un conte d`hiver - Atelier Théâtre Jean Vilar

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Dossier pédagogique
UN CONTE
D’HIVER
d’après
William Shakespeare
Distribution
Adaptation et mise en scène :
Georges Lini
Avec :
Julien Besure : Florizel
Anne-Pascale Clairembourg : Hermione
Didier Colfs : Polixènes
Michel de Warzée : le Berger
Daphné D’Heur : Paulina
Itsik Elbaz : Léontès
Louise Jacob : Mamilius, le Temps et autres
Thierry Janssen : Antigonus / le Clown
Sarah Messens : Perdita
Luc Van Grunderbeeck : Camillo
• N’oubliez pas de distribuer les tickets
avant d’arriver au Théâtre Jean Vilar
Dramaturgie : Florence Klein
Assistanat à la mise en scène : Nathalie Huysman
Scénographie et costumes : Renata Gorka
Vidéo et son : Sébastien Fernandez
Création lumières : Alain Collet
Direction musicale : Daphné D’Heur
• Soyez présents au moins 15 minutes
avant le début de la représentation.
- les places sont numérotées, nous insistons
pour que chacun occupe la place dont le numéro figure sur le billet.
- la salle est organisée avec un côté pair et impair
(B5 n’est pas à côté de B6 mais de B7), tenez-en
éventuellement compte lors de la distribution des
billets.
• En salle, nous demandons aux professeurs d’avoir l’amabilité de se disperser dans leur groupe de manière à encadrer
leurs élèves et à assurer le bon déroulement de la représentation. Merci !
Une création de la Compagnie Belle de nuit coproduite par l’Atelier
Théâtre Jean Vilar et le Théâtre Royal du Parc. Avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Centre des Arts scéniques.
Dates : 16 au 28 février 2016
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : 2h25 (entracte compris)
Réservations : 0800/25 325
Contact écoles : Adrienne Gérard
[email protected] - 010/47.07.11
Sommaire
1. Shakespeare
2. Le Théâtre elisabéthain
3. Un Conte d’hiver, toute une aventure
Les thèmes
Un roi désabusé
Des super-femmes
Rien n’est gratuit !
Shakespeare, la langue et moi-même
4. Le théâtre dans le théâtre
Où est mon costume ?
La scène, miroir du monde
Dossier pédagogique rédigé par le Théâtre Royal du Parc
2
400 ans ! 400 ans que ce formidable auteur anglais est mort et pourtant,
encore aujourd’hui ses pièces sont montées inlassablement, et dans toutes
les langues du monde. Mais pourquoi ? Qu’a-t-il de vraiment exceptionnel ?
Qui est cet homme, quelle est son œuvre, et pourquoi la lire ? Tentons de
dresser le bref portrait de ce personnage plein de mystères.
William Shakespeare, peinture à l’huile
de Louis Coblitz
3
1. Shakespeare
Tricheur toi-même
Shakespeare était tout à la fois : dramaturge, poète, acteur, metteur en
scène et incroyable homme d’affaire. Dans l’industrie concurrentielle du
théâtre, il a gagné ses parts d’une étonnante façon et cela pour plusieurs
siècles.
D’ailleurs, n’avoir jamais entendu parler de Roméo et Juliette, pour ne citer
que cette pièce, se révèle un véritable exploit. Ses figures théâtrales ont
été et sont toujours exploitées au cinéma, au théâtre, dans des comédies
musicales, des dessins animés, des bandes dessinées, des chansons, en
peinture (dois-je encore en citer ? Non, il semblerait que tout soit clair,
Shakespeare est partout, même au musée de cire de Madame Tussaud aux
côtés de David Beckham, c’est vous dire…).
Roméo et Juliette, film de Baz Luhrmann
avec Leonardo di Caprio
Pourtant, quel élément prédestinait ce jeune écolier de la ville de StratfordUpon-Avon (nom de ville imprononçable qui se situe en Angleterre) à
devenir un des personnages les plus célèbres de l’histoire ?
Tout d’abord, notons un sens incroyable pour du « recyclage » ! En
effet, pour une grande majorité de ses œuvres, Shakespeare empruntait
des textes ou des histoires déjà existantes pour les métamorphoser par
une réécriture précise et originale, qui rendait au final les pièces d’une
étonnante puissance. Ainsi, pour Le Conte d’hiver, Shakespeare s’inspire
du roman Pandosto publié par Robert Greene en 1588. Pour l’anecdote,
Greene, en 1592, attaquait violemment notre auteur dans un pamphlet,
allant même jusqu’à l’appeler Shake-scene (ébranleur de scène). Pourtant,
18 ans plus tard, Shakespeare ne lui en tient pas rigueur et décide de
s’inspirer, malgré tout, de son œuvre pastorale.
Secondement, un sens incroyable de l’observation. De fait, les
personnages de Shakespeare sont plus vrais que nature, et recèlent les
qualités et les défauts que l’on peut retrouver chez chacun de nous (même
chez nos professeurs ou parents ! N’hésitez pas à tenter l’expérience, lisez
une pièce et retrouvez le personnage en réalité).
Enfin, il sait mêler tous les genres ! Vous n’aimez pas les tragédies ? Il sait
faire des comédies ! Vous n’aimez pas trop rire, vous préférez les grandes
émotions ? Il sait faire parler les nobles âmes. Chez lui, gravitas (tragédie)
et levitas (comédie) (non, il ne s’agit pas de formules sorties tout droit
de Poudlard) ne font qu’un. Rien n’est insurmontable dans le style pour
Shakespeare, écrire en vers ou en prose, aucun souci n’existe dans l’art de
manier les répertoires ou les registres. L’important est avant tout de parler
et de faire parler notre monde.
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2. Le théâtre élisabéthain
Le théâtre en O
Le théâtre élisabéthain (c’est-à-dire sous le règne d’Elisabeth I) est un
grand O. Il représente la circularité du monde, le cosmos. La scène, le
théâtre deviennent donc les lieux géographiques et spirituels où l’on
réfléchit à l’existence de l’homme et à sa relation aux autres et à la nature.
Il est l’endroit du questionnement, de la réflexion et n’est plus seulement
lié à des institutions religieuses, mais devient profane. Il se trouve même un
but économique : se faire de l’argent. En effet, à cette époque, le théâtre
devient payant. Mais avant d’être un élégant O, les premières formes
théâtrales du début du XVIe siècle se jouaient dans les cours d’auberge où
avaient même lieu, quelquefois, des combats de coqs. Cependant, tous
avaient un point commun : une aire à ciel ouvert. C’est d’ailleurs pour
cette raison que les représentations avaient lieu l’après-midi. En effet,
l’éclairage n’existait pas à ce moment-là et la lumière du jour servait de
projecteur !
Théâtre du Globe
Un des théâtres les plus connus qui accueillit les pièces de Shakespeare fut
le Globe Theatre, construit à partir d’une forme polygonale qui comprend
le fameux « Wooden O » dont nous venons de parler. Il est édifié sur trois
niveaux couverts (1000 spectateurs) et un parterre ouvert. Si vous voulez un
jour le voir, il vous suffit d’aller faire un tour sur la South Bank de Londres,
où le comédien et metteur en scène Sam Wanamaker a reconstitué,
trois siècles plus tard, le théâtre élisabéthain à l’identique, en tentant de
respecter au mieux l’historicité. La seule différence importante, que nous
pouvons noter, se trouve sur le plan des lumières puisqu’un éclairage
artificiel a été mis en place pour les représentations du soir. La référence à
ce théâtre est clairement inscrite dans le prologue d’Henri V :
— Oh ! que n’ai-je une muse de flamme qui s’élève — jusqu’au ciel le plus radieux de
l’invention ! — Un royaume pour théâtre, des princes pour acteurs, — et des monarques
pour spectateurs de cette scène transcendante ! — Alors on verrait le belliqueux Harry sous
ses traits véritables, — assumant le port de Mars, et à ses talons — la famine, l’épée et
l’incendie, comme des chiens en laisse, — rampant pour avoir un emploi ! Mais pardonnez,
gentils auditeurs, — au plat et impuissant esprit qui a osé — sur cet indigne tréteau produire
— un si grand sujet ! Ce trou à coqs peut-il contenir — les vastes champs de la France ?
Pouvons-nous entasser dans ce cercle de bois tous les casques — qui épouvantaient l’air
à Azincourt ? — Oh ! pardonnez ! puisqu’un chiffre crochu peut — dans un petit espace
figurer un million, — permettez que, zéro de ce compte énorme, — nous mettions en œuvre
les forces de vos imaginations. — Supposez que dans l’enceinte de ces murailles — sont
maintenant renfermées deux puissantes monarchies — dont les fronts altiers et menaçants
— ne sont séparés que par un périlleux et étroit Océan. — Suppléez par votre pensée à nos
imperfections ; — divisez un homme en mille, — et créez une armée imaginaire. Figurezvous, quand nous parlons de chevaux, que vous les voyez — imprimer leurs fiers sabots dans
la terre remuée. — Car c’est votre pensée qui doit ici parer nos rois, — et les transporter
d’un lieu à l’autre, franchissant les temps — et accumulant les actes de plusieurs années
— dans une heure de sablier. Permettez que je supplée — comme chœur aux lacunes de
cette histoire, — et que, faisant office de prologue, j’adjure votre charitable indulgence, —
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d’écouter tranquillement et de juger complaisamment notre pièce
Grâce à ce mélange des genres, sur lequel il est nécessaire de revenir,
tout le monde pouvait aller au théâtre, les pauvres comme les riches, les
petits comme les grands ! Les plus pauvres s’entassaient debout (et oui, il
n’y avait pas de sièges) dans le parterre, et les riches étaient soit assis dans
les gradins, soit carrément sur la scène. À cette époque, tout le monde
commentait l’action. Si celle-ci devenait trop noble, alors le public huait
et pouvait demander de la paillardise. Le lancer de légumes sur les acteurs
était, par ailleurs, un sport régulier. C’était en quelque sorte comme à la
télévision, sauf qu’ici, ils pouvaient zapper en direct !
Une autre particularité du théâtre élisabéthain, c’est qu’il ne possédait
aucun décor peint. La scène était vide, c’est ce qu’on appelle une scène
« agile ». Une scène où tous les accessoires apparaissent et disparaissent
en fonction des indications que donnent les comédiens qui informent
le spectateur du lieu fictionnel où celui-ci se trouve. Soulignons aussi
que les comédiens ne portaient pas de costumes ! Ils jouaient avec
leurs vêtements habituels ! Donc, si nous voulons rejouer une pièce de
Shakespeare, « à la façon de Shakespeare », il faudrait la jouer avec nos
vêtements et notre langage ! Quoi de plus simple ? On s’y met ?
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3. Un Conte d’hiver, toute une
aventure
© S. Fernandez
Tout cela n’existe pas ? Alors l’univers et tout ce qu’il contient n’existe pas,
le ciel qui nous recouvre n’existe pas.
Bohème n’est rien, ma femme n’est rien
et il n’y a rien dans ce rien, si ça ça n’est rien.
Léontès, Extrait du texte.
Même si le titre de la pièce annonce un conte, nous n’en entendrons
jamais parler ! A la place de cela, nous aurons droit à un superbe banquet
en ouverture, à un procès (de qui ? Vous le découvrirez assez tôt !), à une
fête déguisée et, enfin, à un tour que le meilleur magicien du royaume
n’aurait pas pu effectuer ! Si tout cela ne vous met pas l’eau à la bouche, je
vous parlerai alors de gens qui se retrouvent confrontés au pouvoir d’un
roi totalement désabusé, qui ne sait plus se tenir devant ses convives,
dans un monde où l’on ne sait plus très bien ce qui est réel ou ce qui
ne l’est pas. Vous laisserez-vous prendre à l’illusion ou arriverez-vous à
distinguer le vrai du faux ?
Le roi est-il fou ? C’est là qu’est toute la question. Alors que l’histoire débute
par les retrouvailles de deux rois, vieux amis, voici que Léontès commence
à soupçonner sa femme de le tromper avec Polixènes. Ici, personne
ne connaît la vérité, c’est à nous, spectateurs, de choisir ce que nous
considérons comme véridique. Il nous est donc possible de donner le sens
que nous voulons au récit. N’est-ce pas fantastique ? Tels de véritables
Sherlock Holmes, il sera nécessaire d’être attentifs à toutes les preuves
qui nous sont données au travers du discours des personnages.
1. Les thèmes
Un
Conte d’hiver fait partie des tragi-comédies fabuleuses de
Shakespeare. Qu’est-ce que cela ? Et bien, notre auteur anglais donne
au sein de cette pièce une apparence plausible à ce qui ne l’est pas.
Voilà ce qui fait tout son mystère. Même si l’amour donne le ton à
l’intrigue, il n’est pas le facteur le plus important de la pièce qui repose,
par ailleurs, principalement sur une menace de mort constante qui
pèse sur les personnages. A l’heure actuelle, un grand nombre de films
utilisent également ces grandes thématiques, car ce sont là des sujets qui
intéressent toujours : pouvoir, argent, amour et mort.
La forme du Conte d’hiver est originale car la pièce est coupée en deux
parties, la seconde partie amène l’arrivée de nouveaux personnages.
Il n’y a donc pas de personnage qui occupe la place principale.
Semblablement à Games of Thrones par exemple, on trouve différentes
intrigues à suivre. Même s’il est essentiel de préciser que dans la mise en
7
scène de Georges Lini, un focus important est mis sur le roi Léontès.
© S. Fernandez
2. Un roi désabusé
Intéressons-nous dès lors principalement à ce singulier monarque pour
apprendre à le connaître davantage. Léontès, qui est le roi de Sicile, est pour
le metteur en scène Georges Lini, un homme ordinaire, qui se retrouve
avec le pouvoir entre les mains mais qui n’arrive nullement à s’en servir.
Cet aspect le rend, par conséquent, dangereux car il n’a pas conscience de
ses limites qui vont le conduire dans le pire des cauchemars. Ce qui semble
primordial pour notre metteur en scène c’est surtout de ne pas le faire
sombrer dans la folie, mais bien de jouer sur le quotidien, sur la répétition,
par exemple la suspicion de jalousie constante du roi, qui le mène au final
à des décisions totalement absurdes. La représentation publique de luimême est liée également à un manque de consistance d’identité. Sans son
entourage, il semblerait que ce roi ne soit rien. Ce chef d’état n’est en rien
comparable aux autres, il a du mal à assumer les fonctions qui lui ont été
assignées. Et peu lui importe l’image qu’il reflète à sa cour ou son public.
Il n’est pas un héros, il est la « spectacularisation excessive du pouvoir, et
un symptôme propre à toute une société totalitaire. »1 Il pourrait être un
roi carnavalesque qui traduit « l’ultime preuve de sa défaite définitive »2.
© S. Fernandez
3. Des super-femmes
Un Conte d’hiver accorde aux femmes une place essentielle. Ce sont
elles qui prennent les décisions justes et ce sont elles aussi qui auront le
dernier mot de la pièce (désolé messieurs). Hermione, épouse du roi que
nous venons de rencontrer, refuse d’être accusée de tromperie et entame
un plaidoyer pour son honneur que même le meilleur avocat du monde
n’aurait pu réaliser. Elle parle à son mari d’égal à égal, et va même jusqu’à se
rire de lui devant les invités du banquet lors de la première scène. Par son
discours, Shakespeare la rend donc plus forte aux yeux des spectateurs.
Ici, il n’y a pas d’amour tout rose ou de larmes pour les femmes, mais bien
une puissance surhumaine.
Cet aspect est totalement nouveau pour l’époque. En effet, durant la
Renaissance la femme était perçue comme étant sujette à l’hystérie, c’està-dire pouvant se laisser aller à des excès émotionnels incontrôlables.
Et si ce mode n’était pas en accord avec la femme, alors elle était à
l’inverse sujette au romantisme, sensible, à fleur de peau. Mais avec l’ère
élisabéthaine, une nouvelle pensée se met en place où la femme n’est ni
l’un ni l’autre. Elle raisonne parfaitement ! Et dans notre cas, Hermione
dénonce la mauvaise prise de pouvoir qui a été mis en place par un
homme, Léontès.
1
BANU, George, Shakespeare, le monde est une scène, Métaphores et pratiques du
théâtre, Gallimard, Paris, 2009.
2Idem
8
Soulignons aussi le personnage de Paulina, fidèle amie de la reine, qui
devient le grand juge de la pièce et qui, au détriment de tous les autres
personnages, énonce toutes sortes de vérités au roi. Elle se fait traiter de
sorcière, de maquerelle mais continue malgré tout à lutter contre lui et lui
réserve (vous le découvrirez en venant voir la pièce) une belle surprise.
4. Rien n’est gratuit !
A qui le dites-vous ? Si vous vous souvenez bien de vos cours d’histoire,
avant la Renaissance, préexistait chez nous la société médiévale avec
les chevaliers, la courtoisie et les châteaux forts qui ont amené avec eux
toute une idéologie fondée sur le code de l’honneur. Avec Elisabeth I, une
nouvelle ère arrive. Tout d’abord, avec la perspective, comme nous venons
de le constater, qu’une femme peut diriger. Et « the Virgin Queen » le
fait parfaitement seule. Elle manie à sa sauce la religion, la politique, la
guerre et la marchandisation. C’est pourquoi, les premiers explorateurs,
dont Sir Walter Raleigh, vont découvrir à cette époque de nouvelles terres
et notamment en Amérique du Nord, auxquelles ils donneront son nom.
Vous avez trouvé ? La Virginie bien évidemment !
Avec ce nouveau mode de pensée qui commence à s’installer, le thème de
l’honneur va progressivement disparaître pour laisser place à une logique
économique et marchande (que nous connaissons bien). Dans Un Conte
d’hiver, cette référence est clairement annoncée. En effet, tout le monde
compte ! Tous les personnages font sans cesse des allusions à l’argent :
« Hermione, j’évaluerai votre amour », « On rajoute un zéro à un nombre
pour le multiplier, je rajoute un merci qui multipliera tous les autres »,
« Que tout ce qu’il y a de plus cher en Sicile soit pour lui gratuit », ou encore
« Fiez-vous à ma loyauté : elle est enfermée dans mon cœur comme dans
un coffre et je vous la donne en gage ». Les sentiments de haute estime
n’existent plus, tout a une valeur et tout s’achète. Aucune relation n’est
gratuite. Et aujourd’hui ?
5. Shakespeare, la langue et moi-même
Si Georges Lini a voulu enlever tout héroïsme ou envolée lyrique du parler
des comédiens, la langue de Shakespeare garde néanmoins sa profondeur.
Pour notre auteur, les mots sont tout, ils sont ce qui fonde la pièce pour
leurs sens mais également pour leurs sons, grâce auxquels il peut jouer
avec le public (par exemple dans Roméo et Juliette, il fait sonner politesse
et peau des fesses !). Comme l’explique Anthony Burgess (un monsieur
connu par ses études sur Shakespeare) : « Il voulait cogner, courtiser,
enchanter les oreilles des spectateurs [...] il ouvre son inépuisable coffret
à mots et répand l’or à profusion »3. Quand on se soucie du son, on se
3
BURGESS, Anthony, « Chapitre Shakespeare », in Magazine littéraire, Ed. Longman,1958.
9
soucie aussi donc des oreilles de ceux qui l’entendent, c’est-à-dire un
public de riches et de pauvres comme nous l’avons découvert plus tôt. Il
fallait donc donner du sang et de l’action, mais également de la matière à
penser et un style plus soutenu. Par conséquent, par le discours de l’acteur,
Shakespeare tente de communiquer directement avec le public et,
grâce à ce dispositif, de le faire entrer lui aussi dans la pièce.
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4. Le théâtre dans le théâtre
« Le monde entier est un théâtre et les hommes et les femmes n’en sont que les
acteurs. »
Comme il vous plaira.
Le théâtre dans le théâtre est un procédé que Shakespeare utilise
constamment dans ses pièces. Dans Un conte d’hiver, par exemple, tout
le monde se déguise, ce qui rend les personnages davantage ambigus
puisqu’on ne sait jamais s’ils sont vrais ou menteurs. Mais à quoi sert la
mise en abyme ? Ce que nous retiendrons principalement c’est qu’elle
permet de questionner le spectateur sur sa condition en dénonçant l’être
et le paraître. L’échange de vêtements, le dédoublement ou encore le
dialogue intérieur permet, en effet, de remettre en question l’identité. La
réalité vient donc se mêler directement au discours fait sur le théâtre
en confondant à la fois le rêve, la vie et le théâtre. Ainsi, les films comme
Shakespeare in love ou Anonymous qui traitent de la vie de Shakespeare
le démontrent bien.
© S. Fernandez
1. Où est mon costume ?
Le travestissement, pour illustrer cette technique, est utilisé dans Un
Conte d’hiver. Alors que la première partie se joue en Sicile dans le palais
de notre cher Léontès, la seconde partie de la pièce se situe en Bohème
(en République Tchèque) lors de la fête des fleurs durant laquelle chacun se
travestit. Le roi de la région, Polixènes, en profite pour se déguiser dans le
but de surveiller son fils, Florizel, qui est en train de « draguer » la jeune et
jolie bergère Perdita. Elle-même dira : « J’ai l’impression de jouer un rôle ».
C’est amusant non ? La comédienne a donc un double niveau de jeu : jouer
Perdita et jouer Perdita qui joue un rôle. Le costume devient de cette façon
un élément essentiel puisqu’il contamine celui qui le porte et amène des
troubles de la personnalité.
Les identités plurielles amènent des illusions trompeuses, avec un effet de
trompe-l’œil qui engendre des erreurs. Dans la mise en scène de Georges
Lini, il n’y aura pas de reconstitution historique qui renverrait à l’époque
élisabéthaine mais bien des costumes actuels et ceux-ci se révèlent
semblablement au travestissement, quelque peu troublants. Retenons
enfin, que privé de vêtements, c’est l’homme tel qu’il est, qui est montré
au spectateur, sans artifice et sans déguisement, un homme qui ne fait
plus partie du jeu de la société et qui redevient par conséquent, une
espèce d’animal.
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2. La scène, miroir du monde.
Le thème de l’illusion vient aussi dans la mise en scène de Georges Lini
s’immiscer dans les décors de la scénographie. En effet, le thème du
théâtre dans le théâtre est utilisé ici au travers d’un grand aquarium de
verre dans lequel les comédiens entrent et sortent en fonction du vrai et
du faux. De quoi semer le trouble dans votre enquête ! Les acteurs, en
tension perpétuelle, luttent constamment avec cette cage de verre pour
faire entendre leur parole. Mais où se situe la réalité ? En dehors ou en
dedans ? Voici encore un mystère à résoudre.
L’aquarium est également semblable à un lieu où le monde met en avant
toute l’horreur de la condition humaine, et l’extérieur permet aux
personnages de venir exprimer leur point de vue sur ce qui s’y déroule.
On a donc plusieurs niveaux d’interprétation comme pour le procédé du
travestissement. Il est un levier de jeu pour les comédiens qui trouvent à
l’intérieur une urgence à dire les choses. Ce qui empêche de cette façon
un jeu psychologique, la parole est pleine et concrète, un peu comme au
cinéma ou à la télévision. Mais la grande différence, c’est qu’ici l’acteur,
lorsqu’il sort de la boîte, est en lien direct avec le public et vient, d’ailleurs,
souvent lui parler. Une magie supplémentaire du théâtre !
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#loveyouShakespeare
Et voilà, nous arrivons au terme de notre voyage shakespearien ! Nous
pouvons donc en conclure, que si Shakespeare est mort il y a 400 ans, il
n’en est pas pour le moins démodé. Bien au contraire, ses pièces et les
thématiques sont continuellement présentes dans notre monde actuel.
N’hésitez pas à les démasquer !
Et comme dirait le grand écrivain Jean-Luc Lagarce :
« Accepter de se regarder soi pour regarder le Monde, ne pas s›éloigner,
se poser là au beau milieu de l›espace et du temps, oser chercher dans son
esprit, son corps, les traces de tous les autres hommes, admettre de les
voir, prendre dans sa vie les deux ou les trois infimes lueurs de vie de toutes
les autres vies, accepter de connaître, au risque de détruire ses propres
certitudes, chercher et refuser pourtant de trouver et aller démuni, dans
le risque de l›incompréhension, aller démuni, marcher sans inquiétude et
dire ce refus de l›inquiétude, comme premier engagement. »
Bonne route !
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