B - La Nouvelle théorie du commerce international Elle s`est

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B - La Nouvelle théorie du commerce international
Elle s’est développée depuis la fin des années 70 sur la base d’une critique de la
théorie traditionnelle, notamment de l’approche par le modèle HOS. La nouvelle théorie
développe une approche complète et formalisée qui cherche à rendre compte des phénomènes
inexplicables par les anciennes théories. Parmi ceux-ci, deux d’entre eux posent un problème
particulier : ce sont, d’une part, le développement des échanges entre les nations les plus
développées dont les dotations factorielles sont proches et, d’autre part, l’importance du
commerce international intra-branche.
1 - L’inadéquation des théories fondées sur les différences internationales de
coûts
Dans les faits, il apparaît que l’essentiel du commerce international est réalisé entre les
nations les plus développées (bien que le commerce se développe avec des nations émergentes
telles l’Inde ou la Chine). Or ces nations développées présentent des caractéristiques qui
rendent peu pertinentes les explications avancées par D. Ricardo ou le modèle HOS. En effet,
d’une part, les techniques de production utilisées dans ces nations ne sont pas très différentes
(et sont même très semblables), d’où une non-pertinence (ou une moindre pertinence) de la
théorie ricardienne et, d’autre part, ces nations présentent des dotations relatives en facteurs
de production très voisines (modèle HOS non fondé).
Par ailleurs, le commerce international intra-branche est également une caractéristique
des échanges actuels, situation incompatible avec les théories précédentes. La possibilité de
commerce croisé pour une même branche entre deux pays a néanmoins été évoquée par B.
Ohlin en 1933 (mais à l’époque, on n’y prête pas attention). Ce n’est qu’avec le
développement du commerce intra-communautaire européen consécutif à l’union douanière
européenne que cette idée a connu une nouvelle actualité.
B. Balassa en proposera en 1966 une mesure en recourant à un indicateur simple :
Bi = (Xi – Mi) /(Xi + Mi), avec Xi, les exportations de la branche i et Mi, les
importations de la branche i. Si Bi = 1, la branche est uniquement exportatrice ; si Bi = -1, elle
est uniquement importatrice. Si -0,33<=Bi<=+0,33, il existe un commerce intra-branche. M.
Rainelli souligne que globalement, on peut considérer que plus de la moitié du commerce
entre les pays industrialisés relève d’un échange intra-branche (avec une part croissante dans
le temps). Or les théories traditionnelles ne peuvent expliquer de tels flux commerciaux parce
qu’elles supposent que les biens produits et échangés sont homogènes. Cela dit, l’analyse de
l’échange intra-branche va être affinée progressivement et en dernière date (voir plus loin), la
distinction entre échange intra-branche vertical et échange intra-branche horizontal modifiera
les conclusions habituelles sur ce type d’échanges.
2 - Les fondements de la nouvelle approche
La théorie traditionnelle de l’échange international s’intéresse aux effets du commerce
international sur les nations en retenant comme hypothèse de base que la concurrence est pure
et parfaite. Dans ce cadre, le libre-échange entraîne un gain pour les nations qui échangent, ce
qui incite au démantèlement des barrières protectionnistes. Cependant, les situations de
concurrence pure et parfaite sont rares: "l’essentiel du commerce industriel est réalisé pour
des produits de secteurs que nous considérons comme des oligopoles lorsque nous les
étudions sous leur aspect domestique" (Krugman, 1989). Dans la majorité des cas, les
marchés sont en situation de concurrence imparfaite (concurrence oligopolistique ou
monopolistique) où le nombre de firmes produisant un bien et agissant sur le marché est
faible. La nouvelle théorie se situera dans ce cadre de concurrence imparfaite.
. L’apparition de cette théorie remonte à la fin des années 70, mais elle s’est surtout
développée dans les années 80. On distingue deux cas de concurrence imparfaite : la
concurrence oligopolistique.qui se traduit par l’apparition de rendements d’échelle croissants
et la concurrence monopolistique qui se caractérise par la différenciation des produits.
a - Echange et rendements d’échelle croissants. La situation de concurrence
oligopolistique fait apparaître des rendements d'échelle croissants et des effets de réseau. Les
économies d’échelle peuvent justifier la spécialisation internationale. Si l’on prend deux pays
semblables en tous points : même niveau technique, même dotation en facteurs, même taille et
avec des consommateurs ayant les mêmes goûts différenciés, etc et si l’on considère deux
biens fabriqués dans les mêmes conditions avec des rendements croissants dans les deux pays,
on peut montrer que malgré la similitude des coûts comparatifs qui ne justifierait aucun
échange entre les deux pays, chaque pays peut trouver avantage à la spécialisation et au
commerce international pour obtenir plus de biens qu’en autarcie. Le commerce international
permet à chaque pays de produire plus efficacement un nombre limité de biens sans sacrifier
la variété des biens consommés. En effet, l’augmentation de la production dans l’un des biens
entraîne des gains de productivité, grâce aux économies d’échelle, et donc crée de ce fait un
-2-
avantage comparatif. Mais celui-ci ne résulte pas de différences initiales entre les deux pays
puisque, par hypothèse, ils étaient parfaitement semblables mais trouve son origine dans la
spécialisation elle-même, recherchée pour exploiter des rendements croissants. Cette
explication est qualifiée de «théorie endogène» de l’échange international, car c’est la
spécialisation qui crée l’avantage comparatif issu de l’exploitation d’économies d’échelle 1.
On peut préciser cette analyse en indiquant qu’elle va considérer, d’une part, le cas des
économies d’échelle internes, et, d’autre part, le cas des économies d’échelle externes à la
firme.
Dans le premier cas, l’abaissement continu des coûts de production avec
l’augmentation de la taille de la firme conduit à la disparition de la concurrence (marchés se
rapprochant de la situation de monopole). La conséquence de ces économies d’échelle sur le
commerce international conduit à l’émergence de situations de monopole contestable (un
marché où la firme installée peut être menacée par un entrant potentiel, ce qui la conduit à
fixer son prix à un niveau égal au coût moyen -comportement correct en matière de prix-). Si
tous les marchés sont des monopoles contestables, la spécialisation internationale est totale :
en effet, chaque bien n’est produit à la limite que par une seule firme et donc dans un seul
pays, une seule zone régionale, etc.
Dans le second cas, les économies d’échelle externes à la firme (mais internes au
secteur) sont compatibles avec le maintien de la concurrence. En effet, le coût unitaire de
production dépend alors de la taille du secteur et non pas de celle d’une firme spécifique.
Donnons un exemple d’une telle situation : la concentration géographique d’une industrie
donnée, telle le cas de la Silicon Valley aux Etats-Unis. La proximité géographique des firmes
favorise la diffusion d’informations entre elles, le développement d’un marché du travail
spécifique au secteur et d’une offre localisée de services, de biens utilisés par toutes les firmes
du secteur. L’existence de telles économies va avantager les nations qui fournissent des
volumes importants de production. Ces économies externes peuvent alors pallier un taux de
salaire plus bas dans une autre nation, nation qui ne pourrait accéder à de telles économies. Il
découle de cette situation deux conséquences importantes :
- la taille du marché intérieur d’un pays peut être un facteur explicatif du commerce
international en présence d’économies d’échelle externes ;
Dans la mesure où la théorie traditionnelle repose sur des rendements d’échelle constants, la spécialisation
internationale ne pourra être déterminée que par de différences internationales des techniques de production
(Ricardo) ou de dotations relatives de facteurs de production (modèle HOS). Rappelons que B. Ohlin considérait
que les avantages de la production à grande échelle pouvaient expliquer certains échanges internationaux mais il
n’a pas approfondi cette analyse.
1
-3-
- la spécialisation internationale résultant des économies d’échelle externes sont
stables (même si les avantages comparatifs se modifient pour telle ou telle entreprise de la
zone).
b - Echange et différenciation du produit.
La théorie traditionnelle repose sur l’hypothèse d’homogénéité des biens : avec
l’exemple de D. Ricardo, le drap produit en Angleterre est identique quel que soit le
producteur national ou étranger, en l’occurrence le Portugal. Mais pour des raisons objectives
ou subjectives, les consommateurs ne considèrent pas comme identiques les produits de deux
firmes appartenant à la même branche. Indiquons que nous sommes en présence d’une
concurrence monopolistique. Selon la théorie de la concurrence monopolistique, la
concurrence entre les entreprises rivales ne se fait pas seulement sur les prix (leur pouvoir de
monopole leur octroie une certaine latitude dans la fixation des prix) mais aussi sur les
produits. Chaque entreprise dispose d’un monopole sur un produit qui n’est pas strictement
identique aux produits des entreprises concurrentes (les produits sont différenciés, par
exemple par des dépenses de publicité). Si on s’intéresse à l’application de cette théorie sur le
commerce international, on remarque que la production d’un nouveau produit n’est limitée
que par la taille du marché. De ce fait, l’ouverture au commerce mondial permet d’accroître
la variété des biens, ce qui permet une meilleure adaptation de l’offre aux demandes
spécifiques des consommateurs. Le commerce international peut donc se réaliser de manière
intra-branche : un pays peut à la fois importer et exporter une même catégorie de produit. Cela
étant, cette différenciation des produits peut donner lieu à un échange intra-branche horizontal
ou à une échange intra-branche vertical.
Dans le premier cas, les produits sont de même qualité mais les consommateurs les
distinguent en raison de différences réelles ou perçues (couleur, forme, dépenses de publicité,
service après vente, etc). Dans le second cas, les consommateurs sont confrontés à des
produits de qualité différente (par exemple, les modèles d’automobiles d’un constructeur). Les
consommateurs à revenus élevés demandent la qualité supérieure alors que ceux à revenus
plus faibles vont se diriger vers la qualité inférieure. C’est en définitive le niveau moyen de
revenu des habitants qui va alors expliquer la spécialisation internationale. L’échange sera
constitué de produits de qualité différente.
Prenons l’exemple du développement de l’échange intra-branche de la Communauté
européenne. La Cee enregistre une intensification des échanges entre Etats membres et un
développement du commerce intra-branche : il s'agit d'échanges croisés de produits similaires
-4-
représentant des flux d'importations et d'exportations de grandeur comparable. Le commerce
peut porter sur des caractéristiques absentes du marché domestique. Dans les échanges
croisés, les flux bilatéraux entre deux pays doivent être distingués des flux multilatéraux entre
un pays et tous les autres: a priori, ce sont les flux bilatéraux qui correspondent véritablement
à la définition d'échanges croisés. Pour évaluer ce type d'échanges, l’indicateur qui a été le
plus utilisé est celui de Grubel-Lloyd : il mesure la part du commerce intra-branche dans le
commerce total d’une branche donnée. Avec n, le nombre de branches étudiées, i, l’indice de
la branche et X et M respectivement les exportations et les importations du pays étudié, le
ratio global de Grubel-Lloyd s'écrit :
Cet indicateur tend vers 1 quand prédominent les échanges intra-branche. Quand il
tend vers 0, le pays considéré importe ou exporte, mais pas les deux à la fois, plusieurs
catégories de produits (échanges inter-branches). Le commerce intra-branche s'est accentué
dans les années qui ont suivi l'instauration du Marché commun, tendance confirmée jusqu'à la
fin des années 70. Cependant, même si l'influence de l'intégration économique est explicative
de cette évolution, déjà en 1958 ce commerce représentait une part significative des échanges
des premiers pays membres de la Cee. L'intégration est donc un facteur partiellement
explicatif du développement du commerce intra-branche. La proximité géographique et le
caractère comparable des demandes nationales ont favorisé le développement de ce type de
commerce. Sur la période 1961 - 1985, les tests de F. Mazerolle et J.-L. Mucchielli sur le
commerce extérieur des pays développés indiquent une forte présence du commerce intrabranche dans leurs échanges de biens manufacturés. Cependant, la progression de ce type de
commerce dans les pays européens s'est ralentie sensiblement au cours des quinze dernières
années (haut niveau déjà atteint par ce type d'échanges et plafonnement de l'intégration
commerciale). En 1997, L. Fontagné, M. Freudenberg et N. Péridy distinguent trois types de
flux commerciaux dans l'étude du lien entre l'intégration économique européenne et le
développement du commerce intra-zone. Ils utilisent deux critères :
- un critère de similarité reposant sur la valeur unitaire (prix par tonne de produit) des
produits de même nomenclature faisant l'objet d'un échange. Deux produits sont définis
comme similaires (ou différenciés horizontalement) si les rapports des valeurs unitaires des
importations et exportations diffèrent de moins de 15%. Ces produits n'ont pas de
-5-
caractéristiques techniques et qualitatives différentes, les biens se distinguant par leur
conditionnement et leur adaptation aux goûts des consommateurs.
- un critère de croisement des échanges : un flux commercial est bi - directionnel si le
flux minoritaire (le moins élevé) représente au moins 10% du flux majoritaire (le plus
important). Dans le cas contraire, l'échange se fait dans un seul sens et peut être assimilé à un
échange inter - branches.
Trois types d'échanges sont possibles : un échange de produits similaires, différenciés
horizontalement, satisfaisant aux deux critères de similarité et de croisement ; un échange "à
double sens" de produits différenciés verticalement par leurs qualités et leurs caractéristiques
techniques qui satisfait au
critère de croisement des échanges mais pas au critère de
similarité; un échange "dans un seul sens" ou univoque (échanges inter - branches) qui ne
satisfait pas au critère de croisement des échanges. Les biens différenciés horizontalement
échangés entre deux pays sont produits à l'aide de technologies identiques : leur fonction de
production est la même dans les deux pays. A contrario, l'échange de produits différenciés
verticalement provient de branches utilisant des techniques différentes. Un produit de qualité
supérieure, dont la fabrication requiert une technologie avancée, nécessitera par exemple un
volume relativement élevé de recherche - développement et de main-d'œuvre qualifiée. Ce
type d'échange s'effectuera entre des pays de niveau de développement inégal. L'échange inter
- branche va concerner des pays très différents quant à leur niveau de développement
technologique et leur dotation factorielle. Il est important de noter l'existence d'un coût
d'ajustement dans le développement du commerce de produits différenciés verticalement en
raison de l'apparition d'une spécialisation (produits de haut de gamme, de moyenne gamme,
de bas de gamme).
Les tests empiriques montrent que le commerce inter - branches a sensiblement
régressé en passant de 47% en 1980 à 38% en 1995. C'est le commerce intra-branche de
produits différenciés verticalement qui a le plus augmenté en passant de 35% à 42% du total.
Quant au commerce intra-branche de produits différenciés horizontalement, il progresse
relativement peu, de 18% à 20 % du total des échanges intra - européens. Le commerce intra branche s'est développé avec le Marché unique et, parmi les nouveaux entrants, l'Espagne et le
Portugal ont fortement enregistré l'expansion de ce type de commerce (essentiellement de
type vertical) mais pas la Grèce. Le commerce intra - branche de produits différenciés
horizontalement est surtout intense entre les pays dont les niveaux de développement et les
performances technologiques sont les plus proches : l'Allemagne, la France, la Belgique et les
Pays-Bas. Le commerce de produits différenciés verticalement est celui qui a crû le plus
-6-
rapidement. Il est prépondérant dans les échanges des pays du Nord (y compris la France)
alors que dans les pays d'Europe du Sud, le commerce inter - branches prédomine. L'étude de
l'échange des produits selon leur qualité confirme le contraste très net entre le modèle
commercial des pays du Nord (y compris la France) et celui des pays méditerranéens. Ces
derniers échangent dans leur commerce intra - branche avec les pays européens des produits
de qualité relativement faible (fréquemment liés aux ressources naturelles ou de
consommation courante) avec des techniques moins avancées et une main-d'œuvre moins
qualifiée. De plus, leurs échanges sont principalement inter- branches. La conséquence est
importante pour l'union monétaire : il existe un risque accru de chocs asymétriques dans les
pays du Sud de l'Union européenne alors que les instruments budgétaires pour les traiter font
défaut. Ces pays sont beaucoup plus sensibles à la concurrence des pays à bas coûts salariaux
et défendent des positions différentes en matière de politique commerciale internationale, ce
qui ne facilite pas une solution européenne de leurs difficultés.
Remarque : le libre-échange : un paradigme en situation d’inconfort
Trois points sont à souligner à propos de l’article d’H. Bourguinat :
1 - En ce qui concerne les coûts comparatifs dans une économie globalisée.
L’hypothèse d’immobilité internationale des facteurs de production apparaît de moins en
moins pertinente en raison de la mobilité internationale grandissante du travail, notamment
qualifié, du capital et de la technologie. Avec la globalisation, les Etats-nations traditionnels
disparaissent (ils ont de moins en moins des frontières économiques ; seules demeurent des
frontières administratives). De ce fait,, dans une économie-monde, le modèle ricardien
apparaît moins adapté à rendre compte de l’échange international. En réalité, c’est le moindre
coût au niveau global (coût absolu smithien) qui sera recherché.
2 - L’acte II de Samuelson montre que, même si l’analyse en termes de coûts
comparatifs garde une certaine pertinence, dans un monde où délocalisations et transferts de
technologie se développent, le gain de deux pays A et B produisant deux biens à l’échange
n’est plus certain, en particulier dans le cas suivant : s’il survient un gain de productivité du
pays A dans le bien que ce pays importe en provenance du pays B2 tel qu’il soit suffisant pour
égaliser le ratio des coûts relatifs entre le pays A et le pays B. Dans ce cas, le pays B n’a plus
de gain à l’échange. Le commerce apparaît alors désavantageux.
On suppose qu’il existe au départ une situation de spécialisation selon les avantages comparatifs ricardiens : le
pays A importe par exemple du bien Y en provenance du pays B qui, lui, importe du bien X en provenance du
pays A.
2
-7-
3 - En ce qui concerne le renfort ambigu de la « nouvelle théorie de l’échange
international », on peut noter que la différenciation des produits n’est pas sans fin et à la
limite, elle conduira à de situations de concurrence entre les produits différenciés (en raison
des transferts rapides de technologie). La montée en gamme continue n’est sans doute pas la
solution aux problèmes du sous-emploi dans les pays développés confrontés à une nouvelle
géographie des économies d’échelle (déterritorialisation des activités industrielles,
notamment dans la zone asiatique). Même si «la maîtrise de parties les plus élaborées des
produits-systèmes et de la recherche resteraient aux pays actuellement leaders » (hypothèse
néanmoins discutable), la nouvelle situation créée par ce basculement de la géographie des
spécialisations industrielles aboutira à des créations d’emplois insuffisantes dans les pays
développés. Cela étant, l’exploitation d’économies d’échelle distantes bénéficie à la maind’œuvre employée et aux détenteurs de capitaux réels et monétaires qui investissent dans ces
zones émergentes.
Au total, aucune des explications relevant des théories traditionnelles ou nouvelles ne
peut expliquer la totalité des échanges internationaux (même si un certain nombre
d’économistes -J. Finger aux Etats-Unis- ne considèrent que la théorie ricardienne des coûts
comparatifs pour expliquer tout type d’échanges). De façon générale, alors que la théorie
traditionnelle ambitionne de fournir un modèle explicatif général du commerce international,
la tendance à l’heure actuelle est de considérer qu’il existe des explications particulières,
pertinentes pour tel ou tel type d’échanges, selon les différences de développement des pays
échangistes, les particularités des processus de production ou encore le degré de
différenciation des produits faisant l’objet du commerce international. Un faisceau
d’explications est donc proposé, ce qui, il faut bien en convenir, n’aide pas à faciliter la
compréhension de l’échange international.
Section 2 - Les politiques commerciales
Pour isoler l’activité nationale des effets de la concurrence étrangère, l’Etat va mettre
en œuvre des politiques commerciales (instauration de droits de douane, de contingents, de
subventions, de normes, etc). L’impact de telles mesures sur le bien-être du pays protégé
dépend de sa taille et du degré de protection. Bien qu’a priori, le libre-échange apparaisse
comme le système optimal, le protectionnisme est largement utilisé, surtout dans les périodes
de crise et de mutation. Depuis le 1er choc pétrolier (1973), les efforts en faveur du
-8-
libéralisme (GATT puis OMC) se heurtent à un maintien des politiques commerciales
nationales. Mais à la solution du repli national, la voie de l’intégration régionale (zones de
libre-échange ou union douanières) est préférée pour se protéger dans une certaine mesure de
la concurrence des pays tiers.
On classe les instruments protectionnistes en deux grandes catégories : les droits de
douane et les nouveaux instruments protectionnistes (ou instruments non tarifaires). Cette
dernière catégorie regroupe tous les instruments en principe interdits par les accords
internationaux mais tolérés sinon acceptés dans les faits. Depuis sa création, l’un des objectifs
prioritaires de l’OMC a été de marginaliser le rôle des instruments non tarifaires en
interdisant leur utilisation dans de nouveaux accords et en demandant aux Etats membres la
transformation de ceux déjà existant en leur équivalent tarifaire.
A - L’analyse économique de la protection
Les pouvoirs publics peuvent limiter les importations de produits étrangers selon
plusieurs modalités (droits de douane, contingentements, normes, licences, marchés publics
réservés à des soumissionnaires nationaux, etc). Même si le droit de douane est moins utilisé
aujourd’hui, son analyse permet de saisir les effets complexes de la protection sur l’activité
nationale et étrangère. Tout d'abord, décrivons les droits de douane. C'est l'outil
protectionniste traditionnel et le mieux contrôlé par les instances internationales. Les
modalités d'application d'un droit de douane sont nombreuses et dépendent de l'objectif
recherché par le législateur. Le droit de douane ad valorem est le prélèvement, lors du
passage à la frontière d'une marchandise, d'un taux fixe en % sur la valeur C.A.F. (coûtassurance-fret) du montant importé. Soit tj le taux ad valorem du droit sur le produit j et Pjm ,
son prix mondial unitaire C.A.F., le prix intérieur du bien importé j, noté Pjd est alors égal à
Pjd = Pjm x(1+tj).
Cette forme de droit de douane est très répandue dans le monde en dépit des
négociations internationales qui ont contribué depuis plus de cinquante ans à une forte
réduction des taux. La particularité du droit de douane ad valorem est d'offrir un niveau de
protection insensible aux variations du prix mondial du produit taxé. Il existe d'autres
modalités de droits de douane. Le droit de douane spécifique est le prélèvement sur la valeur
C.A.F. d'une taxe fixe t' par unité importée. Le prix intérieur du bien importé est alors Pd = Pm
+ t'. Les droits spécifiques sont beaucoup plus rares que les droits ad valorem. Par exemple,
certains jus d'orange sont taxés aux Etats-Unis depuis 1940 d'un droit de 35 cents par gallon.
Contrairement aux droits ad valorem, le niveau de protection offert par cette forme de droit
-9-
de douane varie avec le prix mondial : à la baisse lorsque le prix mondial augmente, à la
hausse lorsque le prix mondial baisse. Le droit de douane compensateur ou antidumping est
un prélèvement sur la valeur C.A.F. d'un montant variable destiné à égaliser le prix des
importations avec un prix objectif (prix seuil). L'Europe a imposé systématiquement de tels
prélèvements compensateurs sur ses importations agricoles jusqu’à l’accord de l’Uruguay
Round de 1994. Le droit compensateur augmente (ou baisse) lorsque le prix mondial baisse
(ou. augmente) La particularité du droit de douane compensateur est de garantir les secteurs
qu'il protège des baisses fortes et rapides des prix mondiaux (situation de l'agriculture), etc.
Droits de douane ad valorem dans 5 pays membres de
l’OMC (droits NPF appliquées en 1998, moyenne simple)
En %
Japon
7,3
EU
4,5
Union eur.
4,7
Inde
29,8
Vénézuela
12 ,4
Denrées alim.
transformées
18,6
15,3
13,9
61,1
18,7
Cuirs et
peaux
20,9
3,5
2,6
15,6
13,3
Textiles et
art. textiles
9,2
10,2
9
37,6
18,7
28,5
8,9
7,9
40
19
Dont
Chaussures et
chapeaux
Source : Base de données TRAINS.
A côté des droits de douane sur les importations existent aussi des droits de douane ou
taxes à l'exportation. La taxation des exportations reste rare dans les pays développés. On la
retrouve davantage dans les pays en développement exportateurs de matières premières, pour
lesquels elle constitue une source de recettes publiques. Les droits de douane constituent la
forme la plus simple et la plus transparente des politiques commerciales parce qu'ils sont
aisément quantifiables et agissent directement sur les prix. Mais depuis quelques décennies, la
plupart des interventions gouvernementales en matière de politique commerciale utilisent
d'autres instruments dont l'action est plus indirecte et plus floue : subsides à l'exportation,
- 10 -
quotas d'importation, restrictions volontaires d'exportation, condition de contenu local, droits
antidumping et compensateurs, protectionnisme par le change, accords sur les prix, etc.
Analysons à partir du graphique ci-dessous, les effets d’un droit de douane dans un
pays A. L’analyse sera conduite sous l’hypothèse du petit pays (pays price taker), en situation
de concurrence pure et parfaite et de rendements constants. De plus, cette analyse est menée
en équilibre partiel, c’est-à-dire en raisonnant uniquement sur le marché d’un bien, le bien j.
Soit DD’, la courbe de demande domestique du bien j et OO’, la courbe d’offre
domestique de ce bien j dans ce pays. On remarque également la courbe d’offre
d’importations de bien j du Reste du monde au prix de libre -échange Pmj (droite parallèle à
l’axe des abscisses). Lorsque le prix du bien j s’établit au niveau du prix mondial Pmj, les
consommateurs domestiques du pays A achètent une quantité OM aux producteurs nationaux,
consomment une quantité ON et la différence MN correspond à des importations de bien j du
Reste du monde pour satisfaire la demande domestique. Avec l’imposition d’un droit de
douane ad valorem tj, le prix domestique du bien j va s’élever et atteindre le niveau P dj, la
quantité offerte par les producteurs nationaux augmente et atteint le niveau OM’,
l’importation diminue et s’établit au niveau M’N’ et la consommation domestique se
contracte et n’atteint plus que le niveau 0N’. La conclusion est désormais la suivante : la
situation des consommateurs s’est détériorée : ils consomment une quantité de bien j plus
faible à un prix plus élevé. En revanche, la situation des producteurs nationaux s’est
améliorée : ils reconquièrent le marché intérieur et vendent davantage à un prix unitaire
supérieur. Un nouvel agent doit être considéré : l’Etat qui va bénéficier de recettes
douanières. L’analyse met donc en évidence une modification des quantités produites,
- 11 -
consommées et importées induite par la variation du prix domestique du bien j. Une analyse
en termes de variation de surplus des agents économiques concernés est nécessaire pour
établir un effet net en termes de bien-être. L’imposition d’un droit de douane tj sur le prix
domestique du bien j conduit à une perte de bien - être : l’effet net est négatif.
Explicitons une telle situation. L’instauration d‘un tarif douanier conduit à une hausse
du prix du bien j : le surplus des consommateurs diminue et celui des producteurs augmente :
la diminution pour les consommateurs correspond aux surfaces a + b +c + d et la hausse pour
les producteurs s’établit à l’aire a. Les droits de douane perçus par l’Etat (aire c) représentent
un transfert entre les consommateurs et l’Etat (surplus de l’Etat). L’impact net du tarif
douanier sur les surplus des agents économiques se traduit par une perte nette de bienêtre égale à la surface a + c - (a + b + c + d), c’est-à-dire l’aire b + d. Plus précisément, le
triangle b représente une perte en termes de distorsion de production (le tarif douanier conduit
le producteur domestique à fournir trop de biens j) et le triangle d représente une perte en
termes de distorsion de consommation (le tarif douanier pousse les consommateurs nationaux
à consommer moins de biens j). C’est sur la base de cette démonstration classique que le
protectionnisme est condamné par les théories traditionnelles : il conduit à une affectation
inefficace des ressources. Cependant, le protectionnisme peut faire apparaître une situation
plus favorable dans le cas où la nation qui se protège est un grand pays, c’est -à-dire un pays
dont la taille est suffisante pour qu’une modification des quantités achetées ait un impact sur
le prix du bien échangé (pays price maker). Supposons que le grand pays prenne une
disposition de protection. Ainsi, l’instauration par ce pays d’un tarif douanier conduit à un
abaissement ders quantités achetées à l’étranger, ce qui va aboutir à la diminution du prix
mondial. Précisons cette situation.
- 12 -
Par rapport à l’analyse précédente (effet d’un droit de douane dans le cas d’un petit
pays), on ne considérera ici que l’offre et la demande d’importations d’un bien k. D0
représente la demande d‘importations du grand pays et S0, l’offre d’importations du Reste du
Monde. En situation de libre-échange, le grand pays importe la quantité Q0 à un prix P0. La
mise en place d’un droit de douane fait passer le prix domestique du bien k du niveau P0 au
niveau P1. Les consommateurs perçoivent alors une nouvelle courbe d’offre représentée par
S1. La quantité d’équilibre se réduit à Q1. Mais contrairement au petit pays, la baisse de la
demande émanant du pays importateur (le grand pays) va provoquer une baisse du prix
mondial. Après la mise en place du droit de douane, le prix mondial du bien importé k
s’établit en P2. Au final, le grand pays a établi un doit de douane de montant P1- P2. En
l’absence de producteurs nationaux, les consommateurs subissent une perte de surplus égale à
l’aire P0P1E1E0, l’Etat enregistre un gain égal à l’aire P2P1E1A. La variation de surplus
collectif est donc égale à l’aire P2P0BA - BE1E0. Cette variation peut être >0 (situation
favorable). Le droit de douane permettant de maximiser cette variation de surplus collectif est
dit «tarif optimal».
De façon générale, c’est sur la base des effets négatifs du protectionnisme que
différents travaux ont été entrepris pour évaluer la perte de bien-être induite par différentes
formes de protection. Ainsi, P. Messerlin a estimé le coût de la protection pour la
- 13 -
Communauté européenne dans les années 90 : le coût global de la protection établie par la
Communauté est de 7 % du PNB global, soit le montant du PNB de l’Espagne.
2 - Les effets d’une structure tarifaire complète : la protection effective
Dans les faits, les producteurs d’un bien sont également concernés par les
droits de douane perçus sur les consommations intermédiaires importées. Ces droits
alourdissent les charges des entreprises et donc atténuent l’effet de la protection dont ils
bénéficient sur le bien final produit. Pour appréhender une telle situation, il sera nécessaire de
faire référence à un concept nouveau : celui de protection effective. Selon H. Grubel, la
théorie de la protection effective est une démarche analytique dont le but est «d’évaluer
comment la structure des droits de douane affecte le processus de production d’un pays en
mettant en évidence les effets de la structure tarifaire sur la valeur ajoutée plutôt que sur le
prix du produit final de l’industrie (ou de la branche) protégée». On appelle taux de protection
effective (ou taux effectif de protection) la variation relative de la valeur ajoutée unitaire (par
euro produit, par exemple) de cette branche lorsque le pays étudié passe du libre-échange à la
protection.
Notons V’j, la valeur ajoutée unitaire de la branche j en situation de protection et Vj,
la valeur ajoutée unitaire de la branche j en situation de libre-échange, alors le taux effectif de
protection de la branche j sera :
gj = V’j - Vj x 100
Vj
Une branche est protégée en termes de protection effective si son taux effectif de
protection est >0. Prenons un exemple : dans un pays A, la branche textile produit du tissu de
coton à un prix unitaire de 100 € en libre-échange à, partir d’importations de coton brut d’une
valeur de 30 € . La valeur ajoutée de libre-échange s’établit à : 100 € – 30 € = 70 €. Si un
droit nominal est appliqué au produit final de 50% et aux importations de coton brut de 10%,
alors la valeur ajoutée en situation de protection sera : 150 € – 33 € = 117 €. Le taux effectif
de protection de la branche textile est alors :
Gtext = 117 – 70 x 100 = 67,1 %
70
Le taux effectif de protection de la branche textile est d’environ 67 % alors que le taux
de protection nominale sur le produit final est de 50%. Le taux effectif de protection dépend
- 14 -
du taux nominal protégeant le bien final produit, des taux nominaux perçus sur les intrants
utilisés et du poids de ces intrants dans la valeur produite.
En pratique, les taux effectifs de protection de branche sont calculés à partir des TES3.
Plus la protection nominale sur les intrants est forte, plus la protection effective est faible.
Elle peut même devenir négative si les droits sur les intrants sont élevés par rapport au droit
sur le bien final (erreur de politique commerciale ou choix délibéré des pouvoirs publics car
la protection douanière est discriminatoire, d’une part, à l’égard des produits identiques en
provenance des pays tiers et, d’autre part, à l’égard des autres branches de l’activité
domestique).
La règle générale est simple : les taux effectifs de protection sont supérieurs aux taux
nominaux dès lors que les droits de douane sur les biens en amont des processus de
production (matières premières, produits semi-finis) sont inférieurs à ceux levés sur les
produits finis (en général, les droits s’élèvent avec le degré d’ouvraison des produits).
Donnons pour terminer cette analyse un tableau de calculs de taux de protection nominaux et
effectifs établi par A. Bouët (Le protectionnisme, analyse économique. Ed. Vuibert, 1998).
Pays
Japon
Etats-Unis
Union européenne
Taux
Taux
Taux
Taux
Taux
Taux
Taux
Branches
nominaux
effectifs
nominaux
effectifs
nominaux
effectifs
Agriculture
14,2
22,6
4,1
8,9
8,1
12,4
Textile
7,5
12,3
10,5
24
9
11,6
Chimie
4,1
8,9
5
13,7
7,7
13,6
B - Libre-échange ou commerce organisé ?
J. M. Keynes écrivait dans National Self-Sufficiency en 1923 : «Je suis de ceux
qui veulent minimiser les imbrications économiques des nations. Les idées, le savoir, l’art,
l’hospitalité et le tourisme : voilà des choses internationales par nature. En revanche, laissons
les biens à leur place chaque fois que cela est raisonnable, commode et possible de les y
Le calcul utilise alors les coefficients techniques de production : ainsi, avec un produit final
j, un intrant i, un droit de douane sur le produit final tj et sur l’intrant ti, la formulation du
taux effectif de protections s‘écrit :
gj = tj – aijti
3
1 – aij
- 15 -
laisser ; notamment confinons la finance au secteur national ». L’argument exprimé ci-dessus
ne plaide donc pas pour un libre-échange intégral. Est-ce pertinent ?
1 - Les avantages comparés du libre-échange et la protection
La première justification historique du protectionnisme trouve une expression
aboutie au XIXème siècle chez Friedrich List en 1841. Sa thèse du protectionnisme éducatif
ou "des industries naissantes" se décline ainsi : les premiers producteurs d'une jeune nation
opèrent avec des coûts supérieurs à ceux des concurrents étrangers déjà installés dans la
production (ces derniers bénéficient d'économies d'échelle, d'effets d'apprentissage, etc). Sans
protection par conséquent, aucune industrie nationale ne pourrait se développer. Il apparaît
donc indispensable de protéger les débuts d'une industrie afin qu'elles puissent exister. La
protection sera transitoire et devra disparaître dès que le volume de la production sera assez
important pour bénéficier d'économies d'échelle et d'une expérience acquise suffisante.
L'argumentaire est couramment accepté et inspire de manière durable les PVD. Le problème
survient quand la protection devient permanente dans l'attente d'une égalisation des
conditions internationales de concurrence.
Le débat a aussi porté sur l'interprétation de l'histoire économique, notamment
en ce qui concerne le lien existant entre les politiques commerciales et les performances
macro-économiques tout au long du XIXème siècle. La question posée, qui a toujours la
même actualité aujourd'hui, est la suivante : le protectionnisme a-t-il un effet positif sur le
taux de croissance ? Sur cette question, les économistes ont des analyses divergentes. P.
Bairoch répond favorablement en prenant en considération dans ses analyses les niveaux de
protection. Il va en conclure que le protectionnisme européen de la fin du XIXème siècle a
favorisé le retour de la croissance économique de longue période. Il indique que la période
1860-1892 qui débute avec le Traité de commerce franco-britannique (époque de libéralisme
européen) coïncide avec celle de la Grande dépression qui démarre en 1873 et se terminera
dans les années 1890. Le choix en faveur du libre-échange par l’Europe continentale serait
alors un mauvais choix. A l’inverse, la période qui débute en 1892 et qui se caractérise par un
retour au protectionnisme en France, un peu après l’Allemagne, va se traduire par un retour
de la croissance économique et une hausse de la croissance économique dans l’Europe
continentale supérieure à celle de la période précédente. Cette question va être étudiée par J.
C. Asselain. Il indique que personne ne nie l’existence d’un ralentissement de la croissance
économique en Europe (et en France en particulier) au cours de la période 1860-1892. Mais
les causes selon lui sont différentes. La dégradation de la situation de l’industrie française à
- 16 -
partir du milieu des années 1870 est à relier à un ensemble de facteurs au sein desquels la
politique douanière joue un rôle faible. En effet, le traité de 1860 ne doit pas être considéré
comme un coup d’Etat commercial puisque le taux moyen de protection passe de 21 % à 11%
entre la période 1827-1836 et la période 1857-1859, puis à 5 % en 1861. La France n’est donc
pas passée brusquement d’une économie fermée au libre-échange. J. C. Asselain souligne
alors que certes les producteurs de blé français ont été lésés par la concurrence étrangère mais
l’industrie reste solide et n’est pas surclassée par l’industrie britannique. De plus, la
« désindustrialisation » relative de la France ne peut être imputée à la seule déprotection
douanière. En effet, la défaite de 1871 (perte du textile alsacien et de la sidérurgie lorraine), la
crise du phylloxera, le retour précoce à la protection de certains partenaires européens et
surtout, la baisse des coûts de transport maritime qui rend les importations plus
concurrentielles jouent un rôle plus significatif dans les difficultés économiques de la France.
Symétriquement, la reprise économique française qui s’amorce dans les années 1890 n’est pas
uniquement liée à la tarification douanière de 1892 mais à l’influence d’autres facteurs, en
particulier l’apparition d’industries nouvelles (constructions électriques, chimie puis
automobile et aéronautique) et à l’augmentation du revenu qui stimule la demande
domestique de produits manufacturés. En revanche, les nouvelles barrières de 1892 sur les
produits agricoles ne se traduisent pas par une reprise de l’activité agricole. Celle-ci restera
incertaine jusqu’en 1914, même si le revenu agricole connaît une évolution plus favorable
que dans les années 1870 et 1880.
P. Messerlin reprendra cette question en rapprochant les taux de croissance des
économies nationales et les évolutions de la protection. Il analysera le Traité de commerce
franco-britannique en termes d’évolution de la protection effective des activités. Il indiquera
que cette période se caractérise moins par un rapprochement des conditions commerciales du
libre-échange que par une distorsion de l’échelle des taux effectifs de protection. Ainsi, le
ralentissement de la croissance économique en France peut être expliqué par une déprotection
d’activités qui étaient jusqu’alors protégées (produits finals) et une protection plus élevée
d’activités qui ne l’étaient pas dans la période antérieure d’avant le Traité de commerce
franco-britannique (produits intermédiaires ou demi-produits). Plus généralement, P.
Messerlin montre que les périodes de libéralisation des échanges s’accompagnent d’un
accroissement du PNB dans le cas de l’Allemagne, des Etats-Unis, de la France et du
Royaume-Uni du XIXème au XXème siècle. Le cas de la Russie au XIXème siècle est
singulier puisque ce pays connaît une croissance économique forte malgré un protectionnisme
élevé voire prohibitif (cas de la sidérurgie) dans un contexte économique d’industrialisation
- 17 -
rapide. Dans ce cas, les firmes étrangères sont venues s’implanter en Russie pour produire
localement les produits qu’elles ne pouvaient pas exporter en raison de l’importance de la
protection douanière (argument des tariff factories).
Comment comprendre alors l’utilisation du protectionnisme si les effets positifs
n’existent pas de manière générale ? Deux arguments sont avancés auxquels les pouvoirs
publics répondent le plus souvent favorablement :
- l’argument dit des groupes sociaux particuliers ;
- l’argument de la concurrence déloyale.
Le premier argument traduit le fait que le lobbying des groupes d’intérêt particuliers
est suffisamment intense pour entraîner l’adhésion d’un pouvoir politique, soucieux d’assurer
sa réélection. Ainsi, aux Etats-Unis, le lobbying en faveur de la construction automobile. Il
est le fait des syndicats de l’automobile qui apportent aux hommes politiques leurs soutiens, y
compris financiers lors des campagnes électorales. Ces derniers sont également influencés par
l’importance de la main-d’œuvre employée dans cette activité (dans les Etats où le secteur
automobile est implanté). L’argument relatif au maintien de prix artificiellement élevés (du
fait de la protection) pour les automobiles américaines n’a que peu d’impact sur les décideurs.
En résumé, le lobbying de producteurs concentrés géographiquement est plus efficace que
l’inaction relative des consommateurs répartis également sur le territoire national et assez peu
sensibles à la perte infligée par le protectionnisme sectoriel.
Le second argument est celui avancé par les pouvoirs publics de concurrence déloyale.
Est-elle fondée ? Le dumping est-il avéré ?
Considérons la situation suivante : le
développement d’une industrie nationale qui conduit un gouvernement étranger à favoriser les
producteurs d’un ou plusieurs secteurs par des subventions. Les firmes concernées peuvent
ainsi vendre leurs produits à l’étranger à un prix inférieur au coût de production qui aurait été
obtenu sans intervention de l’Etat (il apparaît une diminution artificielle des coûts). Dans les
faits, ce type de situation est difficile à vérifier. En cas de dumping, le prix de vente à
l’étranger est inférieur au coût de production du pays d’origine et au prix pratiqué sur son
marché domestique. Les producteurs étrangers peuvent alors ne pas résister à une telle
importation concurrentielle (sauf s’il existe un dispositif anti-dumping pour protéger le
marché domestique). Mais toute vente de produits étrangers à un prix inférieur à celui des
firmes nationales ne présente pas une situation de dumping. Comment alors prendre en
considération les doléances syndicales ou patronales des pays développés à propos
d’importations à bas prix en provenance de pays en développement caractérisés notamment
par la faiblesse de leurs salaires et l’inexistence de prestations sociales ? Le dumping
- 18 -
n’apparaît pas et cela revient à refuser le principe des avantages comparatifs pour insister sur
les coûts absolus considérés alors comme déloyaux.
Au final, il apparaît que le protectionnisme intégral (situation d'autarcie) est néfaste à
la croissance et au développement économique. Il est vraisemblable que les situations
d'ouverture maîtrisée à l'échange international voire de libre-échange régulé créent de
meilleures conditions de croissance économique potentielle.
2 - Le renouveau des thèses protectionnistes
Ce renouveau est originaire des Etats-Unis et est lié à la position de ce pays dans les
échanges internationaux. P. R. Krugman souligne cependant la nécessité d’une légitimation
théorique pour présenter une demande d’intervention des pouvoirs publics en faveur des
groupes d’intérêt. Or, celle-ci n’apparaît pas de façon indiscutable. Cela étant, cette
légitimation pourrait venir d’une nouvelle base théorique (ou théorico-empirique) s’appuyant
sur les effets négatifs du libre-échange, thèse notamment avancée par J. Culbertson. Ces
effets négatifs proviendraient de trois distorsions principales :
- des conditions inégales de concurrence induites par des règles édictées par les
gouvernements des nations pour se protéger (subventions, normes, contrôle des changes, etc).
Il s’agit le plus fréquemment de barrières non tarifaires qui faussent le jeu d’un libre-échange
qui dans les fait n’existeraient donc pas.
- la concurrence salariale internationale ;
- la rupture entre l’offre et la demande américaines induite par le fait que des parts
importantes du marché domestique sont occupées par des fournisseurs étrangers.
Cette nouvelle approche s’appuie sur l’abandon du principe ricardien des avantages
comparatifs. Selon P. R. Krugman, trois raisons expliquent le changement d’attitude aux
Etats-Unis envers la politique commerciale :
- le recul de la position relative des Etats-Unis dans la production domestique
(croissance de la part des importations) ;
- le changement de nature du commerce international avec un rôle accru de la
Recherche - développement ;
- l’importance des structures de concurrence imparfaite (structures monopolistiques et
oligopolistiques) dans le commerce international (industries aéronautiques, informatiques,
etc).
- 19 -
Cela étant, l’argumentation développée ci-dessus, notamment autour de J. Culbertson,
n’est pas suffisante pour constituer une légitimation théorique de la protection : celle-ci reste
donc encore à établir.
ANNEXE - Remarques sur les subventions à la production et à l'exportation et les restrictions
volontaires aux exportations.
- les subventions à la production et à l'exportation
La subvention est une aide financière étatique à une industrie destinée à accroître sa
production locale (subvention à la production) ou à favoriser ses exportations en vendant à
l'étranger à un prix inférieur au prix national (subvention à l'exportation). Comme pour les
droits de douane, la subvention peut être ad valorem (% sur la valeur unitaire produite ou
exportée au prix F.A.B., à l'intérieur de la frontière), spécifique (montant en valeur par unité
produite ou exportée) ou compensatrice (montant variable égal à la différence entre le prix
objectif et le prix mondial). Contrairement aux droits de douane, acceptés et réglementés par
les accords du GATT et par l'OMC, les subventions sont jugées plus dangereuses et beaucoup
moins tolérées. Les subventions à l'exportation sont assimilées à du dumping (vente à perte)
et sont interdites par l'OMC. Les subventions à la production ont longtemps été négligées
dans les accords internationaux, parce que considérées comme des mesures de politique
intérieure. A partir du Tokyo Round (1973-79), un code des subventions a été établi.
Actuellement l'OMC juge que toute intervention publique qui procure un avantage à son
bénéficiaire est assimilable à une subvention et peut autoriser les pays pénalisés à instaurer
des droits de douane compensatoires. Les effets sur les prix d'une subvention à l'exportation
sont exactement inverses de ceux d'un droit de douane.
- les restrictions volontaires aux exportations (RVE)
Les restrictions volontaires aux exportations (RVE) ou accords d'autolimitation sont
un quota sur les importations administré par le pays exportateur au lieu de l'être par le pays
importateur. Ces restrictions sont généralement imposées sous la pression du pays
importateur (ce qui suppose qu'il dispose d'un poids économique suffisant pour pouvoir
négocier) et le pays exportateur y consent pour éviter d'autres formes de restrictions, ce qui
pourrait conduire à une guerre commerciale. D'un point de vue économique, leurs effets sont
exactement semblables à ceux des quotas d'importation dont les licences sont allouées à des
gouvernements étrangers. Les restrictions volontaires se révèlent dès lors plus coûteuses pour
le pays importateur qu'un droit de douane qui limiterait les importations du même montant.
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Les RVE n’étaient pas réglementées par le GATT. De plus, leur statut de traité commercial
négocié leur permettait d'échapper à l'interdiction par le GATT des restrictions quantitatives,
dans la mesure où ces restrictions sont fondées sur une relation contractuelle tacite entre
gouvernements et restent "opaques". Ce vide juridique explique qu'elles se sont multipliées au
cours des années 1980-90. Elles ont surtout été utilisées par les régions à fort pouvoir de
négociation, les Etats-Unis et la CEE. Citons, à titre d'exemple, l'accord conclu en 1981 entre
les gouvernements américain et japonais destiné à limiter la pénétration des voitures
japonaises sur le marché américain à 1,68 millions de véhicules/an. Cet accord, révisé en
1984-85 (1,85 millions) fut reconduit unilatéralement par le gouvernement japonais pour
éviter des frictions inutiles avec les groupes de pression américains.
§§§
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