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19e session de l'Assemblée Parlementaire Paritaire ACP-UE
Ténérife, Espagne
du 29 mars au 1er avril 2010
DISCOURS
de
M. Luca JAHIER
Président du Comité de suivi ACP-UE
Conseiller du Comité économique et social européen
sur le thème
"Rôle et perspectives de l'économie sociale africaine pour répondre à une crise à multiples
facettes"
31 mars 2010
Fiche CESE 2593/2010 EN-DS/cc
FR
-1-
Excellences,
Messieurs les coprésidents et membres de l'Assemblée parlementaire paritaire,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec grand plaisir que les membres du Comité de suivi ACP-UE du Comité économique et social
européen et moi-même partageons ce moment avec vous, ici à Ténérife, pour aborder le sujet suivant:
quel rôle et quelles perspectives de l'économie sociale africaine pour répondre à une crise à multiples
facettes? Pour certains d'entre vous ce sujet peut paraître assez inhabituel, car il ne relève
généralement pas du domaine de la politique de développement. Cependant, c'est un secteur que
L'Organisation internationale du travail (OIT), l'Organisation des Nations-unies (ONU), la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) lient de plus en plus à l'éradication de la pauvreté.
Par conséquent, il est à mon avis impératif que l'Afrique elle-même ainsi que l'UE reconnaissent la
contribution significative de l'économie sociale au développement de l'Afrique. Qui plus est, il est
crucial que l'UE et les autorités des États africains saisissent l'occasion fournie par des événements
d'importance majeure qui s'annoncent dans les mois à venir, pour intégrer l'économie sociale dans leur
politique de coopération au développement. L'économie sociale peut apporter des solutions locales à
des réalités du continent africain qui posent de multiples problèmes. Mais elle tirerait un profit
indéniable du soutien politique d'organes tels que l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE et c'est
la raison pour laquelle j'évoque cette question avec vous.
La contribution de l'économie sociale au développement de l'Afrique
Afin de comprendre le potentiel que recèle l'économie sociale, permettez-moi d'indiquer que, dès
2002, l'économie sociale dans les États membres, et notamment les coopératives, les mutuelles, les
associations et les entreprises sociales, était à l'origine de 11 millions d'emplois environ. La
contribution importante de ce secteur à l'intégration européenne a été reconnue par le Parlement
européen dans sa résolution de février 2009, pour laquelle Mme Toia était la rapporteuse. Au niveau
mondial, l'OIT a lancé en novembre 2009 un programme et un plan d'action pour la promotion de
l'économie sociale en Afrique.
La déclaration finale de la conférence de l'OIT à Johannesburg a retenu la définition suivante de
l'économie sociale: "L’économie sociale est un concept qui désigne des entreprises et organisations –
en particulier les coopératives, les mutuelles, les associations, les fondations et les entreprises sociales
– qui ont comme spécificité de produire des biens, des services et des connaissances tout en
poursuivant des objectifs à la fois économiques et sociaux et de promotion de la solidarité".
J'ai participé activement à la conférence de l'OIT qui a marqué le lancement de ce programme et je
peux affirmer que l'éventail des acteurs concernés par cette question est très large et inclut les
partenaires sociaux et un nombre important d'institutions et d'organismes publics africains. Au départ,
cette manifestation était censée faire participer les délégués de seulement 15 pays africains, mais
l'intérêt suscité était si grand que finalement le continent entier a été représenté. Je souhaiterais
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-2également indiquer qu'en nommant 2012 "Année internationale des coopératives", l'ONU a reconnu la
contribution de l'économie sociale au développement économique et social.
À mon avis, l'intérêt manifesté par les organismes internationaux pour l'économie sociale est tout à fait
logique, compte tenu du nombre important de secteurs inclus qu'elle inclut tels que l'agriculture, les
banques, l'assurance, les régimes de protection sociale, le commerce de détail, etc. Cet intérêt est
également logique si l'on considère la flexibilité et le caractère innovant hérités par ce secteur et le fait
que dans les pays développés, il a été démontré que les banques et les entreprises coopératives sont
parmi les plus résilientes face à la crise économique actuelle, faisant ainsi de l'économie sociale un des
éléments de solution à la crise mondiale.
En ce qui concerne l'Afrique, l'on s'attend à un regain d'intérêt pour l'économie sociale, compte tenu
que ce secteur reflète vraiment l'économie réelle du continent et qu'il peut être considéré comme son
"troisième pilier", venant compléter les concepts traditionnels des secteurs formel et informel. Dans un
continent où entre 80 et 95% de la population est employée dans l'économie informelle, la population
a recherché des solutions innovantes aux défis sociaux et économiques quotidiens. Par conséquent,
bien qu'elle ait été en grande partie ignorée pendant des décennies, l'économie sociale représente une
part importante de l'activité économique et sociale en Afrique. Par exemple, en Afrique occidentale,
environ 500 mutuelles sont actives, fournissant ainsi à la population des services indispensables de
protection de la santé. D'autres exemples incluent les tontines dans les pays africains de langue
française, les associations de crédit et d'épargne dans l'Afrique anglophone, ou encore des services
funéraires dans de nombreux pays tels que l'Éthiopie et l'Afrique du Sud.
En dernière analyse, l'économie sociale du continent africain a un rôle important à jouer pour
l'éradication de la pauvreté et il y a lieu que les autorités africaines et l'UE la considèrent comme un
soutien. En outre, l'économie sociale a une mission essentielle à remplir en vue de relier l'économie
informelle et formelle par la création d'emplois, le développement des compétences et la cohésion
sociale. Bien que l'emploi formel et le travail décent doivent demeurer des objectifs à long-terme,
l'économie sociale fournit à mon avis l'occasion d'intégrer sans attendre sur le lieu de travail les quatre
conditions du travail décent, à savoir: liberté, équité, sécurité et dignité humaine. Enfin, il convient de
favoriser l'économie sociale en vue d'encourager l'adhésion à ce secteur ainsi que le dialogue social et
civil qui y sont intimement liés.
Solutions pour l'avenir: comment l'UE et les autorités africaines peuvent-elles soutenir l'économie
sociale du continent africain
La question se pose maintenant de savoir quelles modalités permettraient d'intégrer l'économie sociale
dans la coopération au développement de l'UE avec l'Afrique et avec l'ensemble des pays ACP.
Plusieurs propositions concrètes peuvent être formulées à court et moyen terme. Dans un premier
temps, une réorientation de la conception des relations qu'entretient l'UE avec l'Afrique doit être
encouragée, afin que les décideurs politiques et les acteurs du développement aient le réflexe d'inclure
l'économie sociale dans la programmation, la mise en œuvre et le suivi de la coopération au
développement. Le moyen le plus efficace pour garantir une reconnaissance du point de vue
conceptuel du rôle et de la contribution de l'économie sociale au développement de l'Afrique consiste à
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-3promouvoir ce secteur par les partenariats existants de l'UE avec l'Afrique, c'est-à-dire l'Accord de
Cotonou et le Partenariat UE-Afrique.
En ce qui concerne l'Accord de Cotonou, il est bien sûr trop tard pour que la révision de 2010
comprenne de nouvelles dispositions concernant l'économie sociale. Cependant, les Délégations de la
Commission européenne dans les pays africains devraient prendre sans délais des mesures afin
d'inclure rapidement les organisations de l'économie sociale dans la liste des acteurs devant être
recensés, invités aux consultations et impliqués dans la définition des documents de stratégie
nationaux. Par ailleurs, la révision de 2015 de l'Accord devrait fournir l'occasion de reconnaître
explicitement et d'inclure l'économie sociale dans la catégorie des "acteurs non étatiques" qui doivent
être informés, consultés et impliqués dans la mise en œuvre de l'Accord, et qui doivent également
recevoir les moyens de financement et de renforcement des capacités leur permettant de participer
efficacement. À cet effet, il est recommandé de doubler le financement alloué aux acteurs non
étatiques dans les Documents Stratégiques Nationales et Régionales.
En outre, nous sommes d'avis que la réflexion menée sur les relations de l'UE avec les pays ACP pour
l'après 2020, après l'expiration de l'Accord de Cotonou, ne devrait pas uniquement garantir l'inclusion
de mesures institutionnelles destinées aux acteurs non étatiques, semblables à celles de l'accord de
Cotonou, mais devrait également assurer que l'économie sociale soit explicitement intégrée dans cette
catégorie.
Pour ce qui relève du Partenariat UE-Afrique, des liens directs peuvent être établis entre les objectifs
et les actions du 7e partenariat sur 'Les migrations, la mobilité et l'emploi' et ceux poursuivis par
l'économie sociale, notamment en ce qui concerne la création d'emploi, la formalisation progressive de
l'économie informelle et la promotion du travail décent. Dans ce contexte, le 3 e Sommet UE-Afrique
prévu en novembre 2010 et les nouveaux plans d'action qui seront adoptés lors de cet événement
fournissent l'occasion de promouvoir l'économie sociale. Par exemple, le nouveau plan d'action pour
ce partenariat pourrait comprendre:



en tant qu'objectif: la reconnaissance et la promotion de l'économie sociale en tant que
moyen de réduire l'écart entre l'économie formelle et informelle et d'encourager la
création d'emploi;
en tant qu'action principale: consolider les capacités et les compétences des acteurs de
l'économie sociale africaine en développant des cursus de formation dans les
établissements de formation professionnelle et les universités, notamment en gestion;
en tant que deuxième action: faciliter les prêts et les microcrédits pour les acteurs de
l'économie sociale.
Néanmoins, pour permettre à l'économie sociale africaine de contribuer efficacement à l'éradication de
la pauvreté, un environnement propice est nécessaire, notamment un cadre juridique approprié, le
développement des capacités et une mise en réseau des organisations de l'économie sociale africaine et
des structures équivalentes européennes. En ce qui concerne l'environnement juridique, il y a lieu que
l'UE et l'OIT encouragent les autorités africaines à enregistrer les organisations de l'économie sociale
et à adopter les mesures législatives qui permettront une action efficace de ces acteurs. L'UE et les
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-4États membres pourraient partager les meilleures pratiques développées dans les pays d'Europe où
l'économie sociale est la plus active.
Les actions de soutien de l'UE en faveur du renforcement des capacités et de la mise en réseau des
acteurs de l'économie sociale devraient être gérées aux échelons national, régional et continental en
ayant recours à de nombreux instruments et notamment à l'Accord de Cotonou, à la Stratégie de l'UE
pour l'Afrique et au Programme thématique intitulé "Les acteurs non étatiques et les autorités locales
dans le développement". Ces activités pourraient comprendre des mesures de soutien de la
coordination, des campagnes de défense et de dialogue, de l'intégration verticale et horizontale des
organisations de l'économie sociale, de la formation, etc.
Par conséquent, les organisations de l'économie sociale doivent être inclus dans la catégorie des
acteurs non étatiques du Programme thématique précité sur "les acteurs non étatiques et les autorités
locales". De plus, il conviendrait d'augmenter le financement alloué à ce programme thématique au
cours du réexamen des prochaines perspectives financières de l'UE pour la période 2014-2020.
Indépendamment du financement de l'UE, il y a lieu d'encourager et de poursuivre la coordination, le
dialogue, les synergies et les projets concrets de coopération entre les différents secteurs de l'économie
sociale en Europe et en Afrique et notamment avec les organisations du continent africain. Cette
coopération pourrait être soutenue dans le cadre du Rapport européen 2010 sur le développement. On
s'attend à ce que le rapport de cette année aborde le sujet de la cohésion sociale et l'UE pourrait y
intégrer des recommandations sur l'économie sociale et appeler notamment à une coopération NordSud et Sud-Sud entre les acteurs de l'économie sociale.
Premièrement, je crois que la coopération européenne est nécessaire, que ce soit à l'intérieur des
institutions ou entre elles, afin de promouvoir l'économie sociale africaine. Le Parlement européen qui
a déjà adopté une résolution concernant l'impact de l'économie sociale sur l'intégration européenne, est
invité à en adopter une autre sur la contribution de l'économie sociale africaine à l'éradication de la
pauvreté dans le cadre de la Commission du développement et de l'Assemblée parlementaire paritaire
ACP-UE. Par ailleurs, en raison du rôle notable joué par l'économie sociale dans l'économie nationale
belge, il est demandé à la future présidence belge du Conseil de l'Union européenne, prévue au
deuxième semestre de 2010, d'accroître activement la visibilité de l'économie sociale africaine. Enfin,
il est recommandé que la Commission européenne explore des solutions pour inclure l'économie
sociale dans le Partenariat stratégique CE-OIT en matière de développement, qui vise à réduire la
pauvreté, à contribuer à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement et du
programme "Un travail décent pour tous".
Excellences, Mesdames et Messieurs, j'espère avoir réussi dans ce court laps de temps à vous éclairer
tant sur le rôle actuel que sur la possible contribution de l'économie sociale au développement du
continent africain. J'estime que le temps est venu d'apporter une aide à ce secteur charnière de
l'économie africaine et d'en faire un allié des autorités africaines et de l'UE dans le cadre des efforts
qu'ils consentent pour réduire la pauvreté. Bien entendu, l'économie sociale ne peut et ne doit pas
remplacer les responsabilités des autorités nationales pour assurer la protection sociale. Cependant,
des partenariats devraient être établis avec ce secteur crucial et le moment est venu pour que de
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-5nouveaux partenariats apparaissent. Tout comme la révolution industrielle au 19ème siècle a donné un
élan à l'émergence de l'économie sociale en Europe, il est temps désormais de réfléchir à de nouvelles
manières d'envisager les modèles économiques et de développement pour l'Afrique. Les crises
énergétique, alimentaire et financière nous en ont offert l'occasion. Une occasion de sensibiliser
davantage à la contribution actuelle et future de l'économie sociale au développement de l'Afrique.
Une occasion de prôner l'économie sociale comme un modèle de l'activité économique, qui fasse de la
solidarité son principe directeur.
Je souhaiterais maintenant donner la parole à mon collègue M. Kimera, membre actif du Comité de
suivi ACP-UE, qui est également Directeur exécutif du Consumer Education Trust en Ouganda.
Je vous remercie de votre attention.
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