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L’ETAT
Alexis Chabot, Cours particulier de culture générale, Ellipses, 2005
I. Qu’est ce que l’Etat ?
A.
L’Etat, puissant et mal-aimé
L’Etat est à la fois un concept central de la science politique et du droit, une
réalité quotidienne, et une notion chargée de valeurs positives et négatives. L’idée de
puissance qui lui est attachée prête à tous les fantasmes.
B.
Première approche : paix, ordre et stabilité
Etat vient du latin stare qui signifie à la fois « se tenir droit » et « demeurer ».
L’Etat est ce qui demeure, ce qui est fait pour demeurer : c’est un principe de
conservation et de permanence. Cf. général de Gaulle : « Il n’y a de France que grâce à
l’Etat » ; principe de continuité de l’Etat.
La froideur (cf Nietzsche « L’Etat est un monstre froid ») est essentielle à l’Etat,
elle le place au-dessus des passions de la société civile, qui elle est caractérisée par le
mouvement. L’Etat est donc une tentative permanente de faire de l’ordre avec du
mouvement. Un Etat rigidifié sera imperméable aux évolutions sociales, en décalage
avec les attentes des « vraies gens ».
C.
L’ordre interne : un pouvoir juridique centralisé
L’Etat est un ensemble d’acteurs d’une grande diversité, ainsi qu’un système
complexe de rapports juridiques. Son caractère monolithique est une fiction
nécessaire. C’est une personne juridique qui possède un pouvoir d’injonction
juridique : il impose les normes de manière unilatérale, il est producteur du droit.
L’Etat moderne est caractérisé par une centralisation du système juridique.
L’Etat garantit l’effectivité et le respect de ses normes, par le biais de la police, la
justice et l’administration pénitentiaire. Cf. Kant, l’Etat est « la réunion d’une
multiplicité d’hommes vivant sous des lois juridiques ».
L’Etat de droit
= Etat producteur du droit & soumis au droit. Cette limitation vise à protéger la
liberté
individuelle.
Pour Platon, les pouvoirs de l’Etat sont illimités, cette vue se prolonge au Moyen-Age.
Mais la Renaissance marque une critique de cette vue et une revendication essentielle
de limitation du pouvoir de l’Etat.
Kant formule la notion d’ « Etat de droit » : celui-ci a pour mission de protéger
le droit, c’est à dire de garantir la liberté. Le bonheur et la recherche du bien ne sont
pas de son ressort.
Ce qui importe pour Kant, c’est de savoir si le pouvoir de l’Etat est arbitraire ou
conforme au concept de droit, ce qui permet de distinguer entre despotisme et
république. Cette dernière requiert le droit de participer à l’élaboration de la loi et le
droit à l’égalité devant la loi.
La séparation des pouvoirs est un principe et mécanisme constitutionnel qui
permet de soumettre l’Etat à sa propre puissance : le pouvoir y arrête le pouvoir.
L’ « autorité judiciaire » notamment, doit être indépendante.
Aujourd’hui, le Conseil Constitutionnel et la multiplication des Autorités
Administratives Indépendantes montrent que ce principe s’impose peu à peu dans
notre pays.
D.
L’ordre international : souveraineté et Etat-nation
L’Etat est l’acteur majeur de la société internationale. Cependant la logique de
souveraineté étatique va à l’encontre de celle du droit international, qui balbutie.
L’absence d’égalité juridique des Etats (cf. « Conseil de Sécurité de l’ONU ») montre
la prédominance du concept de puissance sur celui de droit sur la scène
internationale.
L’Etat au sens du droit international se définit par l’existence d’un territoire,
d’une population et d’un pouvoir juridiquement organisé.
II. Pourquoi l’Etat ?
« Si l’Etat est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »
Paul Valéry, Regards sur le monde actuel
A.
Etat et dépassement de l’état de nature
Il y a une méfiance première à l’égard de l’homme sans Etat, qui renvoie peutêtre à une méfiance quant à la nature humaine elle-même. L’Etat est présenté comme
un agent de pacification par la contrainte.
Il naît d’un pessimisme selon lequel les hommes ne formeraient pas
naturellement une société, mais, au contraire, une lutte permanente de chacun contre
tous, logique qu’on retrouve chez Thomas Hobbes (1588-1679). L’Etat n’est ni bon, ni
mauvais : il est nécessité par les faits, il est le produit et l’instrument de la raison, qui
s’exprime par un contrat entre les citoyens, qui dépassent ainsi leur individualisme
au profit d’une morale publique. L’Etat est ainsi à la fois l’acteur et l’auteur du
pouvoir, une personne artificielle qui a le pouvoir d’agir au nom de tous. Il doit, selon
Hobbes, être assez puissant pour « conformer la volonté de tous ». La puissance
souveraine est centralisatrice, unificatrice et contraignante. L’Etat édicte le légitime
et l’illégitime, le juste et l’injuste.
La contrainte par l’Etat devient ainsi libération par l’Etat. Cf. Kant et les autres
Lumières : la liberté de nature n’est pas la vraie réalité, qui est, elle, garantie par un
contrat social. Rousseau : l’homme est plus libre dans la Cité où il obéit à la loi que
dans la nature où il obéit à ses passions.
B.
Etat et Raison
Hegel (1770-1831) présente l’Etat comme l’incarnation de la raison. Il est le fruit
d’un long processus historique, dominé par la prise de conscience progressive par
l’humanité que son essence est la liberté. A ce moment-là, la fin de l’Histoire est
atteinte.
L’Etat est la forme historique ultime qui permet de réaliser la liberté de
l’humanité. La conception hégélienne est à l’opposé du libéralisme : il divinise et
absolutise l’Etat, dans lequel l’individu trouve sa réalisation. L’Etat est justifié par
quelque chose de plus grand que le simple intérêt de l’ensemble des individus. C’est
une vision holiste.
L’Etat chez Hegel est une sorte d’organisme vivant, ce qui exclut toute
indépendance ou séparation des pouvoirs.
C.
Etat, économie et justice sociale
De fait, l’Etat est aujourd’hui un acteur économique de premier plan, suite à une
intervention croissante au XXe sous l’influence notamment de John Maynard Keynes
(1883-1946). Ce rôle suscite les critiques des libéraux et néo-libéraux tels que
Friedrich Hayek, qui critiquent une direction centralisée de l’économie, en opposition
avec l’individualisme sur lequel repose à leurs yeux la civilisation occidentale. Le
contrôle économique est assimilé à une entreprise totalitaire asservissante.
L’Etat-providence
Son émergence est liée au développement du capitalisme et à l’industrialisation
au cours du XIXe siècle. Il désigne la prise en charge par l’Etat de nouvelles fonctions
touchant au bien-être social. Trois principaux aspects :
- assurance d’une certaine sécurité économique : Sécurité Sociale
- volonté de redistribution
- volonté de fournir une série de services et d’équipements à des coûts
inférieurs à ceux du marché.
Deux références :
- Allemagne de Bismarck et ses assurances sociales
- Naissance du « Welfare State » au Royaume-Uni suite à l’influence de
Keynes et William Beveridge.
En France, c’est le Plan de Sécurité Sociale de 1945 qui réalise ces objectifs. Le
modèle français est doublement original :
- les organismes de Sécurité Sociale sont gérés conjointement par les
syndicats et le patronat, et non des organismes d’Etat.
- L’université du régime général n’a pas été réalisée.
La mise en place de l’Etat-Providence est le symbole d’une confiance de l’Etat
dans sa propre capactié à assurer des taches toujours plus larges. La crise de l’EtatProvidence doit donc aussi se comprendre comme une crise de confiance de la société
vis-à-vis de l’Etat.
III.
Etat et société
A.
Signification et enjeux de l’opposition
Opposition public/privé, intérêt général/particulier, cohésion/atomisation…
Le couple Etat-société s’impose comme un paradigme essentiel de la pensée
politique moderne, en raison de la radicalité des modèles politiques qui peuvent en
être tirés. La démocratie libérale est à la fois un refus :
- de l’absorption de la société par l’Etat (totalitarisme)
- de la dissolution de l’Etat dans la société (anarchisme)
`
La notion clé est alors l’autonomie, on parlera de différenciation ou
d’indifférenciation. En France, la tradition est celle d’un Etat fort. Tocqueville fait
d’ailleurs remarquer que c’est la conception absolutiste de l’Etat qui est la plus grande
continuité entre l’Ancien Régime et la Révolution.
B.
La critique de l’Etat : libéralisme et marxisme
« L’Etat est l’organisation spécifique d’un pouvoir : c’est l’organisation de la
violence destinée à mater une certaine classe »
Lénine, L’Etat et la Révolution
La prétention universelle de l’Etat est remise en cause.
Les libéraux (Constant, Tocqueville, Smith) pensent que l’Etat doit être limité à
ses fonctions essentielles. Selon eux, la fonction pacificatrice de l’Etat peut être
assurée principalement par le libre commerce. Le passage du particulier à l’universel,
de même, ne requiert pas l’Etat, il se fait naturellement (main invisible).
Le marxisme désigne l’Etat comme un faux-semblant, une superstructure en
réalité érigée sur l’infrastructure économique, le mode de production. L’Etat, sous
couvert d’universalité, est en réalité un instrument au service des classes dominantes.
L’Etat est pour le marxisme un problème secondaire, il n’est que la traduction
politique de la domination d’une classe sur une autre.
C.
L’Etat moderne légal-rationnel
Max Weber fournit une constatation à l’opposé de celle de Marx. L’Etat
moderne est autonome. Son existence suppose la fin de toute appropriation privée de
la puissance publique, notamment à travers la fiscalité.
L’Etat utilise le capitalisme dans le but d’établir et de parfaire sa différenciation.
Son but ultime n’est pas de servir une classe, mais d’établir sa propre puissance.
Pour Weber, l’Etat n’est pas un agent parmi d’autres de la vie collective : il
possède le monopole de la violence physique légitime. Sa spécificité ne réside pas
dans ses fins, mais dans ses moyens : c’est le grand apport de la sociologie
wébérienne à l’étude de l’Etat.
D.
Etat totalitaire et la négation de la société
Le totalitarisme incarne tous les fantasmes nés de la crainte de l’Etat.
Les deux critères essentiels qui permettent de le définir sont, dans la lignée des
travaux de Hanna Arendt (Les origines du totalitarisme) et de Raymond Aron
(Démocratie et totalitarisme) :
- Son rapport à la société. L’Etat totalitaire nie l’idée d’autonomie de la
société par rapport à l’Etat. « Pour le fascisme, tout est dans l’Etat » dit
Mussolini. Il devient l’unique acteur légitime, dans tous les domaines.
- L’Etat totalitaire se montre indifférent à l’égard du droit positif : sa
légalité réside dans une idéologie (pureté de la race = loi de la Nature pour les
nazis, schéma d’histoire raisonnée = loi de l’Histoire pour les soviétiques), et
dans elle seule.
IV.
A.
Le pouvoir de l’Etat
Un pouvoir impersonnel
Le pouvoir de l’Etat est un pouvoir institutionnalisé : sa légitimité est légalerationnelle et non pas charismatique ou héréditaire (selon la typologie wébérienne).
Il y a dissociation entre la personne physique des gouvernants et le concept
abstrait de la puissance publique. On retrouvait déjà cette distinction entre le corps
du roi et sa fonction dans la formule « le Roi est mort, vive le Roi ! » prononcée lors
de la mort des rois. C’est cette même distinction qu’on retrouve entre le Roi et la
Couronne dans les monarchies modernes.
L’Etat s’incarne dans des personnes individuelles mais ne se confond pas avec
elles : les gouvernants sont des organes de l’Etat qui n’affectent pas sa continuité. On
peut distinguer 2 temps : le temps de la politique, marqué par la réversibilité des
gouvernants, et le temps de l’Etat, vision au long terme.
B.
Le pouvoir du centre et ses avatars
Le pouvoir de l’Etat est un pouvoir centralisé juridiquement. A ne pas confondre
avec la centralisation administrative qui relève d’un choix d’organisation possible,
pas toujours choisi, en témoigne les Etats fédéraux ou régionaux, dans lesquels une
répartition des compétences est effectuée et où deux ordres juridiques distincts se
superposent, et où cela est prévu par une constitution.
V. L’Etat aujourd’hui
A.
La crise de l’Etat-providence
L’Etat-providence concentre l’essentiel des critiques actuelles contre l’Etat.
Niklas Luhmann insiste sur le décalage croissant entre le princpes de l’Etatprovidence et les effets réels de son action, remettant en cause son principe wébérien
de rationalité. L’Etat-providence souffre d’un problème de légitimation de son action,
comme le souligne Jürgen Habermas.
L’Etat-Providence n’aurait pas réussi à atteindre son ambition de réduction de
l’incertitude. Robert Castel montre que le sentiment d’insécurité sociale croît en
même temps que l’ampleur protections. Le citoyen moderne attend toujours plus de
l’Etat, tout en critiquant son hypertrophie. Robert Castel propose alors de dénoncer
l’inflation du souci d’insécurité, tout en défendant que la propension à être protégé
exprime une nécessité de la condition de l’homme moderne, confronté au
« désenchantement du monde ».
Ces critiques prennent place dans un triple contexte :
- crise financière et fiscale
- émergence de nouvelles questions sociales, comme la pérennité du
système de retraites.
- Interdépendance accrue des économies.
 Renouveau des doctrines libérales.
B.
La crise de l’Etat-nation
La mondialisation met en question l’élément constitutif de la modernité
politique : la centralité voire l’exclusivité reconnue à l’Etat-nation. Sa souveraineté est
précarisée par la mondialisation économique et culturelle, mais aussi par le
développement timide du droit international.
C.
Mondialisation intégration européenne : vers la fin de la
souveraineté étatique ?
Les craintes liées à la mondialisation et à l’intégration démontrent l’attachement
des consciences à l’Etat-nation. Ils apparaissent comme des dangers pour le travail,
mais aussi pour la citoyenneté.
Or la mondialisation est un phénomène qui s’est accentué, mais qui n’est pas
nouveau. La souveraineté de l’Etat n’a jamais été absolue, il n’a jamais été un acteur
unique et parfaitement autonome. La crainte de la mondialisation ne relève pas
seulement d’un constat (échanges, flux, communications) mais aussi d’un discours
idéologique (vanter les valeurs d’échanges et de liberté, ou fustiger la dépossession de
souveraineté de l’Etat et des peuples).
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