LE TRANSPORT ET L’ECOLOGIE [email protected] Sociologue Le combustible des automobiles au Nord contre la nourriture au Sud ? Concernant la consommation journalière de pétrole, un Chinois en consomme de 0,5 à 1,1 litres, un américain de 11 à 12 litres, soit près de 12 fois plus1. Or, Jacques Diouf, le directeur de la FAO, précisait qu’il y avait déjà 100 millions de tonnes de céréales transformées en carburant en 2006 2. Jean Ziegler souligne qu’il faut 232 kg de maïs nécessaire pour faire un plein de cinquante litres d’éthanol. Cette quantité de maïs représente assez de calories pour faire vivre un enfant pendant un an 3. Un rapport confidentiel de la Banque mondiale, obtenu par le Guardian, affirme que Don Mitchell, un économiste réputé de la Banque mondiale, « a calculé le prix d’un panier de denrées entre janvier 2002 et février 2008 et mesuré une hausse globale de 140%. Prenant en compte la ’’chaîne des conséquences’’, Mitchell estime que sur les 140% d’accroissement, 35% sont imputables à la hausse des prix de l’énergie, des engrais et à la faiblesse du dollar, et 75% aux agrocarburants. Le rapport ’’affirme que la production des biocarburants a désorganisé le marché des produits alimentaires de trois façons majeures. D'abord [la demande pour les biocarburants] détourne le blé vers l’éthanol et non vers l’alimentation. Ensuite, à l’heure actuelle, presque un tiers du maïs produit aux Etats-Unis sert à la production d’éthanol et environ la moitié des huiles végétales (colza, tournesol, etc.) sont utilisées pour le biodiesel. Et finalement, cette dynamique haussière a attiré la spéculation sur les céréales ’’ »4. Jacques Berthelot estime que « les États-Unis sont indubitablement les principaux responsables de la flambée des prix agricoles et des émeutes de la faim actuelles, par les objectifs déments qu’ils se sont fixés pour la production de biocarburants et parce que, comme on l’a vu, ce sont les prix des grains des États-Unis qui font les prix mondiaux sur lesquels les autres pays exportateurs s’alignent »5. Cependant, les Européens ne sont pas en reste. Les transnationales Européennes et Américaines ont demandé à leurs gouvernements de les subventionner pour la production d’agrocarburants, afin qu’ils deviennent rentables, concernant le soja, la betterave (transformés en biodiesel), les céréales ou la canne à sucre (sous forme d’éthanol). C’est pourquoi, depuis avril 2008, tous les carburants essence et diesel en GrandeBretagne ont inclus 2,5% de biocarburants. L'UE a envisagé de relever cet objectif à 10% en 2020 »6. En 2007, les biocarburants représentaient 2,6 % de l’ensemble des carburants utilisés dans les transports routiers en Europe7. Au nom de la sécurité énergétique, en mars 2007, lors du Conseil des ministres européens, il a été « décidé que les agrocarburants devraient représenter 5,75 % en 2010, puis au moins 10% de la consommation d’essence et de gazole des transports, dans chaque État membre (...). Mais, la France a choisi d’aller plus loin que ces objectifs européens »8. Par conséquent, chaque fois qu’un Européen fait un kilomètre en voiture, il brûle actuellement des agrocarburants qui auraient pu être utilisés pour l’alimentation des plus malnutris. Dans son rapport prospectif sur l’alimentation pour les années 2007-2016, la FAO prévoit une augmentation de 20 à 50% du prix des denrées alimentaires. Selon l’IFPRL, « un institut spécialisé ARIES Paul, Décroissance et gratuité, Moins de biens, plus de liens, Golias, 2010 b. DIOUF Jacques, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO, juillet 2007 3 ZIEGLER Jean, L'Empire de la honte, Fayard, 2007. 4 CHAKRABORTTY ADITYA, Secret report: biofuel caused food crisis Internal World Bank study delivers blow to plant energy drive, The Guardian, 3 juillet, 2008. 5 BERTHELOT Jacques « Démêler le vrai du faux dans la flambée des prix agricoles mondiaux » du 15 juillet 2008, p. 32, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Berthelotlevraidufauxdanslaflambeedesprixagricolesmondiaux.pdf 6 CHAKRABORTTY ADITYA, Secret report: biofuel caused food crisis Internal World Bank study delivers blow to plant energy drive, The Guardian, 3 juillet, 2008. 7 SYSTÈMES SOLAIRES le journal des énergies renouvelables N° 185 – 2008 8 DEFI POUR LA TERRE, Les Agrocarburants, http://www.defipourlaterre.org/fraise/pdf/PFUE-agrocarburant.pdf 1 2 sur les questions d’alimentation et d’agriculture, qui a étudié plus directement l’impact du développement des agrocarburants sur les prix alimentaires, on peut s’attendre à des hausses significatives de nombreuses denrées alimentaires à l’horizon 2020, par exemple de 16 à 30% pour le blé selon les scénarios, ou encore de 54 à 135% pour le manioc, et de 23 à 41% pour le maïs, en raison du développement des agrocarburants »9. Compte tenu du fait que les agrocarburants n’ont pas bonne presse chez les militants écologistes et les associations pour la justice sociale, ils sont abusivement dénommés biocarburants par ses promoteurs plutôt qu’agrocarburants. Or, ils n’ont rien de ’’bio’’, puisqu’ils poussent dopés aux engrais et aux pesticides. De plus, des entreprises, telles Sofiprotéol (et sa filiale Oléosud) ou des fondations, telles Farm réalisent des projets de développement d'agriculture vivrière. Ceci, dans le but de tenter de rendre plus acceptable, par l’opinion publique, le développement des agrocarburants. Ces derniers accroissent directement le prix des céréales dont dépendent les populations plus pauvres pour se nourrir. La fondation Farm mobilise aussi des mécènes (BASF agro, Syngenta, Tereos, Progosa), qui sont des géants agro-industriels ou pétrochimiques, qui cherchent à se racheter une image plus acceptable. En ce qui concerne les ressources d’énergie, le pétrole devrait disparaître, dans environ 40 ans, le gaz, dans 60 ans et le charbon, dans 150 ans. Sous sa forme liquéfiée, il pourrait remplacer le pétrole et le gaz dans les véhicules de transports, cependant, ce dernier est émetteur de très importantes quantités de CO2, nuisibles à l’effet de serre. Les ressources en fer devraient être épuisées vers 2090, soit dans 80 ans, en 2010 10. Or, le Fer est le fondement de notre société industrielle, tous nos moyens de transport, notre technologie s’appuient principalement sur lui. S’il disparaît, l’industrie sera considérablement limitée et ne pourra continuer de fonctionner qu’en recyclant le fer. Yves Cochet estime, pour sa part que c’est surtout, entre 2010 et 2020, que les prix du pétrole vont considérablement augmenter, ce qui va profondément transformer l’économie mondiale, en pénalisant d’abord, les entreprises de transports (aviations, routiers, marchandises, tourisme à longue distance...) qui vont voir leurs prix exploser et cela créera des faillites à la chaîne11. Compte tenu du fait que le prix du pétrole va monter progressivement, en flèche, les producteurs n’ont, cependant, pas intérêt à en vendre trop actuellement, d’une part pour ne pas faire baisser les cours actuels, mais surtout parce que, sur la fin des réserves, les profits seront exponentiels. Par ailleurs, une partie des réserves du pétrole est constituée de ce que l’on dénomme des huiles visqueuses, ou des sables asphaltiques. Or, pour un baril de pétrole extrait, 10 barils d’eau sont nécessaires, ce qui est donc extrêmement polluant et très consommateur d’eau 12. D’autre part, la limite de l’empreinte écologique, ne s’oppose pas forcément à la croissance des secteurs qui ne détruisent pas la nature et les ressources non renouvelables, tels que le social et le culturel. Cette croissance sélective (qui peut aussi être qualifiée de décroissance sélective), pourra se développer, tant que ses externalités négatives (transports, communications…) du secteur socioculturel en particulier, ne dépassent pas le niveau de l’empreinte écologique mondiale soutenable et égale pour tous. En ce qui concerne les transports, selon le WWF (2010), « pour un trajet équivalent de 10 km, l’empreinte écologique annuelle d’une personne qui se rend à son travail est de: - 120 m² en vélo - 420 m² en bus - 2.050 m² en voiture 9 IFPRI International Food Policy Research Institute (IFPRI), in Défi pour la terre, Les agrocarburants, 2010. 10 USGS, Mineral Ressources Programme, 2010, http://minerals.usgs.gov/ COCHET Yves, Pétrole apocalypse, Fayard, 2005 12 ARIES Paul, Op. Cit, 2010 b, p. 15. 11 On peut donc réduire son “empreinte-transport” par 17 si on laisse sa voiture au garage et si on ressort son vélo de la cave ». Serge Latouche, dans son livre le Pari de la décroissance préconise que nous adoptions "8 R". Réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler, qui l'amène aux préconisations suivantes : 1) Revenir à l’empreinte écologique d’une seule Terre pour la France, 2) Internaliser les coûts des transports 3) Relocaliser la production 4) Restaurer l’agriculture paysanne 5) Utiliser les gains de productivité pour faire de la RTT 6) Produire des biens relationnels 7) Réduire les gaspillages d’un facteur 4 8) Pénaliser les dépenses de publicité 9) Décréter un moratoire sur les innovations technologiques13. En résumé, il y a d’un côté, trois orientations insoutenables au plan écologique : - le retour à la terre et le développement de petits villages perdus non autosuffisants, - ou des villes gigantesques laides, polluées insuffisamment denses, du type Los Angeles, donc avec des temps de transports longs écologiquement néfastes - ou à l’inverse des mégapoles urbaines, telle Paris, si denses que leur empreinte écologique se révèlent mauvaise en particulier à cause du coût des infrastructures de transports en commun, tels les métros. De l’autre côté, il y a deux orientations cohérentes susceptibles de d’articuler : - Le retour à la terre autour de gros villages ou de petites villes autosuffisantes - Ou le développement de grandes villes denses, belles et végétalisées. La croissance infinie des transports permet de vivre dans un mouvement perpétuel favorable à l’oubli de soi et au capitalisme néolibéral. La décroissance des transports est une des clés du projet décroissant et écologiste. En particulier, parce que la pollution liée au transport est la première cause de réchauffement climatique. Comme l’a montré Ivan Illich au début des années 70, la voiture individuelle est le symbole de la civilisation occidentale. Ivan Illich calculé qu’un Américain moyen passait plus de mille six cents heures par an à sa voiture que ce soit en roulant ou en travaillant pour la payer. Ce dernier permet d’éviter de passer sa vie à gagner de l’argent, pour s’acheter une voiture pour pouvoir aller travailler ! Une véritable histoire de shadoks … S’il exerce une activité professionnelle, l’Américain moyen dépensait ainsi 1600 heures chaque année pour parcourir 10000 kilomètres. Cela correspondait une vitesse moyenne d’environ 6 km/h, soit à peine plus que la vitesse moyenne d’un piéton (4 à 5 km/h)14. La voiture a donc un rapport coût/efficacité largement plus faible que le vélo, un des anciens symboles de la république démocratique de Chine. Serge Latouche souligne que « si les idées doivent ignorer les frontières, les mouvements de marchandises et de capitaux doivent être réduits à l'indispensable (...). Il faut pour cela impulser une réalisation plus complète. C'est l'essentiel de l'activité économique et de la vie tout court qui doit être reterritorialisé. Comment y parvenir? En internalisant les coûts externes du transport (infrastructure, pollution, dont effet de serre et dérèglement climatique), on relocaliserait probablement un grand nombre d'activités. Avec un coût du kilomètre multiplié par dix, les entreprises productrices redécouvriraient les vertus des produits et des marchés de proximité » »15. Dans le modèle capitaliste et plus largement le productivisme, le transport s’inscrit lui aussi, dans un projet de croissance mondiale infinie. L’axiome premier de son développement est le besoin du LATOUCHE Serge, Le pari de la décroissance. 2006, Fayard, 302 p. ILLICH I., Energie et équité, Le Seuil, 1973. 15 LATOUCHE Serge, Le pari de la décroissance. 2006, Fayard, p. 205 13 14 marché et non par la rationalité écologique et sociale. L’organisation mondiale du commerce (OMC) a pour mandat prioritaire, la levée des obstacles au commerce et notamment des obstacles techniques. Les dirigeants de l’OMC cherchent donc à faire disparaître, les normes sociales et environnementales qui sont des obstacles au commerce.. De plus cette dernière s’inscrit dans le cadre de l’économie néolibérale, qui met en avant l’avantage comparatif (Ricardo) et la division internationale du travail. Elle se fait donc l’apôtre d’un accroissement des échanges commerciaux, des délocalisations au détriment de la relocalisation ou du droit à certain protectionnisme permettant un développement autonome. Ce dernier est d’ailleurs la condition préalable à l’ouverture économique, sinon l’économie nationale risque d’être dominée les entreprises transnationales étrangères. A l’inverse dans les cultures traditionnelles, les moyens de se déplacer étaient plus lents, souvent pédestre, fondés sur la traction animale ou l’usage de la voile. Ils respectaient l'environnement et leur vitesse était plus humaine, plus proche du rythme des pas du marcheur, qui d’une certaine façon est l’étalon premier de l’individu décroissant. Ce dernier cherche donc une décroissance des transports afin de réduire l’empreinte écologique individuelle, nationale et mondiale, notamment par une relocalisation de la production. La décroissance des transports suppose aussi de savoir retrouver le goût des vacances de proximité, du plaisir de simple promenade dans les campagnes environnantes, plutôt que l’exotisme systématique du bout du monde. Le capitalisme libéral mondialisé est fondé en particulier sur l’avantage comparatif et la division internationale du travail, en particulier l’échange de produits primaires en provenance des pays en voie de développement contre des produits manufacturés exportés par les pays développés (Ricardo)16. Il s’appuie aussi sur la domination du centre sur la périphérie, l’inégalité des termes de l'échange (Emmanuel, 1969)17 renforcé par une ouverture « forcée » des marchés nationaux au nom du néolibéralisme, en particulier par l’OMC, appuyé par les institutions de Bretton-Woods. A l’inverse l’écosocialisme autogestionnaire, cherche à développer l’autonomie locale et nationale, avant d’échanger et donc à exercer une « relocalisation sélective » de la production favorable à la fois à la baisse de la pollution liée aux transports, mais surtout une autonomie économique, alimentaire, technologique, conditions d’un développement souverain, donc autogéré. COMMENT CONSOMMER EQUITABLE ET ECOLOGIQUE ? Tandis que le secteur du commerce équitable se développe doucement, l’intérêt des consommateurs pour l’écologie, lui s’accélère rapidement. Au point que nombre d’entre eux, considèrent parfois que l’écologie (favorisée par la consommation de proximité) et le commerce équitable s’opposent, notamment à cause du dégagement de CO2, lié au transport, un des facteurs importants du réchauffement climatique et de l’empreinte écologique. Or, il existe néanmoins des approches ou ces deux courants peuvent coexister, tels que le commerce équitable Sud-Sud ou la relocalisation sélective. L’écologie est-elle compatible avec le commerce équitable Sud-Nord ? Selon la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (1988), l’amélioration des conditions de travail renforce les chances de préservation de l’environnement et donc de s’orienter vers une production soutenable. Car, plus un pays dispose de richesses financières, plus il dispose potentiellement de la capacité à assumer le coût de la protection de son environnement. Cependant, le commerce équitable s’avère limité par le principe écologique, qui suppose de diminuer les distances de transport qui accroissent les émissions de carbone. C'est-à-dire que ne doit être importé que ce qui ne peut être produit sur place, afin de limiter la pollution liée aux transports et l’autonomie alimentaire. Par exemple, en Suisse, le « label bio » Bourgeon interdit les transports par avion et les matières premières importées, ne doivent pas dépasser 90%, tandis que pour le « label Bio suisse » de Bourgeon, la limite 16 17 RICARDO David, Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817 EMMANUEL Arrighi, L'échange inegal. Essai sur les antagonismes dans les rapports économiques internationaux (Maspero, 1969) autorisée descend à seulement 10%. En 2010, il existait environ 800 exploitations de production ou de commercialisation qui bénéficient de ce label. En effet, plus la production se rapproche du consommateur, moins cela engendre de pollution, c’est le processus inverse du commerce équitable. Un développement autonome suppose une relocalisation sélective et une baisse des transports. Or, dans les années 70, les pays non alignés revendiquaient un développement autocentré, notamment par la voix de l’économiste Samir Amin (1972). Un projet de développement pérenne devrait s’appuyer sur la satisfaction des besoins essentiels, l’autonomie et le respect de l’identité culturelle observe Roy Preiswerk18. PREISWERK Roy, in IUED: Il faut manger pour vivre...Controverses sur les besoins fondamentaux et le développement, PUF, 1980, p 132. 18