TFE tout court

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I - INTRODUCTION
La vérité est un sujet aussi vaste que paradoxal. En effet, la question qui
revient le plus souvent à son sujet est : faut-il la dire ou pas ? Sans avoir besoin de
mener une étude rigoureuse sur le sujet, il suffit de poser la question autour de nous
pour se rendre compte combien les réponses sont aussi variées que contradictoires,
plongeant parfois même l’interrogé dans l’impossibilité de répondre franchement.
Avant de commencer ma formation, avec ma vision encore naïve des soins, il
me semblait impensable de ne pas dire la vérité à un malade, de lui cacher certaines
données sur son état de santé. Car pour moi, connaître la vérité sur son état de
santé était un dû à la personne hospitalisée. C’était donc une nécessité qui lui était
utile au plus haut point que de ne jamais lui mentir, jamais répondre a coté, être le
plus authentique possible.
Puis, au cours de ma formation, j’ai souvent été confronté à des situations
délicates, où les malades me demandaient des renseignements que je ne pouvais
pas leur fournir. Soit parce que je ne les avais pas, soit, parce que je ne savais pas
si j’y étais autorisé. J’ai donc découvert au cours de mes stages qu’il y a parfois des
cas où l’on ne peut pas dire la vérité à un malade. Je me suis donc surpris à devoir
trahir cette valeur que je considérais comme fondamentale. Mais je m’y résignais, en
évitant de trop me questionner sur le sujet, jusqu’au milieu de ma deuxième année.
En effet, mon deuxième stage de deuxième année m’a donné l’occasion de
vivre une situation particulièrement embarrassante, que j’ai vécue comme la
situation « de trop », et qui a été le point de départ de tout un questionnement. Un
jour, un malade m’a demandé à plusieurs reprises des informations sur son
pronostic, que je savais fatal à court terme, et j’avais pour ordre du médecin de
l’unité de ne rien lui dire. Je ne savais donc pas comment gérer les assauts répétés
du malade demandeur de vérité. Et je ne savais pas réellement si je pouvais la lui
dire, ou non, quitte à outrepasser les recommandations du Médecin. J’ai donc dû me
débrouiller seul pour éviter le problème, n’ayant pu trouver de réponses concrètes
auprès de mes pairs. Mais j’avais quand même conscience qu’un manque
d’informations pouvait paradoxalement signifier une réponse pour le patient, et que
l’interdiction de dire la vérité à un malade pour une Infirmière pouvait être source de
difficultés pour elle. C’est donc la raison pour laquelle j’ai choisi de porter mon travail
de fin d’études sur ce thème.
Ce travail a pour objet d’explorer cette thématique en l’axant plus
spécifiquement sur la façon dont les Infirmières vivent l’impossibilité de dire la vérité,
et en essayant de proposer une réponse.
Je préciserais dans un premier temps au travers d’un constat professionnel
ma situation de départ avec le récit précis des faits qui m’ont interpellés. Dans un
second temps, je développerais la problématique en procédant étape par étape. En
partant de mes questions les plus naïves, représentées par ma question de départ,
je vous exposerais mon questionnaire de pré-enquête ainsi que l’analyse
quantitative et qualitative des réponses récoltées. Enfin, dans le dernier temps de ce
travail écrit, j’explorerai le cadre législatif et conceptuel, nécessaire d’une part à la
définition exacte des situations où l’annonce d’une vérité est effectivement proscrite
à l’Infirmière, et d’autre part à la compréhension conceptuelle du problème avec pour
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aboutissement la formulation d’une question de recherche axée sur le « vécu » de
l’Infirmière. Question à laquelle je répondrai par une hypothèse, dont je vous
présenterais par la suite les outils d’évaluation retenus.
II - SITUATION DE DÉPART
J’ai eu au cours de ma scolarité à l’IFSI de nombreuses situations qui m’ont
interpellé. Parfois pour leur singularité, parfois, au contraire, par leur récurrence. En
effet, certaines situations ont la particularité de se retrouver dans beaucoup de
services. C’est le cas de la situation que j’ai vécue, et dont ce travail fait l’objet.
Revenons pour cela en hiver 2009, où j’effectuais un stage en Médecine
Cardio-Gériatrique dans une clinique Niçoise. Dans le service, nous avions un
patient qui venait de rentrer quelques jours auparavant pour des malaises à
répétitions avec troubles de l’équilibre, sans antécédents particuliers. Nous
l’appellerons Mr S. Le Médecin du service, soucieux d’explorer le problème, décida
de lui faire passer un Scanner, car il suspectait une tumeur cérébrale.
De mon côté, j’avais pris en charge ce patient dans le cadre de ma
préparation à ma MSP. Ainsi, tous les matins, j’allais dans sa chambre pour lui faire
les surveillances d’usage et lui administrer ses traitements. J’avais établi un très bon
contact avec lui.
C’est ainsi que le lendemain du Scanner, le patient me demanda si j’avais eu
les résultats de la veille. Tout d'abord, j'ai été pris au dépourvu par la question du
patient. Je n’ai pas su trop quoi répondre à part un vague « oh vous savez, je ne
suis qu'un simple stagiaire, et je n'ai pas accès aux résultats du scanner... ». En
réalité, j’y avais évidemment accès, et je savais que le Médecin suspectait une
tumeur cérébrale. J'ai été très gêné d'être obligé de mentir pour ne pas risquer de
faire une annonce sauvage et qui plus est, incertaine, ce qui aurait pu détruire
psychologiquement le patient... Cela dit, je pensais que c'était tout de même dans
l'intérêt du patient de savoir... Mais l'était-ce réellement ?... J'ai donc plus ou moins
esquivé la question, puis enchainé sur un autre sujet par un trait de sympathie,
histoire de détourner l'attention et de détendre l'atmosphère.
Sur le moment, j'ai bien eu l'impression que ma réponse avait été crédible,
mais je me suis demandé après coup si le patient m'avait réellement cru... Car les
patients ne sont pas dupes, et peut-être savait-il que je mentais…
En fait, j'ai continué à être gêné tout seul après être sorti de la chambre... Car
je savais qu'il y'avait une forte suspicion de tumeur cérébrale, et que le résultat du
Scanner avait 9/10 chances d'être très mauvais, et donc annonciateur d’un très
mauvais pronostic. D'autant que le Scanner datant de la veille, les résultats étaient
certainement connus de l'équipe.
Alors, j'ai attendu le lendemain, où il y'avait une réunion d'équipe où le Médecin
reprenait le cas de certains malades et en profitait pour mettre certains membres de
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l’équipe au courant d’informations qu’il n’aurait pas eu par leurs propres moyens. Le
cas de Mr S. a évidemment été repris, et c’est ainsi que j’ai appris le résultat du
Scanner : tumeur maligne stade 4 envahissant la loge vestibulaire droite. Le
Médecin a fait part de son inquiétude quant à l’avenir du patient, et a avoué qu’il le
considérait « condamné » à court ou moyen terme. J’ai alors demandé si le patient
était au courant du résultat. On m'a demandé pourquoi je posais cette question, j'ai
répondu « parce que le patient me l'a demandé »... Et le Médecin du service m'a
immédiatement repris, presque affolé : « tu ne lui a pas dis j'espère ??!! Parce qu’il
ne faut pas lui dire, il ne le sait pas encore!!... » J'ai répondu que non, bien
évidemment. Le Médecin voulait en fait attendre le moment opportun pour lui faire
l’annonce.
Mais cela m'a contrarié qu'on se préoccupe plus de le tenir dans l’ignorance,
plutôt que de lui dire la vérité... On aurait dit un secret de polichinelle, où tout le
monde le sait... sauf le principal intéressé... J'appréhendais un peu la prochaine
rencontre avec le patient où il me demanderait encore les résultats de son scanner.
Une fois la réunion terminée, arriva le moment d'aller dans la chambre du
patient avec le résultat en tête. Inévitablement, le patient me demanda : « alors,
vous avez eu le résultat du Scanner ?". Toujours la même réponse de ma part,
« non, je n'ai pas accès aux résultats... », mais cette fois-ci, le patient m'a rajouté :
« bah, ça doit pas être si grave que ça, ils ont pas l'air de s'affoler »... et là,
deuxième grand moment de solitude... Que répondre... J'ai encore dû rougir, laissé
transparaître que j'étais mal à l'aise. Cette fois-ci je n’ai vraiment pas su quoi
répondre... j'ai bafouillé un « je sais pas... je peux pas vous dire... ». Bref, une sortie
nettement moins réussie que la première fois...
Je pense a posteriori que ma réponse n'était pas du tout crédible et que le
patient me « contrôlait » de plus en plus. Il devait sentir la mauvaise nouvelle, et
j’étais mauvais menteur... J'ai vraiment commencé à me poser la question :
comment se sortir de ce genre de situations inextricables où l’on est contraint de
mentir ? Comment faire pour donner une réponse qui ne m’obligerait pas à mentir,
mais qui n'angoisserait pas le patient pour autant... Et comment arriver à bien vivre
cela.
En fait, à partir de ce moment, le sujet a commencé à me préoccuper
réellement, et j'ai demandé aux infirmières quels étaient leurs « trucs » lorsqu'elles
devaient se sortir ce genre de situations, comment elles le vivaient, si elle avait
l’impression de dire un mensonge lors de leurs réponses, etc... Car ça m'ennuyait
vraiment de devoir mentir au patient sur « ordre » du Médecin, mais en même
temps, je n’avais pas envie de le faire souffrir en lui laissant comprendre la vérité. En
effet, je savais que le résultat serait synonyme de diagnostic et je ne savais pas
comment il aurait pu réagir, et surtout moi, comment j'aurais pu répondre à
l’effondrement psychologique d'un patient, sous mes yeux surtout si je l'avais
provoqué... Je n'avais pas le droit de lui dire la vérité, mais je voulais qu'il la sache...
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III – PROBLÉMATIQUE
1) Problème évoqué :
Dans mon cas, j’étais dans une impasse entre mes valeurs (ne pas mentir), et
la nécessité d’appliquer les recommandations du Médecin. J’étais pour ainsi dire pris
dans un conflit interne ou je devais choisir entre deux règles de conduite, deux
forces de pensée. Dans un choix comme dans l’autre, j’allais devoir y laisser un petit
peu de ma personne.
Je me suis alors demandé si mon cas ne s’inscrivait pas dans un problème
plus global, et généralisable à l’ensemble de la profession, au sens que mon
attachement pour la sincérité pourrait bien faire partie des Valeurs de la profession
Infirmières, et que les recommandations du Médecin ne feraient que s’inscrire dans
un cadre légal contraignant tout acteur de soin.
2) Question de départ :
Ainsi, la question que je me suis immédiatement posée etait : en tant
qu’Infirmier, peut-on toujours dire la vérité au patient ? Cette interrogation
constitue la première question clef de tout mon travail. Nous la nommerons
« question de départ ». De là s’en suit tout un questionnement. En effet, si le
Médecin tarde à faire l’annonce, que c’est un acte qui lui incombe légalement, et que
le malade demande la vérité avec insistance, que faire ? Si l’on a comme valeur de
toujours dire la vérité, va-t-on risquer d’outrepasser les recommandations médicales
pour respecter nos engagements moraux ? Et ces recommandations trouvent-elles
un fondement légal ou sont-elles juste une stratégie médicale ? Si fondement
législatif il y a, lorsque les valeurs personnelles ou professionnelles se retrouvent en
contradiction avec, que faire ? Qu’est-ce qui serait le plus utile pour le patient ? Est-il
préférable de mettre ses valeurs de côté au nom de la « cohérence thérapeutique »
afin de garantir la qualité de prise en charge par le service entier ? Mettre
systématiquement ses valeurs de coté pourrait-il à terme nuire à la relation avec le
patient ? Certaines règles peuvent-elles nous pousser à ne pas être aidant et donc
soignant ? Autant de questions qui restaient sans réponses pour moi…
3) Pré-enquête :
Afin de connaître un peu mieux l’avis de la profession sur ces questions plutôt
naïves, au sens qu’au moment où je me les posais je n’avais pas encore
suffisamment exploré les références législatives et conceptuelles, je me suis rendu
dans un service d’hôpital de jour en Cancérologie. J’y avais déjà passé 4 semaines
au cours d’un stage de 3ème année, ainsi je savais que les Infirmières étaient
fréquemment en prise avec ce genre de situations. J’ai donc préparé un petit
questionnaire qui reprenait un peu toutes les questions que je me posais. Je l’ai
distribué à 4 Infirmières, ainsi qu’à la Cadre Supérieure de Santé du Centre.
Je vous propose donc de regarder ce questionnaire ainsi
recueillies, et bien évidemment de les analyser. Puis, au sortir
nous explorerons le cadre de référence (législatif et conceptuel)
une interprétation conceptuelle des réponses et une seconde
question de recherche.
que les réponses
de cette analyse,
afin de formaliser
question clef : la
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Voici le questionnaire tel que je l’ai distribué au panel :
Questionnaire pré-enquête
1 °) Pour vous, une fonction essentielle du métier infirmier est elle de savoir entrer en
relation avec un patient? Pourquoi ?
2 °) Pensez-vous que tous les patients ont besoin connaître leur diagnostic lorsqu’il est
sûrement établi et quel qu’il soit ? Pourquoi ?
Comment faire lorsque le médecin tarde trop à faire l'annonce ?
3 °) Seriez-vous prêt à dire la vérité à un patient qui vous la demande alors que la loi vous
l’interdit ?
- Si oui dans quel cas ?
- Si non comment faire alors pour appliquer la loi régissant les droits des patients ?
4 °) Selon vous, est-il possible que dans certains cas, le respect des règles professionnelles
nous pousse à ne pas être aidant ? Dans quels cas ? Pourrais-je avoir un exemple S.V.P. ?
5 °) Pour vous, faut-il VRAIMENT toujours dire la vérité au patient ?
4) Analyse des résultats :
Sur les 5 questionnaires distribués, tous furent exploitables. Lorsqu’une réponse
n’est pas précisée, c’est qu’elle fut l’objet d’un « ne se prononce pas ».
À la question n°1, 4/5 IDE ont répondu Oui. Cela signifie que la relation
soignant-soigné est une donnée fondamentale de la profession pour 80 % des
Infirmières interrogées. Cela pose la question de savoir quel type de relation ?
L’authenticité étant un des fondements de la relation d’aide, et cette dernière étant le
seul type de relation enseigné dans les IFSI, nous la considérerons comme étant la
plus communément adoptée par la profession, et nous l’étudierons plus en
profondeur dans le cadre conceptuel.
À la question n°2, 5/5 IDE ont répondu oui. Nous voyons donc que la
nécessité de transparence vis à vis du malade est aussi une Valeur primordiale sur
le terrain. Le patient a donc besoin de connaître la vérité. Le besoin de vérité pour le
malade nécessite une profonde sincérité de la part de l’Infirmière, et nous verrons
par la suite comment les résultats de cette question peuvent s’articuler avec ceux de
la question n°1.
Au « pourquoi ?» de la question, les IDE ont été une majorité à répondre que
c’était pour permettre au patient de commencer son travail de deuil, sa
reconstruction.
Quant au « comment ?», 3/5 IDE choisissent d’insister auprès du Médecin.
Cela montre certainement l’envie des Infirmières d’apporter la vérité au patient, mais
sans se substituer à un rôle qui incombe au Médecin. Mais cela montre aussi
qu’elles ne sont pas dans la passivité, qu’elles sont dans l’action, comme si cela
montrait leur « envie » d’amener le patient à la vérité.
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La question n°3 vient corroborer les résultats de la dernière partie de la
précédente question. En effet, 5/5 IDE ont répondu Non. Cela montre que les
Infirmières appliquent la loi de façon unanime. Elles ne la transgresseraient pas pour
dire la vérité à un patient. Cette réponse appelle à s’interroger, si l’on regarde les
réponses aux questions précédentes. En effet, il existe donc un cas justifiant de
trahir la sincérité que l’on doit au patient pour pouvoir entrer en relation d’aide avec
lui. Ce cas, c’est la loi qui peut l’imposer.
La suite de la question fait référence aux « droits des patients » d’avoir accès
à toute information médicale les concernant pour justifier de devoir répondre a toutes
leurs questions, et non aux Valeurs de sincérité du corps Infirmier. Pour appliquer
cette loi, les IDE renvoient le patient au Médecin. Encore une fois, elles mettent en
place une action leur permettant d’appliquer la loi.
Pour émettre une critique à cette question, je dirais que plutôt que de parler d’
« être prêt à dire la vérité », j’aurais plutôt dû formuler en tant que « avez-vous eu
envie ». Cela aurait placé l’infirmière au niveau de ses intentions, et non, déjà, au
niveau de l’action. Peut-être aurions-nous eu un autre type de réponses… De plus,
dans la seconde partie, plutôt que de faire référence à une autre loi, j’aurais
simplement dû faire référence à leurs valeurs. Là encore, les réponses auraient pu
être plus contributives.
La question n°4 donne des réponses nettement plus divisées : 2/5 répondent
que non, le respect de certaines règles ne nous pousse pas à ne pas être aidant. Et
2/5 répondent que tant qu’on s’en tient à notre rôle on est aidant. Cette question
émet l’hypothèse qu’on puisse parfois se trouver dans un paradoxe. Une impasse
d’action. La moitié de celles qui ont répondu pensent que l’hypothèse est fausse.
L’autre moitié l’admet, mais trouve instantanément la solution : s’en tenir à notre
rôle. Malheureusement, aucun exemple n’a été donné. Ce point aurait mérité d’être
éclairci, malheureusement le choix du questionnaire papier me l’a de fait interdit...
Enfin, à la dernière question, reprenant l’idée globale du questionnaire, les
réponses sont unanimes : toutes pensent qu’il faut toujours dire la vérité au patient.
Mais pas forcement soi-même. Parfois il faut renvoyer à une tierce personne
autorisée à annoncer la vérité. La tierce personne étant le Médecin, et la notion
d’autorisation étant la Loi.
Toutes ont aussi répondu que les Infimières, si elles ne peuvent pas dire la
vérité elles-mêmes, peuvent au moins préparer le malade à la vérité. Comme s’il
y’avait des niveaux de vérité, un contexte à l’annonce.
5) Question de Recherche :
Que pouvons-nous dégager comme conclusions globales de ce
questionnaire ? Et bien que les Infirmières s’accordent à dire qu’il faut dire la vérité
au malade. Et ce, car dire la vérité c’est être sincère et authentique, Valeurs
fondatrices de la relation soignant-soigné. Mais il y’a des cas où la loi ne permettrait
pas à l’Infirmière de dire la vérité. Parfois, la loi s’opposerait à cette valeur qui
semble si chère aux Infirmières interrogées. Bien sur, à tout cela on pourrait apposer
le fait que les valeurs ne sont que des règles que l’on doit suivre le plus possible,
alors que la loi est une règle à suivre intégralement et sans réserve. Ainsi, la
réponse serait qu’il faudrait donc suivre la loi et mettre ses valeurs de côté. Soit.
Mais une réponse comme celle-ci ne fait que renvoyer à d’autres questions : que dit
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réellement la Loi sur le sujet ? Quelles sont réellement les valeurs des Infirmières ?
En ont-elles réellement besoin pour travailler ? Comment vivent-elles l’obligation de
nier leurs valeurs ? Où trouvent-elles leurs ressources pour arriver à faire face à de
telles situations ? Faire trop souvent passer la loi avant ses valeurs peut-il faire
courir un risque aux Infirmières ? Et si oui, de quelle nature ?
On peut rassembler la majeure partie des dimensions de ce questionnement
au sein d’une seule question clairement définie, qui sera la deuxième question clef
de ce travail, la question de recherche. La voici :
Dans une situation où les Valeurs d’une Infirmière se retrouvent en opposition avec
la Loi, et que celle-ci doit continuer à maintenir une Relation d’Aide, de quelle nature
peuvent être les risques qu’elle encourt, à court, moyen ou long terme ?
La question de recherche nous impose donc d’étudier plusieurs domaines de
connaissance, et pour cela je vais devoir poser un cadre de référence, contenant
bien évidemment l’aspect législatif, mais aussi l’aspect conceptuel.
En premier lieu donc, je vais explorer le cadre législatif, afin de déterminer
exactement la ou les situations où les Infirmières sont susceptibles de devoir nier
leurs Valeurs.
En second lieu, je suis donc amené à explorer le concept de Valeurs, en
focalisant sur les Valeurs Professionnelles Infirmières telles que l’authenticité, la
sincérité, la congruence, Valeurs essentielles à l’établissement d’une Relation
d’Aide.
Nous étudierons donc aussi le concept de Relation d’Aide qui nous permettra
au passage d’approfondir la notion d’Authenticité.
Enfin, si telle opposition il y’a entre les valeurs et la loi, ainsi que la nécessité
d’agir avec, alors l’Infirmière va devoir constamment user de ses ressources pour
s’adapter. Et une consommation excessive et trop rapide de ressources risque
fortement de la mener vers un Épuisement Professionnel, concept que nous
étudierons aussi en détail.
IV – CADRE DE RÉFÉRENCE
1) Cadre Législatif :
Au niveau législatif, il va nous être utile d’étudier ce que disent les textes non
seulement du côté des Infirmières, mais aussi du côté des Médecins.
Droits et Devoirs des Infirmières :
Tout d’abord, revenons sur la définition de l’Infirmière de l’article L 473 du
Code de la Santé Publique (CSP) : « Est considérée comme exerçant la profession
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d’infirmier(e) toute personne qui, en fonction des diplômes qui l’y habilitent, donne
habituellement des soins infirmiers sur prescription ou conseil médical, ou bien en
application du rôle propre qui lui est dévolu». « En outre, l’infirmier(e) participe à
différentes actions, notamment en matière de prévention, d’éducation de la santé et de
formation ou d’encadrement ». Il n’est pas précisé ici d’information aux patients sur leur
diagnostic médical. Une telle action ne rentrerait ni dans le cadre de la prévention, ni
de l’éducation, ni de la formation ou de l’encadrement.
Dans les articles R-4311 régissant les actes professionnels, il n’est pas non
plus évoqué la possibilité par l’Infirmier d’annoncer un diagnostic médical. Tout au
plus, concernant le sujet, est évoquée à l’alinéa n°2 de l’article R-4311-2 la
possibilité par l’IDE “de concourir à la mise en place de méthodes et au recueil des
informations utiles aux autres professionnels, et notamment aux médecins pour poser leur
diagnostic et évaluer l'effet de leurs prescriptions”. Parmi les 42 alinéas de l’article R4311-5 régissant les actes du rôle propre Infirmier, aucun ne fait référence à
l’Information d’un patient quant à son diagnostic médical. Seul le « recueil de
données » permettant au Médecin de le poser est autorisé. Enfin, parmi les 43 alinéas
de l’article R-4311-7 relatif au rôle sur prescription, aucun ne mentionne non plus la
possibilité d’informer un patient sur son diagnostic médical. Et ce, en vertu de
l’article R-4312-8 du CSP régissant les Règles Infirmières qui dit que ”L'infirmier ou
l'infirmière doit respecter le droit du patient de s'adresser au professionnel de santé de son
choix ».
Il existe tout de même un article imposant un devoir d’information au patient
ou à sa famille « à leur demande », l’article R-4312-32, mais il limite les informations
dispensées par l’Infirmier aux « moyens ou […] techniques mis en oeuvre. Il en est de
même des soins à propos desquels il donne tous les conseils utiles à leur bon déroulement ».
Ainsi, nous pouvons conclure qu’il n’existe nulle part un texte de loi autorisant ou
obligeant l’IDE à informer le patient ou sa famille quant à un Diagnostic ou Pronostic
médical, et ce, même à leur demande.
Droits et Devoirs des Médecins :
Penchons nous maintenant du côté des Médecins. Le code de la santé
publique indique dans l’article R-4127-35 qu’il « doit à la personne […] qu'il soigne […]
une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il
lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses
explications et veille à leur compréhension ». Une nuance est apportée : le Médecin doit
tenir compte de la « personnalité » du patient lorsqu’il l’informe sur son état. Mais le
même article va plus loin dans la pondération de l’annonce et devient plus
explicite : « dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie
en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic
grave […]. Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection ». Ainsi, il est non
seulement mentionné implicitement l’impossibilité par l’Infirmière (elle n’est pas
mentionnée) de révéler un pronostic grave, mais aussi que dans certains cas et
dans l’intérêt du malade, on puisse le tenir dans l’ignorance. L’Infirmière devant agir
« dans l’intérêt du patient » (Art.R4312-26), elle doit donc se soumettre aux
recommandations du Médecin de tenir le patient dans l’ignorance de son diagnostic
ou de son pronostic, car celles-ci vont dans l’intérêt du patient.
Dans la situation que j’ai vécue, ayant pour recommandations du Médecin de
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ne pas annoncer les résultats de l’examen au patient, j’étais donc tenu légalement
de mettre mon élan de sincérité de côté, et ce, dans l’intérêt du patient. Ça m’a été
dur à vivre, car la sincérité, l’authenticité et plus généralement l’accès à la vérité,
sont des valeurs auxquelles je suis très attaché comme je l’ai déjà dit plus haut.
2) Cadre Conceptuel :
Valeurs :
Nous allons maintenant explorer ce concept, sous un angle d’abord
généraliste, puis sous un angle appliqué plus spécifiquement à la profession
Infirmière.
Le mot Valeur revêt aujourd’hui plusieurs sens : économique (le prix d’un
objet ou titre boursier), normatif (expression d’une mesure, d’une quantité au moyen
d’une unité, cm, kg, etc.), efficacité (valeur d’une méthode, d’un enseignement) et
celui d’un principe moral (Vérité, Honnêteté, Courage, etc.). C’est en ce sens que
nous apprécierons le mot Valeur dans ce travail. Nous appréhenderons le mot
Valeur en tant que concept sociologique et psychologique.
Tout d’abord, commençons par l’origine étymologique du mot. Valeur vient du
latin « Valor » qui signifie « qualité » ou « mérite ». Pour le Petit Robert, une Valeur
est « ce en quoi une personne est digne d’estime (quant aux qualités que l’on souhaite à
l’homme, dans le domaine moral, intellectuel et professionnel) ». Ainsi, une Valeur serait
quelque chose de précieux, car elle trouve sa richesse par l’estime qu’on lui porte.
Les Valeurs sont donc des principes auxquels on accorde beaucoup d’importance.
Et cette importance accordée, ne se base pas sur un raisonnement logique ou
statistique, comme une règle scientifique, ou une loi, mais sur une « croyance », tel
que le définit Simon.
La valeur ne peut donc pas se remettre en question comme un raisonnement,
car elle est arbitraire. Elle est à adopter ou à laisser. On ne peut donc pas juger une
Valeur. Et le jugement de Valeur est un travers particulièrement proscrit dans le
domaine de la santé.
Les Valeurs, avec leur aspect immuable, solide, servent donc de « point
d’ancrage » à la construction d’un jugement ; de socle à la construction d’une
personnalité, à la décision d’une action. Ce sont de véritables références, pour un
individu ou pour un groupe.
Ainsi, les Valeurs sont donc définies par Simon comme un « ensemble de
croyances […] au sujet de la Vérité, de la Beauté […]. Elles sont des actions orientées et
donnent une direction et une mesure à la vie de chacun ». Selon Robert Lafore, elles
servent à « poser une référence orientant la raison, les représentations et les
comportements individuels ou collectifs » (1).
C’est cette définition du concept de Valeur que je retiendrais pour
l’appréhension conceptuelle de ma problématique.
Ma pré-enquête m’a permis de me rendre compte que dire la Vérité au
malade comptait beaucoup pour les Infirmières. En ce sens que la Sincérité saurait
être une valeur personnelle fortement présente dans la profession. Mais la
profession compte aussi bien d’autres Valeurs : les Valeurs professionnelles.
1
Robert Lafore « La protection sociale, une valeur ? », Informations sociales 08/2006 (n° 136), p. 84-95
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Selon Kozier & Blais, il y’a 4 grandes Valeurs essentielles qui se retrouvent
dans n’importe quel modèle en Soins Infirmiers : s’engager à promouvoir la santé,
s’engager à promouvoir l’autonomie du patient, s’engager à développer des activités
et croire en la dignité du patient (2).
Selon Kossman, des Règles Professionnelles du CSP se dégagent 2 Valeurs
primordiales : « la dignité de la personne et la protection de la vie ».
Ces deux auteurs font référence à des Valeurs dont le patient est au centre
de tout. Le patient en tant qu’être humain. Ainsi, les Valeurs Infirmières peuvent être
considérées comme issues d’une pensée Humaniste. Autrement dit, la philosophie
Humaniste pose les références de pensée nécessaires à l’exécution de soins
Infirmiers de qualité. Ces références étant les Valeurs de la profession Infirmière.
C’est cette définition des Valeurs Professionnelles Infirmières que je
retiendrais pour l’appréhension du problème ici traité.
C’est d’ailleurs une idée que justifient Riopelle & Teixidor (3). Pour eux, en
faisant référence à Jean Watson, « la discipline Infirmière étant une activité
profondément humaine, l’approche infirmière s’appuie sur une philosophie Humaniste ».
Relation d’Aide :
Jean Watson, membre de l’Académie Américaine en Soins Infirmiers, est
connue pour l’élaboration de son concept de « caring » qu’elle décrit comme un
ensemble de 10 facteurs fondateurs de la démarche soignante et favorisant le
maintien de la santé (4 ). Parmi ces 10 facteurs « caratifs », il y’en a un qui fait
référence au développement d’une relation d’aide et de confiance entre l’Infirmière et
le Patient. Des Valeurs Humanistes de la profession, se dégage donc la nécessité
d’instaurer une relation d’aide entre le soignant et le soigné. Ce sera le point de
départ au questionnement sur la relation soignant-soigné, que je développerais au
cours de ce sous-chapitre.
De plus, l’alinéa n°41 de l’article R-4311-5 du CSP rappel clairement
l’obligation d’« aide et de soutien psychologique » faite à l’Infirmier.
Pour définir la relation d’aide, il faut se pencher sur les travaux de Carl
Rogers. En effet, ce Psychologue Humaniste Américain a inventé un courant nommé
« Approche Centrée sur la Personne », ou ACP. Ainsi, il a défini la relation d’aide
comme une relation nécessitant à l’aidant d’adopter trois attitudes : Non-Jugement,
Empathie et Authenticité. (5).
Le non-jugement tout d’abord, c’est accepter l’autre tel qu’il est. Cela veut dire
accepter l’autre de manière inconditionnelle. On se centre sur l’ « Ici et Maintenant ».
Sur la personne qui est là et en ce moment, sans émettre le moindre jugement à son
égard. Cette attitude est favorisée par la mise en place d’un lien chaleureux avec le
patient.
2
Barbara Kozier et Kathy Blais « Professional Nursing Practice: Concepts And Perspectives », Fourth Edition,
2001, 406 pages.
3
Lise Riopelle, Montserrat Teixidor, « Approche Humaniste de la pratique Infirmière », Soins Cadres n°44,
Novembre 2002, p 62.
4
Jean Watson, “Le caring. Philosophie et science des soins infirmiers”, traduction française sous la direction
de Josiane Bonnet, Paris, Seli Arslan, 1998, 317 pages.
5
Carl ROGERS, “On becoming a person" - "Devenir une personne", Houghton Mifflin Company, Boston, 1961,
425 pages.
10
Ensuite, l’Empathie, selon le Petit Dictionnaire Universel, est la « faculté de
ressentir ce que l’autre ressent ». Pour Riopelle et Teixidor, c’est « une réponse affective,
cognitive et comportementale […] qui fait que l’autre comprend que l’Infirmière est disposée
à l’écouter et à lui consacrer du temps, afin de l’aider à vivre sa situation » (6). Ainsi,
l’Empathie trouve une application dans la communication entre le soignant et le
soigné. En pratique, elle se traduit par des reformulations d’éléments clefs d’une
discussion.
Enfin, l’Authenticité se définit par le même dictionnaire comme le fait d’être
d’« une vérité, une sincérité incontestable ». Le terme de sincérité acquiert ici une valeur
inaliénable. Riopelle et Teixidor la définissent comme « Être soi-même dans une
plénitude qui permet […] de prendre des décisions et d’agir honnêtement » (7). Rogers la
définit comme la « congruence » entre le Moi Idéal et le Moi Réel. Il faut que ces
deux entités soient en adéquation, soient équivalente. Cela se résume à être dans la
réalité comme on aimerait être dans l’idéal, selon Rogers : « Le terme “congruent” est
un terme que j'ai pour décrire comment j'aimerais être. (8) ».
En ce qui concerne ce concept, j’adopterais le positionnement de Rogers. À
savoir que pour l’établissement d’une relation d’aide, il faut que ces trois attitudes
soient adoptées par l’Infirmière.
Si l’on met en regard ce concept avec la situation particulière où les
Infirmières sont parfois obligées de ne pas dévoiler la vérité au malade pour
respecter la loi, alors que la Sincérité est une Valeur primordiale chez elles, c’est ici
que se pose le problème central que ce travail tente d’explorer.
En effet, si les Valeurs sont des références qui permettent à l’Infirmière de
définir ce qu’elle aimerait être : sincère. Et que la loi l’oblige à ne pas pouvoir l’être :
interdiction de dire la vérité au Malade sur son pronostic. Elle risque de ne plus
pouvoir offrir une réelle Authenticité, et par voie de conséquence, une relation
aidante au malade. Elle risque la déshumanisation des soins. Comment l’Infirmière
va-t-elle vivre cette expérience désagréable ? Quels risques encourt-elle si la
situation se répète trop souvent ?
Pour tenter d’apporter quelques lumières sur les risques encourus par
l’Infirmière trop souvent exposés à ce genre de situation, il nous faut aller chercher
du côté d’une issue dont malheureusement trop d’Infirmières font souvent les frais :
l’Épuisement Professionnel.
Épuisement Profesionnel (Burn-Out):
L’Épuisement professionnel, aussi appelé Burn-Out, est un syndrome
caractérisé par le fait d’avoir épuisé toutes ses ressources adaptatives par rapport à
une situation professionnelle stressante donnée.
Le stress au travail est certainement une chose aussi vieille que le travail luimême, et nombre de travailleurs l’ont certainement déjà ressenti sans jamais y poser
un nom dessus. Mais, c’est Loretta Bradeley, alors Docteur à l’université technique
du Texas menant des recherches sur les milieux professionnels, qui en 1969
6
Lise Riopelle, Montserrat Teixidor, Ibid.
Lise Riopelle, Montserrat Teixidor, Ibid.
8
Carl ROGERS, Ibid.
7
11
désigne pour la première fois ce stress professionnel sous le terme de « Burn-Out »,
qui signifie en anglais « se consumer ».
Le terme fut repris un peu plus tard, en 1974, par le Psychiatre Americain
Herbert Freudenberger qui en fait une description plus détaillée. Il était alors
directeur d’une Clinique à New York accueillant des patients toxicomanes, et il a
remarqué qu’après environ un an d’activité, son personnel (constitué en grande
partie de bénévoles) avait tendance à se démotiver, se plaindre de maux
somatiques (dorsalgies, céphalées, troubles intestinaux), ou manifester des troubles
de l’humeur (irritabilité, colère, repli sur soi). Certains en arrivaient même à perdre
leurs capacités professionnelles.
Parallèlement à cela, Freudenberger avait aussi remarqué que les bénévoles
étaient des personnes particulièrement pleines d’entrain, d’enthousiasme ou de
motivation. A contrario, les toxicomanes dont ils s’occupaient, étaient plutôt des
patients difficiles à motiver, à rendre observant, en somme, qui manifestait une
grande inertie et qu’il été difficile de mettre en mouvement, de faire rentrer dans une
dynamique de soin. Ainsi, les efforts déployés par les bénévoles étaient non
seulement immenses, mais aussi très souvent vains, et ceux-ci finissaient par
épuiser toute leur motivation initiale, faute d’avoir pu la renouveller par des résultats
convaincants avec les patients. Le personnel finissait par être constamment
insatisfait, et doutait continuellement de ses capacités. Ainsi, ils entraient dans un
épuisement moral, une fatigue continue qui les menait à la démotivation, et tous les
troubles somatiques cités plus haut. Les soignants avaient pour ainsi dire
« consumé » toutes leurs ressources comme le dit Freudenberger : « les gens sont
parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie
dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme
sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe
externe semble plus ou moins intacte » (9).
Dans ce modèle, les facteurs intrapersonnels tels que le dévouement
apparaissent comme décisifs dans la prédisposition à être victime d’un Burn-Out.
Freudenberger place donc les caractéristiques de l’individu comme l’élément central
conduisant au Burn-Out. Chrisitiana Maslach vient corroborer cette idée en appelant
cette affection la « maladie du battant » (10). Elle complète cependant le concept en
ajoutant la dimension environnementale au problème.
Christiana Maslach, Docteure en Psychologie de l’Université de Standford, a
conduit à asseoir le concept en réalisant une échelle aujourd’hui largement validée
permettant de mesurer l’ampleur de l’épuisement professionnel.
C’est un peu par hasard qu’elle découvre elle aussi le Burn-Out au début des
années 80 (11), au cours de recherches menant sur les stratégies développées au
travail pour faire face aux situations d’activation émotionnelles. La différence avec
Freudenberger tient au fait qu’elle constate que cet état de Burn-Out se retrouve
aussi dans d’autres professions. Elle émet donc l’hypothèse que le problème
viendrait aussi de l’environnement, et non plus seulement de l’individu. En effet, elle
Herbert J. Freudenberger, “L'épuisement professionnel : "la brûlure interne"”, Gaëtan Morin, Québec, 1987,
p 142.
10
Michael Leiter, Christina Maslach, “Banishing Burnout: Six Strategies for Improving Your Relationship with
Work”, Jossey-Bass, San Fransisco, 2005, p. 148.
11
Wilmar Schaufeli, Christina Maslach, T. Marek, « Professional Burnout: Recent Developments in Theory and
Research », Taylor & Francis, Philadelphie, 1993, 293 pages.
9
12
retrouve les mêmes manifestations chez des Avocats aidant des personnes en
grande difficulté sociale. Ce qui la conduit à conclure que ce sont les professions
impliquant un fort investissement personnel dans une relation d’aide qui sont le plus
susceptible de déclencher des Syndromes d’Épuisement Professionnel.
De plus, elle approfondit le concept au cours de ses nombreuses recherches
en le divisant en 3 dimensions : émotionnelle, attitudinale et cognitive (12). Ces 3
dimensions sont pour elle liées chronologiquement, si bien que lorsqu’on présente la
première, si rien ne s’arrange, on va finir par présenter la seconde, et ainsi de suite.
La première étape est en fait l’Épuisement Émotionnel. Le sujet commence par
consommer toutes ses ressources émotionnelles pour faire face à la situation.
Ensuite, il y’a la dépersonnalisation, qui constitue la seconde étape, où le sujet
déshumanise ses relations avec son patient, en trouvant dans cette attitude un
moyen de s’adapter à ce manque d’énergie émotionnelle. Les relations humaines
demandant un engagement d’émotions, le soignant ne pouvant plus fournir
d’émotions, il ne peut donc plus s’engager humainement avec le patient. Enfin, si
toujours rien n’a été entrepris pour cesser ce glissement, il y’a la réduction de
l’accomplissement personnel, qui traduit la dimension cognitive de l’Épuisement
Professionnel, menant à une baisse de l’estime de soi, une dévalorisation, une
autodépréciation, etc.…
Pour le cas Infirmier, on peut penser que l’Infirmière encline à des situations
de forte implication personnelle dans une relation d’aide pourrait, si celle-ci venait à
perdre en qualité, être sujette à l’épuisement professionnel. En effet, la relation
d’aide demande une forte congruence et une solide authenticité comme nous l’avons
vu plus haut. Cela pourrait se traduire par le fait d’agir en accord avec ses valeurs.
Or la loi vient parfois se glisser devant les valeurs, en se substituant à elles, et ainsi
empêcher d’agir en accord avec celles-ci. Pire, parfois elle impose d’agir de façon
radicalement opposée. Ainsi, l’Infirmière manquant d’authenticité risquerait de voir la
qualité de sa relation d’aide diminuer au fur et à mesure des coups de canif de la loi
dans ses valeurs. La qualité de la relation avec le patient se détériorerait de fait. Et
le manque de « succès » relationnels aussi. Ainsi, en l’absence de résultats
convaincants après un investissement important dans une relation aidante,
l’Infirmière serait obligée de « tenir » sur ses réserves émotionnelles et pourrait
rapidement en venir à bout, celles-ci n’étant plus réalimentées par des
résultats encourageants. Et lorsqu’il y a épuisement de toutes les réserves
émotionnelles, cela caractérise la première étape du Burn-Out…
V – PROTOCOLE DE RECHERCHE
Afin de clarifier la réflexion, revenons sur la question de recherche qui était :
Dans une situation où les Valeurs d’une Infirmière se retrouvent en opposition avec la Loi, et
que celle-ci doit continuer à maintenir une Relation d’Aide, de quelle nature peuvent-être les
risques qu’elle encoure, à court, moyen ou long terme ?
12
Wilmar Schaufeli, Christina Maslach, T. Marek, Ibid.
13
Après l’étude conceptuelle qui vient d’être faite, je propose donc à cette
question, la réponse suivante, sous forme d’hypothèse :
Si l’Infirmier(e) donne la priorité à la loi par rapport à ses Valeurs, alors elle risque
l’Épuisement Professionnel.
Afin de vérifier cette hypothèse, je vais aller sur le terrain mener une enquête
avec un outil de « mesure ». Cet outil se décomposera en deux grandes parties, afin
de mesurer les deux parties de l’hypothèse : la Variable Indépendante (priorisation
de la Loi face aux Valeurs), et la Variable Dépendante (Épuisement Professionnel).
Ainsi, en fonction des résultats obtenus, et avec un outil de dépouillement, on pourra
définir s’il existe un lien de causalité entre ces deux variables.
1) Variable Indépendante (V.I.)
Il va être question ici d’évaluer si l’Infirmière se trouve dans un contexte où
elle doit donner priorité à la loi face à ses valeurs. Par souci de faisabilité, je vais
axer la recherche sur une seule Valeur : l’Authenticité. Il va donc tout d’abord falloir
définir si le contexte législatif « contraignant » à taire une vérité au malade
demandeur d’informations se rencontre dans l’exercice de son travail. Ensuite, il
faudra évaluer si effectivement l’Infirmière donne plus souvent la priorité à la loi
plutôt qu’à ses valeurs. Enfin, il conviendra d’évaluer si l’Infirmière a pour Valeur
l’Authenticité ou si elle la reconnaît comme une valeur professionnelle.
Les indicateurs de la présence d’un tel contexte sont :
- Une demande du malade à l’Infirmière concernant un pronostic ou un
diagnostic. (présence d’une demande dans un contexte législatif « contraignant »)
- Une redirection effective de la demande du patient vers l’autorité
compétente. (respect de la contrainte : la loi)
- Une reconnaissance avouée de respecter la loi. (validation du respect de la loi)
- Une manifestation du désir de l’Infirmière que le patient connaisse la vérité
sur son état. (besoin de vérité pour le malade)
- Un désir de l’Infirmière de l’y amener. (désir d’authenticité)
- Une application avérée d’authenticité par l’Infirmière. (authenticité effective)
- Une acceptation par l’Infirmière de la définition proposée de l’Authenticité
comme étant le fait de dire la vérité. (validation de l’expression de l’authenticité)
- Une reconnaissance avouée de l’Authenticité comme Valeur personnelle
ou professionnelle. (l’authenticité comme Valeur)
- L’infirmière admet qu’il lui arrive de faire passer ses valeurs après la loi,
lorsqu’elles sont en opposition. (priorisation de la loi face aux Valeurs)
2) Variable Independante (V.D.)
Pour mesurer si le sujet présente effectivement un épuisement professionnel
avéré, où a défaut, à quel stade de l’installation d’un tel état il se trouve, il va nous
falloir mesurer l’épuisement professionnel dans ses trois dimensions : émotionnelle,
attitudinales et cognitives. Pour cela je choisis d’utiliser l’échelle de Maslach. En effet
c’est un outil d’évaluation élaboré par l’auteur même du concept et qui a fait ses
preuves depuis plusieurs décennies.
14
3) Population et Outil
Afin de mener à bien cette enquête, je retiens comme méthode le rendezvous avec 15 Infirmières au décours duquel je leur remettrai un questionnaire à
questions semi-ouvertes. Nous le remplirons ensemble, cela m’aidera à bien
comprendre leurs réponses, et à défaut, leur faire reformuler, afin d’écarter toutes
ambiguïtés. Ce questionnaire comprendra une première partie correspondant à la
vérification de la présence d’indicateurs de la variable indépendante (cf. Annexe I), et
une seconde partie, composée de l’Échelle de Maslach (cf. Annexe II).
4) Lieux d’Enquête
Pour avoir le plus de chance possible que la variable Indépendante soit
vérifiée, et donc que l’hypothèse puisse être évaluée, je choisis des milieux dont les
explorations mènent souvent à la découverte d’une pathologie indiquant un mauvais
pronostic, et où les patients sont conscients, donc en état de communiquer avec
l’Infirmière, et donc de demander des informations médicales concernant leurs
résultats. Les deux milieux retenus sont le service de Neurologie à Pasteur et le
service de Gastro-Enterologie à l’Archet 1. La découverte de tumeurs engageant le
pronostic vital y est une situation fréquemment rencontrée.
5) Dépouillement et Analyse
Le dépouillement des résultats se fera en analysant les réponses des
infirmières à chaque question et en dénombrant le nombre d’indicateurs récoltés par
Infirmière pour la V.I., et de la grille de dépouillement de l’échelle de Maslach,
élaborée par elle-même pour la V.D. Ensuite je dénombrerais le nombre de fois où la
V.I. et la V.D. ont été vérifiées à l’aide d’un tableau à 2 entrées.
VI – CONCLUSION
Lorsque j’ai commencé ce travail, j’avais constaté que bon nombre
d’Infirmières pensaient que tout ce qui était de l’ordre du diagnostic ou du pronostic
médical devait être annoncé au patient par un Médecin. Mais, aucune d’entre elles
n’était capable de me le prouver. Je me suis alors demandé si ce n’était pas une
simple croyance professionnelle, comme il existe des croyances populaires. De là a
jailli une question qui m’a préoccupé, et qui est devenue ma question de départ :
peut-on toujours dire la vérité au patient ? Et bien au cours de mes recherches, je
me suis rendu compte que le corps médical pouvait effectivement se réserver le droit
d’annoncer la vérité au malade progressivement, dans l’intérêt de celui-ci. De plus,
15
après avoir exploré le cadre législatif, j’ai appris que dans certains cas, l’Infirmière
pouvait être tenue de ne pas révéler certaines informations au patient. Ainsi, j’ai
donc obtenu la réponse à ma première question. Mais une question restait toujours
en suspend : comment les Infirmières vivaient alors le fait d’être tenues de se taire ?
Je me suis dit qu’une telle situation ne devait pas être facile à vivre, et que cela
devait exercer des contraintes psychiques sur les Infirmières. Ainsi est née
l’hypothèse que l’obligation de nier ses Valeurs pouvait être une des causes d’un
Épuisement Professionnel.
Je pense que le Burn-Out est un syndrome qui n’est pas dû à un seul facteur,
que c’est un mécanisme qui se met en place sous l’action de plusieurs facteurs,
qu’ils soient environnementaux, psychiques, ou même physiques. Mais je me dis
que le fait d’être tenu d’agir de façon répétée à l’encontre de ses Valeurs doit tout de
même avoir une influence sur la mise en place d’un tel mécanisme.
Ainsi mon enquête me permettra-t-elle peut-être, sinon d’apporter une
réponse, au moins de mettre en lumière ce problème récurrent de la confrontation
entre un idéal et la réalité. Et si la corrélation entre la négation des valeurs et
l’épuisement professionnel ne saurait établir un lien de causalité assez fort, alors
faudra-t-il peut-être aller chercher ailleurs d’autres causes à l’épuisement
professionnel ? À l’heure où la restriction budgétaire et les contraintes de temps se
font de plus en plus présentes, ce pourrait être des pistes intéressantes à explorer…
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