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1ière journée doctorale « Sciences sociales de la santé »
Aix en Provence, le 12 mai 2006
Compte rendu
La première journée doctorale interdisciplinaire en sciences sociales autour de la
santé a eu lieu le 12 mai 2006 à la MMSH d’Aix en Provence sur l’initiative de deux
étudiantes du CreCSS, Jessica Hackett et Ashley Ouvrier. Organisée avec le soutien de
l’Ecole Doctorale de la MMSH, de l’IFR SHESS-AM, de l’ADRESS et du CReCSS, cette
initiative a permis de réunir des étudiants et doctorants en anthropologie du CReCSS d’Aix
en Provence et de l’EHESS Marseille, des jeunes chercheurs du Département de
psychologie sociale de l’université de Provence, des étudiants en sciences politiques de
Lyon et de Grenoble et enfin un étudiant du CEPED de Paris.
La journée avait pour objectif d’échanger des perspectives de recherches et des
hypothèses de travail autour de la santé, entre doctorants d’appartenances institutionnelles
et disciplinaires différentes. Afin de structurer ces échanges, huit doctorants ont présenté
leurs travaux à travers trois axes thématiques : 1) Réflexion sur le rôle et les outils du
chercheur en sciences sociales sur la santé, 2) Les spécificités de la recherche en milieu
hospitalier, 3) Les constructions sociales autour de la maladie. Après chaque intervention
(15-20 minutes), environ 30 minutes étaient consacrées aux questions et à la réflexion.
1) Réflexion sur le rôle et les outils du chercheur en sciences sociales sur la santé
Esther Esnault a effectué l’ensemble de ses recherches universitaires au Mali et
travaille actuellement en milieu urbain sur l’activité des « dokotorow ». C’est par le processus
de recherche qualitatif et inductif qu’elle justifie le choix de son actuelle recherche de thèse,
issue donc de trois précédentes études. Lors de son intervention, elle a proposé une lecture
critique du concept de pluralisme médical, en s’appuyant notamment sur le fait que le
recours aux médecines traditionnelles apparaissait dans ces recherches davantage comme
un révélateur des rapports de pouvoir que le résultat d’une construction de sens. Pour elle,
les acteurs néo-traditionnels comme les « dokotorow » ne peuvent pas être étudiés à la
lumière du concept de pluralisme médical car la quête symbolique est peu significative parmi
les raisons de recours. Le débat a porté sur le fait que le concept de pluralisme médical
n’était pas forcement exclusif à la quête de sens, et qu’il pouvait par conséquent être utilisé
en complément d’autres modèles explicatifs du recours aux soins, économiques ou
politiques par exemple.
Après avoir présenté un bref historique des soins en milieu carcéral en France, Eric
Farges est revenu sur l’apport des travaux de Parson, de Foucault et de Goffman à sa
recherche doctorale sur l’histoire de la médecine pénitentiaire. Il a ensuite exposé une
réflexion sur le travail des membres associatifs en charge de la prévention sanitaire dans les
milieux pénitenciaires où il enquête. A travers des exemples explicites d’activités comme
« les cours de brossage de dents » ou « la sensibilisation à la charte de monsieur propre »,
il a souligné les risques de sanitarisation de phénomènes sociaux non normalisés en dehors
du milieu pénitenciaire. Puis il s’est interrogé sur la pertinence et l’intérêt d’activités comme
la diététique, la sophrologie ou des ateliers sur le sommeil dans le cadre délétère des
prisons françaises. Le débat a porté sur l’utilisation des concepts de sanitarisation et de
biolégitimité dans d’autres domaines (comme celui de la santé mentale) puis sur l’intérêt
d’enquêter auprès des détenus afin de récolter leurs interprétations des activités de
prévention sanitaire.
En parallèle de ses recherches démographiques dans la région de Bandafassi au
Sénégal, Malick Kanté a mené une enquête qualitative auprès de 50 personnes sur la
fréquentation d’un hôpital « de haute technologie », fonctionnel dans la région depuis 2002.
La faible fréquentation de l'hôpital s’explique selon ses résultats par le manque
d’accessibilité de la structure (50%) (absence de route praticable, région montagneuse,
limité en véhicule), les frais occasionnés par la nourriture (32%) et le logement des
accompagnants de la personne malade (28%), enfin le coût de la consultation (25%), le
manque d’information (26%) et d’argent (13%). La discussion a porté sur les facteurs
complémentaires expliquant la non-utilisation de l’hôpital de Bandafassi, comme l’absence
de coordination claire avec les autorités locales, le manque de pertinence du lieu et de la
nature de l’offre de soin et enfin les enjeux politiques. Un débat a suivi, argumenté
d’expériences personnelles ou de propos rapportés, sur les enjeux politiques du financement
et du fonctionnement des hôpitaux privés dans les pays en voie de développement.
2) Les spécificités de la recherche en milieu hospitalier
Yann Faure effectue, dans le cadre de sa thèse, une étude sociologique sur le métier
d’anesthésiste-réanimateur en France. Il a expliqué comment le lieu de travail de ces
derniers, le bloc opératoire, est progressivement devenu son espace d’investigation. Son
travail d’observation et d’analyse, bien que complexe, montre que les anesthésistes se
voient constamment retirer la légitimité de leur rôle et de leur pratique par les chirurgiens.
Socialement, l’anesthésiste endosserait ainsi au bloc un rôle subalterne, alors que le
chirurgien lui, effectuerait la partie noble du travail et détiendrait donc un statut supérieur.
Yann Faure a ensuite détaillé les difficultés spécifiques qu’il a rencontrées au cours de son
étude, comme les résistances de ses interlocuteurs à voir analyser leurs pratiques
scientifiques en termes sociaux, une tendance chez certains à vouloir diriger ou orienter
l’enquête, ou encore les difficultés à décrypter dans le discours scientifique ce qui relève du
médical et du social. La discussion a porté sur les écueils de l’analyse sociologique du
discours scientifique et les limites du champ de d’investigation des sciences sociales.
Marie Trouche-Bonnet a présenté une réflexion issue de la recherche doctorale
qu’elle effectue à l’hôpital de la Timone à Marseille sur la prise en charge du cancer chez
l’enfant. Elle a rappelé dans un premier temps que la place que tient l’enfant dans le
processus de soins est intimement corrélée à la place que tient l’enfant dans une société
donnée. Puis elle a expliqué qu’en France, la reconnaissance des choix thérapeutiques des
enfants atteints d’un cancer remettait en question de nombreuses normes de soins comme
la relation paternaliste entre médecin et patient mais posait également des questions de
fond. L’enfant est-il véritablement libre de son choix ? Quels sont les outils dont disposent les
familles et les équipes soignantes pour faire face aux soins pédiatriques en oncologie ? La
discussion a porté sur l’apport d’une double formation en psychanalyse et en anthropologie
face à cette thématique de recherche et sur la complexité des enjeux éthiques en
anthropologie de la recherche clinique.
3) Les constructions sociales autour de la maladie
Après avoir défini le paradigme psycho-social, les relations entre objet, ego et alter, et
certains concepts et approches théoriques issus de la pensée en psychologie sociale
(Moscovici, Morin, Apostolidis), Stéphanie Blois et Dany Lionel ont présenté les résultats
d’une étude conduite à l’Hôpital de la Timone à Marseille, sur l’influence des variables
psycho-sociales sur les stratégies d’action et de pensée des acteurs de la relation soignantsoigné en oncologique. L’étude montre un décalage entre les représentations du cancer et
des soins oncologiques entre patients et soignants, une demande en matière d’aide
psychologique et une expression de la souffrance plus importante chez les femmes, et enfin
un décalage entre les représentations de la souffrance des patients et celles des médecins.
La présente étude ayant comme objectif à plus long terme de produire un outil d’évaluation
de la souffrance à l’intention des infirmières, la discussion a porté sur l’acceptabilité et
l’utilisation de cet outil. Les difficultés pratiques dues au fait que les infirmières en oncologie
en France sont fréquemment sujettes à des phénomènes de burn-out et de surcharge de
travail ont notamment été évoquées.
A partir de données issues de sa recherche doctorale sur une approche
anthropologique de l’hygiène hospitalière au Cambodge, Céline Amiel a décrit comment
l’expérience du terrain pouvait conduire à des réajustements conceptuels et des
questionnements différents de ceux énoncés au début du travail de thèse. Ainsi, si au
Cambodge, la notion d’hygiène (anamay) vise à rendre les choses propres (saat), sur le
terrain, elle n’en demeure pas moins une notion floue qui réfère davantage à une hygiène de
type domestique qu’à une hygiène spécifiquement hospitalière. Dans le contexte
cambodgien où l’activité soignante renvoie davantage à des motivations financières qu’à une
vocation, Céline Amiel a expliqué que les résultats de sa dernière investigation l’avaient
aidée à constituer de nouvelles questions de recherche : Que signifie être infirmier au
Cambodge ? Qu’est ce qui participe à la construction de leur identité ? C’est en répondant à
ces nouvelles questions que pourra se poursuivre son travail sur l’hygiène. La discussion a
porté sur les apports et les limites de l’analyse sémantique et sur la nécessité et la richesse
du va et vient entre travail de terrain et travail conceptuel.
La journée fut conclue sur la richesse des échanges et la nécessité d’organiser des
rencontres similaires les années suivantes ou de décliner ces réunions sous d’autres formes.
L’idée de développer des rencontres plus régulières, notamment entre les doctorants
marseillais et aixois qui travaillent souvent sur les mêmes sujets ou parfois même dans les
mêmes lieux, fut également vivement proposée. Enfin, a été mentionné le regret de ne pas
avoir pu recevoir de doctorants du laboratoire de droit de la santé d’Aix-en-Provence mais
aussi de laboratoires et départements concernant d’autres sciences sociales de la région qui
travaillent dans le domaine de la santé. Peut être pour l’année prochaine !
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