solitude et alimentation - Banque Alimentaire de Bordeaux et de la

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LA SOLITUDE
GRANDE CAUSE
NATIONALE 2011
SOLITUDE ET ALIMENTATION
En tant que Président de la Banque Alimentaire de Bordeaux et de la Gironde
(BABG), je pense que vous ne serez pas très étonné(e)s que je relie dans mon
propos le problème de la solitude à celui de l’alimentation alors que ces deux
problèmes apparaissent a priori dissociés.
Même si une mauvaise alimentation et des situations d’isolement peuvent concerner
toutes les catégories sociales, je centrerai mon exposé sur les publics fragilisés qui,
plus que tous les autres, sont affectés par les conséquences de ces deux problèmes
et ce, d’autant plus, que leur marge de manœuvre est plus réduite pour différentes
raisons (manque de moyens, faible éducation, faible autonomie, etc…)
Je dois enfin préciser que cette problématique « solitude et alimentation » a été
identifiée par la BABG il y déjà quelques années, ce qui nous a amené à lancer il y a
5 ans la « Cuisine Mobile » et à envisager le concept de « Cuisine Solidaire » à
l’horizon de 2012. Je reviendrai sur ces deux projets à la fin de mon exposé.
Le constat que nous avons fait : alors que nous avions le sentiment de remplir notre
mission de « santé publique » en distribuant des fruits et légumes en quantités
importantes (la BABG est la plus importante Banque Alimentaire française en termes
de distribution de produits frais), il était constaté que certains bénéficiaires de l’aide
alimentaire ne consommaient pas pour autant ces produits pour deux raisons
principales : une méconnaissance de certains d’entre eux (souvent pour des raisons
culturelles) et surtout l’absence d’envie de cuisiner. A ces deux raisons principales
s’en rajoute une troisième depuis quelques années : la précarité énergétique,
certains bénéficiaires limitant leur consommation d’énergie en ne cuisinant plus (sans
parler de ceux qui ne disposent d’aucun moyen pour cuisiner !).
Parmi toutes ces raisons, celle de « l’absence d’envie de cuisiner » est une des
conséquences directes du sentiment de solitude « A quoi bon cuisiner quand on est
seul(e) ? »
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Quelques chiffres pour illustrer cet accroissement du sentiment de solitude : selon la
dernière enquête réalisée par CSA en septembre 2010 pour le compte des Banques
Alimentaires :
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78 % des bénéficiaires de l’aide alimentaire vivent seul(e)s* (33% célibataires – 39 %
divorcés ou séparés – 6 % veufs) – Le nombre de personnes divorcées ou séparées
parmi les bénéficiaires de l’aide alimentaire est 5 fois plus élevé que celui de la
population française (8%)
le taux de chômage est 2 fois plus élevé parmi les bénéficiaires de l’aide alimentaire,
86 % des emplois étant à temps partiel parmi ces personnes
* selon l’INSEE, en 2005, 14 % de la population française vivait seule dont 3,4 millions d’hommes et 5
millions de femmes (1,1 million de plus qu'en 1999)
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En cumulant inactivité et isolement, les diététiciens* constatent que les
comportements alimentaires se désorganisent, les personnes inactives durablement
perdant progressivement la capacité à se projeter dans le futur ne serait-ce que pour
préparer un repas. On ne se met plus à table et la journée est une suite de
grignotages qui peuvent conduire à des comportements boulimiques avec une
prédilection pour les aliments sucrés qui rassurent et compensent l’angoisse. Ces
comportements s’accentuent en fonction du degré de désocialisation. Ainsi, les
personnes âgées isolées à la suite du décès de leur conjoint en arrivent, dans les
cas les plus graves, à ne plus éprouver de sensation de faim ou adoptent des
comportements alimentaires déviants en mangeant trop de viandes ou de pâtisseries
en dépit de leur diabète, par exemple. A contrario, il faut ajouter qu’une alimentation
adaptée des personnes âgées contribue à prévenir la déshydratation, l’ostéoporose
ou encore la sarcopénie**
Pour rompre cette spirale infernale, tout le monde s’accorde à reconnaître
(psychiatres, travailleurs sociaux, responsables de structures d’insertion, etc…)
l’utilité de proposer à ces personnes isolées de s’insérer dans des groupes de parole
ou de soutien ou encore dans des ateliers cuisine en essayant de les déculpabiliser
vis à vis de leurs comportements alimentaires - en évitant de leur tenir un discours
nutritionnel moralisateur sur la santé - et en les associant par exemple à la
préparation de repas afin que ce moment ne soit plus perçu comme une corvée et
qu’elles retrouvent ainsi le plaisir de s’alimenter de manière plus équilibrée
D’où les deux initiatives de la BABG évoquées plus haut :
La Cuisine Mobile
Cette initiative a été lancée en Septembre 2005 et est portée par une salariée de la
BABG (Céline Montezin) qui s’installe 5 jours/semaine avec un camion aménagé
d’une cuisine dans un lieu de la Gironde pour préparer et partager un repas avec un
groupe de 3 à 5 personnes souvent isolées (majoritairement des femmes) auxquelles
des Associations partenaires de la BABG (89 Associations concernées depuis 5 ans)
proposent ce projet. Ainsi, en l’espace de 5 ans, nous avons accueilli 3.444
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personnes dans le cadre de 813 ateliers, le taux d’occupation de la Cuisine Mobile
ayant été de plus de 96 % en 2010. 62 % des personnes accueillies ont entre 40 et
60 ans, seulement 9 % ayant plus de 60 ans ce qui démontre la difficulté pour les
personnes âgées de sortir de leur isolement.
Au-delà des chiffres, si nous avions eu le temps, j’aurais pu faire témoigner Céline de
l’intérêt de cette initiative et en quoi la Cuisine Mobile de la BABG est devenue un
facteur de resocialisation très efficace qui contribue parallèlement à lutter contre la
malnutrition (exemple : 45 fiches-recettes à partir de fruits et de légumes ont été
réalisées et mises à la disposition des bénéficiaires) et donc à résoudre certains
problèmes de santé qui y sont associés.
La Cuisine Solidaire
Cette initiative résulte du diagnostic évoqué précédemment et découle de
l’expérience de la Cuisine Mobile.
Ce projet – qui se situera sur le terrain actuel de la BABG et dont la construction
devrait démarrer durant l’été 2011 pour une livraison prévue fin Mars 2012 – se
composera d’une cuisine/restaurant d’environ 170 m2 destinée à partager et à
préparer des repas pour des publics en difficulté. Cet équipement (qui sera le
premier du genre en Gironde) s’organisera autour de trois fonctions :
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accueil de bénéficiaires de l’aide alimentaire (dont beaucoup sont isolés) tous les
matins qui seront associés à la préparation des 40/60 repas servis quotidiennement
aux bénévoles et aux salariés de la BABG ;
accueil de bénéficiaires tous les après-midi (par groupe de 7/8 personnes) pour
préparer ensemble des repas à emporter pour nourrir leur famille respective ;
préparation de repas à livrer à des publics en difficulté et isolés (SDF, personnes
âgées en priorité)
Deux personnes salariées de la BABG (une cuisinière et une conseillère d’économie
sociale et familiale) seront affectées à cette activité à laquelle pourront se joindre des
bénévoles de la BABG et des Associations partenaires
En conclusion, je dirais que ces deux projets (Cuisine Mobile et Cuisine Solidaire)
doivent être appréhendés à la fois comme des lieux de resocialisation mais aussi
comme des lieux de régulation du comportement alimentaire par le biais du regard
de l’autre. Nous voyons donc bien que « solitude et alimentation » constituent bien
les deux faces d’une même médaille.
Georges VIALA
Président de la Banque Alimentaire de Bordeaux et de la Gironde - Janvier 2011
*cf. par exemple les travaux du CERIN (Centre de Recherche et d’Informations Nutritionnelles)
** diminution de la masse musculaire au profit de la graisse
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