Séminaire de l`école lacanienne de psychanalyse proposé par

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Séminaire de l’école lacanienne de psychanalyse
proposé par Laurent Cornaz
Pas-sage, l’analyste
Le journaliste : Donc, sous couvert de la psychanalyse, il n’y a pas répression de la liberté ?
Lacan : (rire) Oui…, ces termes, le terme, me font rire, oui… Je ne parle jamais de la liberté.
Entretien à la télévision belge, 1972, in Pas-Tout Lacan
… il y a des sujets non identifiés (…) Le sujet non identifié tient beaucoup à son unité ;
il faudrait quand même qu’on le lui explique qu’il n’est pas un,
et c’est en ça que l’analyste pourrait servir à quelque chose.
Jacques Lacan, Conclusion des Journées sur la passe, Deauville, avril 1978
Mais où est donc la psychanalyse ? se demandait-on au dernier colloque de l’école. L’on sait
dire où elle n’est pas, mais là où ça se passe, l’effectivité du transfert, c’est ce qu’on n’arrive
pas à dire. Dans ce désarroi de la théorie – quand bien même la pratique, tenue par le
dispositif freudien, produit toujours de surprenants effets – une proposition a été faite par Jean
Allouch : se risquer à l’expérience de la psychanalyse, avance-t-il, ne serait-ce pas une façon
moderne, et même postmoderne, de pratiquer l’antique « souci de soi » remis à l’honneur par
le dernier Foucault ? Cette proposition vise à inscrire la pratique analytique dans une
généalogie moins médicale que « spirituelle », au sens que Foucault donne à ce terme : une
pratique qui change le sujet, en l’occurrence : qui le rende « capable de vérité ».
J’aimerais cette année interroger cette tentative de greffer le lien ombilical de la psychanalyse
à l’exercice spirituel qu’était la philosophie antique, interroger cette tentative de lui trouver
une généalogie plus souterraine, de plus longue portée que celle de la médecine scientifique
revendiquée par Freud. Le lien que tisse Foucault entre le philosophe antique et lui, passe par
la sexualité, par un certain « usage des plaisirs ». Foucault déplace le lieu de la vérité au lieu
de la vie même (du sexe et plus seulement de la pensée) : la vérité du vrai est dans l’intensité
des plaisirs et non dans l’idée de guérison, violemment critiquée comme aliénation à un
pouvoir sur soi. Aussi Foucault récusait-il fermement tout abandon à un autre, tout
« gouvernement » du souci de soi-même. Au nom de « l’intransitivité de la liberté », il
récusait la psychanalyse.
Faire une psychanalyse, est-ce s’en remettre à un autre ou est-ce se soucier de soi ? N’est-ce
pas de l’indécidable de cette question que sourd le transfert ? Le transfert se définirait ainsi
comme ce qui ferait échec à la tentative de faire du « souci de soi » un moteur de l’analyse
suffisant pour la porter à sa fin. Ainsi, par le biais de l’inévitable « souci de l’autre » que l’on
rencontre, que l’on affronte en analyse, la place faite à l’amour dans la pratique de l’analyste
ferait-elle barrage à la tentative d’inscrire la psychanalyse, sans marquer la rupture qu’elle y
opère, dans la généalogie des pratiques spirituelles (aussi bien dans la philosophie
hellénistique que dans d’autres formes de sagesse). Ainsi, serait un Sage celui qui, par les
moyens de l’ascèse, chercherait à s’affranchir de la contradiction, de l’impossible de l’amour
et, dans la mesure où il serait réputé y parvenir, pris pour Maître par ses disciples ; quand le
psychanalyste, pris pour Maître lui aussi, offrirait, au prix de l’anonymat, du désêtre corrélatif
au sujet de la science, à chacun de ses analysants, l’opportunité d’une inimaginable
(intransmissible) traversée de l’amour. Non identifiable comme Sage, le psychanalyste. Ainsi
la psychanalyse ne viendrait à s’inscrire dans une généalogie des pratiques spirituelles qu’au
lieu de leur ratage devant Érôs – érotologie de pas-sage.
Telle est l’hypothèse, le faisceau d’hypothèses. Pour commencer d’en explorer la portée, je
prendrai la question (la question du transfert) à revers en essayant de montrer que le point
d’impossible sur lequel bute toute sagesse (comme toute psychanalyse aussi, mais pas de la
même façon, et pas avec les mêmes conséquences) est précisément celui de l’amour, de la
vraie amour, celle qui affole le « sujet non identifié ». Et pour mettre ce point à l’épreuve, je
ferai, une fois de plus, le détour par la Chine, par cette Chine des lettrés qui a développé une
sagesse dont les travaux de François Jullien nous permettent de mesurer la radicale étrangeté
(si on la rapporte à celle des Grecs) et aussi l’inépuisable richesse. J’essayerai de montrer, en
prenant appui, entre autres, sur certaines études de Rainier Lanselle, que ces lettrés, dans
l’exercice même de leur sagesse, ont rencontré l’obstacle de l’amour, la flèche d’Érôs venant
se ficher au point précis où l’identité vacille. Qu’ils ont ressenti sa blessure, l’ont explorée et
ont inventé, ont bricolé une solution de secours : la fiction, la littérature de fiction. Ils n’ont
pas reculé, pour cela, à trahir la langue de leur Maître en sagesse – leur vacillante identité –, à
prostituer cette langue dans celle du vulgaire. Nous reprendrons donc cette année nos lectures
de contes ou de romans chinois, d’hier et d’aujourd’hui, en suivant le fil d’Ariane de cette
hypothèse : la fiction romanesque, l’écriture, la lecture comme ascèse que se seraient donnée
ces lettrés pour survivre à la morsure d’Érôs, mortelle à leur sagesse.
Ménagerons-nous ainsi, de loin et à revers, quelques vues sur la pratique de l’analyste laissant
et ne laissant pas son analysant dire jusqu’à plus soif l’amour qui le mord ? Sur le pas-sage de
sa pratique ?
Le séminaire se tiendra au 29, rue Madame, Paris VIème, les samedis 14 octobre, 18
novembre, 16 décembre 2006, 13 janvier, 10 février, 10 mars, 7 avril, 5 mai et 2 juin 2007,
de 10h à 12h.
Je redonne une bibliographie restreinte de textes traduits du chinois dont nous lirons quelques
fragments ; bibliographie toujours susceptible d’évoluer notamment par l’ajout de romans
contemporains écrits en français par des Chinois (Ying Chen, par exemple) :
Textes de la Chine ancienne
Qu Yuan
Élégies de Chu
Histoires d’amour et de mort de la Chine ancienne
Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois
Cao Xueqin Le rêve dans le pavillon rouge
Chen Fou
Récits d’une vie fugitive
Gallimard, trad. Rémi Mathieu, 2004 (-IVe)
GF-Flammarion, 1997 (VII-IXè)
Gallimard, La Pléiade, 1996 (XVIIe)
Gallimard, La Pléiade, 1981 (XVIIIe)
Gallimard, 1967 (XIXe)
Texte de la Chine révolutionnaire
Lu Xun
Cris
(Nahan, 1923), Éditions en langues étrangères
Textes de la Chine actuelle
Bia Xianyong
Garçons de cristal
Diao Dou
La faute
Jiu Dan
Filles-Dragons,
Mian Mian
Les bonbons chinois
Su Tong
Épouses et concubines
Visages fardés,
Wang Chao
Au paradis, l’amour
Wei Hui
Shanghai baby,
Xu Xing
Variations sans thème
Et tout le reste est pour toi
(Nie Tzu, 1995), Picquier, trad. A. Lévy (Poche)
(Zui, 2004), Bleu de Chine, 2005 (Poche)
(Wu Ya, 2001), Actes Sud, A. Lévy, 2002
(Tang, 2000), l’Olivier, S. Gentil, 2001 (Poche)
(Qiqie Chenfqun,1987), Flammarion, 1992 (Poche)
(Hongfen, 1992), Picquier, D. Bénéjam, 1995 (Poche)
(2000), Bleu de Chine, C. Delattre, 2004 (Poche)
(1999), Picquier, 2001 (Poche)
l’Olivier, trad. S. Gentil, 2003
(Shengxia de dou shuyu ni, 2003), l’Olivier, 2003
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