Discussion: Anna Marie Diagne – Valentin Vydrin

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Discussion: Anna Marie Diagne – Valentin Vydrin
1.
VV: d’où vient le terme « adjet »? Je comprends qu’il s’agit de ce qui est généralement
entendu par « circonstant », ou bien, il y a quelque nuance de sens? Je n’ai pas trouvé ce terme
dans
le
glossaire
des
termes
linguistiques
de
Bearth
http://www.sil.org/linguistics/glossary_fe/glossary_index.asp
et j’ai fait un recherche dans le Google en « adjet », avec un résultat négatif.
Chère Anna, si tu insiste sur l’utilisation de ce terme plutôt inconnu de la publique
linguistique, ne peux tu pas inclure sa définition dans l’article ?
AMD: Je tiens ce terme de Creissels 1995 Elements de syntaxe générale, Chap VII-8. C'est
le terme qu'il utilise pour définir les "arguments d'un prédicat verbal n'ayant ni le statut de sujet,
ni celui d'objet (direct)". Je vais mettre cette information en note de bas de page pour
la première utilisation de ce terme.
VV: D'accord. Donc "adjet" = "circonstant + complément d'objet indirect". J'ai l'impréssion
que depuis 1995, personne ne a employé ce terme, sauf toi (ou c'est de mon ignorance?). Dans
tous les cas, merci pour les clarifications.
2.
VV: Il me paraît bizarre que tu acceptes maintenant que ja peut « signaler la focalisation
d'un constituant en fonction de sujet, d'objet, d'adjet ou de prédicat verbal », et pourtant, tu
continues de le considérer comme un adverbe. Pour un adverbe, il est très inhabituel de définir le
sujet ou l’objet, ou même une phrase nominale dans la position du circonstant ! Quelle est ta
définition d’adverbe ?
AMD: Dans ma thèse, Chap 8.2, j'ai défini les adverbes comme "un type de lexème dont le
rôle est de participer à l'expression prédicative d'une unité phrastique". Les adverbes peuvent
ainsi assumer le rôle de marqueur de constituant (argument ou proposition). Dans les exemples
de l'article, "da" est ainsi un adverbe marqueur d'objet. C'est dans ce sens que j'avais considéré
que "ja" était un marqueur d'adjet (Chap. 8.2.2.2). "ŋa" y apparaissait dans la forme "wa".
Mon avis, dans l'article est que "ŋa" et "ja" sont des adverbes selon, la définition donnée cidessus, mais que leur rôle n'est pas simplement de signaler la présence d'un adjet, mais de
signaler que l'adjet en question est focalisé.
Dis-moi ce que tu penses de cela et si possible fais- moi une proposition de dénomination
pour ces lexèmes.
VV: A mon avis, ta définition d'adverbe est trop large! Cela devient une sorte de poubelle
où on peut mettre tout ce que tu veux et qui n'est pas un nom, un verbe, un adjectif ou un pronom
personnel... - pardon, l'adjectif y rentre aussi, sous même titre que les focalisateurs! Cf. une
définition plus ou moins "classique" de l'adverbe de Wikipedia:
En grammaire, on appelle adverbe (abréviation adv) une catégorie de mot, ou un segment
(locution adverbiale) qui s'adjoint à un verbe, à un adjectif ou à un autre adverbe, pour en
modifier ou en préciser le sens.
Bien sûr, nous pouvons rédefinir tous les termes et les utiliser comme nous voulons, mais
est-ce que cela est productif ? A mon avis, il est plus approprié de qualifier le focalisateur
comme un "déterminatif" (dans le sens de Dumestre 2003) ou d'une particule polyvalente.
Quant à "da", à mon avis, deux interprétation sont envisageables:
a) "traditionnelle": c'est une marque prédicative du perfectif (ou, si tu veux, de l'accompli)
pour les verbes transitifs;
b) "révolutionnaire" (plus proche de la tienne) : c'est une marque analitique du cas
(accusatif), seulement pour les constructions verbales à valeur du perfectif (ou complétif).
(Récemment, Vladimir Plungian a proposé une interprétation pareille pour "yé" en bambara, un
analogue du "da" en soninké).
Je préfère la première interprétation, mais j'accepte que la deuxième est aussi raisonnable.
Mais, dans aucun cas, je ne peux pas considérer "da" comme un adverbe!
AMD : Je n'ai malheureusement pas l'ouvrage de Dumestre, mais en cherchant dans google
books, j'ai pû en lire quelques lignes sur la notion de particule. Je crois que "particule
contrastive" pourrait être une bonne alternative pour les marqueurs de focalisation. Le terme
"particule" m'a toujours posé un problème de même que "marqueur" quant il s'agit de parler de la
nature d'une catégorie: ce sont des termes où l'on peut tout mettre. On les utilise lorsque l'on ne
peut mettre une catégorie donnée dans aucune de celles qui ont une définition "classique".
VV : Je suis d’accord avec toi : il faut à tout prix éviter la situation où une classe de mots
(une partie de discours) devient une « poubelle » où on jette des mots à des caractéristiques tout
à fait différentes. Mais, en cherchant à éviter cette situation en ce qui concerne les particules, estce que tu ne commets pas le même péché avec les adverbes ?
Dans le système de Dumestre, les particules ne représentent pas une « poubelle », c’est une
vraie partie de discours avec des caractéristiques plus ou moins bien définies.
AMD : Pour les marqueurs comme "da" on peut les considérer comme des déterminants, si
on entend par ce terme "déterminants de constituants", c'est-à-dire que leur rôle est de signaler la
présence d'un constituant d'un type particulier, dans le cas de "da" le constituant complément
d'objet direct. Je ne comprends pas bien ce qui est entendu par "marque analytique du cas"
(Vladimir Plungian, que tu cites). Si le travail de V. Plungian est un article disponible en version
électronique, pourrais-tu m'en envoyer une copie? Merci.
VV : Je ne me rappelle plus où Plungian l’a écrit ; il est presque certain qu’il l’a écrit en
russe, et cela ne te servira pas à grande chose (mais si tu veux apprendre le russe, tu es la
bienvenue !). Et voici la définition du « cas » pris du dictionnaire « Antidote » : « Dans les
langues а déclinaisons, chacune des formes qu’un mot est susceptible de prendre selon sa fonction dans
la phrase. Les six cas du nom en latin. Cas régime et cas sujet de l’ancien franзais. »
En fait, il y a des langues où les fonctions syntaxiques des noms (ou plutôt des phrases
nominales) sont marqués par des mots auxiliaires, plutôt que par des affixes (tels les langues
polynésiennes) ; ces auxiliaires peuvent être considérés comme des « marques analytiques des
cas ».
Par contre, je ne pense pas qu’il soit productif de mettre « da » dans la classe des
déterminatifs (surtout si nous suivons dans ce point la terminologie de Dumestre – à mon avis,
tout à fait raisonnable dans ce point), sinon, nous risquons de transformer les « déterminatifs » en
une autre poubelle. Les déterminatifs suivent les noms (les phrases nominales) qu’ils
déterminent, et ne les précèdent pas.
A mon avis, le plus raisonnable est de considérer le da en soninké comme une marque
prédicative. Mais, c’est comme tu veux…
3.
VV: Il est dommage que tu ne marques pas les tons lexicaux dans tes exemples. Cela
rendrait l’analyse de l’intonation plus convainquant.
AMD: Je n'avais pas voulu marquer les tons pour que l'aspect post-lexical du marquage
intonatif soit plus saillant. Mais puisque tu estimes qu'il vaut mieux les marquer, je vais corriger
mes transcriptions.
VV: A mon avis, en parlant des langues tonales, il vaut mieux de marquer toujours les tons
(et il est dommage que cette tradition a du mal à s'établir dans les études soninké, malgré les
travaux des deux Diagana). Surtout quand tu parles des tons dans ce même article!
4.
VV: Dans ce qui concerne le statut des deux formes du focalisateur jan/ja, ta logique ne me
paraît pas convaincante. D’après cette logique, on a l’évolution suivante : *ja ni > jan dans
toutes les positions syntaxiques, et ensuite, *jan > ja dans toutes les positions, sauf après la NP
du sujet. N’est-il plus naturel de supposer qu’on a eu *ja ni > jan seulement dans la position
post-subjective, et dans toutes les autres positions, ja n’a subit aucune modification ? Dans ce
cas, c’est ja qui devrait être considérée comme la forme lexicale.
AMD: Dans ce cas peut-on encore dire que ja vient de *ja ni? Si je comprend bien ton
argumentation, il y aurait eu alors deux voies de grammaticalisation: la première aurait donné
jan et la seconde ja. Si cela est juste peut-on dire que ja et jan appartiennent au même
morphème? Mon souci est de les considérer comme des variantes du même morphème. Ceci dit
ta proposition d'explication me semble plus simple que celle que j'ai proposée.
VV: Mais, écoute, est-ce que je comprends bien que "ja ni" est la combinaison du
focalisateur avec la copule qui apparaît dans la cleft-construction? Si "ja" peut marcher avec "ni",
est-ce qu'il ne peut pas marcher tout seul dans les autres contextes syntaxiques? Ou, disons
autrement: quelle est la toute première fonction de "ja"? Si je comprends bien, c'était toujours un
focalisateur; seulement, dans la position apres le NP du sujet (ex-cleft-construction), il y a eu lieu
la fusion avec la copule. Mais pourquoi répandre cette logique sur les autres positions?
En fait, je ne suis pas sûr que j'ai très bien suivi ta logique; puis-tu me l'expliquer dans les
termes un peu plus simples? (je m'excuse de ma stupidité)
AMD : Dans mon esprit, dans le cas de la construction clivée, c'est l'ensemble de la
séquence "ja ni" qui est le focalisateur, à l'image (toutes proportions gardées, je n'essaie pas de
plaquer les structures de langues européennes sur le soninké) des clefts correspondants du
français "C'est..." où ce n'est pas "ce" ou "est" qui est responsable de la focalisation, mais
l'ensemble "C'est". On pourrait utiliser la même logique pour l'anglais, je crois avec "It's...".
Si la comparaison est valable, j'avoue que je n'ai pas de réponse à la question de savoir
quelle est alors la toute première fonction de "ja" dans "ja ni" .
L'alternative que tu proposes est une explication intéressante - car il est tout-à-fait possible
que la cleft soit constituée en soninké de "Marqueur de focalisation + copule" - et je vais
probablement l'intégrer comme telle.
VV : A ma connaissance, il est très typique des langues mandé d'avoir des marque de
focalisation qui jouent leur rôle sans l'assistence des copules; elles suivent tout simplement les
phrases nominales (que celles-ci resent "in situ" ou soient frontalisées). Celon cette logique, "ja"
en soninké se comporte de la même façon, et sa fonction originelle est évidemment la même
qu'aujourd'hui. Seulement, dans la postion du sujet elle a fusionné avec la copule dans le
processus de grammaticalisation.
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