Le système international pendant la guerre froide Vision sous l’angle de l’ordre westphalien, et son rapport à la bipolarité. Pendant la Guerre Froide, le système international repose sur la bipolarité, mais également sur le principe d’ordre westphalien. L’ordre westphalien est tiré des traités de 1648 marquant la fin de la guerre de trente ans, guerre de religions qui finit en partouze généralisée. Ces deux traités de Westphalie font de la France et de la Suède les garants de la paix et du respect des traités. Ils comportent des clauses constitutionnelles et politiques, qui déclarent les Etats souverains, maîtres sur leur territoire. Ils ont également le droit de s’enfiler, ce qui leur permet d’avoir des politiques intérieures et extérieures qui doivent être indépendantes, la France et la Suède se déclarant garantes de la « souveraineté » des autres Etats. Apparition du principe de souveraineté nationale pour organiser les relations internationales, toujours en vigueur aujourd’hui. Ce traité, signé au nom de la chrétienté et non spécifiquement du sado-masochisme ou du protestantisme, marque également le début d’Etats sécularisés souverains sur leur territoire. La bipolarité est le système international tel qu’il fonctionnait durant la Guerre Froide de 1947 à 1989, avec de Etats au centre des relations internationales, comme dans l’ordre westphalien. Le principe d’Etat était en effet fondateur des relations internationales, à partir des principes de souveraineté, territorialité et sécurité. Les relations sont donc bien des relations entre Etats. Il s’agit d’un modèle d’analyse construit après la deuxième guerre mondiale pour fournir des clés de compréhension dans le contexte de guerre froide. Le terme « ordre » décrit une approche globale : Tout effet a une cause, on est dans une organisation systémique inter-étatique. La cohérence des comportements permet de comprendre et rendre compte des comportements. Dans quelle mesure la bipolarité repose-t-elle sur l’ordre westphalien, avec des Etats souverains sur leur territoire ? La fin de la guerre froide signifie-t-elle la fin de l’ordre westphalien basé sur les principes de souveraineté, territorialité et sécurité ? I. L’émergence du principe de territorialité A) Le rapport Etat – Territoire Définition Bernard BADIE qui suce des bites jusqu’a vomir du foutre note que le territoire prend de l’importance avec l’affaiblissement de la féodalité et son principe d’autorité politique non basé sur la notion de territoire. La conversion des allégeances en direction de l’Etat a fait que le territoire est devenu l’espace sur lequel le roi exerce son pouvoir, notamment de protection : c’est la fin d’un ordre politique non territorial. Ce tournant n’a rien de brutal ni d’immédiat, il n’existera vraiment qu’à le fin du XIXe et au début du XXe : il prend trois siècles à se consolider. Pour Claire GANTET, les traités de Westphalie marquent un double tournant : Dans les représentations du pouvoir, de la guerre, de l’Empire Germanique : ces traités sont vus comme des traités de paix, de la fin des déchirures entre Allemands, avec surtout la tolérance religieuse. Il s’agit d’un tournant progressif entre le XIXe et le XXe siècles, accentué après 1933, ces traités étant alors vus comme la cause de l’éclatement du Reich. Dans les relations internationales : les Princes sont reconnus comme souverains, la Paix est déclarée « chrétienne » et non catholique une séparation religion/politique est reconnue, avec un ordre politique non confessionnel. Cela marque une nouvelle perception de l’autorité, détachée du religieux, l’Etat comme espace juridique. Ces changements sont réel mais postérieurs à 1648, qui est plutôt une date symbole. Cette date est importante non tant pour l’Histoire que pour l’explication : l’ordre westphalien est fondé sur les traités de 1648, mais il n’y a pas de virage immédiatement visible. Le système international devient réellement un système de relations entre EtatsNations, de relations concrètes entre Etats. L’allégeance se fait envers l’Etat, qui détermine une communauté ; selon BADIE, « le territoire apparaît comme fondateur de l’ordre politique moderne ». On peut distinguer plusieurs fonctions au territoire à l’époque du système westphalien : Support des communautés politiques, définies par le territoire Marque des compétences de l’Etat, fonction aujourd’hui remise en cause Instrument de contrôle social et politique : monopole de la violence, Etat seul à pouvoir user légalement de la violence. Fondement du droit international, construit par et pour les Etats : principes de souveraineté, sécurité, respect des frontières, non-ingérence… Garantie de l’émancipation des citoyens : l’Etat s’est construit contre les contrôles et allégeances locales Instrument de sécurité : la frontière linéaire abstraite comme limite des autres rôles du territoire B) L’apogée du système territorial C’est seulement au XIXe siècle que la réalisation des principes énoncés en 1648 : le traité de Versailles est l’apogée du principe de territorialité du système Westphalien selon Badie. En effet, il est marqué par la volonté de régler les conflits entre les peuples en définissant des territoires à partir de considérations démographiques, « ethniques », et économiques. L’idée est de faire correspondre les communautés nationales et la construction de l’autorité politique. Aux XIXe et XXe siècles, l’universalisation des principes d’Etat et de tarritorialité s’observent : au XIXe pour l’Europe, et au XXe pour l’Afrique (ou l’Asie) au moment de la décolonisation (avec l’importation du modèle européen). Selon BADIE, cette imposition d’un modèle à des peuples organisés bien plus autour du principe d’échange que de territoire a obligé à la réinvention d’identités, notamment des Peules par exemple ; c’est la même chose qui s’est produite pour les républiques d’Asie Centrale après 1989, créées artificiellement par Staline. de nombreux existent sur ces questions. Cette universalisation rend compte d’une réalité (même artificielle), qui a permis d’assurer le principe de sécurité notamment. II. Les moments symboliques de l’apogée du principe de territorialité sont donc : Le traité de Versailles La décolonisation La bipolarité, pendant laquelle la séparation du monde entier en groupe d’Etats représente l’universalisation du modèle occidental d’Etat L’organisation bipolaire des territoires A) L’équilibre des puissances L’ordre international de la Guerre Froide est fondé sur l’organisation territoriale de l’antagonisme, d’où une relative stabilité des relations internationales. Il s’agit du terme employé à partir de l’organisation des relations internationales entre Etats pour s’entendre contre l’émergence d’une domination : il s’agissait du Concert Européens contre Napoléon. Il s’agissait d’une diplomatie de conférences pour développer un équilibre par interactions d’un tout petit nombre d’acteurs, chefs d’Etats et diplomates. Après la Seconde Guerre Mondiale émerge un nouvel ordre mondial fondé sur un intérêt collectif nouveau : empêcher un conflit nucléaire, avant tout par un nouvel équilibre des puissances. Emerge progressivement une rationalité partagée par les deux blocs : des règles de conduite communes sont tacitement établies, puis concrétisées en partie formalisées avec les accords sur la maîtrise puis la réduction des armements dans les années 60. Raymon ARON théorise l’équilibre des puissances à partir des années 50 en France, qui selon nui vise à « mettre au premier plan le système interétatique ». Selon ces théoriciens du courant réaliste il y a seulement entre Etats des relations de puissance : Aron voit que « le système interétatique (…) n’est pas soumis à un pouvoir central », une instance de contrôle. Les relations entre Etats sont de donc tournées vers le contrôle mutuel, voire la défense ; on est plus ou moins sur une base de chacun pour soi, les Etats recherchent la survie ou la protection, et s’allient donc entre eux, ce qui construit la bipolarité et son équilibre des puissances. Le rapport de la bipolarité à d’autres rapports de puissance à partir de 1947 présente deux caractéristiques : Une logique globale dirige ce système mondial, principe de positionnement imposé à tous les Etats du monde entier pour la première fois (seulement l’Europe jusque la Seconde Guerre Mondiale). Il y a une rationalité commune du conflit abstrait. La dissuasion est due à la logique bipolaire constituée sur une logique de conflit différente d’avant : l’équilibre de la terreur. La Guerre Froide représente donc l’apogée du système interétatique, qui a produit la bipolarité. Selon Pierre GROSSARD, « la Guerre Froide fut un mode de coopération, à la fois tacite et imposé, entre deux Etats en compétition. » B) La bipolarité et la Guerre Froide, produits de la modernité occidentale ? Pierre GROSSER parle d’une « fétichisation du territoire » pendant la Guerre Froide : en effet, la situation stratégique a incité les Etats à accumuler les ressources en tant qu’institutions responsables de la sécurité. Ces ressources sont constituées d’armements, de ressources industrielles, la diplomatie (systèmes d’alliances), et les Etats ont donc mis en place un mode de développement volontariste, avec un rôle plus important que d’habitude pour ces Etats. IL s’agit également d’un moment de construction des identités nationales parallèlement à la construction étatique, pour des identités apparues au XIXe siècle. La Guerre Froide a eu un triple rôle pour la consolidation des Etats : Universalisation du vocabulaire et de la pensée du monde : la grammaire étatique s’internationalise, associant l’indépendance (décolonisation) et construction d’un Etat « moderne ». Triomphe du développementisme des deux côtés : le développement passe par l’industrialisation, favorisée par l’action de l’Etat, « moderne ». Le découpage du monde en Etats se diffuse et devient vraiment intégral sous le contrôle des deux grands notamment (notamment pour la décolonisation). Cette « fétichisation » désigne l’universalisation du principe de territoire, mais également la période d’un « hymne à la rationalisation étatique » comme modèle de l’Etat, de ses interventions, et de sa gestion. Il y a donc une volonté de construire un Etat moderne et modernisateur, sur le modèle de la sécularisation, l’alphabétisation, le développement par l’industrie… Le rôle de l’idéologie est majeur également : la bipolarité est productrice de sens, puisque c’est un conflit idéologique au départ, producteur de grilles de lecture des relations internationales. Quelques moments importants historiquement ont eu lieu pendant la Guerre Froide, marquant des changements majeurs : Les nombreuses guerres, et les conflits. Les décolonisations. La montée en puissance de l’Asie. La Guerre Froide marque en fait un double conflit : le conflit idéologique donne du sens au conflit stratégique ; la concurrence entre les deux superpuissances, l’opposition d’intérêts (dans la théorie réaliste), s’emplissent d’un contenu presque émotionnel grâce aux idéologies. La fin de la Guerre froide marque la fin du conflit stratégique mais aussi idéologique : cela a rendu le monde difficile à lire, la présidence résiduelle des idéologies étant en désaccord avec l’absence de conflits d’intérêts. Comment rendre compte de la fin de la Guerre Froide : Doit-on voir fin du double conflit, ou la fin du rôle majeur de la bipolarité dans les relations internationales ? La fin de la Guerre Froide s’explique à deux niveaux : Un processus stratégique et diplomatique Le produit de changements structurels, sur une temporalité plus longue « L’unification » du monde, processus d’homogénéisation, notamment idéologique, observée à cette époque (démocratie libérale), et ce bien avant les années 80 ou la fin de l’idée révolutionnaire (modération des PC, excès de l’URSS et de la révolution culturelle). L’homogénéisation économique via la globalisation financière et la dérégulation à partir des années 80, avec l’exclusion de l’hémisphère sud. La contestation dans les pays du bloc de l’Est. La redéfinition des territoires s’est faite grâce au développement de relations commerciales, ou la prise de conscience de la relative unité de l’Europe => changement de perception Un changement des représentations s’est opéré avant et surtout après la fin de la Guerre Froide, notamment le besoin de redéfinir la puissance. Cette notion perd de son sens militaire, et est plutôt vue comme la capacité à diffuser des idéologies, un modèle social et culturel, ou à peser sur des négociations. Le système international reste construit sur les principes westphaliens jusqu’à la fin de la Guerre Froide, même s’il y a déjà érosion des principes et structures avant 1989. La fin de la Guerre Froide n’a pas signifié le chaos pour le monde, mais plutôt la déterritorialisation, l’abandon des principes westphaliens ; le système est aujourd’hui beaucoup plus complexe et décentralisé.