La naissance du politique Le modèle grec Le mot polis est à la fois

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La naissance du politique
Le modèle grec
Le mot polis est à la fois la cité comme société parfaite (manière optimum de s’organiser
collectivement) et le gouvernement des hommes (organisation et institutions politiques
qui sous-tendent l’organisation des sociétés). L’homme grec se définit comme un être
politique. S’organiser en cité, c’est la manière grecque de se situer dans le monde. Les
Grecs avaient une perception très forte de la finitude des choses, de la fragilité de la
condition humaine. L’Iliade et L’Odyssée confirment ses fondements du mode de pensée
grec. Pour le Grec, s’envisager dans le monde, c’est trouver dans la cité le moyen de
s’inscrire dans l’Histoire. Si les Grecs, comme tous les peuples de Méditerranée et du
Proche-Orient à l’époque, ont développé une littérature importante, leur originalité a été
que le substrat culturel est laïc. Si la cité a des dieux protecteurs, l’organisation de la cité
relève des hommes, de la politique laïque : les Dieux sont ennuyés par la politique (nous
aussi !).
On remarque que, dans la mythologie grecque, les personnages principaux sont les dieux
et les êtres humains. Les Dieux échappent aux lois de la nature. Les Hommes sont doués
de raison. Ces Dieux ne sont ni sérieux, ni fondateurs de l’ordre du monde : les Hommes
ont créé le monde en organisant le chaos. Les questions religieuses sont alors certes
importantes mais pas forcément primordiales. Homère raconte les hommes comme
souffrant, soumis aux contraintes des Dieux, tentant d’habiter le monde. Les Grecs
distinguent la vie biologique et la vie en cité, qui permet à l’Homme de s’émanciper des
Dieux et de cette nature hostile. Toute la culture politique ne peut se comprendre qu’à
l’aune de ce précepte. Il faut avoir le souci du monde. La pensée grecque n’est pas une
pensée d’adaptation mais une pensée d’insatisfaction. Cette insatisfaction par rapport au
monde a pour conséquence un souci du monde en recherchant l’épanouissement le
bonheur individuel et collectif des hommes.
L’Histoire grecque s’étale sur plusieurs siècles. Homère, au VIII siècle avant JC, parle de
cités antérieures au X. Homère ne pose pas directement de questions politiques (même
si elles affleurent notamment dans L’Iliade) ; ce n’est qu’après un long moment, au VI° en
particulier, que va émerger la conscience politique grecque, avec la place de l’Homme
dans le monde. Au V seulement nait la réalité de la cité et les questions sur son
organisation politique. Un siècle et demi plus tard, cette pensée politique s’effiloche,
disparaît : les traités politiques qui suivent décrivent le point de vue des gouvernants
mais oublient les gouvernés ; ces traités ne sont plus écrits par des philosophes.
L’indépendance politique des cités est morte, on entre dans un autre monde qui va voir
la politique s’amenuire au fil des siècles. Le moment politique grec est ainsi situé dans le
temps et dans l’espace. C’est à Athènes dans un contexte politique, économique et
culturel que se développe cette pensée politique et culturelle. Les philosophes ne sont
pas forcément des citoyens de la terre mais ils écrivent à Athènes dans ce contexte
politique et démocratique. C’est dans ce contexte que nait une pensée politique, qui va
d’ailleurs critiquer la forme démocratique athénienne contemporaine, alors qu’elle nait
de la démocratie athénienne. Aristote parle non pas seulement des gouvernements, mais
de l’ensemble de la société, de la cité.
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L’originalité grecque réside dans le questionnement sur la politique, entendue comme
un partage, la distribution du pouvoir entre les mains des citoyens. Le statut des
citoyens va donc être une pensée première. De ce statut découlera l’analyse, la
description des différents types de régimes politiques possibles. Dans la cité, on
distingue la population, les habitants de la cité, du citoyen. La citoyenneté est un statut
juridique et politique, et non simplement une situation de fait. Tous les habitants de la
cité n’ont pas vocation à accéder à ce statut politico-juridique. Avant même que s’élabore
véritablement une pensée politique, la cité s’est organisée en distinguant entre eux les
statuts de chacun : distinction entre l’homme libre et l’esclave. L’homme libre est celui
doté de droits par son statut, pourvu d’un statut juridique, ce qui n’est pas le cas pour
l’esclave qui n’a aucun droit.
La deuxième distinction est entre le citoyen et l’étranger, le barbare. Ces autres peuples
sont considérés comme l’étrange. Par citoyen, le droit grec va se rapprocher de ce que
nous concevons aujourd’hui en terme de nationalité. La citoyenneté répond à certaines
prérogatives : un statut, un père et une mère de citoyenneté athénienne. Le statut de
citoyen répond à cette filiation biologique. L’étranger est celui qui ne peut répondre à
cette filiation. L’eupatride n’est pas simplement l’habitant de la cité, mais le citoyen, celui
qui trouve racine de génération en génération dans la cité. Au sein de la cité, on
distingue donc métèque et citoyen.
Il y a une autre distinction : le sexe. Dans la cité grecque, seul le mâle remplissant des
critères d’âge et de filiation est considéré comme citoyen. La femme est exclue du
tocoinon, l’espace public. Il faut être âgé de plus de 18 ans pour accéder à la citoyenneté.
Etre citoyen, c’est donc exercé notamment des droits politiques qui, suivant leur régime
politique, pourront être de nature différente. Dans les régimes de nature monarchique,
les droits politiques ne sont exercés que par une communauté de citoyens très
restreinte. Dans les régimes de nature démocratique, en revanche, la citoyenneté s’étend
au plus grand nombre qui exerce des droits politiques. L’organisation du gouvernement
de la cité n’est possible qu’à l’échelle d’un petit nombre de personnes. Pour que
l’intensité du politique soit possible dans la cité, encore faut-il au départ exclure pour
mieux intégrer ceux qui constitueront la communauté de citoyens. La communauté des
citoyens exerce directement dans la cité des droits politiques. Ce principe d’exclusion est
la condition même de l’organisation de la cité. Concernant l’exclusion des femmes, on est
frappé par ce que la culture grecque véhicule sur le sujet. Dans la culture grecque, il y a
des héroïnes de première importante, mais à l’exception d’une seule figure, aucune ne
prend part à l’activité politique. Hélène de Troie influence sur les évènements politiques
mais ne pratique pas la politique. La seule véritable figure politique est Antigone dans la
tragédie de Sophocle. Antigone surgit sur la scène politique quand son oncle le Roi Créon
l’empêche de se recueillir sur le corps de son frère ; elle intervient alors contre ce qu’elle
estime contre-nature. Dès lors, une loi peut être légitime dans la cité tout en étant
contre-nature ; une loi peut être contraire à des principes contre lesquels même les lois
de la société ne peuvent pas agir. Antigone parle alors de droit naturel. Il existerait des
principes où même la politique ne peut pas intervenir. Antigone intervient pour dire que
la politique n’est pas légitime si elle n’obéit pas à un certain nombre de principes qui la
dépasse. Ce principe n’est pas accepté de tous (Platon, Aristote, etc.).
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L’intensité du politique a pour périmètre relativement étroit cette communauté des
citoyens qui exclut une bonne partie des habitants de la cité. La pensée politique
grecque se fait donc à partir de la citoyenneté, avant de décrire les régimes politiques
possibles au sein de la cité.
Dans le monde grec, l’unité est aussi importante que la diversité. L’unité est la manière
pour l’homme d’habiter le monde en se regroupant en une cité. Mais la cité n’est pas une
pour autant : dans son organisation, dans ses mœurs, etc. Le monde grec est un monde
de diversité religieuse, culturelle, politique, sociétale. Ceci repose sur l’autarchia,
l’indépendance de chaque cité qui n’obéit à aucun commandement extérieur. La pensée
politique nait de cette diversité. L’être est le devenir de l’homme dans la cité, mais elle a
pour base la diversité. La pensée politique grecque va naitre de la description de cette
diversité politique, sociale, religieuse, de ces situations économiques et géographiques.
Lorsque cette diversité s’effacera, la pensée politique s’effondrera. Hérodote, auteur du
début du V°, est d’abord un voyageur, un Grec qui parcoure le monde grec du V° et visite
les cités de la péninsule. Il étudie chaque cité dans son organisation sociale, culturelle,
religieuse et politique. Mais Hérodote éprouve le besoin de rendre ce monde intelligible :
il recherche les lois régissant les institutions des cités. Hérodote n’est que l’héritier en
cela des philosophes et hommes de sciences qui ont donné naissance à la littérature
grecque. Hérodote établit une classification, une typologie des différents régimes de la
cité : Régie politique. Hérodote distingue trois grands types de régimes politiques : le
gouvernement d’un seul, le gouvernement du petit nombre, le gouvernement du plus
grand nombre. Hérodote précise que ce ne sont que des archétypes qui permettent des
classer les institutions des différentes cités en catégorie. Hérodote précise que
majoritairement les cités sont organisées en monarchie ou aristocratie. Le régime
démocratique avec le plus important rayonnement est Athènes, au centre des réflexions
d’Hérodote, qui insiste sur l’extraordinaire de l’organisation athénienne. Hérodote
rappelle que ces régimes résultent de l’Histoire des cités : les régimes politiques des
cités sont changeant, une cité expérimente souvent plusieurs régimes politiques au
cours de son histoire. Athènes, initialement régime aristocratie, est par la suite devenue
une démocratie. Le monde politique est soumis, comme celui des hommes, à un certain
nombre d’aléas qui le rendent changeant. Cette intelligibilité donnée au monde politique
a un but : quelle est la meilleure vie possible, la vie bonne ? Dans la pensée grecque, il y a
toujours une question morale ou éthique. Hérodote montre sa préférence pour Athènes
et son régime démocratique. Le meilleur régime possible est celui qui ferait participer le
plus grand nombre à la vie de la cité, ce que Platon contestera. Une constante dans la
pensée politique : le régime politique doit assurer la sécurité, la stabilité, la continuité de
la cité. Certains penseurs renverseront cette question : le meilleur régime est celui qui
dure.
Le courant des sophistes est le courant contradicteur de Socrate, les ennemis de Socrate.
Selon Socrate, ils font profession de philosophie mais n’en sont pas. Le but de la
philosophie, fondée sur la raison humaine, est l’acquisition de la sagesse. Ces sophistes
n’ont pas qu’un combat philosophique avec Socrate. Les sophistes sont porteurs d’une
mentalité politique. Ils sont la voix de la mentalité démocratique athénienne : ils
expriment la culture politique athénienne. Chez Aristote, il y a une critique féroce de la
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démocratie athénienne soutenue par les sophistes. La pensée grecque qui nait avec
Socrate critique la démocratie dans sa version athénienne. La plupart des écrits
sophistiques et présocratiques sont détruits, sans doute au cours de l’incendie de la
bibliothèque d’Alexandrie. Mais cette pensée n’a pas de grand penseur qui l’aurait porté.
Bien souvent, on parle contre la pensée sophiste. Cependant, ces auteurs semblent
vraiment nous dire la quintessence de la pensée grecque. De plus, ils la poussent jusqu’à
son point ultime : ils se moquent des dieux, en les considérant comme des farceurs sur
qui on ne peut jamais compter, des superstitions, des cérémonies où le peuple semble
instrumentaliser : ils évacuent toute question métaphysique et spirituelle : « l’homme est
la mesure de toute chose ». La question d’une vie après la mort n’est pas considérée
comme philosophique. L’Homme ne peut pas concevoir l’éternité vu la brièveté de son
passage sur terre. La vie quotidienne dans la cité est bien plus importante, du comment
manger au comment la cité politique fonctionne. Sur le terrain politique, les sophistes
déclarent que « tout homme âgé de plus de 18 ans a une vocation naturelle à gouverner la
cité ». Ils n’ont pas le temps de trop théoriser cependant, puisqu’ils sont en même temps
les réels acteurs de la vie de la cité. Cette mentalité démocratique résulte des institutions
athéniennes. Les institutions démocratiques athéniennes ne sont qu’un aménagement
des institutions politiques communément répandues en Grèce. La plupart du temps, le
gouvernement de la cité repose sur une Assemblée politique (expression de la
communauté des citoyens), appelée à Athènes l’ecclesia – assemblée du peuple ; une
institution de gouvernement qui va mettre en forme et exécuter la loi, les magistrats ; les
tribunaux (à Athènes, constitution de jurys).
L’ecclesia est l’assemblée du peuple où se réunissent tous les citoyens. A l’ecclesia, le
citoyen va pouvoir librement s’installer et prendre la parole. L’ecclesia semble aussi peu
organiser que possible. Un magistrat fixe un ordre du jour et essaie de répartir le temps
de parole, mais ceci peut être facilement bouleversé. Le vote se fait par l’ensemble des
citoyens quelque soit la question. Les décisions se prennent à la majorité. C’est le plus
grand nombre qui détermine le vote. On voit bien ainsi que la démocratie est le
gouvernement du plus grand nombre. La minorité doit accepter comme loi de la cité le
vote majoritaire. La parole est donnée à celui qui demande la parole, et pas forcément à
celui qui a quelque chose à dire, ce que critiquera Platon. L’ecclesia est très rapidement
difficile à maitriser, et les attitudes seront vite éloignées du principe démocratique de
base. Les sophistes expliquent alors que la parole a énormément de poids, elle influe sur
le vote : l’art du débat est extrêmement important pour la démocratie. Il suffirait alors
de bien parler pour être un grand politique. Platon se scandalisera et les traitera de
démagogues abusant le peuple
Les magistrats : plus la cité est importante, plus elle s’organise administrativement, plus
le nombre de magistrats est important. Aujourd’hui nous fondons les critères
démocratiques notamment sur le mode de désignation des responsables politiques, dans
notre cas l’élection. Pour Athènes, c’est antidémocratique car les citoyens n’ont pas à
déléguer leur souveraineté à des magistrats ou à qui que ce soit. L’élection élimine les
citoyens pour choisir le meilleur, ce qui n’est pas démocratique. On tire donc au sort les
magistrats : les sophistes revendiquent la loi du hasard, la plus égalitaire et donc la plus
démocratique. La loi du hasard s’exerce dans le cadre des citoyens. Le pouvoir est
distribué entre les mains des citoyens par un mécanisme de rotation rapide du pouvoir.
La plupart des magistratures sont exercées pendant une année. Le magistrat, dans son
domaine de compétence, exerce pleinement ses pouvoirs pendant cette année. Les
magistratures militaires répondent à d’autres impératifs et dépassent une année de
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mandat. Au moins une fois dans sa vie de citoyen, chacun était amené à exercer une
magistrature. L’égalité grecque repose sur l’idée que tout homme est doté de raison. Il y
a du coup sur la cité politique une mobilisation très forte des citoyens. On est tour à tour
gouvernant et gouverné, frontière que Platon va rétablir, qui font que l’ordre politique
s’efface dans la mentalité politique athénienne.
La pensée politique grecque est souvent résumée à Platon et Aristote.
Platon vit au milieu du V° avant Jésus-Christ. Il se situe à un moment d’apogée pour la
citée athénienne. Le monde grec est organisé en cités souveraines. Elles se font la guerre
et sont organisées dans des confédérations de cités. L’hegemonos est la cité qui
rassemble autour d’elle d’autres cités et les domine en quelque sorte. Athènes constitue
une cité essentielle dans tout le sud de l’Attique. Platon ne va cependant avoir de cesse
de prévoir la corruption des mœurs, d régime politique et de ses institutions. Platon est
un athénien déchu de sa citoyenne : il est issu d’une famille aristocratique d’Athènes qui
a longtemps participé au gouvernement de la cité avec que celle-ci ne devienne
réellement démocratique. Les oncles de Platon ont tenté de renverser le régime
démocratique et furent ensuite condamnés à mort, en enlevant le statut de citoyen à
tous les descendants de ces hommes. Le groupe social précède l’individu…
Platon, dans sa cité, est devenu un apatride, du point de vue de la citoyenneté. Il est
éduqué au sein d’une famille qui prépare aux grands fondements politiques. L’essentiel
de l’œuvre de Platon ne traite pas directement des questions politiques, mais ne pas les
étudier dans son œuvre serait porter atteinte à sa démarche. Les grands questions
philosophiques de Platon abordent la « connaissance vraie » ; Platon cite cela comme le
gouvernement de la cité : en définissant ainsi la politique, il la place comme question la
plus importante en philosophie (façon dont l’homme habite le monde).
La question de la cité est la question de la situation de l’homme avec ses limites, et de la
capacité qu’il a à s’organiser librement. Envisagée ainsi, la question politique a une
importance première. Platon fait une distinction entre la connaissance (episteme) et la
l’opinion (doxa) : il réalise un travail démarche de connaissance, pour que l’homme ait
une connaissance sur lui-même et donc par extension sur le monde. L’acquisition de la
connaissance est démarche philosophique. C’est un effort que fait l’homme sur luimême : ceci demande rigueur, patience (démarche de toute une vie). Le monde, qui est
tout à fait antinomique, est le monde des préjugés, de la passion plus que de la raison.
La politique n’est pas à ranger dans le déraisonnable ou la passion : le plus grand danger
est de verser vers l’irrationnel. A tout instant, la politique est guettée par ce risque
majeur : la politique étant les institutions et le gouvernement dont les hommes se dotent
dans la cité, elle est par définition sous le risque de la destruction. Face à ce danger qui
guette la politique, il faut replacer celle-ci dans la connaissance, la raison, la meilleure
manière de vivre en société qui permettra à l’homme d’être libre. Les sophistes sont les
représentants du danger le plus grand de la politique, l’art le plus difficile. Se gouverner
soi-même est déjà une démarche politique très difficile, ce qui demande le plus de
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formation. Cet art le plus difficile peut être soumis aux passions, au déraisonnable, à la
destruction.
Platon fait donc de la politique avant tout une question morale, une question
existentielle qui a comme présupposé un idéal à atteindre, fondé sur le mieux vivre à
atteindre et l’épanouissement de l’homme à atteindre. La politique ne sera pas d’abord
la description du pouvoir politique : la politique doit d’abord être fondé sur un idéal à
atteindre, basé sur des valeurs morales et éthiques. La cité est ce qui définit le monde. La
cité est un prolongement même de l’homme (c’est ce qui différencie l’homme grec du
reste de l’humanité).
A partir de ces éléments, l’œuvre de Platon a une très profonde originalité : son œuvre
est fondé sur une méthode originale : il donne naissance à la figure de Socrate, celui qui
atteint la connaissance vraie. L’essentiel de l’œuvre de Platon est sous forme de dialogue
entre Socrate et ses interlocuteurs. La figure de Socrate peut se comparer en quelque
sorte à la figure du Christ. Socrate parle au nom de Platon, son « évangéliste ». Cette
méthode du dialogue est fondée sur un élément essentiel de la politique : le débat, la
contradiction, l’exposé de faits questionnés par l’autre. Les questions politiques ne
relèvent pas simplement d’un discours convenu sur les institutions, mais d’une
recherche des solutions à apporter à la cité.
Socrate semble à tout moment avoir pour rôle de remettre en cause les idées reçues,
celles qui semblent acceptées par la plus grande majorité, et qui apparaissent comme
une évidence (ces idées sont souvent soutenues par les sophistes). Socrate espère ainsi
reconstruire le monde de la connaissance.
Dans l’œuvre immense de Platon, on citera trois œuvres : La République, Le Politique, Les
Lois.
Dans La République, la démarche de Platon pousse à un point ultime le questionnement
du régime politique. Il décrit un régime, une cité idéale, posée comme un miroir
déformant pour une réalité que Platon va remettre en cause. La démarche de Platon est
fondée sur un idéal à atteindre. Platon critique radicalement le rêve. Platon signifie
qu’aucun des régimes politiques décrits par ses prédécesseurs ne correspond aux
critères de l’idéal politique à atteindre. Il faut dire à la réalité combien ces régimes
politiques sont insuffisants. Platon est un des premiers auteurs qui développe une
pensée politique d’insatisfaction par rapport à la réalité. Cet idéalisme de Platon le place
dans le courant de l’utopie politique : la cité idéale est avant tout un archétype utopique.
La cité est la meilleure manière de vivre en société. La République est un régime de nulle
part qui fonde la pensée politique de Platon. La politique est une science qui obéit à un
certain nombre de règles. La politique est une science qui est une action bénéfique de
l’Homme sur l’Homme ayant pour vocation la sociabilité de l’homme, étant fondée sur
l’effort que l’homme doit faire pour vivre en société : il n’y a pas de sociabilité naturelle.
C’est en conjuguant force destructrice et condition humaine que l’homme est capable de
vivre en société. L’art politique sera bien entendu la meilleure manière de s’organiser au
sein de la société. La meilleure vie aura pour condition le meilleur gouvernement
possible.
Platon va analyser les différents régimes analysés par d’autres et qui permettent
l’analyse politique du XX. Platon va classer et classifier les régimes politiques par
rapport à la cité idéale, par rapport à son idéal politique. Ces régimes politiques sont
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classés en monarchies, aristocraties et démocraties. Platon met en avant ces trois
régimes, formes dérivées de ces mêmes régimes politiques : démocratie et démagogie,
aristocratie et oligarchie, monarchie et tyrannie. Pour Platon, ces différents régimes sont
des régimes que la cité peut expérimenter dans une sorte de logique implacable parce
que chacun de ces régimes est fondé sur des déséquilibres qui à tout moment remettent
en cause ses principes. Ainsi, seul le régime idéal de la cité dans la République peut
conjurer ce qui guette toute chose sur Terre (finitude, mort, corruption). Le régime idéal
inscrit la cité dans un temps qui l’émancipe de la destruction, de la mort, de la
corruption. L’idéal est donc une cité inscrite dans la permanence de l’Histoire : aucun
des régimes politiques existants dans les cités du XX ne peut conjurer ces fléaux. Chacun
de ces régimes porte atteinte à lui-même et ainsi à la cité. Platon décrit un ordre d’entrée
et de succession de ces régimes avec chaque fois l’antithèse du régime qui est le véhicule
de la destruction du régime. La corruption des régimes politiques les ramène toujours
au point de départ.
Aucun des régimes politiques ne trouve grâce aux yeux de Platon, mais il établit
cependant des hiérarchies et distinctions. Pour Platon deux régimes semblent être les
régimes permettant à la cité d’être stable et d’avoir des institutions ordonnées : la
monarchie ou l’aristocratie. La politique est l’art le plus difficile qui requiert formation.
La confier à un petit nombre apparaît donc plus rationnel. Eduquer un monarque, le
préparer au gouvernement des hommes, ou alors dégager une élite au sein de la cité qui
se prépare au gouvernement de la cité. Le pire des régimes est bien la démocratie, même
si Platon admet que la corruption de la monarchie et de l’aristocratie est extrêmement
grave ; la tyrannie, le régime le plus dangereux. Dans le cas de la tyrannie, on est dans la
négation même des lois, l’arbitraire exercé par un homme qui sort la cité de ses
fondements mêmes. Il est d’avantage le critique des déséquilibres qui portent atteinte à
la cité, que le critique d’un régime politique en particulier. Platon imagine donc ce que
pourrait être un régime idéal.
Le mythe de Platon est profondément grec. Car la cité idéale est d'abord des hommes qui
décident. Après l'errance, quand ils sont contraints, ou quand ils décident, ils fondent
une cité. Dans La République cet idéal va nous surprendre. En effet, à l’aune de ce qu’a
été l’expérience des sociétés humaines jusqu’à aujourd’hui, l’idéal de Platon semble un
cauchemar. La vision platonicienne a un énorme écart avec ce que Platon constatait en
son temps. L’idéal de Platon est une société où l’individu ne se conçoit pas en dehors du
groupe et qui lui confère un statut : c’est une société qui est fondée sur une distribution
des fonctions et de la place de chacun. La République distribue la place de chacun dans
la cité. Cette place sera tout autant une place économique que politique (du point de vue
de la citoyenneté).
On compte trois fonctions vitales de la cité :
-
le plus grand nombre est voué à des fonctions de production et assurer ainsi la
survie économique de la cité, son développement, son confort (cette production
de richesse suffit à déterminer un statut, celui du producteur – produire est le
seul statut possible pour la majorité des hommes libres)
-
il y a ensuite une fonction militaire ou guerrière : la cité obéit à un double
impératif : s’assurer d’une indépendance à l’égard des autres cités à
l’extérieur (l’armée exprime sa puissance), et assurer l’ordre et la sécurité au sein
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de la cité. C’est un élément essentiel de la vie sociale ; Platon parle de chiens de
garde
-
les philosophes ou politiques : ils gouvernent l’ensemble de la cité
Dans la cité idéale, ces fonctions obéissent à une loi de l’hérédité. Platon croit en
l’environnement qui permet de repérer très tôt les qualités de chacun et de les mettre au
profit de la cité. L’ordre social obéit à des impératifs qui sont d’abord ceux de la cité.
L’espace public occupe une place essentielle et majeure ; l’espace privé, qui serait celui
des individus, est pratiquement inexistant, à tel point que la famille est un motif de
défiance. C’est une forme d’eugénisme qui chez Platon ne soulève aucune question
philosophique particulière. Le rôle de la cité est de repérer les aptitudes des enfants qui
seront formés et éduqués pour accomplir leur tâche dans la cité. Les politiques vont être
repérés très tôt pour être éduqués et formés à l’art politique. Pour Platon, le politique
est très souvent formés sur l’expérience : Platon admet la gérontocratie. L’art politique
est un art qui doit tout à la formation des citoyens par la société. C’est la théorie du
philosophe-roi. Les choix de la cité vont donner lieu à une sélection sévère. Platon croit
également en le collectif, dans la capacité qu’à la cité à repérer les âmes particulières qui
auront vocation à exercer les fonctions politiques ; mais il ya beaucoup de recalés. Platon
distingue ceux qui ont vocation à gouverner et ceux qui ont vocation à être gouvernés.
On a donc une société profondément hiérarchique fondée sur un trifonctionnalisme.
Platon en fait un élément essentiel de l’ordre social, de la cité idéale. Aucune place n’est
faite dans l’ordre social aux femmes, à part la reproduction. On parle de communauté
des femmes, vouée à féconder. Les femmes sont exclues de la sphère publique, et d’une
existence sociale même. Si Platon envisage de manière très critique la propriété, s’il
considère que la propriété est un danger pour la société elle-même, il faut retenir la
méfiance à l’égard de toute activité économique au sein de la société. Il critique dans
Athènes à la fois les institutions et les mœurs : la société du libre-échange.
L’autosuffisance de la cité est un idéal. L’absence de libertés individuelles, le
trifonctionnalisme sont ouvertement revendiqués.
Platon a une conception du temps très grecque, cyclique. Il considère que le chronos est
toujours un élément de corruption pour la vie sociale et la société, alors que les
sophistes avaient foi en l’homme pour construire la société. L’ordre social doit prémunir
constamment contre cette corruption.
Dans Le Politique, Platon s’éloigne de ce régime idéal : il veut d’abord mettre fin au
régime démocratique, au profit de la monarchie ou de l’aristocratie. Dans ce même
ouvrage, Platon développe toutes les théories du philosophe-roi : le monarque est
éduqué selon les principes philosophiques qu’il décrit. Il écrit ceci après avoir passé du
temps auprès du despote de Syracuse. C’est cependant un relatif échec…
Dans Les Lois, Platon revient à une idée essentielle grecque : elles obéissent à des
principes supérieurs : il parle alors de Sparte. Sparte est sans doute la cité qui a conservé
le régime aristocratique le plus pur. Sparte serait sans doute le régime politique le plus
proche de son régime idéal. Mais il imagine Sparte sans connaître les défauts de ce
régime…
On voit dans cette analyse ce qu’il y a d’athée, alors que Platon pose toutes les grandes
questions.
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Le deuxième grand auteur politique grec est Aristote. Aristote se situe dans un moment
de bascule historique : on va voir le cadre de la cité en crise sociale. Cette crise annonce
finalement la fin du cadre traditionnel de la cité au profit de vastes ensembles
territoriaux et politiques sous la forme de royaumes ou d’empires. Aristote est le
précepteur de celui qui deviendrait Alexandre le Grand, Roi de Macédoine, Empereur de
l’Empire Grec, fondé sur la fin de l’autarcia de la cité. Les grands royaumes
hellénistiques qui se mettent en place ont des structures très différentes de la cité.
Aristote arrive au moment d’une rupture des civilisations. Le Grec se définit initialement
par son appartenance à la cité. Mais celle-ci devient d’avantage une circonscription
administrative : le Grec ne s’envisage plus comme appartenant à la cité : il se définit
désormais comme Hellène. La plupart de la philosophie grecque racontée aujourd’hui
correspond à Aristote, qui a su exprimer au mieux cette culture politique original.
Aristote sent poindre les changements et est en capacité, pour tenter d’apporter des
solutions, de récapituler toute une culture comme personne.
Aristote est cependant un réformateur. Il n’est pas un auteur qui va à l’image de Platon
se situer dans l’utopie ou idéal politique. Contrairement à Platon, Aristote a comme
méthode d’analyse l’étude des différents types de régimes possibles dans le monde grec.
Il connaît bien les institutions des principaux régimes politiques grecs. Il récapitule la
culture grecque et entend par là trouver la solution à la crise de la cité. Il esquisse un
programme de réformes applicables tant à Athènes qu’au reste de la Grèce.
Platon avait fondé une école philosophique : l’Académie. L’Académie de Platon va former
le métèque qu’était Aristote. Aristote n’est pas un citoyen d’Athènes (il n’a pas perdu ses
droits à la différence de Platon). Aristote arrive d’Asie mineure et est éduqué à la culture
grecque, mais il n’accédera jamais à la citoyenneté athénienne. Aristote n’exercera pas
de responsabilité politique, ne siègera pas à l’ecclesia. Il y a une sorte de contradiction
entre le fait qu’Aristote occupe le premier plan à Athènes, mais qu’il n’aura aucune
réalité politique.
Aristote se distingue dans l’école socratique très rapidement. Il se différencie largement
des autres. Dans un de ses premiers écrits, Aristote remet largement en cause nombres
de présupposés platoniciens. Assez jeune, Aristote fonde une autre école philosophique :
le lycée. La différence essentielle est célèbre : l’école platonicienne est d’abord fondée
sur l’acquisition de la sagesse, sur la connaissance vraie que chaque sage doit atteindre
par le travail de la raison sur la personne. Aristote fonde toute sa philosophie sur la
raison humaine. Cette raison est une raison tournée vers l’extérieur, l’analyse de la
société et des mécanismes sociaux. C’est un principe de réalité, d’analyse de l’autre et de
la société qui s’impose : l’homme est un animal social. Cette phrase définit le lien
essentiel de la cité : un lien politique entre des citoyens qui forment la cité elle-même.
L’homme n’a d’existence propre qu’en société : il ne peut exister que par la société et à
travers la cité. La cité est définie par Aristote comme le fruit de la nature. Cette nature
doit être précisée : Aristote insiste sur ce que l’on appelle l’ethos : les mœurs de la cité. Il
s’agit de la culture propre à chaque cité, son mode d’organisation politique et sociale. On
étudie l’homme comme animal politique en étudiant les mœurs de la société pour
analyser tous les éléments du corps social, tel un médecin. Aristote est d’ailleurs formé à
la médecine : il vit la politique que une médecine sociale pour rendre le vivre-ensemble
possible.
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Selon le type d’organisation sociale et politique, le développement sera varié : on ne
définira pas de la même manière la place de l’homme dans la société. L’analyse
d’Aristote étend son analyse aux types de sociétés, ne se limitant pas aux régimes
politiques comme l’avait fait Platon.
Aristote demeure un Grec : comme Platon, il aspire à une intelligibilité du monde. Il ne se
contente pas de faire un catalogue de diversité : il entend rendre le monde de la cité
intelligible, analysable et donc au final réformable, sur l’organisation comme sur le corps
social. Il cherche les principes communs à toute organisation sociale, celle-ci étant
fondée sur la raison humaine. Il y a des lois communes qui permettent non seulement
d’expliquer l’existence de la société et son devenir, mais de l’analyser, comme société
des hommes. A partir du moment où la cité est définie comme « l’association des hommes
entre eux pour le mieux vivre », Aristote essaie de trouver les bases morales et politiques
qui fondent toute cité. Cette définition est le projet historique de la civilisation grecque,
même si les moyens sont différents.
Aristote repère quatre moyens fondamentaux dans la cité : l’unité du corps social, le
principe de justice, le règne des lois, la citoyenneté.
L’unité ne signifie pas la disparition du citoyen derrière la cité. Ce qui frappe Aristote,
c’est la pluralité des groupes, des familles qui composent la cité. La cité est fondée sur la
différenciation des individus. Ces différences forment les relations sociales, l’échange
sur lequel va se fonder la cité. L’unité n’est pas une chape de plomb sous laquelle chaque
individu serait étouffé. L’unité est un moyen fondé sur la différenciation permanente des
groupes, familles et individus. Tout l’art de la politique est de permettre le mieux vivre
dans cette diversité, celle-ci acceptant des institutions communes qui forment la cité. Il y
a à la fois la diversité et l’espace commun, qui permettent de vivre ensemble en fondant
sur la diversité l’unité du corps social. Chez Platon, le corps social est juridiquement
ordonné, alors que chez Aristote, c’est à partir de l’échange que la société nait, et la place
des individus n’est pas déterminée dans des fonctions spécifiques. La politique est l’art
de faire vivre tous ces gens ensemble, avec comme but de réaliser le bien commun ou
intérêt général, soit ce que les individus partagent ensemble.
La justice est une sorte de base morale du vivre ensemble, parce que tout individu y
trouve un intérêt. Cette justice, selon Aristote comprend plusieurs modalités possibles :
Aristote a une conception de la justice très différente de celle de Platon. Platon
définissait la justice comme quelque chose s’imposant aux hommes et fondée sur des
principes extérieurs au corps social, une constante mauvaise conscience du corps
sociale, inatteignable car utopie du corps social. Chez Aristote, la démarche est tout
autre : la justice n’a de sens que si elle est une justice en action, une justice qui permet le
vivre ensemble et l’épanouissement. Dans cette dimension, il y a deux éléments
essentiels : la justice distributive et la justice corrective. La justice distributive est ce qui
intéresse d’abord l’autorité de la cité politique : elle est la manière dont la cité va
s’organiser en termes politiques : elle détermine la place et les droits de chacun dans la
société. Cette justice distributive sera très différente selon les régimes politiques de la
cité : soit la liberté du plus grand nombre (démocratie), soit la richesse et la naissance
(oligarchie), soit l’honneur ou la vertu (monocratie). La justice est aussi corrective : un
élément essentiel de l’équilibre social est que chacun ait l’impression d’être traité
également à l’autre. Platon lisait cela comme un pathologie qui renvoyait au régime
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démocratique. Chez Aristote, la notion d’égalité est beaucoup plus fine. Elle sera
proportionnelle. Aristote dénoncera les pulsions égalitaires de la démocratie. Pour
Aristote, la justice est toujours une affaire de proportion : la vraie notion du justice est
un système de proportions, traitant également ce qui est égal, et inégalement ce qui est
inégal. Dans la cité, la notion du juste peut varier : la richesse peut être une vertu pour
gouverner la cité, et donc le juste consistera à donner plus de droits politiques aux
riches qu’aux pauvres. Ceci ne veut pas dire que le pauvre ne bénéficie pas de droits et
de protection ; ceux-ci seront proportionnels à sa place dans la cité. A chaque moment, la
cité peut être amenée à préciser les droits de chacun, la place de chacun, non pas dans
une vision arithmétique et uniforme des choses, mais dans la vision de chacun différent
dans la société. Il faut être capable d’assumer les inégalités quand celles-ci sont utiles au
gouvernement de la société, au bon fonctionnement de la cité. On peut lire une
préférence pour un régime où les droits politiques sont exercés par une minorité : la
richesse est une vertu car elle donne du loisir, qui apporte une liberté, et la possibilité de
s’adonner à l’intérêt général et au bien commun. Par bien des aspects, Aristote s’oppose
à la démocratie athénienne, en proposant une organisation sociale et politique plus
proche de l’oligarchie. Cette analyse d’Aristote semble étonnamment d’actualité…
Aristote critique la démocratie athénienne mais garantit à chacun une place dans la
société.
Le règne de la loi : la loi fonde l’existence du corps social. Ce qui caractérise son autarcia,
c’est la capacité de se doter librement de lois auxquelles les citoyens vont obéir. Aristote
insiste sur l’importance de la légitimité de la loi pour chaque citoyen, et l’adhésion de ce
dernier. Il distingue la loi écrite et la loi non écrite. La loi non écrite est fondée sur des
principes naturels, supérieurs (théorie du droit naturel). A partir de ce droit naturel nait
la loi écrite qui va d’une certaine manière donner le régime politique propre à chaque
cité. La loi de la cité est une expression particulière de cette loi naturelle. Ce qui
caractérise le règne de la loi est la capacité d’édicter des lois, et celle de faire appliquer la
loi par des tribunaux de justice. On voit poindre une distinction entre ceux qui font la loi,
ceux qui l’exécutent et ceux qui l’appliquent en la sanctionnant.
La citoyenneté se définit par sa participation aux fonctions politiques : la citoyenneté
peut être accordée à un petit nombre de personnes. La citoyenneté fonde l’appartenance
à la collectivité politique. Tout Grec est un citoyen en puissance, mais Aristote distingue
les droits civiques (un élément de la citoyenneté qui doit être étendu à tous les hommes
libres) et les droits politiques (peuvent être variables, mais ne peuvent être exercés avec
sérieux et efficacité selon Aristote par un petit nombre de citoyens).
Voilà les bases morales et politiques de la cité. Aristote va donc proposer le meilleur
régime politique possible pour atteindre l’équilibre politique possible, l’existence de la
cité conditionnant l’existence de chacun. La continuité de cette cité est essentielle.
Aristote revient ensuite sur une analyse des différentes formes du politique et social qui
composent la Grèce. Aristote est à la fois classique – il s’inscrit dans un tradition bien
ancrée, déjà depuis Hérodote, avec l’analyse des différents régimes – et original : il
étudie de façon plus minutieuse, en s’intéressant aux lois et aux mœurs de chaque
société. Aristote établit alors une typologie : aristocratie, monarchie et démocratie avec
les formes dérivées : oligarchie, tyrannie, démagogie.
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Chez Platon, il y a un ordre d’entrée des différents régimes politiques qui s’enchainent et
exposent la cité aux dérives.
Aristote va essayer de voir les avantages et les inconvénients de chaque régime
politique : il n’y a aucun condamnation de principe des régimes réglés. Il s’agit d’étudier
le dérèglement. Chaque régime étant fondé sur une base morale et juridique, il a une
valeur en soi : le choix d’un régime est donc judicieux selon les régimes. Mais les régimes
déréglés apparaissant parfois comme une fatalité. A l’époque d’Aristote, le dérèglement
des régimes politiques grecs apparaît de plus en plus important. Il n’est pas seulement
dû au choix du régime politique, mais aussi à l’évolution du lien social et du cadre de la
cité, en étant remis en cause. C’est la forme politique et sociale de la cité qui est en cause.
Aristote ne peut pas imaginer un autre cadre de vie que celui de la cité. Pour Aristote, la
cité est la meilleure des sociétés possibles, qui pose l’homme grec comme un être
civilisé.
Cependant ces dérèglements continuels, notamment à Athènes avec les soucis de la
démocratie (absentéisme à l’ecclesia, achat des magistratures, crise économique, sociale
et morale), conduisent Aristote à proposer des solutions. Aristote ne croit pas à des
solutions uniformes : le régime s’adapte à la société. Le meilleur régime est celui qui
s’adapte, qui propose le juste milieu.
Chez Aristote, que signifie la théorie du juste milieu ? Cette théorie est parfois résumée à
tort comme la combinaison des trois formes politiques traditionnelles, avec la mise en
œuvre des mécanismes qui assureraient les avantages des trois régimes possibles. Cette
vision des choses est juste selon les disciples d’Aristote. Mais ce n’est pas le point
fondamental pour Aristote. Pour lui, prime la place de chacun dans la société. La cité ne
peut pas être stable sans que le plus grand nombre adhère à la cité : il ne faut pas,
comme le propose, Platon exclure une grande partie. Mais ce plus grand nombre est
dans l’incapacité de gouverner. Aristote n’admet pas que la démocratie efface la
distinction capitale entre les gouvernants et les gouvernés. Pour Aristote, le tirage au
sort en vigueur à Athènes est l’illustration d’un dérèglement, d’un principe utopique et
erroné. Si la politique doit construire un monde commun, l’ordre politique doit être
fondé sur la distinction gouvernants/gouvernés. Le juste milieu signifie que le plus
grand nombre à accès aux droits « civiques » et à certains droits « politiques », mais
n’exercent pas la totalité des droits « politiques ». Le gouvernement du plus grand
nombre doit être en fait le gouvernement pour le plus grand nombre, mais n’implique
pas que le plus grand nombre gouverne directement. Aristote propose à la démocratie
athénienne de s’amender sur un point fondamental, relevant d’avantage de la monarchie
athénienne : les magistrats doivent être élus, l’art politique demandant expérience et
compétence. De même, ceux amenés à voter ne doivent pas représenter tous les
citoyens. Le cens électoral donnant accès à la citoyenneté empêche une dérive : lorsque
l’on a rien à perdre, on n’est pas apte à gouverner la société, on est trop proche de la
condition des esclaves. Aristote pense qu’un gouvernement juste est un gouvernement
qui peut assurer au plus grand nombre une existence économique condition de
l’existence social de chaque individu. Pour Aristote, le gouvernement du juste milieu est
avant tout l’art de faire participer chacun au développement social. Aristote imagine une
société où le plus grand nombre paie l’impôt, se reconnaît dans les lois et choisit les
magistrats. Le plus grand nombre a peu de richesses mais l’addition des individus qui
composent la classe moyenne donne une richesse économique globale qui équilibre la
richesse de ceux qui détiennent l’essentiel de la richesse mais qui, en petit nombre, ne
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peuvent gouverner sans l’adhésion du plus grand nombre. Selon Aristote, même si l’on
n’a pas à établir un droit de naissance, la gouvernance ira à ceux qui sont riches, qui ont
le temps du loisir et la possibilité de gouverner. Un individu pris isolément, petit
propriétaire, paysan, n’a pas de conscience politique, ni la capacité de faire des choix
politiques rationnels. Le plus grand nombre fait des choix rationnels, et sera
collectivement capable de raison. C’est sur cette analyse qu’est fondée l’élection
démocratique.
Pour Aristote, la théorie du juste milieu est tant une théorie sociale que politique. Il
envisage concrètement que des magistratures soient exercées par les plus riches
(élément oligarchique), qu’il y ait une assemblée du peuple (élément démocratique),
qu’il y a une hiérarchie des magistratures (élément monarchique) : c’est la politéia, le
meilleur régime politique possible. Ce gouvernement, gouvernement de la mesure, est
possible dans la réforme des régimes contemporains, et notamment du régime athénien.
Aristote inaugure de nombreux courants de pensées : il donne des armes pour l’avenir
pour se réformer. Mais il fournit aussi des armes pour les adversaires de la démocratie,
qui peuvent ainsi asseoir une critique encore plus virulente de la démocratie.
Les solutions proposées par Aristote semblent finalement les solutions les plus
classiques qui soient, bien qu’étant audacieuses. Ce classicisme montre ses limites dans
les enjeux de son temps : il ne s’applique que dans le cadre de la cité : les réformes ne
répondront pas forcément aux besoins d’une autre situation. Lorsqu’Aristote atteint sa
plus grand notoriété, le moteur politique n’est plus Athènes, mais un modèle
complètement différent : ce n’est plus une autre cité qui a pris l’hegemonos, mais un
royaume : le royaume de Macédoine, le même qui était vu comme barbare par les
Athéniens. Ce royaume, bien que de culture grec, s’est constitué à la périphérie de la cité.
Il emprunte des éléments culturels et sociaux communs à la cité, mais c’est avant tout un
royaume : il n’y a qu’un citoyen de plein exercice, le monarque. Il n’y a point de
citoyenneté au sens du règne de la loi. Il n’y a point de politique, puisqu’il n’y a pas de
partage du pouvoir. Aristote est cependant appelé en Macédoine pour élever le fils de
Philippe de Macédoine, Alexandre le Grand, pour faire de lui un sage, un lettré, un grand
philosophe, qui deviendra monarque, gouvernant au nom des autres. Aristote prépare
ainsi l’ordre nouveau.
La Macédoine envahit la Grèce, et les cités disparaissent. Le modèle politique grec est
certes diffusé par Alexandre le Grand, l’expérience de la cité n’en est pas moins finie.
L’Histoire de la pensée politique est construite autour de moments d’apogée de la
pensée politique. Avec la mort de la cité, c’est un long moment d’éclipse du politique que
l’on vit en Méditerranée. La fin de la cité, au III° avant Jésus Christ, est à prendre au sens
de la fin de la souveraineté de la cité : c’est la fin politique des cités.
Une autre cité reprend certes le « flambeau » : Rome. Le cadre politique romain est à la
fois semblable et très différent du cadre politique grec. Rome a des institutions tout à
fait comparable à ce que la Grèce avait pu construire : assemblée, tribunaux de justice,
etc. Cela fait écho à la définition de toute cité : Rome est dotée de l’autarcia, et ce
pendant plusieurs siècles. Cependant, Rome ne développe que très tard et à la marge
une réflexion politique propre au sein de la cité qui aurait de l’importance. Rome va dès
sa naissance résoudre de manière originale les contradictions propres à toute cité,
notamment la contradiction entre l’intérêt du plus grand nombre et celui du petit
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nombre. Les changements de régime en Grèce donnent lieu à une réflexion sur le
meilleur régime politique possible. Lorsque Rome se libère, c’est l’aristocratie romaine
qui s’empare de la cité et qui fonde un régime oligarchique. A Rome, ceci a un corollaire :
on intègre le plus grand nombre aux institutions de la cité : dès l’origine de Rome, la
plèbe (à différencier du populus, qui représente tous les habitants, indifférenciés, de la
cité) est ce qui se distingue de l’aristocratie, des biens-nés. La plèbe se rend compte que
le régime oligarchique l’exclut du gouvernement politique. A Athènes, c’est ce qui
conduit à l’extension des droits politiques ; à Rome ce n’est pas le cas : quelques dizaines
d’années après la transformation de Rome en République, la plèbe réclamant des droits
politiques, l’aristocratie crée des institutions et des magistratures représentant ce
syndicat, cette plèbe, et non l’ensemble de la cité. Ce sont donc des institutions
plébéiennes, et notamment un magistrat qui peut s’interposer au nom du peuple (le
tribun de la plèbe). Ceci conforte en réalité l’ordre politique romain : le régime perdure.
Rome va devenir la cité dominante de ce monde méditerranéen.
Pour la partie occidentale de l’Europe, la domination de l’Empire romain s’étale du II°
siècle avant J.-C au V° siècle après JC. La question du politique doit s’analyser comme
selon les points de vue, un lent déclin, une relative disparition ou un amenuisement de la
vie politique et de la pensée politique héritée des Grecs. En matière de pensée politique,
« Rome n’était qu’un pâle reflet de la lumière grecque ». A partir du moment où Rome
choisit son régime politique, avec des grandes familles qui structurent déjà la vie
romaine, l’administration étrusque est chassée. Le Roi est chassé au profit de la
République. Rome va ainsi durer officiellement jusqu’au V° s après JC. Elle se définit
comme un régime oligarchique : le gouvernement du petit nombre fondé sur la
naissance et la richesse. Ce régime oligarchique règle très rapidement l’éventualité d’une
opposition au régime oligarchique. Alors que les cités grecques voyaient leur régime
politique évoluer ou changer, les institutions romains sont très tôt stabilisées. Elles n’ont
rien en soi d’originale, mais des Assemblées et des Magistratures sont instituées pour la
Plèbe (ceux qui ne son pas les patriciens, l’aristocratie de la cité). La Plèbe obtient un
certain nombre de compromis, dont l’existence d’un magistrat, le Tribun de la Plèbe, qui
peut s’opposer aux autres magistrats. Les comices sont des Assemblées de la Plèbe.
Ainsi, dans une sorte de dialectique juridique, Rome trouve là les moyens d’un
compromis qui assure la pérennité de la République Romaine. L’existence de certains
parlant au nom du peuple suffit.
Quels sont les facteurs objectifs permettant d’affirmer la faiblesse de la pensée
politique romaine, et d’en comprendre les raisons ?
Premier élément : contrat avec la plèbe.
Deuxième élément : Relative faiblesse de la pensée politique romaine. Cette première
raison est liée au succès historique de Rome. C’est sans doute parce Rome est devenu
l’empire dominant. Ce succès historique s’inscrit dans le temps. La cité se métamorphose
en empire. Pour les Grecs, la vie bonne se trouve dans la cité qui permet
l’épanouissement de la raison humaine et de la société. A partir du moment où Rome
conquit l’Italie, la Méditerranée et au-delà, c’est la manifestation même que Rome
dispose du meilleur régime qui soit. Elle a reçu vocation d’étendre partout l’héritage de
la cité. Lorsque les Grecs débattaient de la question du meilleur régime, les cités
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conservaient la faiblesse de ne pas donner l’impression de pouvoir s’étendre. En Grèce,
la diversité des cités a fait qu’un empire n’a pas pu s’imposer, ce qui a fait naitre le débat
politique grec.
Rome met fin à l’expérience de la diversité et des cités : elle faut disparaître l’autarcia
pour sa seule maiestas. Rome se comprend quand on sait que c’est une cité qui va
devenir un Empire. Si à Rome les institutions ne sont que l’explication même de la
grandeur romaine, cette idéologie impériale n’a que peu à voir avec la conception
grecque.
Le moment où à Rome, sur un siècle ou deux, il y a tout de même une intense pensée
politique est à la fin du premier siècle avant JC. C’est le passage à un empereur qui
gouverne au nom de Rome. On parle parfois de guerre civile, pendant laquelle émerge
un débat politique. Polybe, un Grec, disciple des philosophes grecs, fréquente
rapidement l’aristocratie romaine et fait une synthèse des deux pensées. On élabore une
théorie politique originale. Cicéron, sénateur, magistrat et penseur politique, vit au
temps de César et du premier Empereur. Il théorise le passage de la République à
l’Empire. Cicéron cherche dans la culture romaine les solutions à la crise de son temps.
Rome ne pourra trouver des solutions à la crise qu’en puisant sur ses propres
ressources. Lorsque Cicéron est retrouvé mort dans une rue de Rome, la pensée
politique romaine revient presque au silence. Par sa nature originale, cette oligarchie qui
a su passer des compromis avec la Plèbe.
La question centrale à Rome est exprimé par un domaine à la fois de l’action et de la vie
sociale de l’action : les Romains sont le peuple du droit. C’est sans doute le facteur qui a
permis à une cité devenue empire faisant cohabiter une diversité de s’inscrire dans la
durée, d’élaborer des administrations permettant de vivre ensemble sur plusieurs
siècles. Rome ne doit pas tout à son armée, aux pillages des richesses des territoires
vaincus (pas qu'un empire colonial). Le renouvellement des élites de l’Empire montre
que ce qui va faire le Contrat social romain est d’une autre nature, exprimée par le Droit.
Le droit romain élaboré sur plusieurs siècles élabore dans tous les domaines de la vie
sociale, que ce soit dans l’espace privé ou public, et élabore des instruments qui donnent
un type de société particulier. On va élaborer des droits civils/privés pour la plèbe (qui a
perdu depuis longtemps ses droits politiques) : droit de la terre, de la propriété, du
commerce, de la famille... Ainsi le statut de la femme à Rome est beaucoup plus enviable
qu'en Grèce.
A Rome, avec l’effondrement de la République, les droits politiques attenants à la cité
sont faibles ou inexistants. La construction de la citoyenneté est une lente montée en
charge des droits civils. C'est le statut juridique donné à chacun dans la cité, qui est
différent mais qui a des effets extrêmement bénéfiques pour la plèbe.
A Rome, la filiation se fait par la mère. La citoyenneté est au départ un privilège d’abord
réservé aux aristocrates puis aux habitants de Rome. Mais Rome va accoutumé les
peuples envahis : par le développement sur ces territoires nouvellement conquis, Rome
romanise ces peuples.
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L’Empereur Caracalla publie un édit en 212 qui donne la citoyenneté romaine à
l’ensemble des peuples de l’Empire romain.
Rome est un passage qui est une longue éclipse de la pensée politique. En terme de
concepts, Rome n’est qu’une vague répétition des grandes catégories grecques.
Cependant Rome a élaboré un type de littérature original et a une manière d'aborder le
politique que les Grecs ont peu ou pas développé.
Si la République est le meilleur des régimes et que les droits politiques sont quasi
inexistants, il reste une question, l’ethos (éthique ou morale). Il s’agit d’une pensée de
ceux qui détiennent le pouvoir, l’autorité politique. Certains vont éprouver le besoin
d’écrire sur les conditions mêmes de l’autorité. On écrit des œuvres qualifiées de morale
politique. La personnalité de celui qui exerce le pouvoir, la manière dont il vit la
responsabilité est une question essentielle.
D'autant plus que le pouvoir se concentre de plus en plus. Marc-Aurèle (fin 2nd siècle
après JC) se voit comme un empereur – philosophe. Il a écrit des traités sur la morale
politique, sur ce qui amène l'empereur à prendre telle ou telle décision. Cette éthique
donne lieu à une littérature qui reste au stade de l'éthique. La philosophie reste une
notion longtemps ignorée des romains mais pas la sagesse. C'est Cicéron qui a élaboré à
partir d'un néologisme le terme de philosophie en latin, philosophie qui renvoie bien
souvent à une éthique politique.
Il y a un côté d'auto-justification du pouvoir et la manière de gouverner des
gouvernants, mais on y trouve aussi des questionnements qui montrent les limites du
pouvoir, de son autorité. Très intéressante, cette question ne s'est jamais posée en
Grèce. La nature du pouvoir détermine la nature bonne ou non du politique. Les
questions d'Antigone sont exprimées par les gouvernants. Dans Les Pensées, MarcAurèle remet en cause son propre statut, sa propre autorité, s'interroge sur ses
décisions, il ne le fait pas au nom pas du peuple mais au nom d'une morale, d'une
éthique, qui relève de la sagesse, de la loi naturelle/droit naturel. Le droit naturel
concerne la condition humaine, les limites de chacun. Il pense son pouvoir dans ce cadre
plus large. Ainsi, les Romains sont en train d'ouvrir un champ, bientôt investi par le
religieux, car impliquant qu'il existe quelque chose de supérieur, des principes
supérieurs. Rome ouvre déjà le champ de la question religieuse.
Pendant plusieurs siècles, la pensée politique classique semble endormie (celle
grecque). Elle sera remise en cause par une autre conception de la société, de la
condition humaine, par les religions monothéistes et notamment le christianisme.
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