Une pièce du théâtre élisabéthain pour une jeune metteuse en

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Une pièce du théâtre élisabéthain pour une jeune metteuse en scène polonaise. Dans ce Songe,
Maja Kleczewska transporte les personnages de la comédie douce amère de shakespeare dans
une boîte de nuit, après la fête. Le dj puck tente de relancer une dernière fois l’ambiance, mais
dans cet univers sombre et froid, les clients moroses s’abandonnent définitivement à leur
ennui. Pour les hommes comme pour les créatures fabuleuses, pas moyen d’échapper à la
fatalité des relations amoureuses déçues. Seules les empoignades érotiques et les pulsions de
danse dispersent un instant la mélancolie. Mais ni nature débridée, ni sensations vraies
n’apportent le salut. Les comédiens de la troupe du stary Teatr maîtrisent les mouvements de
l’âme avec une intensité poignante, entre plongées dans le vide intérieur et sursauts
d’agressivité et de sexualité. La langue, à la fois dynamique et obscène de la comédie vient
souligner l’engagement physique qui veut échapper à la morosité. Et quand, dans la scène des
artisans qui semblent ici empruntés à notre réalité quotidienne, se rejoue le jeu des liaisons
amoureuses des trois couples, surgissent comme une mise en abyme les vanités d’une société,
son malaise et la perte de ses repères. Une expérience à la fois comique et cruelle.
Barbara Engelhardt
Le Songe d’une nuit d’été fut composé par Shakespeare pour célébrer un événement festif
aristocratique, probablement les noces de la mère du comte Southampton. Cette pièce, qui se
veut être un grand éloge de l’amour, est en fait l’histoire de personnes qui se trompent et se
font souffrir. Les amoureux, avant d’être réunis par le mariage en trois couples à la fin de la
pièce, s’abandonneront à des folies des sens des plus bizarres, connaîtront la réciprocité des
goûts humains, seront bernés par l’imagination amoureuse, se livreront à des excès érotiques.
Jan Kott, éminent critique, a signalé que le Songe... était la plus érotique de toutes les pièces
de Shakespeare. Plus fort encore, dans aucune autre de ses pièces, à l’exception de Troillus et
Cressida, l’érotisme n’est aussi brutal, voire drastique. „Depuis longtemps, les théâtres
montent le Songe... de préférence comme un conte de Grimm; c’est pourquoi l’acuité et la
brutalité des situations et des dialogues s’estompent totalement sur la scène.”
La richesse et l’intensité des aventures amoureuses furent réparties par Shakespeare sur trois
couples. Leurs liaisons subissent de nombreuses métamorphoses. Car c’est bien à travers les
contrastes et les extrémités que se révèle dans toute sa force la folie de l’amour. La nostalgie
de l’amour, la cultivation d’un idéal amoureux vont souvent de pair avec la violence et
l’autodestruction. Roland Barthes a trouvé la formule la plus radicale pour décrire ce
paradoxe, comparant l’amant abandonné à un prisonnier de Dachau.
L’érotisme et l’amour sont les deux sujets principaux du Songe... Sur des tons différents, tous
les fils de l’intrigue en sont impregnés : celui d’Obéron et Titania, celui des trois couples
d’amoureux, celui du groupe d’artisans qui s’apprêtent à monter, à l’occasion des noces, leur
„très lamentable comédie” Tout cela amène une réflexion amère sur l’incapacité de nouer des
liens, de montrer ses sentiments, de reconnaître enfin ce qui pourrait véritablement être
nommé amour.
Le Songe... de Kleczewska se joue sur un rythme rapide, mais pas hâtif; bien que la
réalisatrice ait supprimé de nombreux passages, bien qu’il arrive aux acteurs de modifier le
texte (résultat d’improvisations lors des répétitions), le spectacle est d’une force
impressionnante. Il est aussi riche de tonalités, car la folie, la mélancolie et la cruauté
s’accompagnent de comisme. Les scènes avec les artisans ou celle où le tisserand Bottom
danse devant Titania sont d’un comique irrésistible, même les amoureux se blessant
impitoyablement les uns les autres nous font souvent rire. Kleczewska, au lieu de nous faire
nous apitoyer sur les malheureuses victimes des amours embrouillés, veut plutôt que nous
nous découvrions nous-mêmes à travers une plongée dans le monde du Songe... Le spectacle
est admirablement joué, les acteurs semblent être possédés par les démons déchaînés par
Kleczewska, il n’y a pas une seule fausse note, pas de sujets ni de scènes péniblement
élaborés. Chaque rôle, même le moins important, est un plaisir pour le spectateur, chaque
limitation s’inscrit parfaitement dans le tissu du spectacle. »
Joanna Targon´, GAZETA WYBORCZA, 2006 nº 37
Maja Kleczewska a choisi dans le texte de Shakespeare les propos et les scènes qui
construisent le schéma de comédie. Renonçant à présenter la conciliation des amants et à
expliquer toute l’intrigue, la réalisatrice n’a gardé que la scène de la représentation nuptiale.
Elle a permis aux acteurs d’improviser et a ajouté certaines répliques au texte de Shakespeare.
Mais tout cela n’a pas été fait contre Shakespeare. Ce qui a été éliminé semble être aussi
important et significatif que ce qui a été gardé. Kleczewska construit des situations
condensant certains états et comportements. Toutes les répliques du drame prennent une force
exceptionnelle, comme le premier monologue de Héléna. En même temps, les vers
shakespeariens, confrontés à ceux qui ont été rajoutés, en gagnent en valeur : ils démasquent
le monde dans lequel nous vivons.
Ce spectacle est une victoire de Shakespeare grâce aussi à la façon dont le metteur en scène
relit les métaphores. Son analyse en profondeur du texte et son imagerie scénique font parfois
penser à la lecture de Titus Andronicus par Julie Taylor, ou celle d’Hamlet par Michael
Almereyda : une traduction des paroles en images parfois si littérale que l’effet obtenu est
choquant. (...) Dans le spectacle de Kleczewska le tisserand Bobine, se promenant à cul
découvert, devient le vrai Con (Bottom), et Héléna, qui rampe après Demetrius, est une vraie
chienne. Voulant se faire contaminer, comme d’une maladie, du charme et de la beauté de
Hermia, elle la touche, l’embrasse. L’humiliation amoureuse de Titania se traduit par son
geste de dérouler un tapis royal devant un rustre.”
Olga Katafiasz, DIDASKALIA, 2006 nº 71
Nous avons commencé notre travail sur le spectacle par des improvisations, mais bien des
choses ont changé entre le temps de ces premiers essais et le jour de la première. Pratiquement
jusqu’à la fin, c’est-à-dire même pendant les générales, il y a eu des versions successives du
scénario, modifiées et remises à jour, dans lesquelles les effets définitifs ont été inscrits et
fixés. J’aime bien travailler de cette façon, cela me permet d’éviter de „coller” trop au texte,
d’être trop près de ce que j’ai à dire. Nous avons tenu à ce que les émotions ne découlent pas
du texte; c’est le texte qui doit découler des émotions. C’était le plus important, dit Sandra
Korzeniak, qui interprète le rôle d’Héléna dans le spectacle de Cracovie.”
Vieux Théâtre (Stary Teatr) 2006.
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