« Coéducation et différences socioculturelles » Conférence de Monsieur Abdellatif CHAOUITE Et Monsieur Farid RIGHI Présentation La question de la « co-éducation et des différences socioculturelles » qui peuvent exister entre les familles et les personnes en charge de l’éducation de leurs enfants est au cœur de la conférence. Partager une responsabilité éducative avec les parents nécessite une capacité à s’ouvrir à la manière dont chacun voit le monde. A quelles conditions cela peut-il être possible ? Comment faire pour que cet exercice difficile garantisse l’égalité de traitement entre les familles ? Tel est l’enjeu de la conférence. Monsieur Farid Righi, sociologue et formateur en travail social à l’ARFRIPS, Association Régionale pour la Formation, la Recherche et l’Innovation en Pratiques Sociales. Il a travaillé en tant qu’éducateur spécialisé et animateur et notamment dirigé pendant plusieurs années un CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) où il a dû comme il le dit réparer des pattes cassées. Il est actuellement engagé dans une recherche portant sur l’inter culturalité et le travail social. Monsieur Abdellatif Chaouite est anthropologue et titulaire d’un doctorat de psychologie. Il est rédacteur en chef de la revue "Ecarts d'identité" revue trimestrielle sur l’intégration et l’inter culturalité. Il a publié plusieurs ouvrages sur ces questions dont le plus récent « Imaginaire interculturel, Dérivations et dérives » est paru en février 2011. Il est également formateur. Il est actuellement en train de terminer une étude pour le compte de la Ville de Saint Martin d’Hères sur les pères issus de l’immigration. Plan de la conférence 1- Introduction 2- Contextualisation du partage de la responsabilité éducative 3- Témoignage et restitution d’une enquête de terrain menée par Mr Chaouite autour de la place des parents dans les relations éducatives. Introduction Monsieur Righi se présente comme un acteur de terrain ayant travaillé en éducation spécialisée, formation d’éducateur et d’animateur. Centré sur le lien éducatif, la culturation du débat social. Monsieur Chaouite se présente comme travaillant à l’ADATE, avec un profil issu d’une formation universitaire. Page 1 sur 5 « Partager une responsabilité éducative avec les parents nécessite une capacité à s’ouvrir à la manière dont chacun voit le monde. » « partage, coéducation, s’ouvrir » constituent des interrogations sur les modalités de rencontre, rencontre entre les éducateurs au sens large et les familles. Nous abondons donc la question de la relation. 1- Contextualisation du partage de la responsabilité éducative : comment ces pratiques de relations sont déstabilisées ? Une définition : Institution : « organisation particulière avec des fonctions et des rôles dans la société » Autour d’une relation centrale, l’institution a un rôle dans la mise en relation entre les individus et la société. Les institutions permettent l’instauration d’un cadre normatif : elles prescrivent nos comportements. La relation institution – individu – famille est déstabilisée. Les cadres sociaux traditionnels ont changé ainsi que le cadre habituel éducatif. Cette partie sera consacrée à l’évolution de cette relation autour de 3 points : L’individualisme Les effets sur les institutions L’irruption de la question culturelle Les processus d’individualisation Les cadres sociaux relationnels changent autour d’un processus d’individuation. Les grands collectifs disparaissent pour l’avènement de l’individu. L’individu devient au centre de la société. A partir du Moyen-Âge avec la question de la citoyenneté, la question de la raison. C’est le temps de l’individu libéral : autonomie des consciences, autodétermination, maîtrisant sa volonté d’établir des liens d’interdépendance. L’individu est acteur de son propre projet de vie. Libre accès au travail, libre religion, l’individualisme contemporain c’est le passage du nous au je. Il y a donc une reconfiguration des relations individu – institution. L’individualisme est une source de progrès. L’individualisme contemporain a deux aspects : - individualisme positif : la liberté de choix - individualisme négatif : il n’est pas donné à tout le monde de réussir son aventure personnelle. Il faut être doté des bons moyens. Page 2 sur 5 L’individualisme négatif : les personnes dans les processus d’exclusion, de défilialisation,.. Tout le monde est capable de réussir son autonomisation, mais certain n’y parviennent pas. L’individualisme négatif entraîne la question de l’exclusion. La reconfiguration des institutions : - les institutions et les individus sont liés autour d’une promesse : le progrès social, permettre à chacun de trouver sa place dans la société. - Les institutions sont toutes issues de l’idéal républicain. - Ce sont des opérateurs de l’état ayant pour mission d’assurer à chacun une place. - La difficulté des institutions est la multiplication du cas par cas et ne peuvent plus « réparer » chaque relation qui ne fonctionne pas. L’évolution de la relation : - il y a une crise de la relation à partir de la promesse de départ. - Cette crise se traduit au niveau des institutions par une perte de légitimité et une perte d’efficacité. Par exemple, l’idéal porté par l’école est en décalage par rapport au vécu quotidien. L’obtention des diplômes n’assure pas forcément une place dans la société. - Il y a une crise de confiance entre le public et les institutions. Il y a donc une recomposition des institutions. Les institutions ne sont pas en déclin mais se reconfigurent. Elles se transforment autour de dispositifs. - Le dispositif est une nouvelle forme d’institution : autrefois, les institutions étaient figées, solides. Le dispositif permet d’étayer l’institution. Il s’adosse à l’institution et permet d’installer de nouveaux modes de rapports. Le dispositif est un réseau d’acteurs hétérogènes qui vont au plus près des personnes. C’est une relation nouvelle entre les institutions et l’individu. On assiste donc à une transformation de l’institution en dispositifs, autour de la famille. Depuis les années 60, la transformation des familles est au cœur des préoccupations. Les relations au sein même de la famille sont recomposées. Les cadres sociaux traditionnels ont évolué. Le modèle familial a changé. - l’individu roi, la crise des institutions, les modifications des relations dans les familles caractérisent la modernité. L’irruption de la variable culturelle dans le débat public La différence culturelle a toujours fait partie du débat à partir du déficit culturel. Il y aurait donc une « norme » culturelle. Page 3 sur 5 A partir de 1981, la question culturelle, à travers les émeutes culturelles s’est imposée dans le débat. Les politiques de la ville sont alors tournées vers l’intégration. L’objectif est d’intégrer culturellement. (des ateliers linguistiques, les opérations été..) On va catégoriser un public, des actions vont être menées à destination d’une catégorie culturelle. Aujourd’hui, on évolue vers une reconnaissance culturelle comme une ressource. La culture est passée du déficit à la reconnaissance. On ne peut réduire l’individu à une culture. La notion d’écart est au cœur de la question des relations. En France, on a pensé l’intégration en termes d’écarts : certaines catégories manquent de quelque chose. Qu’est-ce qui définit les relations entre les acteurs ? - dans le regard de l’enseignant, il y a une projection faite sur les parents : le parent est un « parent d’élève ». il y a des attentes envers le parent. - Dans le regard de certains parents, n’étant pas passés par l’école, le modèle du parent d’élève n’est pas construit. Le modèle est celui d’un parent qui a d’abord été élève. Certains parents sont d’abord parent d’un enfant. Ils ne peuvent entrer dans la posture de parent d’élève. Ils considèrent qu’ils sont parents et font le nécessaire, mais que si l’enfant échoue, c’est le travail fait à l’école qui n’est pas fait. Alors que les enseignants pensent que si l’enfant échoue c’est du à la carence des parents d’élève. Il s’agit d’un malentendu sur le rôle de chacun. La relation doit être reconstruite en précisant les attentes de chacun. Quand on regarde les profils des primo arrivants d’aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont passés par l’école. L’argument de la non connaissance du système scolaire n’est donc plus recevable. 2- Quelques éléments tirés des diagnostiques de terrain Les structures rattachées à l’institution scolaire sont les co-éducateurs aux côtés des parents. Des analyses sont menées sur le terrain pour cerner le fonctionnement de chaque partenaire. Les questions soulevées sont souvent : les valeurs : les parents tiennent à transmettre des valeurs à leurs enfants - 3 types de valeurs sont recensés : Des valeurs transversales : Je veux que mon enfant soit honnête, travailleur, respectueux. Page 4 sur 5 Des valeurs identitaires : liées à l’héritage culturel (le prénom porté par l’enfant, inscrire son enfant dans la lignée de ce que l’on est) Des valeurs spécifiques, de cas particuliers : la religion. Un formatage dans un modèle stéréotypé. le rôle des parents : le rôle des pères Les pères sont souvent absents et l’institution scolaire se pose donc des questions sur le mode d’éducation parentale donnée aux enfants Les rôles ne sont pas construits schématiquement mais sont dépendants de facteurs particuliers à chacun. Les familles vont caller leur rôle en fonction de facteurs : o Des schémas hérités (j’ai été élevé comme ça…) o La disponibilité (mon travail m’accapare…) o Les contraintes (je ne conduis pas….) o Les compétences (mon mari ne parle pas bien le français) - Les représentations du rôle de parent : o J’ai construit mon action avec mon premier enfant et j’ai reproduis avec mes autres enfants. o Les personnes partenaires ne sont pas toujours les maris mais peuvent être les médecins, les propres parents… Au niveau des pères, on a plusieurs comportements : de la conception classique :; c’est moi qui sait, j’ai été élevé comme ça, des personnes qui ne prennent pas en compte l’individualité de l’enfant, à la conception très ouverte, centrée sur l’individu. Entre ces deux positions, les familles essaient de se positionner. On constate que 97% des structures éducatives sont féminisées. Dans les structures où un homme est présent, les pères s’impliquent davantage. Le rôle des mères : Une réaction très pragmatique : ce sont mes enfants, je dois m’en occuper. Le cas des familles mono parentales : ces familles essaient de trouver de l’aide pour assumer une tâche très lourde. Comment les parents conçoivent leur relation avec les autres acteurs éducatifs ? On relève 3 types de relation : - la relation de confiance - la relation de méfiance (une relation ayant été faussée par une mauvaise expérience) - la relation d’ignorance (les familles ne pouvant sortir de la lourdeur du quotidien et ne cernant pas très bien ce que peuvent apporter certaines structures) Page 5 sur 5