Revue Médicale Suisse Revue Médicale Suisse No 25 Ostéoporose et douleur ou l’ostéoporose fait-elle mal ? Article de B. Uebelhart R. Rizzoli La maladie ostéoporose, caractérisée par des altérations quantitatives et qualitatives du squelette conduisant à une fragilité accrue, n’est pas accompagnée d’un syndrome douloureux. Ses conséquences, que constituent les fractures, occasionnent une symptomatologie aiguë, celle de la fracture elle-même, et une symptomatologie chronique à laquelle contribuent les déformations squelettiques, les incongruences articulaires et les mises sous tension musculo-tendineuses. La prise en charge des douleurs comprend des mesures pharmacologiques, physiothérapeutiques et ergothérapeutiques, voire de stabilisation mécanique. Introduction L'ostéoporose est caractérisée par une diminution de la masse osseuse (quantitatif) et une altération de sa micro-architecture (qualitatif) dont les fractures peu ou non traumatiques sont les complications. Si la diminution de la densité osseuse, touchant une proportion croissante de la population avec l'avance en âge, est totalement asymptomatique (c'est «l'épidémie silencieuse») les fractures génèrent des douleurs aiguës puis chroniques. Ces fractures ostéoporotiques (FO) intéressent le squelette axial (fractures vertébrales (FV), côtes, bassin) ou périphérique (poignet, humérus proximal et hanche). Avec l'augmentation de l'espérance de vie, le risque à l'âge de 50 ans de présenter une ou des FO pendant le reste de sa vie est de plus de 45% pour la femme et de 20% pour l'homme. Ainsi, la gestion de la douleur liée aux fractures ainsi que leur répercussion sur la qualité de vie du patient1 vont de plus en plus faire partie intégrante de la prise en charge de l'ostéoporose par le praticien. Fractures non vertébrales Une fracture après simple chute de la hauteur est suspecte d'avoir été favorisée par une fragilité osseuse (une fracture du poignet à 50 ans doit faire évoquer la possibilité d'une ostéoporose). En cas de FO, le choix entre traitement conservateur ou fixation chirurgicale répond aux mêmes critères que pour une fracture purement traumatique sur os sain. Le contrôle de la douleur, en phase aiguë, passe par la réduction du foyer fracturaire et par son immobilisation, complétées par l'utilisation de traitements antalgiques. Enfin, une FO consolide dans les mêmes délais qu'une fracture traumatique. Parfois, la symptomatologie de ces fractures périphériques est moins bruyante, d'installation insidieuse, en relation avec des microtraumatismes répétés, volontiers au niveau des os porteurs, intéressant souvent les métatarsiens. Il s'agit des fractures lentes dont la survenue fait toujours peser la part de responsabilité entre l'intensité du stress mécanique et/ou l'éventuelle fragilité osseuse sousjacente, ainsi révélée. Comparés à des sujets non fracturés, les individus jeunes avec fractures de fatigue ont une densité minérale osseuse plus faible, sans que pour autant il s'agisse d'une ostéoporose. 1 Fractures vertébrales Les FV sont des événements fréquents (20 à 25% des femmes de plus de 50 ans ont au moins une fracture vertébrale),2 prédictifs de la survenue de FO à d'autres sites, récidivants (20% par an). En d'autres termes, en l'absence de traitement, une patiente sur cinq subit une autre FV dans l'année qui suit une première FV. Classiquement les FV ostéoporotiques ont peu de complications neurologiques car le mur postérieur du corps vertébral est respecté. Nombre de FV, évalué entre 30 et 50%, sont cliniquement peu évidentes et évoquées sur une perte de la hauteur par rapport à la taille maximale connue, sur l'installation d'une déformation cyphotique ou révélées par des clichés radiographiques. Par ailleurs, la détection et la prise en charge des FV, même en milieu hospitalier, sont souvent négligées.3 La classification la plus utilisée pour leur analyse est l'évaluation semi-quantitative de Genant 4 (figure 1). Ces FV, même sans clinique tapageuse, sont responsables de la réduction staturale, des déformations rachidiennes, des rachialgies aiguës et/ou chroniques, de la diminution de la mobilité, de toute une série de limitations fonctionnelles conduisant à un isolement progressif par diminution des activités sociales souvent dans un contexte de syndrome dépressif. Douleurs Aiguës Une FV peut se révéler sous la forme d'une rachialgie intense, de survenue brutale, à l'occasion (mais pas toujours !) d'un effort physique. Si la topographie de la douleur est lombaire, un lumbago banal sera volontiers évoqué et le diagnostic de FV restera méconnu en l'absence de clichés radiographiques. Habituellement, l'hyperalgie persiste entre trois et vingt jours. Chroniques Elles sont les conséquences des déformations des corps vertébraux qui perturbent la congruence des facettes articulaires des apophyses épineuses et transverses accélérant les processus dégénératifs et soumettent les muscles du voisinage à des contraintes positionnelles générant douleurs et contractures. Déformations Les déformations liées à l'ostéoporose fracturaire se manifestent de façon prépondérante au niveau du rachis. La survenue de FV répétées conduit d'une part à une réduction significative de la taille et d'autre part à la déformation en cyphose c'est-à-dire «au dos rond» liée à la perte de hauteur préférentielle de la partie antérieure du corps vertébral. En pratique clinique, des FV «indolores» sont suspectées pour une réduction de taille de 3 cm ou plus par rapport à la taille maximale connue. Néanmoins, des discopathies importantes et étagées ou une déformation scoliotique ancienne peuvent aussi être en cause, ou associées ! La cyphose dorsale s'accompagne d'un effacement de lordose lombaire et d'une inconfortable position compensatrice de la tête rejetée en arrière occasionnant de fréquentes cervicalgies (tableau 1). La réduction de hauteur du tronc liée aux FV s'arrête quand les dernières côtes arrivent au contact du bassin à l'origine de contacts très douloureux. La réduction du volume thoracique est à l'origine de syndrome respiratoire restrictif 5 avec fréquentes surinfections des bases, siège d'une hypoventilation. De même les structures digestives, estomac ou intestins, sont comprimées, obligeant à des prises alimentaires de petit volume sous peine de flatulences, de reflux, de difficultés de digestion et de troubles du transit. Enfin, l'hypercyphose semble être aussi un facteur favorisant la survenue de chute.6 2 Limitations physiques Deux études7,8 ont évalué et suivi des femmes âgées de 75 à 82 ans, comparables en terme de comorbidités sauf pour l'existence d'au moins deux FV dans le groupe «patients» par rapport aux contrôles. Les FV étaient associées à une diminution des performances physiques, fonctionnelles et psychosociales avec une dépendance plus marquée pour les activités quotidiennes telles que la toilette ou l'habillage. La diminution des possibilités de mouvements (se pencher, se redresser, prendre un objet en hauteur) retentissant sur les capacités de gérer les tâches ménagères et les soins personnels, va progressivement conduire, de par la perte d'autonomie, à la vie en institution. Répercussions psychiques Les difficultés d'habillage générées par les déformations ainsi que le progressif isolement social des patients ne pouvant plus se déplacer, contribuent à une dévalorisation de soi-même avec dépression réactionnelle. Les traitements de la phase aiguë (tableau 2) Repos Le repos au lit avec prévention des complications thromboemboliques est la première indication en cas de FV symptomatiques. En effet, il n'est pas possible d'obtenir une contention comme pour une fracture périphérique. La douleur peut rester vive, entre quelques jours et jusqu'à deux à trois semaines. Cependant et tout particulièrement chez la personne très âgée, chez qui le risque de déconditionnement à la station debout est rapide, un lever aussi précoce que possible, sous couverture antalgique est à recommander. Traitements physiques locaux Les contractures musculaires satellites peuvent bénéficier de traitements locaux tels que la chaleur (lampes infrarouges), de massages doux et prudents à visée décontracturante. Une mobilisation progressive douce est à envisager dès que la diminution de la douleur le permet. La pharmacologie Les antalgiques sont les traitements de choix. L'orientation vers le paracétamol, la codéine, le tramadol, voire la morphine dépend de l'intensité douloureuse à mesurer en utilisant une échelle analogique de la douleur permettant un suivi. Les AINS peuvent être utilisés pour leurs propriétés antalgiques mais sans négliger aussi leurs effets secondaires chez ces patients âgés. Les relaxants musculaires peuvent être un appoint apprécié mais il faut se méfier de leur effet sédatif avec risque de chute. La calcitonine,9 autrefois utilisée par voie injectable, est disponible sous forme de spray nasal (Miacalcic ®). Si le rôle physiologique de cette hormone n'est pas clairement établi, la substance est néanmoins connue pour son activité antiostéoclastique, d'amplitude modeste et transitoire. C'est pour une action centrale avec augmentation de la synthèse des b-endorphines que la calcitonine s'utilise en phase aiguë des FV. Les doses conseillées sont de 200 à 400 UI par jour pendant une durée de trois à quatre semaines, les effets s'épuisant avec le temps. Les bisphosphonates ont été utilisés par certains pour une possible action antalgique en phase aiguë de FV mais ceci n'est pas validé. 3 Les orthèses ou corset Le but est d'immobiliser la zone fracturée. C'est un appoint utile pour la phase initiale de la mobilisation permettant un lever plus rapide du patient. Cependant son port prolongé est déconseillé car à l'origine d'une amyotrophie des muscles rachidiens susceptible d'entretenir ou de favoriser les troubles statiques et les phénomènes douloureux. Les traitements de la phase chronique (tableau 3) La pharmacologie Les antalgiques sont toujours comme en phase aiguë, les traitements de choix. La calcitonine n'a plus réellement sa place à la fois compte tenu de la diminution de son efficacité et de son coût. Bien entendu, un traitement de fond de l'ostéoporose visant à réduire le risque de nouvelles FV est indispensable. Nombre de médicaments sont déjà à disposition et d'autres le seront à court terme, associant efficacité antifracturaire, simplicité de prise et tolérance acceptable. Thérapies physiques Elles devraient faire partie de la prise en charge systématique des patients qui ont présenté une FV et comportent un programme de mobilisation générale, de remise à la marche, idéalement de mobilisation en piscine d'eau chaude, d'exercices de posture, d'étirements et d'amélioration de la force musculaire de façon adaptée et surveillée.10 L'ergothérapie Son but est d'éliminer de la zone de vie quotidienne, les causes de chutes (tapis), d'essayer d'en prévenir d'autres (système antiglisse dans les douches et baignoires) et d'améliorer l'environnement à domicile (rangements accessibles, escabeaux sécurisés, poignées dans les sanitaires). La vertébroplastie La vertébroplastie percutanée est une technique récente, initialement utilisée pour le traitement de lésions osseuses malignes ou vasculaires. La procédure consiste à injecter un ciment, du méthyl-métacrylate, dans la vertèbre fracturée par voie transcutanée sous contrôle radiographique. Plusieurs études rapportent des séries de patients traités pour des FV ostéoporotiques avec des résultats intéressants en terme de diminution des douleurs et de prise d'antalgiques.11 Une variante est la cyphoplastie, qui consiste, dans un premier temps, à placer un ballonnet dans le corps vertébral, de l'insuffler dans le but de redonner à la vertèbre son volume avant d'injecter le ciment. Malheureusement, aucune de ces études n'est contrôlée et la dureté du ciment polymérisé peut favoriser la survenue de fractures adjacentes.12 Néanmoins le concept est intéressant puisque le pronostic fonctionnel global à moyen et long terme des FV est d'autant meilleur que la phase des douleurs aiguës a été plus courte.13 La disponibilité de nouveaux types de ciment dit thixotrope (plus souples), pourrait réduire le risque de fracture secondaire. Mais cette prise en charge est invasive, non dénuée de risques et les indications précises restent à définir. Conclusion Ainsi, la douleur dans l'ostéoporose est synonyme de complications fracturaires. Si la douleur 4 aiguë est habituellement contrôlée, il est souvent beaucoup plus difficile de gérer les douleurs chroniques d'origine multifactorielle. Il est de ce fait impératif de les prévenir en instaurant des traitements efficaces et de développer des structures multidisciplinaires de prise en charge globale des patients avec fractures ostéoporotiques. Auteur(s) : B. Uebelhart R. Rizzoli Contact de(s) l'auteur(s) : Dr Brigitte Uebelhart et Pr René Rizzoli Service des maladies osseuses Département de réhabilitation et de gériatrie Hôpitaux universitaires de Genève 1211 Genève 14 [email protected] Bibliographie : 1 Lips P, van Schoor NM. Quality of life in patients with osteoporosis. Osteoporos Int 2004 ; (Epub ahead of print). 2 Melton LJ 3rd. Epidemiology of spinal osteoporosis. Spine 1997;22:2S-11S. 3 Casez P, Uebelhart B, Louis-Simonet M, et al. An educational intervention significantly improves the under-recognition of vertebral fractures among general internist residents. Osteoporos Int 2004;15 (Suppl.1):S56. 4 Genant HK, Wu CY, Van Kuijk C, et al. Vertebral fracture assessment using a semiquantitative technique. J Bone Miner Res 1993;8:1137-48. 5 Schlaich C, Minne HW, Bruckner T, et al. Reduced pulmonary function in patients with spinal osteoporotic fractures. Osteoporos Int 1998;8:261-7. 6 Sinaki M, Brey RH, Hughes CA. Balance disorder and increased risk of falls in osteoporosis and kyphosis : Significance of kyphotic posture and muscle strength. Osteoporos Int 2004 ; (Epub ahead of print). 7 * Lyles KW, Gold DT, Shipp KM, et al. Association of osteoporotic vertebral compression fractures with impaired functional status. Am J Med 1993;94:595-601. 8 Galindo-Ciocon D, Ciocon JO, Galindo D. Functional impairment among elderly women with osteoporotic vertebral fractures. Rehabil Nurs 1995;20:79-83. 9 Knopp JA, Diner BM, Blitz M, et al. Calcitonin for treating acute pain of osteoporotic vertebral fractures : A systematic review of randomised, controlled trials. Osteoporos Int 2004 ; (Epub ahead of print). 10 Pfeifer M, Sinaki M, Geusens P, et al. Musculoskeletal rehabilitation in osteoporosis : A review. J Bone Miner Res 2004;19:1208-14. 11 Evans AJ, Jensen ME, Kip KE, et al.Vertebral compression fractures : Pain reduction and improvement in functional mobility after percutaneous polymethylmetacrylate vertebroplasty-retrospective report of 245 cases. Radiology 2003;228:366-72. 12 Donovan MA, Khandji AG, Ethel S. Case report : Multiple adjacent vertebral fractures after kyphoplasty in a patient with steroid-induced osteoporosis. J Bone Miner Res 2004;19:712-3. 13 ** Begerow B, Pfeifer M, Pospeschill M, et al. Time since vertebral fracture : An important variable concerning quality of life in patients with postmenopausal osteoporosis Osteoporos Int 1999;10:26-33. * à lire ** à lire absolument 5