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Résumé et commentaires de Mind : a brief introduction (Searle, 2004)
(à étudier avant d’aborder le point 4.2.2 du chapitre 4, p. 39)
Ce livre est la seule introduction générale que Searle ait écrite sur la philosophie de l’esprit.
Toutefois, la plupart des arguments ont été développés ailleurs, notamment dans The rediscovery of
the mind (1992). Le petit livre Liberté et neurobiologie contient aussi un grand nombre des thèmes
récurrents discutés par Searle. Ce livre d’une grande limpidité, très bref (105 pages en format de
poche et typographie aérée) constitue une excellente introduction à beaucoup de thèmes auxquels je
ferai allusion dans ce qui suit. Voici la table des matières de Mind : a brief introduction :
Introduction: pourquoi j’ai écrit ce livre
1.Une douzaine de problèmes en philosophie de l’esprit
2. le tournant matérialiste
3. Arguments contre le matérialisme
4. La conscience - partie 1: La conscience et le problème esprit-corps
5. La conscience - partie 2: La structure de la conscience en neurobiologie
6. L’intentionnalité
7. La causalité mentale
8. Le libre arbitre
9.L’inconscient et l’explication du comportement
10. La perception
11. Le moi
Epilogue: la philosophie et la vision scientifique du monde
Dans ce qui suit, je résume et je commente l’introduction et les 5 premiers chapitres du livre.
Les chapitres 8 et 11 ne seront pas traités. Les contenus des chapitres 6, 7, 9 et 10 font déjà largement
partie des matières rédigées du chapitre 4 à partir de la page 40.
1. Résumé et commentaires de l’introduction
La thèse de Searle est que la philosophie de l’esprit contemporaine demeure beaucoup trop
tributaire d’une série d’hypothèses qu’il juge erronées sur la manière dont la conscience et d’autres
phénomènes mentaux sont connectés entre eux et avec le reste du monde. Dans les premiers chapitres,
Searle va argumenter contre les conceptions actuelles d’inspiration dualiste (aussi bien le dualisme de
substance que le dualisme de propriétés), matérialiste, physicaliste, computationnaliste et
fonctionnaliste (et quelques autres). Le problème est qu’aucune de ces conceptions ne permet de
2
rendre compte de trois types d’expérience consciente : percevoir une sensation, effectuer une action
intentionnellement et penser à quelque chose.
Le problème esprit-corps. Les objets du monde ont une existence objective. Ils existent
indépendamment du fait que certains organismes peuvent les expérimenter de manière consciente.
Actuellement, nous savons que ces objets sont entièrement constitués des particules décrites par la
physique atomique et qu’aucun vécu qualitatif n’est associé au fait d’être une particule physique,
d’être une montagne, d’être une rose ou d’être une table. Ces faits constituent une invitation à
l’adoption d’une position dualiste : le mental en tant que tel n’est pas physique, le physique en tant
que tel n’est pas mental. Par exemple, on éprouve une légère douleur dans le bras gauche.
Comment l’expérience subjective de cette douleur peut-elle exister dans un monde
entièrement constitué de particules physiques ?
Comment certaines particules physiques qui font partie de la matière cérébrale peuvent-elles
causer une expérience mentale ?
Le problème de la causalité mentale. Comment l’intention de se pincer le bras gauche avec la
main droite peut-elle causer le déplacement des diverses masses corporelles impliquées dans cette
action ?
Le problème de l’intentionnalité de l’esprit. Comment nos pensées peuvent-elles référer à
des objets et des situations de fait dans le monde ? Par exemple, comment peut-on penser à la
situation politique à Pékin ou à Paris ?
Searle termine son introduction en insistant sur deux distinctions qu’il juge très importantes :

Distinction entre les faits du monde qui sont indépendants de l'observateur et ceux qui
sont dépendants ou relatifs à l'observateur

Distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée
Commentaires : Trois caractéristiques de la distinction objectif-subjectif
1. Distinction entre les faits du monde qui sont indépendants de l'observateur et ceux
qui sont dépendants ou relatifs à l'observateur.
- Les forces, les masses, les particules élémentaires, le système solaire, la photosynthèse, ... ne
dépendent pas de nous pour exister. Tous ces éléments existent indépendamment de l'existence d'êtres
doués de conscience et d'intentionnalité.
-
La monnaie, la propriété, le mariage, le gouvernement, le football n'existent qu'en vertu
de notre manière d'envisager, de penser ces notions. Toutes ces notions sont relatives à
l'observateur. Par exemple, une pièce de monnaie n'a de valeur monétaire que parce qu'on
lui attribue cette valeur.
3
- Toutefois, les états mentaux des observateurs qui engendrent des faits dépendant de
l'observateur sont eux-mêmes indépendants de l'observateur.
- Donc, c'est le fait que j'attribue une valeur monétaire à la pièce qui fait qu'elle a cette valeur
monétaire, pas son existence en tant qu'objet physique qui est indépendante de tout
observateur.
- Mais, mon état intentionnel, malgré son caractère personnel et subjectif (du point de vue
épistémologique) est aussi un fait indépendant de l'observateur qui existe dans le monde (du
point de vue ontologique, cf. plus bas).
2. Distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée
Quand il s'agit de l'esprit, il est nécessaire d'effectuer une distinction entre intentionnalité
intrinsèque et intentionnalité dérivée.
- Je connais le chemin pour me rendre de chez moi à mon bureau. Ces informations mentales
sont intrinsèquement intentionnelles. La carte que je vous montre contient aussi ces
informations. Mais le fait que différents symboles puissent référer à des quartiers de la ville et
des rues dérive de l'intentionnalité intrinsèque de l'éditeur de carte et le fait que vous et moi
comprenions cette intentionnalité dérivée dépend de notre intentionnalité intrinsèque.
- Comme la carte, le langage humain dérive aussi son intentionnalité de l'intentionnalité
intrinsèque de l'esprit.
- D'une manière encore plus générale, la distinction ontologie - épistémologie (cf. point 1.1 de
la partie I du cours) doit être continuellement présente à l'esprit quand on lit Searle. Searle
argumente surtout d’un point de vue ontologique, rarement d'un point de vue
épistémologique. Or, la plupart des philosophes des sciences actuels adoptent plutôt un point
de vue épistémologique, souvent de manière implicite.
3. Distinction entre ontologie à la première personne et ontologie à la troisième personne
A la fin du XIX siècle, William James avait, avec raison, insisté sur le caractère
irrémédiablement personnel et subjectif des états mentaux, donc sur ce que l'on peut appeler leur
ontologie à la première personne. Ceci veut dire que nul autre qu'une personne elle-même ne peut
avoir une connaissance détaillée de ses états mentaux. Il s'agit d'une connaissance pour laquelle
chacun d'entre nous est son meilleur expert. On parle aussi de connaissance immédiate, par opposition
à la connaissance qui concerne les objets du monde. Cette connaissance, qu'elle concerne l'individu ou
la science, est médiatisée par l'intermédiaire des organes des sens, d'instruments de mesures, etc. Il
s’agit d’une connaissance objective qui a une ontologie à la troisième personne.
Toutefois, le caractère subjectif des états mentaux au sens épistémologique du terme subjectif
ne doit pas nous faire ignorer que ces états mentaux existent au sens ontologique, au même titre que
4
n'importe quel autre phénomène naturel. Il n'est pas certain que cette distinction ait été comprise par
les behavioristes. Au minimum, on peut sans doute affirmer que c'est parce qu'ils n'étaient pas
conscients de cette distinction qu'ils semblent parfois non seulement douter de la possibilité d'avoir
une science des états mentaux (à cause de difficultés réelles de nature épistémologique), mais même
douter aussi de leur existence au sens ontologique (ce qui est absurde). Ce faisant, ils se sont mis dans
une position comparable à celles des philosophes grecs qui, malgré les apparences, niaient la
possibilité du mouvement. Ce faisant, ils niaient l'existence du phénomène. Un grand progrès a été
accompli quand la physique antique a décidé qu'il fallait que la théorie « préserve» le phénomène.
C'est exactement dans cet état d'esprit-là que Searle dit que le caractère privé et subjectif des états
mentaux n'empêchent pas leur existence. Ils sont non seulement subjectifs du point de vue
épistémologique mais aussi du point de vue ontologique. Donc, ils ont une ontologie à la 1ère
personne. Ceci les rend difficiles à étudier, plus que les objets qui ont une ontologie à la 3ème
personne, mais cela ne veut pas dire qu'ils n'existent pas (cf. plus bas résumé du chapitre 4).
2. Résumé du Chapitre 1 : une douzaine de problèmes en philosophie de l’esprit
Dans l’introduction de ce chapitre Searle souligne que contrairement à ce qui se passe dans
d’autres domaines de la philosophie, il y a sans doute en philosophie de l’esprit une différence
importante entre ce que pense le milieu professionnel des philosophes et ce que pense le profane.
Searle suppose que la plupart des gens dans le monde occidental souscrivent à une forme de dualisme.
La plupart des gens pensent qu’ils ont à la fois un corps et un esprit (ou une âme). Ceci s’oppose à la
position de la plupart des professionnels en philosophie, en sciences cognitives, en neurobiologie et en
intelligence artificielle qui adhèrent à une forme ou une autre de matérialisme. D’où vient cet
rupture ? Essentiellement de l’énorme difficulté de sortir des catégories qui nous ont été léguées par
Descartes. La première partie du chapitre s’intitule « Descartes et autre désastres ». Elle énumère 8
problèmes légués par Descartes. A ceux-là s’ajoutent 4 problèmes plus contemporains.
Remarque 1 sur l’étude de la partie II du cours consacrée à Descartes. Je n’interrogerai
pas sur l’intermède historique des pages 22 à 27. Cependant, ces pages méritent d’être lues
parce qu’elles permettent de comprendre le rôle central de Descartes dans la philosophie
occidentale. En particulier, il est important de souligner que Descartes a été éduqué dans une
optique scolastique qui repose essentiellement sur le modèle aristotélicien. Ceci justifie mon
approche dans ce cours qui consiste à écraser le temps en envisageant une continuité
immédiate entre la philosophie d’Aristote qui date du IVe siècle avant J.C. et le XVII siècle.
Remarque 2 sur l’étude de la partie II du cours consacrée à Descartes J’ai dû cette année
traiter très rapidement de Descartes et mon exposé des pages 28 à 34 du cours est très
insatisfaisant. Vous pouvez laisser tomber la partie sur les passions, pp. 33 et 34. En
5
revanche, le rapport entre la figure 3.1 de la page 32a et le modèle aristotélicien de la figure
1.12 p. 18a est très important. En particulier, la boîte imagination de la figure 1.12 est la
même que la ligne imagination de la figure 3.1. Il s’agit de la phantasia d’Aristote, c’est-àdire des contenus mentaux tels qu’ils sont présentés à la conscience. S’agissant des contenus
mentaux perceptifs, ils sont en grande partie causés par l’interaction entre le cerveau et le
monde physique. Il s’agit des « présentations » (à la conscience, représentation si vous
préférez), c’est-à-dire des contenus mentaux riches en propriétés secondaires qui n’ont pas
d’existence réelle. Ce qui a une existence réelle, ce sont les descriptions abstraites de
l’intellect (= la raison, l’entendement). Les capacités cognitives qui nous permettent
d’extraire ces descriptions abstraites ne dépendent pas de l’expérience sensible. Elles nous
sont données à la conception par une intervention divine. L’intervention divine porte sur trois
catégories de contenus mentaux innés : la connaissance de l’existence de Dieu, la
connaissance de sa propre existence en tant qu’être pensant et les connaissance logicomathématiques. C’est grâce à ces dernières que dans l’intellect, les objets n’existent pas avec
leurs propriétés secondaires mais seulement avec leurs propriétés primaires, c’est-à-dire leur
description en tant qu’objet occupant un certain espace et ayant une certaine forme
descriptible dans les coordonnées cartésiennes. Donc, au-delà du monde perceptif existe un
monde de la raison basé sur des principes logico-mathématiques. Ces principes rationnels
nous permettent de formuler des jugements, c’est-à-dire des énoncés qui peuvent être vrais ou
faux et qui ne reposent pas sur les images perceptives conscientes mais sur leur interprétation
dans l’intellect.
Remarque 3. La physiologie cartésienne est plutôt farfelue en regard de ce que nous
connaissons maintenant. Toutefois, il faut comprendre que la position cartésienne est une
position strictement scientifique sur le plan de l’explication des phénomènes physiques et
biologiques. Ceci veut dire qu’aucune force obscure n’est à l’œuvre dans les explications de
ces deux catégories de phénomènes. La vie s’explique par des phénomènes mécanistes. En
revanche, en ce qui concerne l’esprit, il est nécessaire de postuler un autre type de substance
et d’autres principes explicatifs. On peut qualifier la position de Descartes de dualisme de
substances, par opposition aux formes plus modernes de dualisme qui peuvent être qualifiées
de dualisme de propriétés. Ceci nous ramène à la première partie chapitre 1 de Searle dont
j’adore le titre.
Descartes et autres désastres
Voici le tableau résumé de la conception cartésienne que Searle fournit avant de s’engager
dans la spécification de huit problèmes de philosophie de l’esprit que nous lègue Descartes.
6
Substances
Essence
Propriétés
Esprit
Pensée, conscience
Connaissance directe
Libre
Indivisible
Indestructible
Corps
Extension (dans les
dimensions de l’espace)
Connaissance indirecte
Déterminé
Infiniment divisible
Destructible
3
1. Problème du lien esprit-corps
Cf. plus haut, p. 2 pour l’énoncé de ce problème. Searle souligne que le problème ne se pose
pas de la même manière pour Descartes et pour nous. Descartes ne se demande pas comment le
cerveau peut engendrer de la conscience. Pour lui, la conscience est une substance séparée qui
s’attache au corps. Son problème est de savoir comment des pensées ou des émotions peuvent se
produire dans l’âme en étant causées par des événements qui se produisent dans le corps.
En postulant deux substances dont l’une est étendue dans l’espace et l’autre pas, Descartes se
condamnait à ne jamais pouvoir trouver une solution satisfaisante à leur interaction. Aussi, il
envisageait que l’âme imprègne tout le corps (elle n’est pas comme un pilote dans son navire) mais
ceci aussi est une contradiction. Comment quelque chose de non spatial peut-il s’étendre dans
l’espace du corps.
2. Problème de l’esprit de l’autre
Pour chacun d’entre nous, la seule âme à laquelle on ait un accès direct est la nôtre. Comment
savoir que les autres ont aussi une âme ? La seule solution est d’attribuer une âme à l’autre en se
fondant sur l’analogie entre ses comportements et les nôtres. Mais cette solution n’est pas satisfaisante
parce qu’elle est impossible à vérifier indépendamment (contrairement à une hypothèse scientifique).
3 & 4. Le problème du scepticisme quant à l’existence du monde extérieur et le
problème de la perception
Pour Descartes, les seules choses dont on puisse être certain sont nos propres perceptions,
émotions et pensées. Mais comment savoir si ce que l’on perçoit sont les choses comme elles sont
réellement. Descartes ne pense pas que ce soit possible. Les seules choses que l’on perçoivent
directement sont nos contenus mentaux. Ceci revient à dire que l’on perçoit son expérience visuelle,
que cette expérience est causée par l’objet, mais qu’on ne peut jamais savoir comment l’objet est
réellement.
Searle considère ceci comme le plus grand désastre en philosophie durant ces 4 derniers
siècles. Il adopte lui-même une position réaliste (cf. 2ème position par défaut p. 29 de la partie 1 du
cours). Il argumente pour cette position dans le chapitre 10 mais nous n’aurons pas le temps de traiter
7
ce problème très complexe. Sachez cependant que la plupart des philosophes même contemporains ne
croient pas qu’on ait une perception directe des objets tels qu’ils sont réellement dans le monde.
La solution de Descartes consiste à utiliser l’argument rhétorique selon lequel le monde
extérieur n’existe pas mais qu’un démon malveillant nous fait croire à son existence en créant toutes
nos impressions perceptives. Descartes se sert de la réfutation de cet argument pour prouver
l’existence de Dieu. Il est impensable que Dieu, dans sa perfection, agisse de manière à nous tromper.
Donc, le monde extérieur existe et c’est le monde extérieur qui cause nos perceptions. Cependant nous
n’en avons pas une représentation précise. Par exemple, nos perceptions contiennent toute une série
de qualités secondaires qui n’existent pas dans les objets du monde réels mais qui sont créées par
l’interaction de ces objets avec notre système perceptif.
5. Problème du libre arbitre
6. Problème du moi et de l’identité personnelle
7. Problème de l’esprit chez les animaux
8. Problème de l’état de sommeil
Ces quatre problèmes ne seront pas traités cette année. Searle termine le chapitre 1 en
énonçant 4 problèmes contemporains de philosophie de l’esprit que Descartes n’a pas traités
directement mais qui sont devenus centraux depuis un siècle.
9. Problème de l’intentionnalité
Référez vous au point 4.2.2.1 de la partie 2 du cours pp. 39 à 40 pour la définition de
l’intentionnalité et plus loin pour la distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité
dérivée (cf. aussi p. 3 ci-dessus).
10. Causalité mentale et epiphénoménalisme
Comme on l’a vu ci-dessus p. 2, le problème esprit-corps a deux versants : celui de
comprendre comment le monde peut affecter l’esprit et celui de comprendre comment l’esprit peut
causer quelque chose dans le monde. Le problème de la causalité mentale est traité dans le chapitre 7
mais nous n’aurons pas l’occasion de traiter d’autres points que ce qui est expliqué dans le cours pp.
47 à 49.
11. L’inconscient
Le problème du statut des états mentaux quand ils sont inconscients fait l’objet du chapitre 9
du livre. Il s’agit essentiellement du principe de connexion (point 4.2.2.6, pp. 50 à 52 des notes)
12. Explication en psychologie et sociologie
Searle s’interroge ici sur les raisons des échecs relatifs des approches scientifiques dans les
8
sciences humaines par comparaison avec les sciences de la nature. Il dira aussi quelques mots sur ce
thème dans les 4 pages d’épilogue du livre.
3. Résumé du chapitre 2 : le tournant matérialiste
Les difficultés du dualisme : dualisme de substances vs. dualisme de propriétés
Actuellement, le dualisme de substance dans sa forme cartésienne reste de mise pour des raisons
religieuses mais sa défense sur le plan scientifique est très problématique parce que les réponses au
problème principal du dualisme cartésien restent peu convaincantes. Ce problème est celui de la
causalité entre le corps et l’esprit (cette causalité étant à envisager dans les deux sens).
En revanche, la notion de dualisme de propriétés est largement répandue. Au lieu de postuler deux
types de substances, on postule deux types de propriétés : des propriétés matérielles et des propriétés
mentales (non physiques). Searle considère cette forme faible du dualisme encore plus problématique
que le dualisme de substances parce qu’on voit mal comment les propriétés physiques de la matière
peuvent causer quelque chose de non physique et réciproquement, comment quelque chose de mental
peut agir causalement sur le monde physique.
Devant ces difficultés, la tendance actuelle est de se tourner vers une des deux formes de
monisme : le matérialisme. Cependant, il est très difficile de formuler une théorie matérialiste qui
permette de rendre compte de la conscience et de l’intentionnalité. Les approches matérialistes de la
psychologie ont donc pris des formes diverses durant tout le XXe siècle parmi lesquelles le
behaviorisme, la théorie de l’identité et le fonctionnalisme sont les principales.
1. Le Behaviorisme
Le behaviorisme s’est d’abord développé en psychologie sous la forme d’une position qui est
principalement méthodologique (c’est-à-dire une position épistémologique). Il s’agit d’une
tentative de rendre la psychologie scientifique en évitant de postuler des entités inobservables. Il
s’agit d’une application assez stricte des principes de l’empirisme logique (cf. partie 1). On ne
peut observer que les états du monde et leur corrélats comportementaux et il est inutile de postuler
des états mentaux si ces derniers ne peuvent être entièrement réduits à des comportements
observables. Schématiquement, c’est la position adoptée par Watson et par Skinner. On peut y
voir l’acceptation normative des conceptions de l’empirisme logique et de l’opérationnisme sur la
signification des concepts théoriques (cf partie I, point 2.2.3, pp. 14 à 16).
Le behaviorisme logique s’est développé en philosophie. Il s’agit d’une tentative de réduction
des contenus mentaux intentionnels à des comportements potentiels. Cette position est
ontologique. Par exemple dire que quelqu’un « croit qu’il va pleuvoir » est équivalent à
l’énumération d’une série de dispositions de la personne à se comporter en conséquence comme
9
une disposition à « fermer la fenêtre », à « remiser les outils du jardin », à « sortir avec un
parapluie et un imperméable »,…. Ces équivalences se présentent sous forme d’énoncés
hypothétiques : si la personne croit que … alors tels ou tels comportements ou telles ou telles
dispositions à se comporter s’en suivent. Ryle et Hempel sont les représentants principaux de
cette approche.
Trois objections importantes au behaviorisme sont :
1. que le behaviorisme logique n’évite pas la circularité. L’explication de la croyance qu’il
va pleuvoir par les comportements effectifs ou potentiels énumérés ci-dessus ne tient que
si on postule d’autres états mentaux, comme par exemple le désir de rester sec. Donc, la
réduction de la croyance (qui est un état mental) qu’il va pleuvoir n’est pas une réduction
à des comportements seulement mais à des comportements + d’autres états mentaux. Pour
expliquer le désir de rester sec, il faudra faire appel à des comportements potentiels + la
croyance qu’il va pleuvoir. Donc on se trouve dans un cercle vicieux dont les états
mentaux n’ont pas été éliminés.
2. que le behaviorisme logique va à l’encontre de nos intuitions qui nous disent que nos
comportements sont causés par nos états mentaux.
3. plus généralement, que l’assimilation de l’étude des états mentaux à l’étude des
comportements est aussi absurde que le serait l’assimilation de l’étude de la physique à
l’étude des valeurs des mesures fournies par divers instruments de mesure. Il est clair que
le comportement ou les valeurs des mesures sont des indicateurs de phénomènes à
expliquer, ils ne constituent pas ces phénomènes.
Remarque historique. Le behaviorisme a étendu ses influences au-delà de la psychologie, pas
seulement en philosophie de l’esprit mais aussi en linguistique. Par exemple, Bloomfield
(1887-1949), le chef de file de la linguistique structuraliste américaine des années 1920 à
1950 est le représentant le plus illustre de ce courant. Durant les années 50, la plupart des
linguistes s’écartaient déjà à des degrés divers de cette optique, disons de manière douce et
évolutive. Du côté de la psychologie, Skinner publiait Verbal behavior en 1957. Il s’agissait
d’une tentative d’application des lois du conditionnement opérant à l’apprentissage du
langage.
Chomsky s’est livré à une critique dévastatrice des idées courantes en linguistique,
provoquant une réelle révolution dans cette discipline. Il a aussi critiqué l’approche de
Skinner dans un article de 1959 qui s’intitule : A review of B. F. Skinner’s Verbal behavior.
Les conceptions propres de Chomsky concernant la connaissance du langage faisait l’objet du
chapitre 6 du livre de 1957 Syntactic structure puis, plus tard, du chapitre 1 de Aspects of a
theory of syntax (Chomsky, 1965). On trouve ici la première formulation de la conception
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selon laquelle la possession d’un langage humain consiste en la possession de systèmes de
règles implicites qui sont capables d’engendrer les énoncés corrects (du point de vue
phonologique, syntaxique et sémantique) d’une langue particulière, à l’exclusion des énoncés
erronés. Cette grammaire générative est donc considérée comme une théorie de la
compétence linguistique de l’adulte. Comme l’apprentissage de la langue maternelle repose
sur des exemples non systématiques, non explicites et incomplets des règles sous-jacentes,
Chomsky postule qu’une des caractéristiques cognitives de l’esprit humain est de posséder
une dispositif inné d’acquisition du langage qui ne demande qu’à être activé et calibré par
les exemples épars d’une langue particulière fournis pas le milieu social. Je pense que cette
approche vous est familière parce qu’elle est bien développée dans votre cours d’Approche
cognitive des théories du développement de Jesus Alegria.
2. La théorie de l’identité
Durant les années 60, les difficultés insurmontables du behaviorisme ont conduit certains
philosophes matérialistes à adopter une position physicaliste aussi appelée théorie de l’identité.
L’objectif est de rejeter radicalement à la fois le dualisme de substance à la Descartes et le dualisme
de propriétés. Il s’agit d’une position ontologique qui postule l’identité entre les états mentaux et les
états cérébraux correspondants. Cette position est une position empirique (pas une position logique) :
les états mentaux sont des états du cerveau au même titre que l’eau est constituée de molécules d’H 20
et que les éclairs lors d’un orage sont des décharges électriques. On verra dans le compte rendu du
chapitre 4 qu’il s’agit d’une conception réductionniste dans laquelle on dit que l’eau n’est rien
d’autre que des molécules d’ H2O et que les états mentaux ne sont rien d’autre que des états du
cerveau.
Remarque historique. La théorie de l’identité est étroitement associée à deux publications :
un article de Place (1956) intitulé Is consciousness a brain process? et un article de Smart (1965)
intitulé Sensation and Brain processes. Il y a aussi un article de Feigl (1958) intitulé The mental and
the physical dans lequel on trouve la liste originale des attributs physiques et mentaux dont Searle
discute une version modifiée dans le chapitre 4 (cf. plus bas).
Identité entre états mentaux et états cérébraux : avoir une douleur dans l’épaule se confond
avec avoir de l’activation dans certains faisceaux de fibres nerveuses d’un certain type (les fibres de
type C).
Il s’agit d’une position ontologique à propos des états mentaux, pas d’une analyse
conceptuelle des états mentaux. L’identité n’est pas un problème de définition comme dans le
behaviorisme logique. Il s’agit d’un fait à propos de l’identité réelle ou à découvrir entre états
mentaux et états du cerveau.
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Parmi les différentes objections à la théorie de l’identité, je me contenterai de résumer
l’objection de bon sens. Je passe ici sur l’objection basée sur la notion d’identité type-type et
d’identité exemplaire-exemplaire (token-token) que j’ai résumée au cours. Cette objection qui est plus
technique aboutit à la même conclusion.
L’objection de bon sens.
Si l’identité est une identité de fait, dont la preuve empirique n’est pas contestée, on dispose
de deux séries de propriétés qui sont en relation d’identité en vertu du fait qu’elles désignent une seule
et même chose. Donc, si on dit que l’eau est identique avec des molécules d’H2O, on identifie le
même élément deux fois, une fois en termes descriptifs en rapport avec des propriétés apparentes et
l’autre fois en termes de propriétés chimiques. Mais ceci n’élimine pas un type de propriété. La
relation d’identité nous permet d’utiliser une description ou l’autre. Si on applique le même
raisonnement à l’identité entre états mentaux et états cérébraux, on retombe dans une forme de
dualisme de propriétés. En effet, s’il y a deux types de propriétés indépendantes dans l’identité, les
propriétés mentales de la douleur et les propriétés physiologiques de la douleur, les unes n’éliminent
pas les autres. Or, l’objectif de la théorie matérialiste de l’identité est précisément de se débarrasser de
la notion de dualisme de propriétés en disant que la douleur n’est rien d’autre que des états matériels.
Donc, le projet matérialiste échoue.
3. l’approche fonctionnaliste
L’approche fonctionnaliste essaie d’éviter les écueils des autres approches matérialistes en
adoptant une caractérisation fonctionnelle des états mentaux. Dans une caractérisation fonctionnelle,
ce qui est important ce sont les liens de causalité qui s’établissent entre les stimuli externes, des états
mentaux et des comportements.
En reprenant l’exemple développé plus haut : le fait de percevoir qu’il pleut cause la croyance
qu’il pleut. Cette croyance combinée au désir de rester sec causent les comportements d’enfiler un
imperméable et de déployer un parapluie.
Qu’est-ce qu’avoir un état mental comme la croyance qu’il pleut dans ce qui précède. Cet état
mental est défini entièrement par le réseau des relations causales dans lequel il se trouve. La
perception a causé la croyance, la croyance + le désir ont causé le comportement. L’état mental est
donc défini non pas par des propriétés intrinsèques mais de manière fonctionnelle en termes de
relations causales. Il en va de même pour les autres états mentaux évoqués. Le désir de rester sec et la
perception de la pluie sont également définis fonctionnellement en termes du réseau des relations
causales dans lequel ces états mentaux se trouvent imbriqués.
La position fonctionnaliste semble résoudre plusieurs des objections précédentes.
1. La circularité de l’argumentation behavioriste dans laquelle il est impossible de réduire les
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états mentaux intentionnels comme les croyances et les désirs à des comportements sans
entrer dans un cercle vicieux dans lequel la croyance est définie en termes de désirs et
réciproquement tombe complètement. En effet, dans l’interprétation fonctionnelle, la
croyance et le désir sont envisagés simultanément dans leurs relations causales réciproques.
2. L’objection selon laquelle le behaviorisme ne dit rien sur la causalité du comportement tombe
aussi. En effet, les états mentaux sont définis partiellement dans leur capacité à causer des
comportements externes.
3. Un attrait particulier de l’approche fonctionnaliste des états mentaux est qu’elle se rapproche
de l’analyse fonctionnelle de systèmes artificiels comme les carburateurs, les thermostats, les
horloges. Tous ces artefacts sont définis par leur fonction, pas par leur structure physique
puisqu’ils peuvent être réalisés physiquement d’un grand nombre de manières différentes. Par
exemple, une horloge est un dispositif qui mesure le temps et qui donne l’heure. Peu importe
pour la réalisation de ces fonctions qu’il s’agisse d’une horloge à pendule, à ressort ou à
quartz.
Remarque historique et lien avec la deuxième partie du cours.
La dernière assertion semble justifier une position philosophique, ou même psychologique,
dans laquelle on ne se préoccupe pas de la manière dont les états mentaux sont réalisés dans le
système nerveux. On peut appeler cela une approche fondée sur la « boîte noire ». En quelque sorte, et
c’est bien commode, l’approche fonctionnaliste est une approche anti-réductionniste qui nous permet
de justifier une approche systémique de phénomènes complexes comme la pensée, la conscience,
l’intentionnalité, sans nous préoccuper le moins du monde de la manière dont ces phénomènes sont
implémentés dans le monde physique.
Cependant, il est intellectuellement plus satisfaisant de pouvoir aussi dire quelque chose sur le
contenu de cette boîte noire. C’est ici qu’intervient un événement historique extérieur à la philosophie
et à la psychologie mais qui est d’importance capitale pour nous qui vivons à la fin du XXe et au
début du XXIe siècle : le développement des disciplines informatiques. Ceci a favorisé l’émergence
d’une nouvelle métaphore de l’esprit : l’esprit envisagé comme un système computationnel. Cette
métaphore se traduit par l’équation :
l’esprit est au cerveau comme le programme d’ordinateur (le ‘software’) est à la
quincaillerie sous-jacente (le ‘hardware’).
Voyez les pages 35 à 39 du chapitre 4 et mettez-les en relation avec l’argument de la chambre
chinoise de la page 50.
13
4. Résumé du chapitre 3 : arguments contre le matérialisme
Je ne résume pas ce chapitre, sauf la conclusion, parce que le seul point que j’ai traité au
cours est l’argument de la chambre chinoise. Le chapitre 3 se termine par des spéculations sur les
raisons de notre malaise par rapport à l’existence de la conscience et la tendance de la part de la
philosophie à rejeter les notions intuitives selon lesquelles nous avons réellement des états
intentionnels comme des croyances et des désirs, que ces états sont causés par le cerveau et qu’ils
agissent causalement sur notre comportement et par là sur le monde.
Il faut distinguer entre deux aspects de l’esprit : la conscience et l’intentionnalité. Les tenants
de l’approche fonctionnaliste sont en général d’accord pour admettre qu’ils n’ont pas grand chose à
dire sur la conscience mais qu’en revanche, cette approche explique l’intentionnalité, c’est-à-dire la
capacité du cerveau à représenter la réalité et à traiter de l’information. C’est cet aspect de l’approche
fonctionnaliste qui est critiqué dans l’argument de la chambre chinoise. Comme cet argument frappe
au cœur de l’approche computationnelle-fonctionnelle de l’esprit, il n’est pas étonnant qu’il ait suscité
un très grand nombre de réactions depuis plus de 20 ans, beaucoup plus que le reste de
l’argumentation de Searle qui est pourtant tout aussi polémique, voire plus. (Pour ceux que cela
intéresse, il faut lire Wiews into the Chinese room : New essays on Searle and artificial intelligence
edité par John Preston & Mark Bishop, 2002, Oxford, Clarendon Press).
Le problème plus large qui se trouve à l’arrière-plan de cette discussion est celui de savoir
dans quelles conditions le réductionnisme est désirable et dans quelles conditions il est néfaste. La
réponse est simple : quand il existe un seul phénomène qui admet des descriptions à des niveaux
différents, le réductionnisme ne pose pas de problème. Quand il y a deux phénomènes, la réduction
n’est pas possible. Mais si le réductionnisme matérialiste (en particulier le réductionnisme de type
fonctionnaliste) échoue nécessairement, la seule solution est-elle de retomber dans une forme de
dualisme ?
La réponse de Searle est négative. Il pense qu’il faut essayer de surmonter ce dilemme en se
rendant d’abord compte qu’à le fois ce que le dualisme essaie de dire et ce que le matérialisme essaie
de dire sont corrects. Le matérialisme dit correctement que le monde consiste entièrement en
particules physiques dans des champs de force. Le dualisme dit correctement qu’il existe des états
mentaux intentionnels et conscients qui sont définitivement non réductibles et non éliminables. Pour
concilier ces points de vue, il faut dépasser les catégories cartésiennes et reformuler le problème
entièrement.
5. Résumé du Chapitre 4 : La conscience, partie 1 - la conscience et le problème esprit-corps
Searle utilise l’exemple de la soif et des comportements qu’elle cause pour spécifier ce qu’il
14
appelle son approche du naturalisme biologique de problème.
1. les états conscients, avec leur ontologie subjective à la première personne sont des
phénomènes réels du monde. Il est impossible de se livrer à une réduction éliminative de
la conscience. Il est impossible aussi de la réduire à ses bases neurologiques parce qu’une
telle réduction à la 3ème personne laisse de côté l’ontologie à la première personne de la
conscience. Cette hypothèse pose que le mental et la physique sont des catégories
ontologiques mutuellement exclusives.
2. Les états conscients sont entièrement causés par des processus neurobiologiques plus
élémentaires. Causalement, ils sont réductibles à des processus neurobiologiques ; ils ne
constituent donc pas quelque chose qui est en dehors ou au-dessus des processus
neurobiologiques.
3. Les états mentaux sont réalisés dans le cerveau comme des propriétés du cerveau ; ils
existent à un niveau supérieur au neurone et aux synapses.
4. Comme les états mentaux sont des propriétés réelles du monde réel, il peuvent
fonctionner causalement dans le monde.
Voyons comment cette approche permet de surmonter ce que Searle tient pour 4 hypothèses
erronées de l’approche traditionnelle.
Hypothèse 1. La distinction entre le physique et le mental.
L’hypothèse est que le physique et le mental constituent deux catégories ontologiques
mutuellement exclusives. Pour pouvoir dépasser cette optique, Searle discute en le modifiant
légèrement le tableau des propriétés du mental et du physique de Feigl (1958).
1
2
3
4
5
6
Mental
Subjectif
Qualitatif
Intentionnel
Non localisé et non étendu dans l’espace
Pas explicable par des processus physiques
Incapable d’agir causalement sur le physique
Physique
Objectif
Quantitatif
Non intentionnel
Spatialement localisé et étendu
Causalement expliqué par la microphysique
Agit causalement
Les propriétés1 à 3 de la colonne mental sont parfaitement compatibles avec les propriétés 4
à 6 de la colonne physique. En effet, les états mentaux subjectifs, qualitatifs et intentionnels sont
localisés dans le cerveau, il sont causalement explicables par des processus biologiques de niveau
inférieur et ils peuvent agir causalement. Quant aux propriétés 4 à 6 du mental, elles ne sont en rien
nécessaires à la définition du mental. Il n’y a aucune nécessité à ce que les états mentaux soient non
spatiaux, inexplicables par des micro-processus et inertes causalement. Ces trois propriétés ne sont
pas non plus impliquées par les propriétés 1 à 3 du mental. Donc, selon Searle, les 3 premières
15
propriétés du mental sont des propriétés nécessaires : les états mentaux sont subjectifs, qualitatifs et
intentionnels. Les 3 dernières propriétés n’ont rien de nécessaires, elles constituent seulement des legs
cartésiens erronés.
Du côté de la colonne physique, c’est le contraire : les propriétés 3 à 6 sont
nécessaires à la définition du physique alors que les propriétés 1 à 3 n’ont rien de nécessaire. Au
contraire, des organismes physiques comme l’être humain et certains animaux possèdent des états
qualitatifs, subjectifs et intentionnels.
Donc, contrairement à la tradition cartésienne, Searle ne voit aucune contradiction
entre le fait d’être mental en tant que mental et le fait d’être physique en tant que physique. Notez que
la stratégie qu’il utilise pour aboutir à cette conclusion consiste à accepter les intuitions préscientifiques selon lesquelles nous avons des états mentaux comme des croyances et des désirs et que
ces états mentaux causent nos comportements et nos actions (comme je le disais plus haut, Searle veut
préserver le phénomène de la conscience au même titre que Démocrite voulait préserver le
phénomène du mouvement).
Hypothèse 2 : la réduction
Il faut distinguer entre réduction causale et réduction ontologique
Réduction causale. On dira d’un phénomène de type A qu’il est causalement réductible à un
phénomène de type B si et seulement si le comportement de A est entièrement expliqué par le
comportement de B et que A n’a aucune capacité causale en plus des celles de B.
Ex : La solidité d’un objet, c’est-à-dire son impénétrabilité, sa capacité à supporter d’autres
objets, etc, est entièrement explicable par sa structure moléculaire. La solidité n’a aucun aspect causal
supplémentaire par apport à ce qui est explicable par la structure moléculaire.
Réduction ontologique. Un phénomène de type A est ontologiquement réductible à un
phénomène de type B si et seulement si A n’est rien d’autre que B.
Ex : un coucher de soleil n’est rien d’autre que l’apparence causée par la rotation de la terre.
D’habitude en science, on effectue un réduction ontologique sur la base d’une réduction
causale. Par exemple, la solidité n’est plus définie par ses propriétés apparentes mais par ses
propriétés moléculaires.
C’est précisément cette réduction ontologique sur la base d’une réduction causale qui
échoue dans le cas de la conscience parce qu’une telle réduction supprime ce qu’il y a de
spécifique à la conscience. Donc, on peut dire que la conscience est causalement explicable par
des processus neurobiologiques mais on ne peut pas dire que la conscience n’est rien d’autre
que ces processus neurobiologiques au même titre qu’on peut dire que la solidité n’est rien
16
d’autre que l’apparence due à une certaine structure moléculaire. En disant que la conscience
n’est rien d’autre que les processus neurobiologiques qui la cause, on supprime l’ontologie à la
première personne de la conscience, donc le concept lui-même.
Il faut aussi distinguer entre le réductionnisme éliminatif et le réductionnisme non
éliminatif. Dans le cas du coucher de soleil, on peut dire que sa réduction au mouvement de
rotation de la terre élimine le phénomène. Dans ce cas, la réduction montre que lé phénomène
n’est qu’une apparence. Mais dans le cas de la solidité, le réductionnisme n’est pas éliminatif
parce que les propriétés de la structure moléculaire expliquent mais ne suppriment pas
l’apparence (d’impénétrabilité, de pouvoir supporter d’autres objets, etc).
Dans le cas de la conscience, le réductionnisme éliminatif n’est pas possible parce que ce
réductionnisme repose sur la distinction entre l’apparence et la réalité. Or, dans le cas de la
conscience, l’apparence est la réalité. Si je suis conscient, je le suis réellement, donc la
conscience existe vraiment avec ses propriétés apparentes à la 1ère personne.
J’ai mis tout ce qui précède en gras parce que cette analyse du réductionnisme joue un rôle
absolument central dans l’ensemble de l’argumentation de Searle et, en particulier, dans le principe de
connexion. C’est aussi l’argument le mieux articulé et le plus puissant que vous puissiez trouver
contre le réductionnisme en psychologie.
Le chapitre se termine par deux hypothèses supplémentaires qui ne seront pas discutées cette
année.
Conclusion : ni matérialisme, ni dualisme
L’objectif de Searle est de préserver ce qui est correct et d’éliminer ce qui est erroné dans les
catégories traditionnelles qui nous sont léguées par Descartes. Voici son résumé de la situation.

A la fois les matérialistes et Searle disent : la conscience est juste un processus cérébral.
o
mais les matérialistes impliquent par là que la conscience comme phénomène à la
1ère personne, qualitatif, subjectif n’existe pas.
o
Alors que Searle veut dire c’est que précisément, le fait que la conscience soit
juste un processus cérébral n’empêche pas qu’elle ait une ontologie à la 1ère
personne avec ses qualités subjectives et qualitatives.

A la fois les dualistes et Searle disent que la conscience est irréductible à des processus
neurobiologiques à la 3ème personne.
o
Mais les dualistes impliquent par là que la conscience ne fait pas partie du monde
physique ordinaire ; elle constitue une substance séparée.
o
Alors que Searle veut dire que la conscience est causalement réductible au monde
17
physique mais pas ontologiquement réductible.
C’est tout pour cette année. Le chapitre 5 énumère une série de propriétés de la conscience
dont la plupart sont traitées à différents endroits du cours. Une lecture rapide des autres chapitres
n’impose pas de modifications importantes aux notes du cours sur l’intentionnalité, la causalité
intentionnelle et le principe de connexion. De toute manière, vous disposez d’à peu près tout ce qui a
été traité au cours cette année-ci.
18
Histoire, concepts et méthodes de la psychologie (Daniel Holender)
3ème et dernière partie des notes (17-05-05)
Ce document contient :
Des pages 16bis et 30bis à insérer dans la partie II du cours.
Une table des matières
La suite du résumé du livre Mind : A brief introduction (Searle, 2004). Cette suite commence avec
une page 4 complétée (sur les deux sites web, j’ai mis l’entièreté de ce document depuis la page 1. Les
sites web sont www.ulb.ac.be/cours/holender/html (c’est le site de mon cours de stat de 1ère candi) et
www.psyulb.be
La table des matières contient 1 ou 2 titres supplémentaires et des corrections de numérotation des
parties quand c’était nécessaire. A vous de corriger dans votre texte.
Matière
Finalement toute la matière de la partie II a été vue, y compris Aristote et Descartes. Toutefois, sur
Descartes, vous pouvez laisser tomber les pages 33 et 34 et vous contenter de lire les points sur la
conception classique des mathématiques et sur l’algèbre de Descartes, pp. 31-32.
Vous pouvez vous contenter de lire l’intermède historique pp. 22 à 27 mais il est quand même
important de comprendre dans quel contexte intellectuel Descartes avait été formé pour comprendre à
quoi il s’oppose.
Comme je l’ai dit sur le document et page 39, il vaut mieux étudier le résumé des 5 premiers chapitres
de Mind avant d’aborder la suite sur Searle.
N’oubliez pas non plus que vous devez avoir des pages 41a à 41h insérées après la page 41 (les pages
41c à 41h – le lexique de Searle – manquaient à la partie 2 des notes le jour de son dépôt à la
coopérative, elles n’y ont été insérées que le lendemain).
Correction : p. 46, para 3. Attention, l’action a une direction d’ajustement du monde vers l’esprit (pas
de l’esprit vers le monde) et une direction de causalité de l’esprit vers le monde.
En cas de doute sur les directions de causalité et d’ajustement, le tableau 3 p. 41b peut toujours vous
sortir d’embarras.
Bonne session
Daniel Holender
19
Voici une page 16bis pour la partie II du cours.
Correction. Page 15, dans le paragraphe qui suit la cause finale, je commence bien puis je dis que
cette conception quadripartite de la causalité sert aussi d’explication pour les phénomènes du monde
inanimé. Ceci est incorrect mais je suis loin d’être le seul à être tombé dans ce panneau. Aristote ne
pensait pas que les phénomènes naturels comme les avalanches ont une cause finale. En fait, la
plupart des exemples d’Aristote concerne la manufacture d’objets ou d’œuvres d’art. La téléologie
joue aussi un rôle important dans l’initiation du mouvement en vue d’un but chez les animaux,
comme en témoigne une des citations suivantes. Enfin, la téléologie n’implique pas toujours un agent
conscient. Il faut distinguer deux types d’explication téléologique.
Explication téléologique objective. x se produit dans le but de y. Il s’agit d’une explication
fonctionnelle au sens scientifique du terme (qui ne présuppose pas d’agent conscient).
Exemples: la croissance se produit dans un organisme O d’une certaine manière parce que O est un
lion (donc dans le but de réaliser la forme du lion) ; la fonction de l’œil est la vision.
Explication téléologique subjective. O a fait x dans le but de y. Nécessite la conscience d’un objectif
à atteindre.
Ex: le lion est entré dans la bergerie pour obtenir de la viande (= pour obtenir l’objet du désir présenté
à la conscience, c’est-à-dire présenté à la phantasia)
Voici 3 citations en rapport avec l’âme et ses différents rôles chez l’animal et chez l’homme.
L'âme est la "réalisation première d'un corps naturel qui a potentiellement la vie", c'est-à-dire d'un
"corps doué d'organes", un corps "qui a en soi son principe de mouvement" (de anima).
Puis une citation qui indique ce qui cause le mouvement d’un objet inanimé, une causalité de type
billes de billard.
« Toutes les choses non vivantes sont mues par quelque chose d’autre et la cause pour chaque chose
qui est ainsi mise en mouvement est quelque chose qui se meut lui-même (De motu, 700a 15-20).
A contraster avec les causes du mouvement chez l’animal dans la citation suivante.
« Tous les animaux initient le mouvement et sont mus dans le but de quelque chose; ce qui est la
limite de leur mouvement, c’est la chose dans le but de laquelle. Maintenant nous voyons que les
moteurs de l’animal sont le raisonnement et la phantasia et le choix et le souhait et le besoin
(‘appetite’). Tout ceci peut se réduire à la pensée et au désir. Parce que à la fois la phantasia et la
perception sensorielle ont la même nature que la pensée, puisqu’elles sont concernées par le fait de
faire des distinctions…Donc le premier moteur est l’objet du désir et aussi de la pensée (De motu,
700b 10-25).
Donc, ici vous avez un animal qui est parfaitement conscient de l’objet de son désir. C’est pour
satisfaire à ce désir qu’il se meut dans le milieu et une fois l’objectif atteint, le mouvement s’arrête.
Notez aussi l’importance de la faculté discriminative qui permet de discriminer l’objet du désir
d’autres objets dans le milieu. Cette aptitude provient d’abord des organes des sens qui délivrent une
représentation consciente - phantasia – dans laquelle les distinctions peuvent s’opérer au même titre
que dans la pensée.
Tout ceci a des accents étrangement searliens
20
HISTOIRE, CONCEPTS ET METHODES DE LA PSYCHOLOGIE
D. HOLENDER
TABLE DES MATIERES
PARTIE 1 : LA PHILOSOPHIE DES SCIENCES AU XXe SIECLE
1
1. Généralités
1.1. Distinction ontologie-épistémologie
1.2. Types de question et d’explication scientifiques
1
1
2
2. Sciences déductives et inductives
2.1. Sciences déductives : logique et mathématique
2.1.1. Objet de la logique
2.1.2. Logique d’Aristote
2.1.3. Méthode déductive et axiomatisation
2.2. Sciences inductives : sciences empiriques
2.2.1. Objet des sciences empiriques
2.2.2. Logique de la découverte scientifique
2.2.3. Définition opérationnelle des concepts théoriques
Problème de la démarcation : vérifiabilité ou réfutabilité
des théories
2.2.4.1. Position inductiviste
2.2.4.2. Le problème de l’induction
2.2.4.3. La réfutabilité comme solution du problème de
l’induction et de la démarcation
Kuhn : la structure des révolutions scientifiques
Le réductionnisme
2.2.6.1. Caractérisation de la position réductionniste
2.2.6.2. Résistance au réductionnisme en biologie
4
4
5
6
7
12
12
13
14
16
3. Transition vers la partie II du cours
27
PARTIE 2 : HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE
1
Avant-propos
1. Psychologie et philosophie de l’esprit dans l’Antiquité grecque
1.1. Repères historiques et géographiques
1.2. Le matérialisme présocratique
1.3. Platon (428-347) : l’idéalisme et le rationalisme
1.3.1. L’écroulement du programme pythagoricien et
les fondements de la physique de Platon
1.3.2. L’idéalisme de Platon
1.4. Aristote (384-322) : le réalisme
1.4.1. Cosmologie et physique d’Aristote
Biologie et psychologie d’Aristote
1
3
3
7
8
8
2. Intermède historique
2.1. Postérité de Platon et Aristote jusque 1600 environ
2.2. Du XVIIe au XIXe siècle
22
22
23
3. Descartes (1596-1650)
28
16
19
20
22
24
25
26
11
13
13
14
21
4. La conscience et l’inconscient dans la psychologie contemporaine
4.1. Naissance de la psychologie cognitive
4.2.
Contenus mentaux conscients et inconscients
4.2.1. Position de Fodor (1983) : la modularité de l’esprit
4.2.2. Position de Searle sur l’inconscient cognitif
4.2.2.1. L’intentionnalité
4.2.2.2. Intentionnalité et conscience
4.2.2.3. Intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée
(pages 41a à 41h insérées)
4.2.2.4. Théorie de l’intentionnalité de l’esprit
4.2.2.5. L’argument de la chambre chinoise
4.2.2.6. Le principe de connexion
35
35
36
38
39
39
40
41
42
50
50
Résumé et commentaires de Mind : a brief introduction (Searle, 2004)
Résumé et commentaires de l’introduction
Commentaires : Trois caractéristiques de la distinction objectif-subjectif
1.
Distinction entre les faits du monde qui sont indépendants
de l’observateur et ceux qui sont dépendants ou relatifs à l’observateur
2.
Distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée
3.
Distinction entre ontologie à la première personne et ontologie à la
troisième personne
Résumé du chapitre 1
Résumé du chapitre 2
4. Résumé du chapitre 3
5. Résumé du chapitre 4
--ooOOoo--
1
2
2
3
3
4
8
12
13
22
Cette page 30 bis reprend 2 transparents qui résument les propriétés des deux substances chez
Descartes.
1. Descartes (1596-1650)
Le corps et l'esprit correspondent à deux substances différentes
Substance matérielle
Etendue et divisible à l'infini donc corpusculaire mais pas atomique
causalité mécanique, pas vitaliste
Propriétés primaires : étendue, masse, mouvement
Description mathématique, notion de mesure
Objets = concentration de matière
Propriétés secondaires : interaction avec organes des sens = apparence
Connaissance non sensible, a priori = raison
Organismes vivants obéissent à des lois mécaniques
Substance immatérielle
- Non étendue, libre
- « Je pense donc je suis» =
preuve de l'existence d'une substance pensante immatérielle
" - Pensée consciente et volonté
- Volonté peut agir sur le corps
- sensibilité peut agir sur
l'esprit
- L'âme est unitaire et limitée au
corps
- Interaction: glande pinéale
- Moyen: mouvement des esprits
animaux (fluides mais action
mécanique)
- Expérience sensible = idées
dérivées
- Connaissance mathématique =
idées innées, a priori, claires et
évidentes
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