Dieu, peut-il devenir homme

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Dieu, peut-il devenir homme ?
Préambule :
La question que nous traitons aujourd’hui est une question qui est déjà à cheval entre
la raison et la foi. Qu’est-ce que je veux dire par là ? Je veux dire que je ne parle plus ni de
Dieu ni de l’homme dans une perspective purement philosophique mais dans une perspective
théologique qui tient compte de la philosophie. La théologie est une compagne de la
philosophie ; la théologie est un discours qui porte en soi une dimension philosophique mais
qui fait le pas vers une perspective existentielle, celle de la foi. Le but de la théologie est de
rendre compte, de façon intelligente, de l’existence dans la foi. Cela peut se faire ; je dirais
que cela doit se faire !
Pour traiter notre question d’aujourd’hui, d’une part j’aurai besoin de passer à la
conception chrétienne de l’homme – anthropologie chrétienne – et de Dieu – théologie
chrétienne.
D’autre part, je ne vais qu’énoncer quelques questions puisque c’est impossible de tout
traiter en une séance. Pourtant, rien de mieux pour un chrétien d’avoir des questions devant
lui… Se questionner est l’essence d’une foi mure … Avoir des questions qui appellent à une
réponse est le signe de que le désir de la foi est vivant.
Selon mon habitude, je procéderais rétrospectivement : l’homme … le Christ … Dieu
qui devient. Je ne répondrai pas directement à la question, je vous donnerai des pistes pour
que vous puissiez y répondre…
Au sujet de cette thématique il me semble qu’il y aurait au moins trois questions à se poser :
1) Qu’est-ce que l’homme pour que Dieu le devienne ?
Nous avons beau lire la Bible pour chercher une définition de l’homme, il n’en a pas. On dit
de l’homme qu’il a été crée à l’image et ressemblance de Dieu (Gn.1,26), qu’il a parlé avec
Dieu et qu’il a pu comprendre ce que Dieu lui a dit. On parle donc de l’homme comme un
être capable de Dieu, capable des autres et capable d’habiter et de « dominer » (être « maître »
et « bon gérant ») le cosmos. Il n’y a jamais une définition qui dise « l’homme est … ».
L’homme biblique est un être en situation de relation. Il n’est donc ni définissable ni
réductible à un état statique ou figé. La personne humaine est un « étant », c’est-à-dire,
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quelqu’un qui est par essence mouvement de devenir. Processus, devenir, promesse, liberté et
intériorité sont des mots qui parlent plus de l’homme qu’une définition en abstrait.
L’homme est quelqu’un qui est toujours dans un mouvement vers une finalité et
quelqu’un qui part d’un élan d’origine. L’homme sait qu’il a une origine et qu’il cherche un
sens… L’homme est, selon Rahner, dans un mouvement d’autotranscendance active, c’est-àdire, il est appelé à un devenir transcendantal.
D’où lui vient cette nature transcendantale ? De son origine, c’est-à-dire, de
l’autocommunication gratuite de Dieu à l’homme. Cette nature de l’étant est le pouvoir qui a
l’homme de construire activement son devenir … à se déployer vers l’esprit. Il peut donc
devenir « plus », surgir en « plus de réalité », s’ouvrir à l’ultime point d’identité que
j’appellerais Dieu.
Je dis toujours que l’homme peut… Cette réalité de l’homme possible grâce au don de
Dieu, demeure toujours une possibilité ; il n’y a jamais là un automatisme. L’homme a été
rendu capable de « devenir » toujours plus, de vouloir se construire dans cet être
transcendantal … Cela ne veut pas dire qu’il va le devenir à son insu. Cette autotranscendance
est toujours active faisant de la liberté, de la responsabilité et des décisions humaines des
lieux de réponse possible à ce que l’homme est. Ce que nous faisons aujourd’hui est
exactement ça : nous sommes là en train de parler de la compréhension chrétienne de
l’homme pour ensuite choisir d’adhérer ou pas à cette autotranscendance active. Nous
sommes là pour décider si nous coopérons ou pas avec ce discours chrétien sur la réalité de
l’homme. Qu’est-ce que je suis en train de dire ? Que chacun de nous est toujours remis à soi
pour choisir de se mettre sur cette voie transcendantale ou pas. Dieu donne toujours à
l’homme cette capacité de le rejoindre mais l’homme demeure toujours libre de s’orienter ou
pas vers cette rencontre. L’anthropologie chrétienne affirme que grâce au don de Dieu,
l’homme a toujours en soi cette capacité d’aller vers un plus, de se transcender… L’homme a
toujours la capacité de déployer son être transcendantal, il a toujours la capacité de devenir.
Voici un petit schéma pour « dire » ce qu’est l’homme selon l’anthropologie chrétienne :
don de Dieu
(permanent et gratuit)
« autocommunication de Dieu »
capacité d’autotranscendance de l’homme
(permanente et libre)
« l’autotranscendance active»
Le refus de cette autotranscendance n’affecte pas Dieu en lui-même. Qu’il soit accepté ou pas,
cela ne change en rien la nature du don. Ce qui change est le rapport de la créature à son
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Créateur, c’est le sens de l’existence comme tel qui change. L’homme transcendantal peut
exister en dehors de la foi ; être chrétien n’est pas un privilège ontologique mais le fruit d’un
choix de vivre librement comme sujet libre devant Dieu qui lui donne cette personnalité
spirituelle.
Faisons un pas de plus :
2) Que veut dire « le Verbe s’est fait chair »( Jn.1,14) ?
C’est une confession de foi, c’est notre confession de foi, celle du credo de NicéeConstantinople :
« Je crois en un seul Seigneur Jésus
Christ,
le Fils unique de Dieu,
né du Père avant tous les siècles :
il est Dieu né de Dieu,
lumière née de la lumière,
vrai Dieu né du vrai Dieu.
Engendré non pas créé,
de même nature que le Père ;
et par lui tout a été fait.
Pour nous les hommes et pour
notre salut,
il descendit du ciel ;
Par l’Esprit Saint il a pris chair de
la Vierge Marie,
et s’est fait homme.
Crucifié pour nous sous Ponce
Pilate,
il souffrit sa passion et fut mis au
tombeau.
Il ressuscita le troisième jour,
conformément aux Écritures,
et il monta au ciel ;
il est assis à la droite du Père.
Il reviendra dans la gloire,
pour juger les vivantes et les morts ;
et son règne n’aura pas de fin. »
Bref, nous confessons que le Verbe s’est fait homme dans ce monde, dans ce lieu
d’autocommunication de Dieu et d’autotranscendance vers Dieu. Voilà le « terrain » où
advient l’Incarnation. L’Incarnation est un mystère de la foi … Pour l’homme contemporain
des certitudes vérifiables, il est difficile d’accepter le mystère de foi comme ce qui existe mais
qui est impénétrable. Le problème est que Dieu n’est pas là où sont nos définitions … Hors
de la foi nous pourrons accepter sans problème l’existence historique de Jésus mais nous ne
pourrons jamais accéder à cet énoncé de foi. L’incarnation n’est pas une déduction de
l’anthropologie que nous venons de voir : puisque l’homme c’est ça, l’Incarnation est une
évolution naturelle de l’état humain…. (Devenir Dieu serait une évolution naturelle).
Non ! Tout ce que l’anthropologie chrétienne fait est de nous éclairer sur les « conditions de
possibilité » pour que l’Incarnation ait lieu. Puisque l’humanité est ce que nous venons de dire
(autocommunication de Dieu et autotranscendance active de l’homme) l’Incarnation peut
avoir lieu.
Il y a une affinité intérieure entre l’homme et Dieu et cela rend possible
l’Incarnation ; cette affinité est la condition de possibilité pour que Dieu devienne homme.
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L’incarnation a eu lieu dans un moment historique singulier où il y a une « irruption »
de l’autocommunication de Dieu qui n’était pas encore advenue. L’incarnation du Verbe est
le mouvement total de l’autocommunication de Dieu à l’humanité. Peut-être que
maintenant nous pouvons mieux comprendre ce qu’est l’union hypostatique : c’est une
telle union entre Dieu et Jésus que, dans la vie de Jésus, on ne peut distinguer « ce qu’il y
a » de Dieu » de « ce qu’il y a » de Jésus de Nazareth. Autrement dit, l’existence de Jésus
est totale identification à Dieu.
Nous avons vu que l’anthropologie chrétienne permet cette totale identification à Dieu
si l’homme met toute sa liberté au service de cette relation en Dieu et avec Dieu.
Toute la vie de Jésus est hypostatique puisqu’elle n’est que relation à ce Dieu qui ne
veut que s’offrir à l’homme. Que lisons-nous dans les Évangiles ? N’est-ce pas ça ? Que Jésus
révèle le Dieu qui ne veut que s’offrir aux hommes ? Et qu’il grandit en sagesse, etc etc ?
Mais que veut dire que Dieu est devenu homme ? Cela est une question importante.
Pourtant c’est une question abstraite si on la sépare de la question du pourquoi Dieu est
devenu homme. Qu’est-ce le plus important ? Savoir « ce que je suis » ou « pourquoi je
suis » ?
Dieu veut partager l’histoire humaine. Que devient-il en devenant homme ? Il devient
cet être transcendantal dont nous parlions au début : un être reçu de Dieu et librement référé à
Dieu. Dieu, en Jésus, est devenu précisément cette pure et pauvre référence de l’homme à sa
plénitude. Pleinement homme, vraiment homme… une créature spirituelle unique . Il était
pleinement homme en devenant progressivement conscient d’avoir une relation particulière
avec le Père. Mais il a choisi cette relation… à chaque moment de sa vie. Il a choisi cette
hypostase… cette union sans confusion.
L’humanité du Christ est obéissante … c’est –à-dire, c’est une humanité qui accepte
qu’elle a travailler et à choisir d’aller vers le Père, vers son origine qui le fonde…Alors, le
devenir Homme du Verbe est le mode dont Jésus a choisi de vivre cette humanité
radicalement référée à Dieu… c’est le mode dont Jésus a vécu sa fidélité à son origine. Certes,
le Christ est un cas unique de l’accomplissement de la réalité humaine : il est une promesse
pour nous… la promesse de que l’homme s’accomplit en se perdant en celui que nous
nommons Dieu.
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3) Dieu, peut-il devenir ?
Interrogeons-nous sur la possibilité du « devenir », appliquée à Dieu. Comment
concevoir que Dieu peut devenir si notre image de Dieu est celle du Dieu sans mouvement –
l’immuable – et du Dieu sans changement – l’immutable ?
Pourtant c’est un dogme de foi que Dieu est devenu homme, donc quelque chose.
Vous savez, jusqu’à présent nous n’avons trouvé qu’une réponse à ce paradoxe de
comment le divin peut devenir humain. Le mystère de l’incarnation – et c’est toujours de
l’ordre du mystère et non pas de la chimie – lie les inconciliable. Dieu, comment peut-il
devenir homme ? Pour y répondre nous parlons de l’amour ! Seul l’Amour peut poser un
autre que lui-même, seul l’amour ne se répète pas dans l’autre, seul l’amour se donne dans
l’autre. N’est-ce pas là l’expérience que nous faisons à notre mesure ?
Précisément seul Dieu peut être altérité demeurant lui-même. Pourquoi ? Parce que seul Dieu
peut s’abandonner à ce point là : il se communique en voilant sa majesté. Penser que Dieu
puisse devenir quelque chose, cela n’est possible que d’un Dieu qui est libre, qui est simple et
pure volonté d’Amour. La métaphysique chrétienne devance largement la métaphysique
grecque. Elle le fait en affirmant que Dieu s’autocommunique, qu’il se donne lui-même. Elle
le fait en disant que Dieu se donne … il s’autocommunique, plus qu’il communique…
Ce n’est pas seulement un Dieu qui parle … c’est un Dieu qui se donne lui-même.
En guise de conclusion :
Plus important que comprendre le « comment » de l’union hypostatique – le Verbe qui
s’est fait chair – c’est de comprendre pourquoi le Verbe s’est fait chair , pourquoi
l’incarnation a-t-elle eu lieu. Il n’y a qu’une raison : pour manifester l’amour de Dieu.
Nous nous perdons souvent dans des questions intéressantes comme celles qui concernent la
liberté du Christ, la conscience du Christ, la déchéance de Dieu en devenant homme … Ce
sont des questions théoriques … L’Évangile y répond : le Christ a compris progressivement
qu’il était le Fils de Dieu et il a dû choisir de vivre selon ce qu’il comprenait. Dieu est-il
« amoindri » ou « magnifié» par cette compréhension des choses ?
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V siècle : nature du Christ
IV siècle : Unicité de Dieu
Trinité
Constantinople
381
Basile de Césarée
Grég. de Nysse
Grég. de Naziance
Nicée :
325
arianisme : le Père
est de nature
supérieure au
Fils ; refuse la
divinité du Christ
(hérésie
Orientale) ;
le Fils est fils
adoptif du Père
arianisme >
macédonianisme :
rejette la divinité
de l’Esprit
Nature divine du Christ ;
Fils est consubstantiel au
Père : de la même nature ;
unité et consubstantialité
des trois Personnes
divines ;
symbole de Nicée
école d’Antioche :
deux natures du Christ
séparées ?
nestorianisme :
Nestorius,
patr. de Constantinople : nie
l’unité de Personne dans le
Christ – Le Verbe s’est
incarné dans un homme
école d’Alexandrie :
le divin absorbe-t-il le
divin ? = unité complète
sur les deux natures
pélagianisme : l’homme peut
parvenir au salut ; le péché or.
et la grâce sont minimisés
[politiquement :
Constantinople = Rome ]
confirme la foi de Nicée :
Père, Fils : même nature
affirme la divinité du St. Esprit
aboutissement de la réflexion
sur le « mystère de la foi », la
Trinité
Éphèse
431
l’Esprit est consubstantiel
au Père et au Fils
[théologie :
double nature
du Christ ]
monophysisme :
une seule nature
dans le Christ
condamne le
nestorianisme et le
pélagianisme
Chalcédoine
451
union
hypostatique :
deux natures en
une seule
Personne;
vrai Dieu,
vrai homme ;
condamnation du
monophysisme
433 : symbole d’Éphèse
- deux natures dans la personne
du Christ,
union sans confusion
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