Peut-on appliquer le concept de révolution industrielle à l’économie française au XIXe ? On appelle « Révolution industrielle » l’essor général des méthodes industrielles de production (machinisme, parcellisation des tâches, multiplication des fabriques) associé au bouleversement des structures économiques et sociales entre la fin du XVIIIe et la première moitié du XIXe en Europe occidentale. Elle est couramment analysée comme une révolution technique de laquelle tout procède. Elle caractérise le passage, plus ou moins rapide, d’une société traditionnelle précapitaliste à la société industrielle modelée par le mode de production capitaliste dominant. La GB est le pays auquel s’applique le mieux le concept de RI. Pendant longtemps, on a insisté sur les retards et les faiblesses du développement économique français. Entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe, l’économie française, au départ sans écart important avec l’industrie anglaise, décroche face au dynamisme britannique. Dans quelle mesure peut-on appliquer le concept de RI à la France au XIXe ? Ne fautil pas délaisser les schémas pré-établis pour mettre l’accent sur les dynamismes, fussent-ils relatifs, et les spécificités socio-économiques et culturelles du développement français ? Cette question trouve un intérêt aujourd’hui dans les interrogations sur le modèle de développement souhaitable pour les PED : la RI est-elle un passage obligé pour atteindre la croissance ? 1. La France ne présente pas les caractéristiques de la RI : Pas de « take-off » = période brève (10 à 20 ans) au cours de laquelle la croissance économique démarre et s’accélère. À la fin du XVIIIe, la France est très proche de la situation de la GB et pourtant elle ne connaît pas le décollage à cause des troubles de 1789 à 1815 qui présentent une dimension récessive importante. -Taux de croissance global modéré de 1815 à 1914 : environ 2 % -Progressive décélération à partir de 1860 les changements qui se produisent n’ont pas la rapidité, la brutalité que le terme de RI semblerait indiquer. Pourquoi pas de « take-off » en France ? -La F ne connaît pas de pénurie de main-d’œuvre au début du XIXe, qui rendrait les innovations techniques nécessaires. -Pas de pénurie de matières premières qui rendrait nécessaire l’utilisation de nouvelles sources d’énergie. -Pas de marché national unifié : dispersion de la production, douanes intérieures… et paupérisation de la population avec la crise => pas besoin d’innovation pour satisfaire la demande. -Peu de mobilité sociale : société d’ordre, où les offices et la terre conservent tout leur prestige… ce qui n’encourage pas l’initiative privée et l’ambition. -Résistance des agriculteurs à la concentration des terres et à la suppression des communaux, renforcée par la Révolution : vente des biens nationaux =>émiettement de la propriété foncière. Cela freine l’exode rural et donc la formation d’un marché urbain de producteurs et de consommateurs. -Cadre institutionnel peu favorable : résistance des corporations, Etat dirigiste… 2. Un modèle de développement spécifique Une croissance spécifique -L’écart entre France et GB à la fin du XVIIIe ne s’est pas accentué au cours du XIXe. La France et la GB ont des taux de croissance similaires du commerce extérieur et de la production au XIXe. -La France connaît une croissance sans accélération spectaculaire, un processus d’industrialisation étalé sur une très longue période à partir de la fin du XVIIIe, sans discontinuité majeure. Cette croissance est marquée par des phases de grave ralentissement (la France est le pays qui a le plus accusé la « Grande dépression de 1873-96) Spécificités du modèle français : -Poids de l’agriculture et de la paysannerie et résistance de l’agriculture traditionnelle qui freine l’essor de l’industrie -Dualisme marqué et diversité des structures productives :Travail industriel et statut paysan ne sont pas antinomiques : la production industrielle emprunte largement la voie du travail dispersé = domestic system, l’artisanat se maintient tandis que la grande entreprise s’implante par endroits tout en restant une forme minoritaire de production. Ce système se maintient durablement en France et le travail dispersé se développe jusque dans les années 1880. Ce n’est qu’après que l’on s’achemine vers une homogénéisation des structures productives au profit de l’usine. - Spécialisation dans les productions de qualité et de petite série - Emprunte à la fois au modèle libéral anglais et au modèle interventionniste allemand. - Attitude malthusienne des entrepreneurs Conclusion : Les analyses en termes de retard, qui insistent trop sur les échecs ou les incapacités, apparaissent restrictives, privilégient trop une approche quantitative. La France et la GB ont connu des chemins différents mais parallèles jusqu’au XXe. La France a su adopter une spécialisation correspondant au mieux à ses avantages comparatifs, c’est-à-dire au meilleur parti qu’elle pouvait tirer de ses ressources. Par ailleurs, la France a très bien négocié le virage de la seconde RI : les rythmes de croissance de la Belle Epoque anticipent à bien des égards sur ce que l’on peut observer pendant les années folles et même les 30 Glorieuses. Il faut donc se garder d’appliquer à tous les pays un schéma préétabli : il existe une infinité de modèles de développement différents.