Introduction : les origines de la pragmatique Pragmatique - CM Introduction : les origines de la pragmatique La pragmatique est une discipline récente dans l’histoire de la linguistique. Elle n’existe pas du tout avant le XIXè siècle. Le terme « pragmatique » est inventé dans les années 1930 par Morris. La pragmatique décolle véritablement à la fin des années 1950 et au début des années 1970 elle devient une composante très importante du travail des linguistes. Il y a cependant un débat sur le fait de savoir si la pragmatique appartient à la linguistique ou non. La pragmatique est un domaine très florissant, mais il y a cependant des problèmes d’unité dans la discipline. Jusque dans l’Antiquité et au XVIIIè siècle (avec Port Royal), la façon de penser le langage est une tripartition entre logique, grammaire et rhétorique. Pour les gens du Moyen-Âge, on a la même tripartition. Au début du XIXè siècle, ces disciplines commencent à passer sur un mode scientifique. La première discipline à rentrer dans une logique scientifique est la grammaire. La grammaire comparée apparaît, elle donnera ensuite naissance à la linguistique au début du XXè siècle. En logique, avant le XIXè siècle, on se basait beaucoup sur les syllogismes. Ex : Tous les Hommes sont mortels, Socrate est un Homme, donc Socrate est mortel À partir de 1870, avec Frege, on passe d’une logique littéraire à une logique mathématique. Il y aura ensuite un passage par la philosophie du langage (avec Russel) pour arriver à la sémantique linguistique. Du côté de la rhétorique, il n’y a pas de changement au XIXè siècle (même si on étudie davantage les figures de style que l’art oratoire comme c’était le cas avant). La rhétorique n’est pas une science, c’est plus un « cours de communication ». Par la suite, la rhétorique sera interdite. Logique 1870 : Frege : Logique mathématique (philosophie du langage (Russel)) Sémantique linguistique Grammaire Rhétorique grammaire comparée rhétorique linguistique 1 pragmatique Introduction : les origines de la pragmatique Pragmatique - CM L’apparition de la pragmatique c’est avant tout le retour de la dimension communicationnelle du langage, négligée par la linguistique. Les premiers théoriciens en pragmatique sont des philosophes du langage. Wittgenstein sera considéré comme le grand-père de la pragmatique. Après son premier ouvrage, le Tractatus logico-philosophicus (1921), il devient instituteur en Autriche. Il revient ensuite en 1930 et dit que dans son premier ouvrage il a tout faux. Il pense désormais que le langage c’est l’emploi (« language is use »). Il va faire une critique de l’idée que les mots ont un sens et donc une critique de la sémantique. Il discute la pensée de Saint Augustin pour qui les mots ont un sens et que c’est pour cette raison qu’on les utilise. Wittgenstein est le premier à dire qu’on emploie les mots avec des sens différents de leur sens « premier ». Pour lui, le sens des mots se modifie dans l’emploi. Si le sens n’est pas fixé dans la langue, alors c’est dans l’emploi que les mots prennent sens. Les mots n’ont dons pas de sens mais seulement des emplois. Il est donc indispensable de situer les mots dans le type d’activité qu’on a quand on les utilise. Du point de vue empirique, il ne fait aucun doute que Wittgenstein a raison. Les sémanticiens vont alors être amenés à mettre en évidence la différence entre le sens (qui est lié à l’emploi) et la signification (qui elle est stable). Aujourd’hui il est effectivement reconnu que les signes linguistiques n’ont pas de sens. Les signes ne sont pas des symboles, ce sont des index (des pointeurs). Morris qui est le premier à employer le terme pragmatique donnera une définition de la trichotomie syntaxe/sémantique/pragmatique : syntaxe : étude de la relation des signes entre eux sémantique : étude de la relation des signes avec le monde pragmatique : étude de la relation des signes avec leurs utilisateurs Du temps de Morris, la notion de pragmatique est théorisée mais il n’y a pas de pragmaticiens. Dans les années 1920, Bakhtine, théoricien russe de la littérature ne peut pas écrire tout ce qu’il pense à cause du régime politique. Son élève Volochinov rajoutera du marxisme dans les œuvres de Bakhtine et publiera Marxisme et philosophie de langage. À cause de cette publication, il sera envoyé aux Goulags où il mourra. Les travaux de Bakhtine arrivent en Europe dans les années 1970. Bakhtine est en débat avec Saussure. Pour lui, dans le langage il y a deux oppositions : le subjectivisme : la langue est produite par les individus et notamment les grands auteurs 2 Introduction : les origines de la pragmatique Pragmatique - CM l’objectivisme : la langue est quelque chose de collectif qui échappe aux individus (on retrouve ici la thèse Saussurienne avec la nature sociale de la langue) Bakhtine dira finalement que la réalité n’est ni le subjectivisme ni l’objectivisme, mais que c’est l’interaction (théorie interactionniste). Il sera le premier à introduire des idées du type : le sens d’un mot c’est d’être un dialogue. Il est le premier représentant d’une approche interlocutive, l’une des premières formes de pragmatique intégrée. En sciences sociales, il y a trois approches possibles : le holisme (qui est très présent) : les choses font système et sont interdépendantes les unes des autres l’individualisme ou subjectivisme l’interactionnisme (essentiellement pour le langage) La linguistique structurale est une linguistique qui oppose langue et parole, la langue étant le fait social qui s’impose à chacun et la parole quelque chose d’individuel qui comporte des accidents d’exécution. On trouve souvent la comparaison de la langue à une partition de musique et la parole à l’exécution de cette partition. Peut importe l’exécution, la partition ne change pas. À l’intérieur de cette linguistique, certains ont contesté cette distinction langue/parole, car le fait d’utiliser le langage (énonciation) change aussi ce qui se passe et ça se situe même en amont de la langue. La linguistique de l’énonciation est une linguistique post-structuraliste du monde francophone. Dans cette théorie, on pense qu’il n’est pas possible de décrire les éléments de la langue sans prendre en compte l’énonciation. Il y a dans la langue des références directes à l’énonciation (par exemple pour les déictiques comme « je », on a besoin de savoir dans quelles conditions d’énonciation c’est dit). Benveniste, Problèmes de linguistique générale (2 volumes) La thèse ultime de la linguistique de l’énonciation est que la langue c’est du discours cristallisé. Il n’y a dans la langue que des emplois du langage qui ont « réussi » et qui se sont figés. Benveniste travaille en diachronie sur des dizaines de langues. Pour lui, rien n’est dans la langue qui n’ait d’abord été dans l’énonciation (« Nihil est in lingua quod non prius fuerit in oratione »). Ex : - Salut ! À l’origine, c’est en rapport avec la santé : pour dire bonjour on disait « santé ! ». Par dérivation délocutive, on a créé un mot à partir de son emploi qui a aujourd’hui perdu son sens premier. - Affaire Occupation. Chez les grecs, avoir affaire signifiait être occupé et plus précisément faire du commerce mais comme c’était mal vu de dire qu’on faisait du commerce on disait avoir affaire. Il y a également une idée que ça ne regarde pas 3 Introduction : les origines de la pragmatique Pragmatique - CM l’autre (c’est pas tes affaires !). On peut tout à fait faire un parallèle avec l’anglais business/busy. La thèse de l’énonciation émerge pour la linguistique au même moment que la pragmatique réapparaît. La linguistique de l’énonciation connaît une grande période entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1980. Dans cette théorie, on estime qu’on ne peut pas décrire la langue sans comprendre ce que c’est que parler. Les variantes de Bakhtine et Benveniste sont compatibles. La position de Wittgenstein est plus radicale puisqu’il pense qu’il n’est pas possible d’étudier la langue. Pour Benveniste, on ne peut pas étudier la langue sans passer par le discours. Bakhtine a une position dialogique. Pour lui, les mots codent des dialogues. L’interactionnisme correspond à une autre source d’émergence de la pragmatique. C’est plus un modèle sociologique que linguistique. Il sert à définir le lien social et à se demander ce qui se passe quand on croise quelqu’un. L’interaction constitue la base du lien social. Ex : Est-ce que tu peux me rendre un petit service ? Il n’y a rien de « petit » dans le service demandé. C’est juste une stratégie sociale pour que l’autre accepte. Les interactionnistes ne s’intéressent pas à la linguistique. Ils ont une approche sociologique. Dans les années 1970, la pragmatique revient sous différentes formes. Les pragmaticiens apparaissent. 4