Rapport de stage de Juan Martinez Lauréat du Prix Jacques Huisman 2012 auprès de Jean François Sivadier, maître de stage au cours de la création du Misanthrope au Théâtre National de Bretagne. Le stage avec Jean-François Sivadier s’est déroulé du 29 Octobre 2012 au 8 Janvier 2013, date de la première représentation à Rennes, au Théâtre National de Bretagne. Cela fait déjà plus de 15 ans que Jean-François Sivadier travaille en collaboration avec Véronique Timsit, son assistante, et Nicolas Bouchaud, qui joue le rôle-titre dans la plupart de ses spectacles. Ensemble, ils réfléchissent autour de la dramaturgie, de l’espace, ils discutent sur les costumes, sur la mise en scène, sur l’état du travail. C’est donc une collaboration artistique profonde et solide qui a porté ses fruits au fil des ans. À cela s’ajoute une fidélité avec les comédiens et l’équipe technique, de sorte que tout le monde se connaît depuis longtemps et a l’habitude de travailler ensemble. Il m’a fallu donc intégrer un groupe bien soudé, où chacun a sa place. De là a découlé la seule difficulté que j’ai pu retrouver tout au long du stage : quelle est ma place ? Je dis bien la seule, car à part cela, je fus très chaleureusement accueilli par l’ensemble de l’équipe et par l’administration du TNB. Il m’a fallu par conséquent du temps pour m’adapter et comprendre quelle était la bonne démarche à suivre. Finalement j’ai assumé pleinement la position d’observateur, mais en essayant de me rendre le plus actif possible : faire des italiennes avec les comédiens, souffler le texte, rendre des services, voir du côté technique comment cela se passe, etc. J’ai mené ainsi ma petite enquête auprès de tous les gens qui participaient à la création (scénographe, costumière, techniciens, comédiens, assistante) tout en essayant de me rendre utile au projet. Au final, j’ai la sensation d’avoir eu des moments de discussion privilégiés avec chacun d’eux. Le présent compte-rendu n’a pas réellement pour but de retracer ces discussions, ni de raconter étape par étape la création, mais plutôt de reprendre, dans la mesure du possible, les éléments clés du travail de Jean-François Sivadier pour la création du Misanthrope. LES PREMIERS MOTS : Dès les premières séances de travail, Jean-François Sivadier a expliqué l’intérêt pour lui de monter Le Misanthrope, qu’il considère comme une pièce à part dans le répertoire de Molière : il ne s’y passe rien, il n’est pas question du roi, ni du peuple, il n’y a pas de rapport de pouvoir, pas d’histoire qui précède ni de scène d’exposition. Par contre dès la première scène, en plaçant au centre du plateau un misanthrope qui peste contre les faux-semblants de la vie en société, l’auteur « met en crise » le théâtre : le jeu est assumé d’emblée. En étant une pièce sur le paraître, la représentation dans le monde, c’est une pièce sur le théâtre, sur la représentation tout court. Pour Jean-François Sivadier, tous les personnages se distinguent, sont « humains ». Ça ne se résume pas à l’histoire d’Alceste. Molière met le monde en scène, en jeu, y compris celui qui ne veut pas jouer est en jeu. 1 JFS souhaite en tirer un maximum de profit en mettant l’acteur au centre de la représentation, plus que jamais. L’acteur sera tout aussi important que le personnage qu’il joue. Jusqu’à présent, il a monté des fables dans lesquelles, au fil de la représentation, les acteurs arrivaient à établir un lien avec le spectateur, et faire en sorte que celui-ci n’ait plus la sensation d’être au théâtre mais de construire le présent avec les acteurs. Pour ce projet-ci il souhaite faire cela du début à la fin. Ce qui l’intéresse chez Molière, c’est comment, par la comédie, on ré-enchante quelque chose. Dans ce sens, Jean-François Sivadier précise que ce qu’il trouve extraordinaire dans le divertissement c’est la forme : plus que le message, c’est le geste qui compte, la prise de risque. Il y a une mise en péril, au théâtre, de toute parole de vérité : elle est vite démentie. La raison, dans la comédie, est affaire de circonstance. Au-delà de savoir, donc, si le poème est beau ou pas, si Alceste a raison ou pas, ce qui compte c’est qu’il y a une « mise en forme », un vrai plaisir à construire une situation qui est sur le point d’exploser, et que Molière prend du plaisir à la faire durer, et l’acteur prend du plaisir à la jouer. LA PIECE : Une vision globale de celle-ci s’impose pour pouvoir après l’aborder dans le détail. Comme nous l’avons dit, pour JFS c’est une pièce à part dans le répertoire de Molière, et en plus très contemporaine par le manque de linéarité et d’action. Alceste, ennemi du genre humain, est amoureux de Célimène, la plus grande des coquettes. Philinte, ami d’Alceste, est amoureux d’Eliante, qui trouve qu’Alceste est tout à fait acceptable comme partenaire. La prude Arsinoé voudrait « prévenir » Alceste du manège de Célimène, et l’attirer vers elle si possible. La première scène s’ouvre par une discussion « philosophique » entre Alceste et Philinte. Pour le premier, être hypocrite c’est condamnable, pour le second être trop sincère c’est une folie. La facilité qu’on peut avoir à s’identifier tantôt à Philinte, tantôt, à Alceste, contrairement à Dom Juan ou au Tartuffe, facilite le jeu de complicité avec le spectateur. C’est ce que JFS cherche… Philinte représente l’harmonie, Alceste la passion. C’est la tension entre les deux qui donne naissance au jeu. La situation de départ du spectacle est la suivante : c’est un groupe de gens qui jouent la pièce. Par ce qu’ils disent et par ce qu’ils font sur le plateau, c’est le monde qu’ils inventent (le Louvre, la Cour, le protocole). C’est donc une pièce de salon, où tout s’organise parce que des gens se rapprochent, s’éloignent, se rencontrent, s’évitent. A priori personne n’a le pouvoir. Ce sont des électrons libres, il n’y a pas de couples (trois femmes libres, non soumises aux hommes, ce sont d’ailleurs elles qui font bouger la machine). Ils se ressemblent tous, ils sont tous égaux. Dans ce contexte, donc, ils sont tous uniques. Mais, Alceste voudrait qu’on le distingue. La mise en scène est conduite par les tentatives de l’un et l’autre de prendre le pouvoir. Mais ça ne marche jamais. Ces tentatives mènent souvent à des confrontations, où l’opinion des autres compte beaucoup. De sorte que, dans le salon de Célimène, les conversations ne sont pas superflues, il y a un danger permanent auquel le spectateur est sensible. Ce danger permet aux acteurs/personnages et aux spectateurs d’être dans le présent, d’être impliqués dans une situation qui devient de plus en plus vertigineuse jusqu’à l’acte V. Pour faire avancer la situation et développer la tension, Molière utilise ce que JFS a appelé la dramaturgie de l’interruption. Tout le monde interrompt tout le monde. De manière artisanale, c’est ainsi qu’est construite la pièce. Le désir grandit chez le spectateur de voir comment les acteurs vont se tirer de cette situation qu’ils ont créée, comment ça va se résoudre. 2 Mais Molière choisit de laisser le spectateur avec la question du destin de Célimène et envoie celui qui aspire à l’absolu dans le désert. Reste autour le monde chaotique, difficile et cruel. On y échappe le temps d’une représentation, on s’en amuse. Mais une fois que c’est fini, on n’en conclut rien, la question demeure, intensifiée par le théâtre. L’ESPACE : De même que pour le jeu et la mise en abîme du théâtre, JFS a une vision de l’espace scénique qui correspond à son approche non psychologique du théâtre. Tout est question de rapport. La scénographie n’est pas un décor, elle met en valeur l’acteur, elle rentre en dialogue avec lui. L’intérêt est de donner à l’acteur un appui. L’espace est en ce sens contraignant lui aussi, comme l’alexandrin. Il a ses lois, c’est ce choc qui met en valeur l’interprète : une scénographie c’est une action. Cependant, la volonté de séduire qui caractérise l’ensemble des personnages peut aussi se retrouver dans le décor : d’où la possibilité d’un décor « beau », car il y a quelque chose dans la gratuité du geste. C’est la raison pour laquelle le décor peut être “décoratif”, dans ce projet-ci. L’idée c’est que le maquillage, les confettis, les fontaines, tout se dérègle à un moment donné. Tout mène à une sorte de course vers une tension de plus en plus forte qui peut « péter » à n’importe quel moment. En discutant avec le scénographe Daniel Jeanneteau, il en ressort que cette scénographie est le fruit d’un dialogue entre le scénographe, le metteur en scène et les techniciens. Dialogue dans lequel chacun a veillé à tenir aux principes qu’il s’est fixés. Pour ce spectacle-ci il y a eu une série de choix qui ont orienté l’ensemble de la création : -Intérêt du plateau vide : ne pas cacher l’endroit réel où l’on est, on travaille du réel et l’on montre comment on le rend magique. -Le fond est séparé de l’avant, mais ils sont complémentaires. -La verticalité est assurée par des objets qui flottent, des ballons qu’on peut déplacer. -Il y a peu d’éléments dans la scénographie : chaises, la soie, des tables… C’est ce qui la rend intéressante: exploiter un maximum un minimum d’éléments, faisant travailler l’imagination. -Garder l’idée d’une certaine nudité, simplicité. Comme tout est spectacle, la plupart des scènes se jouent sur le devant du plateau, où il y a un espace de théâtre. Cet espace est un espace de clown. On y entre et on en sort sans raison. Làdedans, s’isoler des autres en tirant un rideau, c’est s’exposer plus au public. Derrière, dans les coulisses qui sont à vue, ça vit aussi : on peut se battre, ou fumer, se mettre une perruque… Les acteurs ne quittent que très rarement le plateau. Pour JFS, c’est comme si le plateau s’était le salon de Célimène, où chacun peut passer à n’importe quel moment. Les acteurs se retrouvent dans cet espace comme dans un huis clos. LES COSTUMES : À l’époque de Molière, le costume permettait de délimiter son espace : la plume ou la canne permettaient d’occuper un espace que l’on n’approchait pas facilement. Pour son travail sur le Misanthrope, JFS voulait inventer sa propre version des costumes du XVIIème siècle. Pour cela il s’est servi, avec la costumière Virginie Gervaise, d’un élément de 3 l’époque, mélangé à des choses plus contemporaines. L’idée était de faire en sorte que le costume soit aussi comme l’alexandrin, un effort, un combat. Que le fait de porter un costume soit comme porter une armure, de même que les maquillages et les perruques. Ils ont également voulu garder une certaine notion de ridicule et d’extravagance. Les acteurs/personnages sont en compétition les uns avec les autres, ils veulent avoir plus que l’autre, jusqu’à en avoir trop. L’ALEXANDRIN: Une des grandes exigences du texte de Molière, c’est l’alexandrin. C’est un élément important, car il s’agit d’une pièce sur le paraître, sur le fait « d’être vrai », sincère. Et pour en parler, l’auteur choisit une forme artificielle, fabriquée et très exigeante. L’alexandrin : C’est la matière de jeu principale pour le comédien, il doit être conscient qu’il est en train de parler de façon artificielle, mais jouer aussi comme s’il l’inventait sur le moment. C’est ça le jeu, il est en prise constante avec la musique. L’alexandrin donne aussi plusieurs pistes, rien n’est anodin, il faut faire attention à la place du mot dans le vers, il y a toujours une raison au pourquoi l’hémistiche est là… On construit en 12 pieds, comment s’échapper de cette construction sans l’oublier ? Pour JFS, le plus miraculeux dans une pièce en alexandrins c’est la manière de parler. Le fait que l’alexandrin s’arrête au 12ème pied, s’est toujours une occasion de jeu pour l’acteur. Cette structure découpe la pensée. À la fin de chaque vers, ça peut s’arrêter. L’alexandrin est aussi la forme de la langue française où l’acteur peut jouer avec le spectateur sur comment fini le vers. Le spectateur peut anticiper, il a la musique dans l’oreille, donc on peut le surprendre, ou faire appel à lui pour finir le vers. Il faut que l’acteur soit convaincu de comment il dit le vers, sinon ce n’est pas juste. Il faut chercher le bon endroit de jeu pour qu’il l’assume complètement. L’acteur peut être content d’avoir fait un beau vers ou pas, ou trouver que la rime est bonne ou pas. LA DIRECTION: Avant de commencer les répétitions, JFS mène déjà une réflexion sur les personnages : Quelle est la question commune à tous les personnages ? La question centrale du spectacle, mais qui se décline sur chaque comédien ? Sur chaque personnage ? Par rapport au jeu, il cherche une ligne qui permette à l’acteur de trouver sa liberté, une liberté qui peut opérer chaque soir. De sorte qu’on pourrait avoir l’impression de voir les acteurs en se disant qu’ils pourraient très bien faire le choix de le dire/faire autrement. Au lieu de vouloir contraindre l’acteur, le travail consiste à lui faire un cadre le plus large possible pour qu’il puisse avoir un maximum de liberté tout en respectant la cohérence de l’ensemble. Par conséquent, le travail avec les acteurs est particulier. Il leur laisse une grande liberté, et se concentre plus sur le contexte, la situation, le rythme général. Cela est possible grâce à l’absence de jeu psychologique. « Partir de la fabrication, c’est ce qui donne le plus de liberté. Ce qui compte c’est ce qui émerge des réactions chimiques que tu as voulu provoquer. C’est la meilleure façon de créer, après le spectateur fera les liens, verra le Misanthrope jusqu’où il voudra. » Ce qui est important c’est ce qui va arriver aux acteurs sur la scène, pas de montrer qui est Philinte, qui est Alceste… Dès le début du travail, JFS a donné des lignes claires à tous les comédiens, qu’il a ensuite 4 appliqués au cas par cas. Pour lui, chaque personnage a un axe très précis sur lequel il évolue pendant le spectacle, et à la fin, le personnage est changé. Chaque personnage est unique et doit rentrer comme s’il était le personnage principal. Il n’y a pas de déterminisme, pas de caractère limité, ils sont très humains et ils ont tous la même tâche : faire tenir le monde sur la scène. Il faut éviter la logique de caractère, et suivre une logique de théâtre : chaque réplique ne doit pas être soumise à l’ensemble de la pièce, au caractère du personnage, mais c’est une source de jeu sur l’instant même. JFS invite les acteurs à s’amuser à dire les répliques de plusieurs façons différentes. Tout cela permet de casser la linéarité, la logique de comportement, et faire en sorte que tout soit possible sur la scène. L’acteur invente sur l’instant : « La pièce a besoin de votre invention, minute par minute, pour amener le texte. » Ce qui se passe alors sur la scène se vit au présent, et peut aller très loin. On ouvre ainsi la porte au spectateur, l’étonnement vient de se rendre compte « qu’on peut aller jusque là ». Il est important d’avoir une bonne disposition sur le plateau, adopter certains réflexes qui vont aider le jeu. JFS propose plusieurs pistes. D’abord, savoir comment entrer, comment commencer. Pour chaque scène, c’est bien de se donner un moteur de jeu, ex : les marquis arrivent, ils n’ont rien à se dire, temps, alors Clitandre commence à parler du Louvre. C’est possible aussi de profiter des entrées pour être dans une euphorie de la fête, et puis marquer un arrêt. Ce sont des entrées très théâtrales, utiles car les acteurs/personnages savent toujours qu’ils viennent faire un spectacle. Dans ce contexte, l’acteur a un rapport sain à la colère. Quand on rentre dans le salon de Célimène, sur le plateau, on est prêt à se battre. C’est un nouveau personnage que j’offre au public. Idéalement, il faut prendre toutes les propositions des autres comme un truc formidable. JFS propose de jouer avec une grande sincérité, de répondre directement à la réplique de l’autre. S’il y a un temps entre les répliques, c’est une impossibilité de répondre et pas un moment de réflexion. Les acteurs/personnages ne se posent pas de questions, les questions c’est le spectateur qui doit se les poser. En plus de ce jeu non psychologique, JFS insiste sur l’importance d’avoir conscience qu’on joue pour le spectateur, que l’on construit le spectacle avec lui. Le rapport au public est fondamental, car cette complicité peut ouvrir au rire. En même temps il faut faire un exposé aux gens. C’est pour cela qu’il cherche une façon d’amener tout de suite le public dans le jeu, d’arriver à faire en sorte que le public soit obligé de réfléchir sur ce qui vient d’être dit, qu’il puisse se sentir responsable de ce qui est en train de se passer. Cette fois-ci, l’amorce a été l’annonce des téléphones portables en alexandrins au début du spectacle. Suite à cela, les spectateurs comprenaient directement l’enjeu de la prise de parole en alexandrins. LES DERNIERS MOTS: Je voudrais aussi parler des qualités de meneur de projet que j’ai vu chez Jean-François, car ce sont des détails importants pour mener à bien un projet. En effet, l’ambiance de travail depuis le début et jusqu’à la première était détendue, mais concentrée, exigeante. Il y a toujours eu la place pour l’opinion des autres dans l’équipe. Tout le monde discute, donne son avis, et JFS rebondit parfois, car généralement il sait ce qu’il cherche. Il assume aussi ses doutes, ses endroits flous, mais il peut s’appuyer sur un travail qu’il a fait en amont, et peut-être, et surtout, sur une intuition forte de ce qu’il a envie d’atteindre avec un spectacle (le rapport comédien/personnage/texte pour créer une complicité avec le spectateur). C’est le fil conducteur, l’essence du travail. Il s’y attèle avec obstination. La grande ambition artistique de JFS est de créer un espace où tout est possible. Donner la 5 sensation au spectateur que tout est possible sur le plateau parce que le jeu est ouvert. Pour lui, on n’utilise pas le théâtre pour raconter une fiction, la fiction c’est le théâtre. Son désir est de communiquer un plaisir, une réflexion, en faisant du théâtre un outil ultra-sophistiqué. Une fois l’effet de vraisemblance du théâtre mis en crise, tout est possible. Mais comment mettre le théâtre en crise ? Molière, en utilisant la misanthropie au théâtre, y arrive d’un coup. On part de cette chose impossible : mettre un misanthrope au milieu du plateau. On sait que l’acteur n’est pas misanthrope, ça met en crise le théâtre car on sait d’office que ce n’est pas vrai, ce n’est que du jeu. C’est quelqu’un qui se « donne en spectacle » À partir de là, tout est possible. Pendant les répétitions, JFS faisait beaucoup allusion au clown. Comme si la dimension clownesque ouvrait plein de perspectives car elle permettrait d’établir une connivence avec le spectateur. Le clown apporterait une sorte de distance, de second degré : je ne joue pas « je voue hais », mais « je joue que je vous hais ». C’est une sorte de conscience chez l’acteur du jeu qu’il met en place, de la présence des spectateurs, et de sa propre présence sur scène. L’important n’est pas la psychologie du personnage, mais ce que l’acteur mobilise comme énergie avec le texte et avec son jeu scénique. Le clown est un outil pour travailler sur le rapport, pour jouer avec l’impossible, avec l’absurde, mais en appliquant une cohérence implacable. C’est ce que Molière fait aussi en plaçant le Misanthrope au milieu de la scène. C’est de cet absurde-là que découle le jeu, la comédie. CONCLUSION : Il est difficile de résumer un travail qui s’appuie sur 15 ans d’expérience. Pendant les répétitions, il n’était pas question non plus d’énoncer des principes, de faire de la théorie. Cependant, JFS en appliquait beaucoup. Je n’ai pu donc écrire que ce que j’ai saisi au vol, ce qui m’a marqué. Tout n’a pas été évident pour moi dans ce projet, car c’est particulier de se voir catapulté dans une équipe sans avoir une fonction déterminée. C’était le pari de faire le prix Jacques Huisman, et c’est un pari qui en vaut largement la peine. Je trouve que c’était une belle leçon de théâtre, qui m’a donné beaucoup d’outils pour poursuivre mon travail de metteur en scène. C’est une chance aussi de pouvoir participer à un projet d’une si grande envergure, de pouvoir observer de près le travail de JFS, mais aussi celui des acteurs et de toute une équipe. Pouvoir comparer avec mes propres outils, confirmer ce que je sais déjà, apprendre des choses nouvelles, voir naître des nouvelles envies de nouveaux projets. Partager également ce désir de liberté sur le plateau, cette volonté d’ouvrir toutes les portes, jusqu’à l’étonnement. En effet, dans Le Misanthrope, la liberté est là, malgré un texte très contraignant. Elle se traduit par une « écriture de plateau », par une inventivité de JFS très grande, drôle et juste. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai repris ici que quelques idées qui m’ont marqué. Il y a eu aussi les rencontres, les échanges, toute une dimension humaine qui fait partie du théâtre. Des rencontres fortes qui durent un temps précis et puis s’arrêtent brusquement. Ça fait partie du jeu. On espère juste avoir la chance de pouvoir se recroiser une autre fois… Pour tout cela, je trouve vraiment dommage que le Prix Jacques Huisman ne continue pas. 28 avril 2013. Juan Martinez. 6