30 ANS DE SAMU DE FRANCE : évolution de la biologie embarquée Patrick ECOLLAN* our comprendre et essayer de traiter son patient, un médecin aidé d’une équipe médicale (infirmier, aide-soignant, ambulancier..) appuie son raisonnement sur trois points : l’anamnèse, l’examen clinique et les examens complémentaires. En médecine d’urgence c’est souvent l’examen clinique qui prime. L’interrogatoire est souvent impossible et l’histoire de la maladie difficile à comprendre. Les examens complémentaires viennent ensuite. Ils dépendent d’abord du lieu (domicile du patient, cabinet médical, hôpital) mais aussi de la technologie. Depuis 50 ans, les progrès de la recherche médicale ont rendu le rôle des examens complémentaires indispensable dans certains domaines (neurologie, cardiologie…). La biologie, partie intégrante des examens complémentaires, n’a pas échappé à ce développement. Malheureusement, pendant des années, les progrès dans ce domaine n’ont pas été synonymes de miniaturisation, aspect pourtant indispensable pour une utilisation préhospitalière. Lors de la création des SAMU-SMUR dans les années 1970, la seule biologie possible était le calcul de l’hématocrite avec de petites centrifugeuses sur pile (photo 1). Ces petits appareils étaient utilisés au bloc opératoire. En 1980, une lecture sur bandelette colorimétrique par Glucometer® nous permettait d’avoir une idée de la glycémie (photo 2). P 1 3 Lecture chiffrée de la glycémie 4 2 Dosage de l’hémoglobine Il faut attendre 1985 pour avoir une lecture de la glycémie chiffrée (photo 3). À cette même époque, une autre valeur est dosée par un petit appareil, l’hémoglobine (photo 4). Mesure de l’hématocrite par centrifugeuses sur pile Mesure de la glycémie sur bandelette colorimétrique Glucometer® * SAMU 75, SMUR Pitié-Salpétrière, Centre Hospitalier de la Pitié-Salpétrière, 83 bd de l'Hôpital - F-75013 Paris. En 1987, un essai de lecture semi-quantitative de la troponine est mis en place avec l’étude TAMI. Elle ne débouchera pas sur une utilisation pratique. À partir des années 1990, plusieurs automates biologiques portables, véritables mini-laboratoires font leur apparition dans les véhicules des SMUR. Ils sont La Revue des SAMU - 2005 - 355 à 357 5 6 Mini laboratoire d’analyse des paramètres sanguins encore trop gros et trop lourds pour être utilisés au lit du patient. En 1998, un appareil venant des États-Unis est introduit en France. Il est à peine plus gros qu’un téléphone portable (photo 5). Il permet, sur des cartouches à usage unique et sur sang total, d’analyser plusieurs paramètres comme le bilan électrolytique sanguin, l’urée, la glycémie, l’hémo-globine, les gaz du sang. En 2004 les mesures s’enrichissent de la créatinine et des lactates. Cet appareil, constitué d’un analyseur portable qui assure le cycle d’analyse, affiche les résultats et peut être couplé à une imprimante papier. Ce mini laboratoire est muni de piles ou de batteries rechargeables sur secteur. Le temps d’obtention des résultats est de 2 minutes. Il faut savoir que les analyses effectuées ne sont données que s’il n’existe aucune faute de procédure, et donc que tout résultat affiché est considéré comme valable. L’utilisation étant très simple, il n’existe pas d’erreur de manipulation. Le rôle de contrôle du biologiste dans l’établissement où sont implantés les mini-laboratoires reste malgré tout important car, selon les textes, il est le garant de la qualité de la biologie réalisée en dehors de son laboratoire. Testé au SMUR Pitié pendant deux ans, ce mini-laboratoire a montré son utilité et sa facilité d’emploi en préhospitalier. En 2005, seulement 20 % des SMUR possèdent un mini-laboratoire embarqué. Dans le domaine de la cardiologie depuis les années 1990, les laboratoires hospitaliers de biochimie disposent d’automates d’analyse capables de doser des taux de plus en plus précis de marqueurs de nécrose myocardique. La lourdeur des protocoles (tube centrifugé) et la non-disponibilité de dispositifs portables ne permettaient pas leur utilisation en médecine préhospitalière. Des progrès dans la rapidité d’obtention des résultats, ont permis l’utilisation de ces marqueurs en urgence hospitalière. En 1999, l’apparition de systèmes biologiques portables, nécessitant dix gouttes de sang, a permis aux Dosage des marqueurs cardiaques 7 Dosage de la h-FABP équipes préhospitalières d’intégrer le dosage de marqueurs cardiaques dans la prise en charge des SCA. Certaines douleurs thoraciques ont ainsi pu être classées par la découverte d’une élévation des marqueurs biochimiques. La myoglobine, la troponine Ic et la CKMB massique sont maintenant dosées simultanément par un mini laboratoire (photo 6). Un autre marqueur cardiaque analysé avec le même appareil, rend depuis 2002 d’énormes services dans la prise en charge du SCA et de ses complications. C’est le dosage du Brain Natiduretique Peptide (BNP). Le BNP est essentiellement utilisé en médecine d’urgence comme marqueur de l’insuffisance cardiaque gauche. Il est particulièrement utile dans le cas de dyspnée aiguë où la participation de l’étiologie cardiaque est difficile à identifier. Cette nouvelle approche diagnostique a ouvert la voie à une biologie délocalisée en médecine d’urgence, la "biologie embarquée". En février 2004, un nouveau marqueur cardiaque devient disponible pour les équipes de SAMU. Facile- La Revue des SAMU - 2005 - 356 ment utilisable, il dose la h-FABP (photo 7). Une centaine de patients ont été inclus en préhospitalier dans une étude monocentrique. La h-FABP (heart Fatty Acid Binding Protein), marqueur de nécrose myocardiaque, apparaît dans la circulation sanguine 20 minutes seulement après la nécrose myocardique. Cette libération très rapide dans la circulation sanguine, associée à une cardiospécificité de concentration élevée constitue de nouvelles perspectives pour le diagnostic d’IDM en médecine préhospitalière. La pratique de la biologie embarquée est d’introduction récente en médecine d’urgence préhospitalière. Sa mise en place a été rendue possible par la fabrication d’automates transportables. Ses indications sont fonction de la spécificité de dosage de l’appareil, de la pathologie, mais aussi du contexte, notamment de la distance séparant le lieu de prise en charge initiale du centre hospitalier le plus proche pouvant recevoir le patient de manière adaptée. L’intérêt de l’utilisation de ces automates est d’affiner la suspicion diagnostique ou le diagnostic du médecin, de mettre en évidence certains critères de gravité biologique nécessitant une correction avant ou pendant le transport, d’améliorer l’orientation initiale du patient notamment en lui offrant la structure de soins la plus adaptée à son état. Compte tenu des possibilités de dosage actuelles, les indications principales sont la suspicion ou la surveillance d’un syndrome hémorragique avec le dosage de l’hématocrite et de l’hémoglobine, les détresses respiratoires aiguës avec le dosage du BNP, les troubles acido-basiques avec l’analyse de la gazométrie, les suspicions d’anomalies hydro-électrolytiques et métaboliques avec le ionogramme sanguin et enfin les douleurs thoraciques avec le dosage des marqueurs de la nécrose myocardique. Dans le futur, l’utilisation combinée des différents marqueurs biologiques permettra probablement d’identifier les patients les plus à risque dans d’autres pathologies. Cette stratification pourrait aboutir à définir un arbre décisionnel diagnostique et thérapeutique en fonction de ces marqueurs. Avec le développement de la biologie embarquée, l’orientation et la stratégie thérapeutique pourraient être affinées dès la phase préhospitalière. La biologie embarquée a prouvé ces dernières années sa grande utilité dans certaines situations de médecine d’urgence préhospitalière. Sa facilité d’emploi en a fait un outil utilisable rapidement par tous les acteurs du SAMU (infirmier, médecin, ambulancier). Son développement dans l’arsenal médical de l’urgentiste doit être encouragé. Cependant, même si les progrès, inévitables dans ce domaine, apporteront de plus en plus d’efficacité dans la recherche du diagnostic ou du pronostic, il faut garder à l’esprit que ces "dosages" ne sont que des "chiffres" et qu’ils ne peuvent remplacer totalement le sentiment du médecin donné, lui, par la clinique. ◆ ◆ ◆ La Revue des SAMU - 2005 - 357