Faut-il donner un sens à la souffrance

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Faut-il donner un sens à la souffrance ?
La philosophie par définition est recherche rationnelle (logique) et raisonnable (sage) du sens des
choses, du monde, du réel. Comment un philosophe peut-il rendre raison de la souffrance,
physique et morale ? Que peut-il dire à celui qui souffre ? Ou bien lui apporter les réponses
rassurantes des religions, ou bien les remèdes de la médecine, ou plutôt comme le dit l'expression
courante "prendre les choses avec philosophie". Les philosophes stoïciens tenaient en effet pour
devise : "Supporte et abstiens-toi" ; plus proche de nous, Sartre déclarait sèchement à ceux qui
osaient l'interroger sur sa cécité dans les dernières années de sa vie : "Vous connaissez le bureau
des réclamations ?" Job, au contraire, adressa de vifs reproches à Dieu et Dieu, dans la Bible, lui
répondit et Job comprit. Mais les Français ne sont-ils pas aujourd'hui les premiers consommateurs
de médicaments au monde : plus "question" de souffrir, plus de réponses mais des remèdes !
Alors quelle attitude adopter ? Le libellé de la question suppose que la souffrance n'a pas de sens,
pas en elle-même du moins, qu'elle est insensée, irrationnelle, absurde. Donc si elle n'en a pas,
soit elle n'a pas à en avoir, soit on peut lui en donner un, elle peut prendre un sens, valable au
moins pour nous ; resterait au philosophe à savoir lequel parmi tous. Or le philosophe se place ici
sur le plan non pas de la possibilité ou d'une étude de cas mais sur celui de la morale, "faut-il",
c'est-à-dire : au nom de quoi ? Pourquoi faudrait-il donner un sens, voire des sens, à la souffrance
? Tout simplement pour rendre la vie supportable, pour fonder la possibilité de vivre et d'assumer
l'échec, l'accident, le deuil, la vieillesse, autant de situations qui portent en elles le reflet et la
menace de ma mort. Mais n'est-ce pas là le rôle consolateur des mythes et des religions alors que
la philosophie par la raison se substitue aux mythes et aux fables, que par elle l'humanité devient
adulte. Toutes les grandes civilisations ont réussi à créer des mythes qui ont aidé à vivre. Qu'en
est-il de la nôtre qui "sacralise" la démystification et la désacralisation au nom de l'objectivité, de la
rationalité, de la scientificité et qui explique tout en réduisant ? "A quoi ça sert d'aller sur la lune,
disait Malraux, si c'est pour s'y suicider ?" Le philosophe ne fuit pas la souffrance parce que,
portant la marque du négatif, elle est au cœur de la vie. Sans la présence du négatif, de l'absurde,
de l'incompréhensible, du "rien", du non-sens que révèle, entre autres expériences humaines,
l'expérience de la souffrance, rien n'aurait de sens, tout nous réussirait toujours. Serait-ce encore
la vie, telle qu'a à la comprendre et surtout à la vivre le philosophe ? La souffrance n'a pas de
sens ; à l'homme de lui en donner un, pour mieux vivre, le but n'étant pas de souffrir en vertu d'un
prétendu dolorisme mais de vivre malgré tout.
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Plan
1) La souffrance n'a pas de sens. Il ne faut pas lui en donner. Elle est un "mal". Elle est toujours à
condamner, à éliminer.
- La science (la médecine) élimine la souffrance physique (anesthésique) et morale
(médicaments de confort, substances pharmacodynamiques). Nous souffrons moins qu'autrefois
et bientôt nous ne devrions plus souffrir du tout. Exemple : on n'enfante plus dans la douleur au
nom d'une malédiction divine. Dès le XVII ème siècle, le philosophe Descartes accordait une place
éminente à la médecine, à côté de la mécanique et de la morale.
2) La souffrance est malgré tout toujours possible et la peur de souffrir (l'attente de la souffrance)
est elle-même une souffrance. "Qui craint de souffrir, il souffre déjà de ce qu'il craint." Montaigne
Mieux vaut donc s'y préparer. Mieux vaut la prendre en charge. Comment ?
a) les sagesses antiques (stoïcisme et épicurisme) et le bouddhisme. Vivre le moins
douloureusement possible. Philosophies de la mesure : ascétisme, détachement.
b) la religion chrétienne : le Christ n'est pas venu - en "Dieu tout-puissant" - abolir la
souffrance mais s'y jeter, "ce paradoxe d'un Dieu mis en croix, d'une incroyable et dernière
cruauté" (Nietzsche). LA phrase de l'apôtre Paul : j'achève par mes souffrances et ma mort ce qui
manque à la passion du Christ. Le chrétien "offre" ses souffrances à la suite et à l'exemple du
Christ.
c) la philosophie moderne : l'existentialisme et le nihilisme contemporain. La tâche de la
philosophie est précisément de comprendre le non-sens et l'absurdité de la souffrance. Le
philosophe n'élimine pas la question ; il la pense dans son ambiguïté pour pénétrer au cœur de la
vie, il la pense comme limite nécessaire, comme non pas contraire à la vie (donc à éliminer à tout
prix) mais comme condition de la vie, comme reflet et menace de la mort, lui le "vivant-mortel"
(Platon)
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