Alceste le provocateur • «Le Misanthrope » de Molière mis en scène par Antoine Vitez Prix national du Théâtre 87 pour l'ensemble de son oeuvre, Antoine Vitez savoure encore Finimense succès du « Soulier de satin », qui termine provisoirement sa carrière en Belgique : il pense le reprendre en 89... Mais il donne à présent « le Misanthrope » qu'il avait déjà monté dansune série Molière,il ya dix ans. Cette fois, le propos est différent « Monter une oeuvre que tout le monde connaît par coeur, c'est être comme un chef d'orchestre qui dirige pourla centièmefoisunesymphonie... Ce qui m'attire en premier, c'est l'aspect autobiographique du "Misanthrope". Comment réagissaient les spectateurs de la première lorsqu'ils voyaient Molière en scène, avec Armande Béjart en Célimène, alors qu'ils savaient tout de sa vie ? Molière, c'est Alceste, innis c'est aussi Philin.te. Je les fais s'avancer fun après l'autre au bout d'un couloir tout noir. L'un et l'autre provoquent le public. Le décor de Yannis Kokkos revêt une grande importance : une scénographie en profondeur. Et si le décor est noir, c'est que j'ai découvert que la couleur noire peut avoir quelque chose de comique... Car enfin, on entend toutes les déclarations d'Alceste, et puis on le découvre non seulement amoureux mais victime de contretemps perpétuels. C'est là l'élément comique, étant entendu que le fond de la pièce est tragique, comme le voyait Jean-Jac. ques Rousseau. « PahiceKerbratseraurtAlcested'âge mûr. Etsi Cyrielle Claire dans le rôle d'Hélène AVOIR LA GUERRE DE TROIE N'AURA PAS LIEU de Jean Giraudoux autre guerre — attitude ambiguë quand Hitler était l'ennemi —, on aurait tort de ne pas vibrer au discours aux morts d'Hector ou à son dialogue avec Ulysse. Et si j'insiste sur ce point, c'est que la représentation de la Comédie-Française If est pas bien belle à voir. Décor sans intérêt et mal éclairé, costumes d'une laideur agressive. Maître d'ceuvre trop timide, Raymond Gérôme s'est contenté de se fier au talent des comédiens — François Beaulieu, Simon Eine, Yves Gascq, Martine Chevallier, Geneviève Casile... — sans leur imposer aucune direction. Curieusement, ce sont deux nouveaux venus, Cyrielle Claire, Hélène pareille à une star des années 30, et Bruno Shaar, Pâris bellâtre et insouciant, qui ont le mieux compris l'humour léger de Giraudoux. Les autres se rattrapent comme ils peuvent aux morceaux de bravoure. Jamais jouée à la Comédie-Française — pour des raisons qui restent mystérieuses —, la plus célèbre pièce de Giraudoux (mise en scène par Raymond Gérôme) y est de plein droit. N'est-il pas le dernier auteur qui ait manié notre langue comme on le faisait aux siècles passés ? Normalien, plus rhétoriqueur que, poète, il agace bien des gens par ses digressions, par son humour très littéraire, ses jeux de miroir entre théâtre classique et théâtre de boulevard. Pour d'autres — dont je suis —, c'est cette dichotomie qui fait le charme de cette parodie homérique que Jouvet avait créée en 1935. Et s'il faut faire effort pour comprendre qu'Hector et les Troyens sont d'anciens combattants de Comédie-Française (40-05-00-15). G. D. 14-18 qui refusent une 10 LE NOUVEL OBSERVATEUR /GUIDE 5 2 1 Dominique Blanc (Célimène) et Patrice Kerbrat Weeste Dominique Blanc -- la Suzanne du "Mariage de Figaro" —est une jeuneveuve, jeveuxlui donner toute sa dignité. Ce n'est pas véritablement une coquette : elle n'a que deux "amants", Alceste et Oronte, que joue Philippe Romans en homme déchiré... De même, je ne vois pas en Arsinoé (I2urence Roy) une bonne femme aigrie, mais au contraire une sorte de femme fatale, qui précipite la catastrophe, une image du destin, de la mort «J'ai pensé à beaucoup de choses en travaillant sur ce "Misanthrope", aussi bien à la vie de Molière qu'à l'Ibsen d'Un ennemi du peuple", où il est dit que "l'homme le plus fort, c'est l'homme le plus seul". Et ne peut-on pas comparer la comédie de Molière à "Tùnon d'Athènes", de Shakespeare ? "Le Misanthrope" est une pièce mythologique... «Je voudrais dire encore qu'avec les mêmes comédiens je donne à la mi-février "Anacoana", pièce d'un auteur inconnu, Jean Métellus, un neurologue d'origine haïtienne, qui évoque, dans une langue magnifique, le génocide des premiers habitants d'Haïti, ceux qu' on nommait "les Indiens". C'est une véritable tragédie, tout en discours indirect, qui rappelle Eschyle. "Anacoana" sera donné en alternance avec "le Misanthrope". A côté de l'oeuvre la plus connue, un véritable ovni théâtral. » Propos recueillis par Guy Dumur Théâtre national de Chaillot (47-27-81-15).