LA RENAISSANCE DE L`EUROPE ET SES LIMITES (1945

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LA RENAISSANCE DE L’EUROPE ET SES LIMITES
(1945-1963)
Introduction
La question de l’Europe pose le problème initial de la définition même du mot Europe.
Il convient de distinguer plusieurs acceptions du mot Europe. L’Europe a longtemps été une
expression géographique : un espace, un continent dans le mode de représentation des
antiques grecs entre deux autres continents dans les cartes en O et T reprises par les
cartographes du Moyen-Age.
2e définition qui est celle qui nous intéresse ici : l’Europe comme construction politique et
économique, comme processus d’intégration des pays européens dans un ensemble commun
à la fois résultat et moteur.
Les tentatives de construction politique et économiques de l’Europe sont anciennes.
Le 18e siècle et 19e siècle ont produit des constructions européennes et de sprojets comme le
« Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe de l’abbé de Saint Pierre, en 1713. Ou
l’appel de V. Hugo pour les « Etats-Unis d’Europe » en 1849.
Mais il s’agit ici de construction d’élites et peu réalistes, elles ont eu peu d’échos (J.P. Bois).
Les constructions qui eurent une réalité historique sont souvent des constructions de
conquête de l’Empire romain à Charlemagne, Napoléon jusqu’à la nouvelle europe nazie d’A.
Hitler (diapo 3).
Il est lieu ici d’insister sur les différences qui apparaîtront entre ces constructions et celles
que nous allons étudier à partir de 1945. Différences qui conviendra de nuancer.
Voir diapo 2, caricature de Plantu.
Les premières sont acquises par la force. Les secondes par la paix et pour la paix. L’europe est
portée par un pacifisme après 1945, conséquence de la 2e guerre mondiale. L’inspiration des
associations favorables à une fédération europénne est ici forte. Ainsi deux auteurs Spinelli et
Rossi dans leur Manifesto faisait de la guerre la dégénérescence du nationalisme et la guerre
serait tuée par l’abolition de la division de l’Europe en Etats nationaux souverains. F.
Mitterrand le déclara en 1992 pendant les débats sur Maastricht : « l’Europe c’est la paix ».
D’où l’importance du rapprochement entre la France et l’Allemagne, ce que l’on appellera
bientôt le couple franco-allemand
2e différence : les 1ières sont acquises par la contrainte, les 2e sont volontaires, par le
consentement des peuples ou du moins de leur gouvernement
3e différence : Les 1e se font au bénéfice d’un peuple, d’une nation. Les 2e sont un échange :
une communauté.
Le 2e problème tient à la méthode même de fabriquer cette construction : fédéralisme.
C'est-à-dire réunion d’une assemble ex nihilo afin de mettre en place un état fédéral
européen. Soit le néofonctionnalisme qui est une démarche réaliste, pragmatique, c'est-à-dire
le rapprochement par la coopération sur des domaines techniques limités, qui appellent peu
à peu à l’élargissement des domaines. C’est toute la philosophie du plan Schuman fondant la
CECA ou de la CED (1952)
L’autre problème tient à la signification propre de cette construction européenne,
2 conceptions s’affrontent qui tiennent aux relations entre la construction européenne et les
états qui la constituent. Elles peuvent s’incarner par deux personnalités françaises.
D’abord la conception d’une Europe inter-gouvernementale. Dans cette optique, les états
sont l’horizon indépassable de la politique : ils sont la seule légitimité. L’Europe constitue un
forum de négociation qui doit s’efforcer de rapprocher et d’harmoniser les politiques de
chaque état. C’est l’Europe des Etats », que défend De Gaulle et que propose le plan Fouchet
(1962).
Face à cette conception, en surgit une 2e : une Europe supra-nationale. L’Europe jouirait
d’une personnalité propre. Elle ne serait pas seulement que l’addition des éléments qui la
composent. Elle disposerait d’une personnalité juridique cherchant l’intérêt commun des
peuples européens y compris en contraignant certains gouvernements réticents. L’Europe se
tient donc au dessus des états : elle est dite supranationale. C’est la conception qu’épouse
Jean Monnet à partir de ses projets comme la CECA et son comité d’action pour les EtatsUnis d’Europe (1955/1975).
Problématique : comment rendre compte du renouveau de l’idée et de la
construction européenne à partir de 1945 ? Quelles en sont les formes et les
limites ?
I – LES FACTEURS FAVORABLES A L’IDEE ET A LA CONSTRUCTION
EUROPEENNE
L’année 1945 représente en effet en toute analyse une accélération dans la prise de
conscience de la nécessité d’une construction européenne. En fait il s’agit d’une résurgence.
En effet les mêmes moteurs de l’européisme des années 1920 vont à nouveau jouer à plein
après 1945.
A tel point que Robert Frank parle de « second âge d’or » du sentiment européen.
Ces moteurs sont les suivants : aspiration à une paix durable / poids des pressions des forces
extérieures à l’Europe / sentiment de décadence des puissances européennes / nécessité de la
reconstruction et de la croissance économique.
A – L’EUROPE : UNE SORTIE DE LA GUERRE
La construction européenne est « enfant de la guerre ». Les peuples qui en sortent sont
convaincus de la nocivité des protectionnismes et des nationalismes.
CHRUCHILL l’évoque dans son discours de Zurich (1946). L’Europe doit être le tombeau des
nationalismes. Elle doit rendre impossible tout retour au conflit sur le continent européen.
Cette paix ne peut passer que la fin des haines franco-allemandes. Les allemands depuis 1815
ont occupé 5 fois le territoire national. Par leur victoire, chacune annonçait la guerre
suivante. D’où l’importance de la réconciliation franco-allemande.
Cette nécessité de la réconciliation, gage de paix, domine les débats autour du projet de la
CECA (1951) et de la CEE (1957).
C’est l’un des aspects de la CECA : la mise en commun des ressources sidérurgiques et
charbonnières entre la France et l’Allemagne rendrait toute guerre entre les deux impossibles
puisqu’ils seraient dessaisies des moyens de la faire.
L’Europe n’est pas seulement que le moyen de mettre la guerre hors la loi. Le pacifisme est
un pacifisme révolutionnaire comme celui de Briand dans les années 20/30 (J. Bariéty) : il
s’agit d’une rupture historique avec le passé. L’Europe sera fondée sur ce silence qui consiste
à exorciser son passé. Amnésie qui peut aboutir à modifier le sens de dates et de lieux
(Verdun) et qui produira régulièrement des retours du refoulé.
B – LE JEU DES PRESSIONS EXTERIEURES
La construction européenne est aussi accélérée, catalysée par l’influence de pressions
extérieures.
La peur de l’URSS est une autre pression extérieure jouant en faveur de la construction
européenne.
Churchill avait incité les européens à se regrouper pour mettre en échec les projets
soviétiques d’influence et de développement.
Plusieurs caricatures évoquent cette peur en incarnant l’URSS en ours. Elément symbolique
fort en Occident, symbolique de la sauvagerie et de l’Asie barbare entrainé par des chars.
Allusion à la force de l’Armée rouge en Europe. Le différentiel est en effet en 1947 éclatant :
14 divisions occidentales contre 100 divisions de l’Armée Rouge. Un rapport de force de 12
contre 1. Face à cette frontière infranchissable (le rideau de fer) les différences entre
occidentaux devenaient mesquines, accessoires, inutiles.
Cette peur incite les européens à se protéger sous la protection américaine : le parapluie
atomique (Otan en Avril 1949).
Au-delà la politique américaine est elle-même une autre source d’influence, autre pression
extérieure.
Elle cherche à accélérer le redressement de l’Europe dans le cadre du containment afin
d’empêcher l’expansion du communisme. Le Plan Marshall mis en place (1948) incite les
européens à prendre en charge les produits distribués par les Etats-Unis. C’est la création
d’une première forme d’Europe économique : l’OECE (1948). L’europe est d’abord une
création américaine
C – LE SENTIMENT DE LA DECADENCE EUROPEENNE
Chaque pays sent l’abaissement de sa position et de son influence dans le monde. Comme en
1919, les années 1945 développent une vision pessimiste des puissances européennes qui
auraient vu leur force s’épuisaient à s’affronter mutuellement. 1945 comme 1918 aurait été le
suicide de l’Europe. C’est tout le sens du libre de G. Riou : « S’unir ou mourir » pendant
l’entre 2 guerres.
Les difficultés de la reconstruction et les contestations dans les colonies mettent fin aux
empires et aux rêves de grandeur. Les puissances européennes ne sont plus des
superpuissances mais des puissances secondaires. L’année 1945 révèle cette faiblesse. G.
Kennan écrit : « il y a en Europe trop peu de tout. L’Europe paraît passer dans un âge
glaciaire. « A jamais finis les matins clairs et confiants » écrit un dirigeant anglais en 1946. La
prospérité ne peut venir que de la coopération européenne. Elle exige d’après J. Monnet la
constitution d’une entité européenne.
D – L’EUROPE : LE CADRE APPROPRIE POUR LA RECONSTRUCTION SUR
DES BASES POLITIQUES ET ECONOMIQUES LIBERALES
L’Europe apparaît aussi comme le cadre approprié pour permettre la reconstruction sur les
bases du libéralisme et du libre-échange.
L’administration américaine rooseveltienne voit dans le maintien
protectionnistes et de l’autarcie les germes de la faim et du communisme.
des
barrières
L’Europe apparait donc comme une étape dans l’ouverture économique des frontières et donc
dans le développement du libre échange, condition primordiale au retour de la prospérité.
Les pays européens intègrent le GATT qui postule l’ouverture des frontières et la réduction
graduelle des droits de douane permettant le retour du commerce entre pays européens.
Le Plan Marshall lui-même est occasion de cette prise de conscience que l’économie a besoin
de se penser à une échelle plus grande que les états pour fonctionner. A l’échelle
continentale : du continent européen. Les Français qui possèderont le siège de l’OECE chargé
de répartir les aides apprirent alors à regarder au-delà des frontières, raisonner dans une
perspective plus vaste, se plier aux règles de la concurrence dans un marché à l’échelle
européenne.
L’ensemble de ces facteurs favorisant ou de ces catalyseurs provoquent donc la mise sur pied
d’organisations européennes à partir de 1948-1949
II – LES ORGANISATIONS EUROPEENNES DE 1948 A 1957
A – LES PREMIERES FORMES D’ORGANISATION DE L’EUROPE (1948-1950)
Les premières formes de construction sont marquées par deux caractères : elles sont souvent
imposées de l’extérieur. Elles sont souvent limitées dans leur réalisation et leur ampleur.
Elles sont d’abord imposées de l’extérieur.
Il n’est pas indifférent de noter que la 1e forme est économique : L’OECE (1948). Organisation
Européenne de Coopération économique. Elle est le produit du PRE ou Plan Marshall. Les
américains avaient fait de cet embryon de construction européenne, un préalable à leur aide.
Cette OECE permettra ensuite une libéralisation des échanges entre pays membres.
2e organisation impulsée de l’extérieur de l’Europe : l’OTAN (1950). Pour les Etats-Unis il
s’agissait d’élaborer un moyen d’aider les européens à leur propre défense. En réalité les
européens s’en accomodèrent fort bien : les Etats-Unis prenant en charge les dépenses liées à
la défense du continent. R. ARON parle de « esclavage consenti ».
Deux autres formes d’organisation européenne sont fort limitées dans leur fonctionnement
ou leur ambition.
La première est le Conseil de l’Europe. Il fait suite à la création de plusieurs mouvements
d’opinions européistes comme le Mouvement pour l’Unité européenne » que lance Churchill
en 1947 relayé par de nombreux courants fédéralistes européens. Cette effervescence aboutit
à la réunion de plusieurs nations autour des Etats-Généraux de l’Europe à La Haye (1948).
Etats Généraux qui fondent le Conseil de l’Europe réunissant 15 gouvernements et qui
s’installe à Strasbourg. Ville symbole : cette ville que l’Allemagne et la France s’était tant de
fois disputé devenait le lieu de leur réconciliation. Première forme de construction politique,
vite anéantie par les décisions des états qui créèrent une Assemblée sans compétence où
chaque décision prise peut faire l’objet d’un veto par l’une des nations. Le Conseil de l’Europe
devient donc un forum de négociation entre pays européens.
Limitée également est l’UEO : Union de l’Europe Occidentale. Créée comme nous l’avons dit
à la suite du Coup de Prague (Mars 1948), l’UEO réunit la France, la GB et les pays du
Benelux. Les 5 pays se promettent solidarité et réponse atomique contre toute puissance tiers
agressive. L’UEO dans les faits, du point de vue de la diplomatie française est tout autant
dirigée contre l’URSS que contre l’Allemagne renaissante.
Toutefois la création est limitée par le poids des réalités : que peuvent 9 divisions contre 100
divisions soviétiques. Les membres de l’UEO n’ont qu’une solution : se tourner vers
Washington et demander sa protection : ce sera l’OTAN.
Ces formes montrent que l’organisation vient d’abord de stimulations externes soit de
projets venant de pays européens mais fort limités. Toutefois les uns et les autres préparent la
prise de conscience des européens eux-mêmes sur la nécessité de faire une construction
européenne par eux-mêmes et pour eux-mêmes.
B – UNE CONSTRUCTION EUROPEENNE EN GESINE (1951-1954)
Nous entrons à partir des années 1950 dans une nouvelle étape : celle du dépassement des
projets externes et limités. Pour atteindre non une organisation mais une construction, J.
Monnet développe une stratégie : conserver la grande ambition d’une fédération européenne
(annoncée deux fois dans le plan Schuman) mais en commençant par un domaine très limité,
essentiellement économique. C’est la stratégie des « petits pas ».
La figure de Jean Monnet permet d’abord de s’interroger sur les Pères fondateurs de
l’Europe.
1 – Les pères fondateurs de l’Europe.
De fortes individualités ont incarné ce besoin et cette envie d’Europe.
3 personnalités dominent dont la biographie mérite l’examen. J’en ajouterai un 4e.
Ces 3 figures sont R. Schuman (France) / K. Adenauer (RFA) / De Gasperi (Italie).
Ces 3 hommes sont des hommes d’état. Mais pourquoi pour eux l’Europe est incontournable.
Je vois 2 raisons à cela.
D’abord par leur histoire personnelle. Ces 3 individus sont des hommes de la frontière. Ils
appartiennent à 2 mondes.
R. Schuman est un excellent exemple de cet état de fait. Il a vécu en Lorraine occupée par les
prussiens et a fait ses études supérieures au Luxembourg, député en 1919, membre du MRP,
parti de centre droit qui a fait de l’idée européenne son cheval de bataille.
Ces individualités sont donc particulièrement réceptifs à l’idée de réconciliation ou de
communauté, conscients de la minceur des différences et à la fois de la nécessité de réparer
les blessures réciproques.
Il existe aussi, 2e raison : la volonté de rompre avec le passé.
De Gasperi a connu le fascisme et l’arbitraire. Schuman a vu la montée du nationalisme et ses
ravages.
Pour ces hommes, l’Europe apparaît comme un vaccin contre le repli sur soi.
Pourquoi eux ? Parce qu’ils étaient par leur formation et leur idéologie les plus à mêmes à
répondre à ce désir. Tous les 3 appartiennent à cette droite modérée chrétienne, aux valeurs
fortement compatibles à la construction européenne : réconciliation / tolérance / stabilité.
Tous les 3 dérivent de la démocratie chrétienne, ce courant politique qui domine dans
beaucoup de pays en Europe pendant la fin des années 40 et les années 50.
A tel point que l’on a pu parler, chez leurs adversaires de « internationale noire » ou d’Europe
vaticane (dans les rangs de la SFIO en France par exemple).
Demeure un autre père mystérieusement absent du tableau. Jean Monnet. Homme d’affaire
et haut fonctionnaire pendant les années 30. Démis de ses fonctions en 1940. Exilé aux EtatsUnis. Jean Monnet obtient le commissariat au Plan en France après la libération. Il
appartient à cette classe de hauts fonctionnaires français. C’est à lui que l’on doit la note qui
va faire surgir la CECA. Son idée : réunir les européens par un domaine concret et limité de
l’économie : le charbon et l’acier.
2 – La construction européenne se réalise sur le plan économique.
Les européens sont déchirés par une contradiction : si tous conviennent de la nécessité de
réintégrer l’économie allemande dans le circuit européen, beaucoup comme la France
perçoivent encore l’Allemagne comme une nation de proie, une menace.
D’où l’idée de J. Monnet repris rapidement par R. Schuman qui propose son plan : le plan
Schuman en 1950 : placer la production de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne
sous une Haute Autorité supranationale qui gérera la production et l’écoulement des stocks.
Le projet est ouvert à tous les pays européens. La France et l’Allemagne ratifie l’accord en Mai
1951. Suivies en cela par l’Italie et le Benelux.
Le plan fait la part belle à l’économie perçue comme le domaine moteur et le plus simple pour
accélérer la création d’une communauté européenne. L’intérêt économique est évident. La
CECA garantissait la libre circulation du charbon et de l’acier dont les prix, c'est-à-dire le
rapport entre la production qui était encouragé et la distribution était facilité par une Haute
autorité qui n’appartenait à aucun état.
Globalement, le charbon et l’acier sont la base de l’industrie et du développement
économique.
La France a besoin du charbon allemand pour son plan de redressement. L’Allemagne a
besoin d’acheteurs. L’Italie enfin espère comme pour la CEE un moyen d’absorption de sa
main d’œuvre surnuméraire en particulier dans le sud du pays (Mezzogiorno).
La CECA permettait la mise en contact des économies entre elles : le partenariat et la
concurrence au bénéfice de tous. Ce qui devait permettre d’accélérer l’intégration des pays
par la multiplication des liens les unissant. Cela au bénéfice de chacun.
J. Monnet d’ailleurs a compris qu’il fallait utiliser l’intérêt national comme levier pour
renforcer ou stimuler la construction européenne.
Et cela marche : les exportations allemandes en France sont multipliées par 6 en 1951 par
rapport à 1948.
La Grande-Bretagne finit par refuser par souci de garder le contrôle de sa production
nationale et par le sentiment qu’elle avait tout à y perdre économiquement alors que son
horizon était impérial (Commonwealth) avec des importations de charbon venant des EU
bien moins chers que les gisements allemands.
Mais en fait, sous couvert d’intérêt économique, la CECA est un instrument politique visant à
dépasser l’opposition franco-allemande.
La France inaugurait une rupture avec sa politique d’hostilité envers la RFA afin de « l’ancrer
dans le camp occidental » comme l’écrit J. Monnet. La RFA quant à elle quittait son statut de
paria de l’Europe et était traité à égalité avec la France. Succès politique et moral évident
pour son chancelier K. Adenauer.
Instrument politique également par la charge symbolique que représentent le charbon et
l’acier : l’un et l’autre alimentant l’industrie de l’armement. La production devenant
commune et ne pouvant être bloqué par l’un ou l’autre, les états sont dépossédés des moyens
de se faire la guerre les uns les autres.
La CECA fut un laboratoire où Français et Allemands apprirent à travailler ensemble. Elle
fonctionna jusqu’en 1967 avant de fusionner avec la CEE.
Toutefois, en dépit des espoirs de J. Monnet, la Haute Autorité qui devait fabriquer peu à peu
un état d’esprit européen, ne pourra pas toujours résister aux volontés nationales. Exemple :
la crise charbonnière de 1958-1959, crise de surproduction. Pendant la crise L’Allemagne
décida par exemple de taxer le charbon et l’acier américain à ses frontières.
Ce succès va se doubler d’un échec sur la plan de la construction politique et militaire : c’est
l’échec de la CED
3 – L’échec d’une construction européenne politique et militaire.
La Guerre Froide invite les deux superpuissances à modifier leur attitude par rapport à
l’Allemagne, hier vaincue, aujourd’hui allié contre le camp d’en face. Le directeur du Monde
(H. Beuve-Méry) avait écrit en 1950 que l’adhésion à l’OTAN impliquerait tout au tard le
réarmement de l’Allemagne. A l’époque nul ne l’avait relever. En 1950, cette appréciation est
prophétique.
En pleine guerre de Corée, les EU mettent le marché dans les mains des européens : ou
l’Allemagne est réarmée ou les EU abandonnent les européens à eux-mêmes. La France
proteste : comment accepter 5 ans après la libération seulement le réarmement d’un peuple
qui a envahi le territoire 3 fois en 70 ans.
La France propose donc une alternative : le plan Pleven. Le plan créerait la CED :
communauté européenne de Défense. Cette communauté intégrerait des contingents
nationaux donc allemands mais dans des unités multinationales sous commandement
supranational.
Finalement qu’est ce que le plan Pleven ? Une inspiration du plan Schuman. Une translation
du plan Schuman sur le plan militaire. C’est l’équivalent fonctionnel de la CECA mais dans le
domaine militaire, dans le domaine de la défense. Après les ressources minérales, les soldats
étaient confiés à une Haute Autorité. 2e étape dans l’unification de l’Europe.
Or ce projet va être l’objet d’une opposition en France qui deviendra farouche. R. Aron a
même écrit, non sans exagération qu’il s’agit de la querelle idéologique la plus féroce depuis
l’affaire Dreyfus. Car la CED ne met pas en cause des intérêts économiques. Elle s’en prend
aux sensibilités. Elle attaque l’histoire, l’identité même de chaque nation. Surtout l’identité
nationale française dans laquelle, la Révolution, la République s’est toujours associée avec la
défense du territoire par les citoyens eux-mêmes (voir l’importance de la conscription puis du
service militaire comme devoir et droit des citoyens français). 2 partis sont déchaînés contre
le projet. Le PCF par refus de tout projet tourné contre l’URSS et par chauvinisme. Le RPF,
parti gaulliste depuis 1947 qui considère que la défense est la garantie de la souveraineté
française. Qu’il n’existe pas de nation indépendante sans défense indépendante.
D’où l’alliance contre nature entre les deux meilleurs ennemis de la vie politique française de
la fin des années 40. La conjonction des extrêmes. Le 29 Août 1954, la CED passe devant le
Parlement dans une ambiance passionnelle. Le projet est repoussé par 319 voix contre 264.
Les adversaires de la CED sont les premiers surpris et entonnent la Marseillaise.
L’échec de la CED a plusieurs conséquences.
D’abord concrètement elle aboutit à l’inverse de ce que recherchaient ses adversaires qui
voulaient empêcher le réarmement de l’Allemagne. Les EU prenant acte de la décision
française font entrer l’Allemagne dans l’OTAN. Il y aura donc bien des soldats allemands sous
drapeaux allemands.
Autre conséquence de plus long terme : l’échec de la CED est aussi l’échec de l’Europe
politique et militaire. La voie étant bouchée. L’intégration européenne ne pourra se
poursuivre que sur le plan économique.
C – L’ABOUTISSEMENT DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE : LA CEE
(1957/1963)
[DIAPOSITIVE 11]
25 Mars 1957. Signature du traité de Rome par l’Europe des 6, les 6
pays fondateurs de la CECA. Le traité recouvre deux textes : la CEE et
Euratom.
Quel sens fondamental à ces deux textes ? Euratom équivaut à une
Communauté européenne de l’énergie atomique pour un échange de
capital, de technologie et de savoir faire afin d’obtenir une utilisation
industrielle du nucléaire. D’autant que la France entend bien se réserver
la possibilité de fabriquer l’arme nucléaire alors que l’Allemagne y a
renoncé. Précaution contre le réarmement allemand et volonté de
s’affirmer comme une grande ligne de force de la politique gaulliste.
La CEE ? Un marché commun assurant et garantissant la libre
circulation des hommes, des marchandises et des capitaux. Extrait du
préambule : « décidés à assurer le progrès économique et social de leur
pays en éliminant les barrières qui divisent l’Europe ».
En fait les deux textes sont inséparables. Jean Monnet avait compris que
pour sortir de l’impasse, les deux projets devaient être liés. L’Allemagne
accepterait Euratom pour avoir le Marché commun. La France se
résignerait au Marché Commun pour avoir l’Euratom.
Examinons plus précisément le volet le plus ambitieux du traité de
Rome : la CEE surtout et enfin.
Nouvelle étape dans l’intégration européenne : on ne supprime pas la
CECA mais celle-ci est débordée par un ensemble plus vaste. Une CEE :
communauté économique européenne.
C’est d’abord une communauté économique. Elle assure
progressivement l’abandon des barrières douanières entre les pays
membres. Influence du libre-échangisme perçu comme le moyen de
progrès et de développement économique.
Mais à la fois protection des économies européennes par le maintien et
même le renforcement des barrières à l’extérieure de l’Europe. C’est la
préférence communautaire. Cela donne une explication de l’acceptation
du gaullisme envers le Traité alors que l’on pouvait l’imaginer réticent : le
Marché Commun est un moyen de développement économique de la
France et partant moyen d’étendre l’influence française en Europe.
T. Judt a bien révélé l’enjeu de la CEE. Que la France puisse vendre ses
productions agricoles contre une ouverture acceptée aux produits
industriels allemands. La France est redevenue excédentaire en
agriculture dans les années 50. Mais cette politique est coûteuse. La
France se décharge de ce poids avec la PAC (1962). Garantie de prix
cibles et des tarifs douaniers élevés. Prix deviennent élevés : le bœuf se
vend à 200 % des cours mondiaux et le budget de la PAC absorbe jusqu’à
70 % du budget européen (début années 70).
1E réalisations sont un succés : le commerce intra est multiplié par 4 en 3
années (1957-1961).
Toutefois la dimension politique n’est pas complètement oubliée.
D’abord parce que la dimension économique a toujours un aspect ou des
conséquences politiques. Surtout parce que le Traité est évolutif. L’article
235 prévoit en effet la possibilité d’attribuer aux institutions
communautaires des compétences non prévues par le Traité de Rome.
Cette dimension politique apparaît lors du traité de l’Elysée entre
Allemagne et France. Entre les deux partenaires, il y a
institutionnalisation de leur relation afin de faire coîncider leur décision.
Preuve de ce que fut la CEE. Un condominium où l’Allemagne
garantissait les finances quand la France dicte la politique. Répartition
des rôles mais pour De Gaulle manifestation d’une hiérarchie :
l’économie est dans son esprit toujours subordonnée à la politique qui est
première.
C’est aussi une communauté européenne. La force de la CEE est d’avoir
trouvé un compromis. Compromis entre les deux dynamiques : la
dynamique intergouvernementale et la dynamique supranationale.
A preuve : les deux institutions créés au cœur du processus de décision.
Le conseil des ministres et la commission européenne (diapositive 14).
La commission (6 membres cooptés par les états mais indépendants) a le
monopole de la proposition des lois et de l’éxécution. C’est l’élément
dynamique de la CEE.
Le conseil des ministres a le pouvoir de fabriquer la loi européenne que la
commission doit appliquer. Le vote est réalisé à l’unanimité mais le vote
à majorité qualifiée est possible.
Au dessus de cette double institution : le conseil européen : c'est-à-dire la
rencontre entre les chefs d’états des pays membres. Héritage de
l’antécédence des états sur la construction et à la fois sur l’importance
des états par rapport à la construction européenne. Ils fixent les grandes
décisions et les grandes orientations de politique générale. Il n’existe
encore qu’en gésine dans les années 50 / 60. Il commencera à être
institutionnalisé en 1963 par le traité de l’Elysée qui institue les
rencontres entre les gouvernements français et allemands afin de
collaborer et harmoniser les positions françaises et allemandes vis-à-vis
de la construction européenne.
3e côté du triangle institutionnel : le parlement européen. Il a une
fonction purement consultative. Il donne son avis sur les projets de lois et
les décisions du conseil des ministres.
Europe et la CEE est donc tout un jeu institutionnel de pouvoirs et de
contre-pouvoirs.
Le pouvoir législatif est détenu par le conseil des ministres et le conseil
européen. Qui théoriquement détiennent le pouvoir éxécutif dans leur
pays !
Le pouvoir exécutif est possédé par la commission européenne.
Pouvoir judiciaire enfin. Représenté par la cour européenne de justice de
Karlsruhe en Allemagne. A elle seule, elle incarne l’avancée de la
dynamique d’intégration européenne car la Cour de Justice défend et
impose la primauté du droit communautaire qui s’applique directement à
l’ensemble de la CEE dès les années 60.
Quant au Parlement, il est le pouvoir faible des institutions. On
comprend le peu d’empressement des électeurs à partir des 1e élections
européennes (1979).
En somme, La CEE est en fait plus un cadre qui définit les procédures de
décision, des moyens de produire des lois communes plus que des
politiques et des lois communes elles-mêmes.
La CEE est aussi la forme close de communauté européenne. C'est-à-dire
une communauté qui établit une forteresse de lois auxquelles il convient
d’adhérer pour y appartenir. Qui dit réglementation dit inflation des
fonctionnaires, croissance bureaucratique souvent irresponsable.
Renfermement de l’Europe de Bruxelles sur laquelle nous reviendrons et
qui est l’un des maux dont souffre l’Europe aux yeux des populations.
III – LES LIMITES DE LA RENAISSANCE EUROPEENNE
Des limites, nous en voyons deux. L’une porte sur son échelle
géographique réelle d’existence. Sur son extension géographique. L’autre
sur ses contradictions internes et politiques.
A – UNE HISTOIRE DE LA REDUCTION DE L’EUROPE
DIAPOSITIVE 15.
Le tableau du redressement européen fonctionne sur un silence : il
concerne surtout l’Europe de l’Ouest et laisse de côté l’Europe de l’Est, en
paix mais « une paix de cour de prison ». Cette histoire de la renaissance
de l’Europe est une « histoire de la réduction de l’Europe », coupée et
divisée en deux pour une moyenne durée (1945-1989).
Cette Europe de l’Ouest se fonde sur l’oubli. Il est la condition de la
construction de l’Europe. On y craint les vieux démons et les
nationalismes créateurs de guerre. L’Europe post 1945 est la fille
vulnérable de l’angoisse et non un projet optimiste. Cet oubli et les
déformations qu’elle engendre provoquent une reconstruction de
l’histoire : même les allemands se reconnaissent et sont reconnus comme
des victimes (Der Untergang, la Chute en 2003).
Cette Europe enfin est une Europe où les puissances nationales ont été
balayées, bouleversées par la guerre. Ce continent européen avait été un
melting pot qui grésille entre 1914 / 1945. A partir de 1945, cette
civilisation a été détruite. Les états européens sont devenus moins
ouverts et plus insulaires. Produit des violences de Staline et d’Hitler. Le
déplacement des populations allemandes hors des pays d’Europe centrale
(13 millions ont été absorbées par la RFA) ressemble à ce qu’elle est
réellement : une épuration ethnique. En 1945, ce ne sont pas les
frontières qui bougent mais les hommes pour faire coïncider population
et état. Les européens vivent dans des enclaves nationales hermétiques et
moins diverses dans leur composition ethnique.
Cette coupure européenne est un jeu à plusieurs failles. Elle finit aussi
par diviser l’Europe de l’Ouest elle-même. (diapo 15)
 Exemple : le projet concurrent à la CEE impulsé par la GB à partir de
1960, l’AELE (Association européenne de Libre Echange). Elle réunit
l’Europe des 7 : GB et les pays sous influence anglo-saxonne : Autriche /
Suisse / Portugal / + 3 pays scandinaves : Suède / Norvège / Danemark.
Il s’agit d’une autre forme de construction européenne mais surtout il
appartient à un autre projet : créer non pas une construction politique ou
économique mais une simple zone de libre-échange. C’est une
caractéristique de la politique anglo-saxonne : importance mise sur
l’économie / volonté de création d’une Europe espace plus que d’une
Europe puissance politique.
Toutefois cette limite connaît elle-même à son tour ses propres limites.
La dynamique est nettement du côté de la CEE. A preuve : la volonté dès
1963 de la GB d’entrée dans la CEE. 1e veto du Général de Gaulle contre
cette entrée. (diapo 16)
B – UNE CONTRADICTION INTERNE : DIVERGENCE SUR LA
FINALITE DE L’EUROPE.
La CEE est un équilibre entre intergouvernemental et fédéralisme.
Mais un équilibre instable, précaire.
Le retour de De Gaulle modifie cet équilibre. La politique de De Gaulle
est marquée par le thème de l’indépendance nationale. Il refuse donc
toute supranationalité, considérée par lui comme un mythe.
Le refus de De Gaulle a l’entrée de la GB en 1963 prouve la force des
opinions et des décisions des états. Cette décision, De gaulle l’a prise sans
concertation avec les autres pays européens plutôt favorables.
Toutefois cette décision loin de seulement contredire l’idée d’une
intégration européenne l’a renforcerait plutôt : car le tonnerre de
protestation parmi les pays de la CEE contre de Gaulle prouve que le
processus d’intégration avait modifié les règles d’interaction et de
négociation entre pays européens. Ce que l’Allemagne ne supporte plus
c’est l’unilatéralisme français. Le prix de la décision française devient
plus cher à payer.
Son retour se marque donc par un projet de renforcement de la
coopération intergouvernemental : le « plan Fouchet » (1961) et le traité
de l’Elysée (1963).
Le plan Fouchet est fondé sur la nécessité d’une coopération dans les
domaines de la politique extérieure, de la défense et de la culture.
Remarquons que l’économie n’est pas citée : manière de préserver
l’indépendance de la CEE. L’organisation repose sur le rôle directeur de
Conseil des chefs d’état ou de gouvernement qui déciderait à l’unanimité.
Dispositif est donc totalement intergouvernemental.
En fait l’ambition de De Gaulle tout en maintenant la CEE est en fait de la
faire surmonter d’une institution supérieure qui l’englobe et la domine :
l’Europe des Etats.
Ce projet est devenu plus clair en 1962, quand le plan Fouchet 1 ayant été
repoussé, il propose un Fouchet 2 qui met le feu aux poudres : le projet
aggrave même les « défauts » du I puisqu’il étend les compétences à
l’économie menaçant ainsi les compétences de la CEE. Le plan est
unanimement repoussé.
Cette Europe politique à 6 n’étant plus possible, De Gaulle resserre la
coopération franco-allemande par un traité bilatéral : Traité de l’Elysée
en Janvier 1963.
Le traité vise à se consulter mutuellement avant toute grande décision
concernant les problèmes relatifs aux communautés européennes et la
coopération politique européenne.
Le traité aboutit donc à une méthode de coopération institutionnalisée. Il
aurait pu fausser le jeu des relations des institutions communautaires.
Cela ne se fit pas en raison des divergences entre Bonn et Paris.
CONCLUSION
La construction européenne est heurtée mais l’évolution va vers
toujours plus d’intégration européenne.
L’évolution donne raison aux néofonctionnalistes pour qui comme Jean
Monnet, l’Europe doit se bâtir sur une action concrète : l’économie. Telle
est la philosophie de la CECA et de la CEE.
Deux intérêts.
Participer au retour à la prospérité. La CEE catalyse le retour à l’âge de
l’abondance en Europe : ce sera les « 30 Glorieuses » en France (19451975).
Il s’agit aussi d’éviter tout affrontement avec les intérêts nationaux. Les
nations européennes sont des nations jalouses de leur pouvoir. Refus
incarné par De Gaulle ou Margaret Thatcher refusant tout mythe
européen.
Le silence permet la poursuite de la construction européenne. Toutefois
la communauté close de la CEE pose à terme deux problèmes. D’abord le
problème des limites de l’Europe. Il ne se posait pas tant que l’Europe
était une structure ouverte, disponible aux adhésions. Problème aussi sur
la signification de l’Europe : forum de négociation et structure de
coopération entre les états maîtres chez eux ou structure globale prenant
en charge les politiques communes et laissant les autres fonctions aux
états.
Les années 60 finissent sur un conflit de ce type et un compromis. Mécontent de la volonté de
réduire les budgets de la PAC, les français pratiquent la politique de la chaise vide dès le 1 e
juillet 1965. Les 6 se réunissent et obtiennent le compromis de Luxembourg (Janvier 1966).
Maintien du vote à l’unanimité pour de nombreux sujets / prise en compte des intérêts
nationaux. En revanche, les 5 refusent de renoncer à toute majorité. A lui tout seul le
Compromis consacre le double équilibre supranational et intergouvernemental de la CEE.
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