substance qui permettaient de le faire. Le
mérite revient donc à Tillich. Son premier cours de Berlin sur le sujet
est même à tel point rempli de substance philosophique et théologique
qu’il me fut possible, sans artifices, de creuser les questions universelles
posées par la philosophie de la religion tout en m’en tenant, la plupart du
temps, à une analyse quasi chirurgicale du texte et de ses implications
directes. Je l’ai fait dans l’espoir de présenter le dialogue entre Tillich
et ses prédécesseurs et contemporains d’une façon qui interpelle ceux
et celles, au-delà du cercle restreint des spécialistes, qui se trouvent
confrontés aux mêmes questions existentielles que lui.
Pour commencer, donc, quelques mots sur l’entreprise que
représente la philosophie de la religion. Faut-il le préciser, celle-ci est
bien une discipline philosophique et non un hybride entre philosophie
et religion1. Elle est philosophie par sa méthode, et la religion est
1. Tillich le dit très bien lui-même en 1962 : « Systématiquement parlant, la
philosophie de la religion fait partie d’une vision philosophique générale
de la réalité. La philosophie de la religion est avant tout philosophie ; il
faut avoir une philosophie pour avoir une philosophie de la religion. » Paul
10 au-delà du criticisme kantien
son objet, voire son objectif, comme nous allons le voir en étudiant
ce qu’il est convenu d’appeler le premier Tillich des années 1920. Si,
en fin de compte, c’est bien la substance religieuse, le Gehalt dont
Tillich parle tant, qui forme le centre d’attention de l’entreprise,
c’est indiscutablement la méthode philosophique qui en détermine
l’approche. C’est par là que Tillich débute, comme il se doit, et c’est
donc par quelques commentaires sur la situation philosophique en
rapport avec son projet qu’il nous faut entrer en matière.
Certitude apodictique
Une grande partie de la philosophie occidentale peut se décrire
comme un hymne à l’idéal (même inaccessible) de la certitude
apodictique, cette notion aristotélicienne affectionnée par Kant et
par Husserl. Mais, au cours du 20e siècle, la notion même d’une telle
certitude se désintégra rapidement. Par ailleurs, un gouffre de plus en
plus profond sépara les deux branches de cette philosophie occidentale
– la tradition analytique anglo-saxonne, liée au positivisme, et la
tradition continentale de l’existentialisme puis, notamment, du
déconstructionisme. Pourtant, comme le note très justement Huston
Smith2, les deux côtés se ressemblent à s’y méprendre dans leur rejet
de toute certitude métaphysique.
Ce n’est pas seulement le dogmatisme, mais l’attitude même de
vouloir prétendre à la découverte de critères objectifs universels qui est
passée de mode, et cela fait déjà un bon bout de temps. Huston Smith
analyse d’ailleurs très bien les causes multiples de cette dérive – ou
de cette nouvelle ouverture d’esprit, selon de quel point de vue on se
place.
Tillich, Philosophy of Religion. Cours présenté à Harvard University au
semestre de printemps de 1962, enregistré par Peter H. John, 1re heure. Voir
aussi Systematic Theology, I, p. 30, où Tillich affirme que la philosophie
de la religion « fait partie intégrante d’un tout philosophique et n’est en
aucune façon une discipline théologique. »
2. Huston Smith, Beyond the Post-Modern Mind, New York, Crossroad,
1982.
avant-propos
11
Pourtant, une série de questionnaires créés et mis à disposition
du grand public par l’Université de San Diego3 montre à quel point
nos contemporains (vous et moi) restent divisés sur cette question et à
quel point, malgré ce qui précède, il est difficile à l’esprit humain de
se défaire de l’idée d’une vérité ultime sur les grandes questions. Aux
deux dernières questions portant sur le relativisme, les participants
répondent avec une majorité quasi identique et très prononcée qu’il
n’y a aucun espoir d’aboutir à une réponse définitive, mais d’autre part
qu’il n’y a, en fin de compte, qu’un seul critère correct d’évaluation4.
La quête de la certitude apodictique n’est donc pas aussi morte
qu’elle paraît l’être, même si elle semble échapper à l’emprise de la
réflexion philosophique. Pour cette raison précisément, le sens obscur
d’une certitude nécessaire est accompagné d’un profond sentiment de
désorientation.
Même situation au niveau des convictions personnelles, notamment
religieuses. Pour trouver un équivalent à cette ambivalence théorique,
il suffit de soumettre à un étudiant les trois positions classiques face
à la foi – la sienne propre et celle des autres – pour se rendre compte
du désarroi que suscite ce questionnement : N’y a-t-il qu’une seule
croyance correcte (la mienne, inévitablement) ? Ou y a-t-il plusieurs
voies acceptables, dont l’une (la mienne) est pourtant préférable ? Ou
toutes les croyances se valent-elles ?5 L’esprit a peine à supporter le
déchirement interne ainsi crée. De quel droit puis-je prétendre au bien3. University of San Diego, CA, USA. http://ethics.sandiego.edu (Rubrique
Resources). Le site souffre malheureusement de problèmes techniques
incessants (dernier accès : 28 juillet 2011).
4. Il est vrai que cette étude particulière s’applique aux questions relevant de
l’éthique, mais elle fait bien ressortir l’ambivalence de la population face
au « grandes questions » de tout ordre. L’environnement culturel pousse
dans un sens et une certaine intuition indéracinable pousse dans l’autre.
5. Cf. Raimundo Panikkar, « Four Attitudes », in Gary Kessler, Philosophy
of Religion. Toward a Global Perspective, Belmont, CA, Wadsworth,
1999, p. 532-535. Une quatrième attitude, selon l’auteur, est celle de
« l’interpénétration ».
12 au-delà du criticisme kantien
fondé d’une croyance, simplement parce qu’elle se trouve être mienne6
– et pourtant, comment accepter le relativisme absolu qu’implique la
dernière réponse ?
Dans une salle de cours, peu après la fin de la Grande Guerre,
Tillich confronte directement son auditoire au danger qu’il y aurait
à vouloir trouver une solution illusoire au dilemme par une réflexion
spéculative7. Mais quelle approche préconise-t-il alors ?
Double mise au défi
Tillich parle du double défi auquel doit faire face toute tentative de
créer une philosophie de la religion. Pour la philosophie contemporaine
(et cela s’applique aux deux courants indiqués ci-dessus), la philosophie
de la religion n’est guère légitime, car on ne peut parler d’investigation
philosophique d’un objet insaisissable et invérifiable. On ne peut parler
que d’opinions qui sont, à strictement parler, gratuites. La théologie, de
son côté – et Tillich nomme expressément la théologie néo-orthodoxe
– ne peut facilement accepter que la philosophie de la religion soumette
la foi et le dogme basé sur la révélation à son investigation, comme si
la vérité chrétienne pouvait être objet de discussion.
Tillich observe encore que, sur ce point, il y a accord stratégique
entre ces deux vues du monde pourtant si étrangères l’une à l’autre
et marquées par une profonde antipathie réciproque. Cela, dit-il,
n’est possible que par un « double aveuglement ». La philosophie
réductionniste ne se rend pas compte de la fragilité de sa propre
position. Son préjugé anti-métaphysique revient à une présupposition
non déclarée, donc non justifiée, sur la nature de la réalité. Quant au
théologien barthien, il aime à parler de l’histoire biblique, sans se
rendre compte que la notion même d’histoire est une création culturelle
de la Grèce ancienne qu’il reprend cavalièrement sans se poser de
6. La deuxième réponse n’est en fait qu’une version atténuée, évasive,
ambivalente et ambiguë de la première.
7.Paul Tillich, « Religionsphilosophie » (1920), in Berliner Vorlesungen I
(1919-1920), EGW XII, p. 338.
avant-propos
13
questions. En résumé, conclut Tillich, on peut rejeter l’entreprise que
représente la philosophie de la religion, mais cela reviendra toujours à
une échappatoire. De plus, cela se fera toujours implicitement à partir
d’une philosophie de la religion qui ne se montre pas.
Ces dernières remarques, Tillich ne les fait pas en 1920, mais
dans un cours donné à Harvard, après un hiatus de 42 ans8. Tillich
y parle du déclin de la philosophie de la religion depuis « au moins
trente à cinquante ans », donc à peu près la période qui sépare les deux
cours. Devenu célèbre en tant que théologien existentialiste engagé, il
ne renie nullement ses efforts antérieurs mais nous revoie au contraire
à sa philosophie de la religion des années 1920 qu’il reprend sous une
forme presque inchangée.
Une cinquantaine d’années a encore passé depuis le constat
lucide de 1962. Nous en sommes arrivés à la constatation que nous
avions faite en début de texte : nous nous trouvons dans une situation
de malaise héritée d’un siècle de confrontation. Et si, de par son rôle
charnière, la philosophie de la religion a encore de la peine à s’imposer
en tant que discipline autonome, elle est sans doute devenue encore
plus nécessaire – en raison même de son rôle de médiateur. En effet,
malgré des éclaircies occasionnelles, les deux camps opposés se sont
fortement radicalisés et ils sont bien davantage que de simples positions
théoriques. Il est inutile d’expliquer en quoi la radicalisation s’est aussi
accentuée à l’intérieur des deux camps, notamment le camp religieux.
Quant à Tillich, il n’est plus là pour nous rappeler, une fois de plus, son
point de vue initial mais il vaut la peine de le faire en quelque sorte à
sa place.
En 1920 et dans les années qui suivirent immédiatement, Tillich
avait le sens du Kairos, le sentiment que le temps était venu au
niveau social, mais tout autant au niveau de la réflexion religieuse et
philosophique, de faire une percée historique sur la base d’éléments
qu’il était persuadé d’avoir saisis. Un demi-siècle plus tard, Tillich se
montre quelque peu désabusé par le manque de progrès qu’il attribue à
8. Philosophy of Religion, Harvard, 1962, 1re heure.
14 au-delà du criticisme kantien
l’obstination et à la fermeture d’esprit des parties en cause9. Il maintient
par contre fermement sa position initiale et se fait un plaisir de la répéter
à son nouvel auditoire, sans pour autant s’attendre à un changement
immédiat. Près d’un siècle après la période berlinoise, se pourrait-il
que le temps soit venu aujourd’hui pour une meilleure compréhension
des vues révolutionnaires que Tillich préconisait alors ? La découverte
d’un document inédit d’ampleur considérable en serait l’occasion
idéale. Et ce ne serait pas la première fois qu’un tel décalage dans le
temps se serait produit. Au lecteur de se faire son opinion sur l’impact
contemporain des idées que nous allons examiner.
Le choix du texte
En exergue du cours sur la philosophie de la religion que j’enseigne
à l’Université de Bridgeport10, j’avais placé, il y a plusieurs années
déjà, la citation suivante : « Dans la religion, la philosophie rencontre
un objet qui résiste à toute objectivation par la philosophie11. »
Cette phrase, que j’avais trouvée dans un recueil d’écrits de la
période allemande de Paul Tillich intitulé What is Religion ? m’avait
frappé comme une de ces expressions que l’on n’oublie pas, parce
qu’elles expriment une vérité évidente que l’on ne peut davantage
oublier. Dans mes notes, je continuais en indiquant que cette
affirmation semblait mettre en cause l’existence même de mon cours.
Tillich ne nie pas la légitimité du concept de religion, comme le fera
Wilfred Cantwell Smith et comme le faisait, sur des bases entière­ment
différentes, Karl Barth à l’époque. Mais il met en cause la possibilité
d’en faire un objet d’investigation philosophique.
9. On pourrait ajouter un facteur que Tillich ne mentionne pas : dans les
années 1960 et 1970, la tendance était forte de voir en la religion un
phénomène avant tout politique et social, donc de rejeter une philosophie
de la religion se préoccupant essentiel­lement de « superstructure ».
��.University of Bridgeport, CT, USA.
��.Paul Tillich, Philosophie de la religion (1925), trad. Fernand Ouellet,
Genève, Labor et Fides, 1971, p. 7.
avant-propos
15
Les choses s’arrêteraient là si Tillich n’affirmait de façon tout
aussi forte que cette résis­tance n’est pas un point final. En fait, elle
appelle une réponse, qui sera celle de son approche paradoxale du
problème. Pas question de se livrer à une spéculation grandiose
comme le fait Hegel, le fondateur de la philosophie de la religion en
tant que discipline contemporaine. Par l’approche nouvelle de Tillich,
la philosophie de la religion se trouve à la fois restreinte et fortifiée.
Si, pour Tillich, il n’est pas possible de saisir la religion comme on
saisit une chose ou de l’englober dans sa pensée comme si on était
aux com­mandes, son interrogation sur la validité d’une démarche
philosophique approfondit toute la question. Il fait de la philosophie
de la religion une entreprise proprement philosophique non dépourvue,
par ailleurs, d’implications théologiques.
Lorsque j’eus la bonne fortune d’être mis en contact avec Jean
Richard et l’Université Laval vers la fin de 2004 et qu’il me fut proposé
de m’occuper du texte, récemment publié, du cours que Tillich donna
à Berlin en 1920 sur ce sujet précis12, j’eus néanmoins une légère
hésitation initiale. Comparé aux autres auteurs qui m’étaient familiers,
et malgré l’intuition très juste dont je viens de parler, Tillich était un
peu trop chrétien engagé à mon goût (même si c’était d’une manière
non-conformiste) et, j’ose à peine le dire, trop théologique sous toute
l’abondance de ses références philosophiques.
D’autres, au contraire, trouveront sans doute le langage
philosophique théorique de Tillich par trop rébarbatif. Pour eux, parler
de religion en ces termes revient à tuer ce qui en fait ce qu’elle est. Le
cœur de la religion est quelque chose qui touche directement notre âme
et ne saurait faire l’objet d’un raisonnement discursif.
Quelles que soient les différences de sensibilité, le texte
remarquable de 1920 s’avère pourtant porteur de réponses fascinantes
et souvent inattendues – pour ceux qui sont familiers avec les textes
tillichiens de l’époque et même pour ceux et celles que les discussions
académiques en général intéressent moins.
��.Paul Tillich, « Religionsphilosophie » (1920), in Berliner Vorlesungen I
(1919-1920), EGW XII, p. 333-565.
16 au-delà du criticisme kantien
*
*
*
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me reste à remercier tous
ceux et celles qui ont généreusement contribué à la réalisation de
mon projet. En tout premier lieu Jean Richard, dont le soutien tout
à fait central et l’amitié ont dépassé de loin ce que j’étais en droit
d’espérer. Et puis, il y a tous ceux qui m’ont aidé dans mon travail
par leurs suggestions, notamment lors des séminaires d’été sur Tillich
à l’Université Laval, qui ont été l’occasion de fructueux échanges. Je
pense en particulier à Marc Dumas, Roland Galibois, Marc Boss et
Anne Fortin. Ma reconnaissance s’adresse de manière plus générale à
l’Université Laval, qui m’a offert un environnement particulièrement
propice à ma recherche. Je voudrais ensuite remercier tout spécialement
le Fonds Gérard-Dion, qui a généreusement contribué au financement
de la publication du présent ouvrage. Enfin, je suis très reconnaissant à
Françoise Cordeau, qui n’a pas hésité à fournir un effort considérable
pour réviser le texte jusque dans ses moindres détails.
J’ai par ailleurs aussi une grande dette envers mon frère Luc
Perrottet, qui a pris le temps de corriger le style souvent incorrect du
francophone expatrié en terre anglo-saxonne que je suis. Je remercie
aussi ma mère Liselotte pour son constant soutien. Enfin, last but not
least, j’éprouve une profonde gratitude envers mon épouse Hitoko, qui
ne soupçonne pas à quel point elle a contribué à ce travail.
ABRÉVIATIONS ET TRADUCTIONS
Références aux œuvres d’Immanuel Kant
Les références à la Critique de la raison pure ont été faites par
l’indication de la pagination des éditions originales. Ainsi, A705 / B733
se réfère à la page 705 de la première édition de 1781 et à la page 733
de la deuxième édition de 1787. Ce système de pagination est repris par
toutes les éditions sérieuses du texte, y compris les traductions, ce qui
permet au lecteur de retrouver facilement un passage donné.
Pour les autres œuvres de Kant, les références renvoient à
l’Akademie-Ausgabe (AA) des œuvres complètes de l’auteur.
Abréviations des œuvres de Paul Tillich
GW
EGW
Gesammelte Werke
Ergänzungs- und Nachlaßbände zu den Gesammelten
Werken
MW/HW Main Works/Hauptwerke
Traductions des œuvres de Paul Tillich
Œuvres de Paul Tillich — Nous utilisons les traductions françaises
parues dans la collection des « Œuvres de Paul Tillich » qui se poursuit en coédition au Cerf (Paris), chez Labor et Fides (Genève), ainsi
qu’aux Presses de l’Université Laval (Québec).
18 au-delà du criticisme kantien
Les volumes suivants sont déjà parus : La dimension religieuse
de la culture. Écrits du premier enseignement (1919-1926) (1990) ;
Christianisme et socialisme. Écrits socialistes allemands (1919‑1931)
(1992) ; Écrits contre les nazis (1932-1935) (1993) ; Substance
catholique et principe protestant (1996) ; Dogmatique. Cours donné
à Marbourg en 1925 (1997) ; Le courage d’être (1999) ; Documents
biographiques (2002) ; Écrits théologiques allemands (1919-1931)
(1911) ; Dynamique de la foi (2012).
Le cours de 1920 — La traduction complète du cours en français a été
achevée pendant la rédaction de la présente étude. Une fois révisée,
cette traduction sera publiée dans la collection des « Œuvres de Paul
Tillich ». Cette traduction a été utilisée pour toutes les citations du
cours dans le corps de mon texte.
Philosophie de la religion (1925) — Une traduction entièrement nouvelle de ce texte sera publiée en même temps que celle du cours de
1920. Dans le présent texte, les références se feront à la pagination de
la traduction existante, mais les citations se feront sur la base du nouveau texte lorsque celui-ci diffère de la traduction existante.
Autres auteurs
Pour tous les documents originellement écrits dans une langue
autre que le français, la traduction des citations a été faite par mes
soins, sauf indication contraire.
INTRODUCTION
1. La philosophie de la religion hier et aujourd’hui
Un simple coup d’œil sur les textes de Tillich montre à l’évidence
que ce qu’il entend par Religionsphilosophie n’a pas grand-chose
en commun avec ce que cette discipline représente de nos jours,
particulièrement aux États-Unis. La philosophie de la religion y est
essentiellement une discussion philosophique des principaux éléments
constitutifs de toute religion (le dogme, mais aussi le culte, les mythes, la
mystique, etc.), ou encore une discussion des positions philosophiques
et doctrinales des différentes traditions religieuses sur les points
essentiels (Dieu, la question du mal, l’au-delà, la morale). Les deux
variantes ont en commun une approche précautionneuse et courtoise
des différents éléments étudiés, le professeur et ses étudiants étant
censés faire abstraction le plus possible de leurs propres convictions. Il
s’agit de voir comment les choses se présentent de cas en cas, il s’agit
d’analyser la cohésion interne (ou l’incohérence) de chaque position
– en un mot, de découvrir et d’essayer de comprendre. « Empathie »
s’écrit en caractères gras.
L’empirisme pragmatique anglo-saxon (et plus généralement
l’atmosphère multiculturelle et le pluralisme religieux de notre
époque) exige cette approche où l’on cherche tout au plus, en partant
de l’observation, à exprimer certaines préférences ou à suggérer de
manière douce une certaine vision d’ensemble. Ninian Smart, qui nous
a quittés il y a quelques années, représente l’exemple parfait de ce
genre de philosophie de la religion et de son rapport avec la théologie1.
1. Cf. Ninian Smart & Steven Konstantine, Christian Systematic Theology
in a World Context, Minneapolis, Fortress Press, 1991. En introduisant
20 au-delà du criticisme kantien
Paul Tillich – en particulier le Tillich allemand dont nous nous
occupons ici – procède de manière exactement inverse. Et il ne s’agit
pas simplement d’une autre manière de procéder. Il s’agit d’une manière
de vivre le problème et d’y faire face. D’une part, suivant la tradition
continentale et tout particulièrement kantienne, Tillich cherche à isoler
ce qui fait la fonction religieuse selon les critères a priori de notre
conscience. Le raisonnement est incisif et les données existantes ne
servent qu’à illustrer le cheminement de sa pensée.
Ce qui frappe encore davantage, c’est que pour Tillich il ne s’agit
pas simplement de tenter une analyse philosophique du phénomène
religieux. Il s’agit de dégager la place propre de la religion (et celle de
la philosophie de la religion) comme fonction de l’esprit irréductible à
toute autre. Il n’y a aucun recul dans son attitude. Tillich, prédicateur
né, défend une cause, en se servant bien entendu de toutes les subtilités
que lui permettent son érudition et son brillant intellect. Tillich cherche
et donne une réponse systématique. Pour lui, la philosophie de la
religion n’est pas un domaine de recherche. C’est la pièce essentielle
d’un édifice, même si par définition cet édifice est en état de mouvement
dialectique permanent.
son néotranscendentalisme comme vision théologique, Smart prend grand
soin de préciser qu’il ne s’agit, à ses yeux, que d’une proposition. Sur ce
point, il est peut-être bon d’ajouter un commentaire qui atténuera quelque
peu ma remarque sur la radicalisation croissante de la situation. Smart n’est
qu’un parmi beaucoup d’autres théologiens philosophes libéraux, avant
tout anglo-saxons, qui ont su créer ces dernières années une atmosphère
de recherche passionnée et passionnante, mais sans agressivité, sur les
questions religieuses qui touchent chaque être humain. On peut citer
John Hick, mais également Alvin Plantinga, Richard Swinburne et
William Alston, pour ne parler que du camp chrétien. J’ai observé que,
malgré ses limites (ou peut-être à cause d’elles), cette approche douce
et non dogmatique trouve un écho extrêmement favorable auprès des
étudiants de toutes les facultés. Cela a permis à Brian Hebblethwaite
de parler d’un certain renouveau de la philosophie de la religion dans le
contexte analytique de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Cf. Brian
Hebblethwaite, Philosophical Theology and Christian Doctrine, WileyBlackwell, 2005.
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