ENCOPRESIE : DE LA CONSTIPATION A LA PSYCHOTHERAPIE Une petite revue de la littérature Dr Nathalie BOIGE L’encoprésie est un symptôme rebutant, agressif, et le seul plaisir peut se trouver dans les succès thérapeutiques, dans la compréhension de la situation et le déverrouillage des conflits. Il faut pour cela tenter de bien comprendre à la fois la physio(patho)logie et le psychique en causes. DEFINITION ET PREVALENCE La définition se trouve au chapitre psychiatrie de l’EMC et est issue du DSM IV R : émissions fécales répétées dans des endroits inappropriés (par exemple dans les vêtements ou sur le sol), qu’elles soient involontaires ou délibérées. Le comportement survient au moins une fois par mois durant au moins trois mois. L’enfant a un âge chronologique d’au moins 4 ans ou un niveau de développement équivalent. Le comportement n’est pas dû exclusivement aux effets physiologiques directs d’une substance (ex. laxatifs), ni à une affection médicale générale, si ce n’est par un mécanisme entraînant une constipation. Dans le codage, le DSM IV distingue : - encoprésie avec constipation et incontinence par débordement - encoprésie sans constipation ni incontinence par débordement. Ce symptôme est source de polémique et de difficultés thérapeutiques. Même la définition est remise en cause. Le « Paris Consensus on Childhood Constipation Terminology, (PACCT) Group » en Juillet 2004 propose de regrouper sous le terme d’incontinence fécale le soiling et l’encoprésie (terme qui ne serait plus utilisé) et de distinguer dans les incontinences fécales les incontinences de cause organique et les incontinences fécales fonctionnelles (FFI), soit associées à une constipation (fécalome, ou dyssynergie pelvienne) et les incontinences fécales fonctionnelles sans rétention.(1) La Prévalence de l’encoprésie est, dans l’étude de Boston 2,8% à 4ans, 1,9% à 6ans, 1,6% à 10ans (2). La revue de 2006 (méta-analyse) trouve 1,5% des enfants de pays occidentaux, 4 garçons pour une fille (3). Dans la série de Ünal (Turquie), on signale 1 à 3% de la population générale 30% primaires, 70% secondaires (4). Au Royaume Uni et en Allemagne, 1,4%, âge moyen 91mois, 81 garçons 36 filles. La prévalence est étudiée aux Pays Bas dans une société multiculturelle (6) : 4,1% à l’âge de 5-6 ans, 1,6% 11-12 ans de la population générale scolaire, 3% globalement, 3,7% de garçons, 2,4% de filles. ASSOCIATIONS MORBIDES On aborde deux facettes différentes : gastroentérologique et pédopsychiatrique VERSANT GASTRO-ENTEROLOGIQUE La constipation est très fréquente (55 à 80% selon les séries), cause plutôt que conséquence. L’association d’un soiling à l’Incontinence Urinaire Fonctionnelle (IUF) a été étudiée en fréquence : le soiling est associé à l’IUF diurne (24% des cas d’UF) plutôt qu’à l’énurésie nocturne (5,5%), et en physiopathologie : contraction simultanée des sphincters anal et urethral, rétention stercorale et appui sur le trigone, ou plutôt retard commun de développement et maturation neurologique. Les enfants ayant IUF et encoprésie ont plus de troubles psychologiques (hyperactivité, troubles des conduites et de l’humeur) (7). L’obésité est plus fréquente dans une population d’enfants ayant une constipation fonctionnelle : on trouve 20% d’obèses chez les enfants constipés, 12% chez les contrôles, (25% chez les garçons, 18% chez les filles) (8). COMORBIDITE PSYCHOPATHOLOGIQUE Dans une étude turque (9) de 201 cas d’enfants encoprétiques d’âge moyen 6 ans, (79,6% de garçons, 30,8% primaires, 69,2% secondaires, 38,9% ayant une constipation) un diagnostic associé défini par le DSM IV est retenu dans 74% des cas : énurésie 55%, troubles oppositionnels 30,8%, TDAHA 7%, stéréotypies 6%, retard mental 5%, angoisses 3%, troubles des conduites 3%, bégaiement 3%, dépression 1,5%, trouble de l’adaptation 1,5%, tics envahissants 1,5%, autisme 0,5%, trichotillomanie 0,5%. Les patients avec encoprésie primaire ont une comorbidité plus fréquente. Les auteurs posent la question du caractère primaire ou secondaire à l’encoprésie des troubles du comportement (hyperactivité impulsivité). Les données démographiques et le niveau socio-économique ne sont pas prédictifs. Dans la série du gfhgnp (10) de 54 cas colligés et étudiés , (sexe ratio 2 :1, 22 primaires, 32 constipés, 49 patients ayant un double suivi gastro et psy), on note : énurésie 12 cas, troubles des conduites alimentaires 12 cas, troubles du sommeil 9 cas, difficultés d’apprentissage 16 cas. Une étude épidémiologique recherchant des différences psychologiques entre enfants ayant ou non un soiling (5) (Royaume Uni et Allemagne) porte sur 13000 grossesses, avec 8242 réponses, âge moyen des enfants 91 mois, et trouve 117 enfants ayant un soiling. Un retard mental est présent chez 20,5% des patients avec soiling fréquent, 6,9% avec soiling rare contre 2,9% chez les enfants sans soiling. Les troubles psychologiques sont : phobies sociales, obsessions et compulsions, troubles de l’attention et hyperactivité, comportement opposant, troubles émotionnels et comportementaux, tous plus fréquents dans les cas ayant un soiling fréquent. Il existe une association entre soiling et troubles psychologiques (primaires ou secondaires) De même dans l’étude de Von Gontard qui compare des populations ayant IUF et IUF associée à encoprésie, on note dans le deuxième cas une fréquence plus élevée de troubles hyperkinétiques, troubles émotionnels, troubles des conduites, problèmes de délinquance et troubles anxio-dépressifs (7). PHYSIOPATHOLOGIE Le gastro-entérologue va chercher s’il y a une anomalie physiologique sous-jacente, le psy va chercher quel est le mécanisme de mise en place ou de pérennisation de ce trouble du comportement sphinctérien, rétention ou alternance rétention-évacuation. Sur le plan somatique, les auteurs sont unanimes pour constater qu’il y a environ 80% d’enfants constipés (plutôt cause que conséquence). Il s’agit d’une constipation plus ou moins sévère idiopathique, fonctionnelle. L’encoprésie n’est pas observée dans la maladie de Hirschsprung. Le rôle des lésions locales douloureuses est signalé dans les séries pédiatriques et gastro-entérologiques. La plupart des études concluent à l’inutilité des examens complémentaires sauf pour éliminer une maladie de Hirschsprung dans les cas de constipation très sévère. Des anomalies de la dynamique défécatoire ont été décrites (Loening-Baucke) (11,12,13) : poussée insuffisante, sensation altérée, entrave à la sortie : anisme, rétention, qui peuvent être secondaires au trouble du comportement sphinctérien : « a learned adverse behaviour » (13) Di Lorenzo et Beninga distinguent rétention fécale fonctionnelle avec soiling par débordement et soiling fonctionnel sans rétention. Le traitement est différent, comportant dans le premier cas laxatifs, éducation, mesures cogitivo-comportementales, et dans le deuxième cas traitement anti-diarrhéique, éducation des parents, training, amélioration de l’estime de soi (14.) Quant à l’incontinence urinaire fonctionnelle et l’incontinence fécale fonctionnelle chez les enfants indemnes de pathologie neurologique, qui a fait évoquer un trouble fonctionnel « commun » de l’élimination, les causalités seraient différentes, les évolutions distinctes, l’âge et le sexe de prédilection différents. On retrouve seulement en commun un trouble du développement et du comportement (15). PSYCHOPATHOLOGIE L’encoprésie est un avatar de l’apprentissage de la propreté ou une régression (16). C’est un trouble des conduites sphinctériennes, avec rétention, évacuation, alternant ou non. Ce symptôme appartient aux troubles psychosomatiques et traduit la fixation anale d’un conflit, d’une angoisse (évènements de vie, angoisse de séparation, dépression). Un étude de Mellon (17) a montré que l’existence d’un soiling chez un enfant n’a pas de valeur indicative (statistiquement) d’abus sexuels. Reid (18) insiste sur les dysfonctionnements dans la famille, en particulier la répression ou l’interdiction par les parents d’une colère normale « légitime » chez l’enfant, par exemple lors de la naissance d’un puîné, de tourments fraternels, de conflits conjugaux. Ces auteurs et Ünal parlent du rôle de l’angoisse, du manque d’estime de soi. L’encoprésie peut correspondre à des polarités différentes (rétention, évacuation) et Kreisler et Soulé (19) ont décrit avec humour des types de personnalités différents : type actif « délinquant », type passif «clochard », type « pervers », type « malade ». Cramer (20) dans une étude sur 36 enfants encoprétiques en thérapie a décrit différents niveaux symptomatiques : 1) Trouble réactionnel : 6% 2) Organisation névrotique : 66% -type conversion anale -type obsessionnel 3) Organisation perverse 3% 4) Organisation psychosomatique 3% 5) Trouble de la personnalité 19%, psychopathie 3% 6) Organisation psychotiques 0% Missonnier (21) démembre également plusieurs registres : - encoprésie réactionnelle, - à polarité névrotique, - symptôme mixte : trouble névrotique à risque psychosomatique - polarité psychosomatique - encoprésie et psychose. TRAITEMENT La meilleure revue concernant le traitement est la méta-analyse de Brazelli et Griffiths qui traite des interventions comportementales et cognitives avec ou sans autre traitement pour l’incontinence fécale de l’enfant. Ils reprennent 18 essais randomisés, avec un nombre total de 1168 enfants (échantillons de petits effectifs). Le traitement « conventionnel » de l’incontinence fécale fonctionnelle consiste en laxatifs, « training », conseils diététiques. Les mesures comportementales associent de façon variée, mais englobent : - Horaires réguliers pour les toilettes (« training »), un système de récompenses, de renforcement, - des schémas explicatifs - « désensibilisation » pour les phobies - biofeedback - modification de l’environnement Les méthodes non comportementales : éducatives ou cognitives, comprennent : - Instruction des parents sur la physiologie du fonctionnement digestif et de la continence - Instruction sur le web - Conseils - Psychothérapie - Thérapie familiale et cognitive Les auteurs comparent dix combinaisons différentes de traitement conventionnel, comportemental, éducatif et cognitif. Le message général extrait de cette analyse est que ce symptôme est difficile à soigner, et s’accompagne d’un haut niveau de détresse émotionnelle. La durée du suivi est de 4 à 24 mois. Les conclusions de cette métaanalyse sont : - Pas de bénéfice du biofeedback et de la manométrie en plus du traitement conventionnel - Petit bénéfice des mesures comportementales - Nécessité d’étudier plus avant les émotions, les données sociales, la sociabilité, les performances scolaires, l’éducation, le fonctionnement familial -Ils insistent sur le caractère stressant des laxatifs à prendre au long cours, des mesures diététiques, des examens cliniques invasifs (toucher rectal), de la manométrie et du biofeedback, et sur l’importance des conseils éducatifs et comportementaux. Le traitement conventionnel et le biofeedback sont bien détaillés dans les travaux de Loening-Baucke. TRAITEMENT A VISEE PSYCHOLOGIQUE Les modalités sont les psychothérapies cognitive et comportementale, la psychothérapie familiale, individuelle, d’inspiration psychodynamique ou psychanalytique. Reid décrit une combinaison de guidance parents-enfant avec explications aux parents et à l’enfant et de consultations parents enfant où il étudie le fonctionnement familial, et qui sont un moment d’expression pour l’enfant de sa colère et de ses émotions. Cramer décrit des thérapies brèves ou longues, de l’enfant seul ou de la famille. Il explique le fait que l’indication qu’il pose d’un mode thérapeutique donné lui permet de pressentir la problématique et les constellations psychiques en présence. RESULTATS ET EVOLUTION Les resultats des publications sont à interpréter en fonction du mode de recrutement et de l’équipe d’accueil (pédiatrique ou psy). Loening Baucke montre que, en présence de constipation et d’anomalies de la dynamique défécatoire l’adjonction de biofeedback à la thérapeutique conventionnelle (évacuation, laxatifs et conseils comportementaux), améliore le pronostic à 12 mois, mais que globalement, à long terme (6+2 ans), il n’y a pas d’avantage du biofeed-back. Dans la série de Ünal de 67 cas (traitement « double »), on trouve 83% de guérison à 6 ans (36% à 51% à 1 an, 51% à 3 ans). Il s’agit d’une unité de psy accueillant des patients insuffisamment améliorés par le traitement conventionnel. Il n’y a pas de valeur pronostique des symptômes associés, des données démographiques (âge et sexe), du caractère primaire ou secondaire de l’encoprésie. Le pronostic est meilleur s’il n’y a pas de constipation, un bon niveau scolaire et d’éducation des parents, un diagnostic précoce. Les troubles du comportement sont de mauvais pronostic. L’étude suédoise de Hulten porte sur des conscrits, 66 hommes, 10 ans après un diagnostic d’encoprésie, et 67 contrôles. Ils sont généralement guéris après 16 ans. Il n’y a pas de différence significative avec le reste de la population, ce qui signifie que les troubles émotionnels et comportementaux s’améliorent ainsi que le comportement social. Il existe quelques données négatives non significatives chez les anciens encoprétiques : on observe dans les encoprésies primaires plus de retard de développement, avec intelligence normale, énurésie, dans les encoprésies secondaires plus de comportement social opposant, de troubles des conduites. Dans le suivi il existe plus de dépressions dans les encoprésies primaires, plus d’agressivité dans les secondaires. Les auteurs conseillent de différencier encoprésie primaire et secondaire dans la psychopathologie (primaire correspondrait à un affect dépressif primaire, secondaire plus réactionnel, plus conflictuel) Cramer, sur 36 cas d’enfants en thérapie, trouve 19 bons résultats, 9 satisfaisants 6 insatisfaisants. Un bon résultat est défini par cet auteur comme la levée du symptôme, la modification du fonctionnement psychique de l’enfant ainsi qu’une transformation de la relation parents-enfant. Dans la série du gfhgnp de 54 cas, nous avions observé dans 31 cas la disparition du symptôme, dans 8 cas une amélioration, dans 15 cas la persistance du symptôme, dans 7 cas un déplacement du symptôme. CONSEQUENCES POUR LA PRISE EN CHARGE Le but de la consultation est la levée du symptôme, mais également d’éviter les rechutes et les déplacements en améliorant la problématique psychologique. L’intérêt de la consultation est donc dans l’ouverture du débat, la libération de la pensée, de la parole et de la vie sociale, dans une situation souvent verrouillée dans la souffrance et le conflit. Il s’agit d’un travail bidisciplinaire, d’un abord double d’emblée, qui est assuré par le (gastro)-pédiatre car la consultation pédiatrique initiale est nécessaire à tout abord psychologique. Il faut lever le tabou, s’adresser à l’enfant et à ses parents. La première question est : où va-t-on placer le curseur psychosomatique chez cet enfant ? d’où l’importance : - de l’anamnèse symptomatique, psychosomatique, familiale, - de l’examen physique (évaluation de la constipation, de la stase, des lésions anales etc…) - de l’observation de l’enfant des interactions familiales - de faire préciser le contexte scolaire et social, les évènements de vie Sur le plan thérapeutique, on aborde parallèlement les données somatiques et psychiques : - traitement médical de la constipation, des lésions anales. - explications physiopathologiques, schémas (pour l’enfant et les parents) - amélioration du schéma corporel, de l’hygiène - conseils « comportementaux » Il faut aborder dès la consultation le contexte psychopathologique, ce qui peut être simplement une ouverture à des questions pour les parents et l’enfant : on peut rechercher avec eux des hypothèses étiologiques (en expliquant le caractère polyfactoriel du symptôme). On peut rechercher « du dehors » ce qui est cause d’angoisse, s’il y a un contexte dépressif ou régressif, où se situent les conflits, ou plus directement où a échoué l’apprentissage de la propreté, ce que signifie l’angoisse de la défécation chez cet enfant. On repère les troubles du comportement, des conduites, de l’humeur, de l’attention, et autres clignotants psychopathologiques. On peut essayer de se repérer dans deux polarités principales : d’une part angoisse, dépression parfois masquée et d’autre part conflit, agressivité envers les parents, et expliquer cela aux parents et à l’enfant. L’orientation vers une consultation psychothérapique, à visée évaluative ou thérapeutique, est nécessaire ou non, est parfois à différer, et de toute façon à expliciter. Le suivi pédiatrique est fondamental et nécessaire, même si la constipation est absente et si un traitement psychothérapique est en cours, pour continuer à aider l’enfant dans l’investissement de son corps et de son fonctionnement, et être vigilant sur les rechutes ou les déplacements du symptôme. CONCLUSION Cette revue de la littérature confirme le caractère psychosomatique de l’encoprésie, et la nécessité d’un abord psychologique en complément de l’évaluation pédiatrique initiale de la constipation, et du traitement « conventionnel » de la constipation et des lésions anales éventuelles. Les articles cités concluent à l’inutilité quasi générale des examens invasifs et du biofeedback. Ils insistent sur l’insuffisance et les progrès à faire dans l’évaluation et la compréhension psychologiques du symptôme, du contexte familial et des troubles associés (troubles des conduites, troubles émotionnels), dont les modalités de prise en charge psychothérapiques dépendent des auteurs et de leurs correspondants habituels. L’abord familial du symptôme semble être souvent une option bénéfique. L’évolution peut être longue et émaillée de rechutes, et toutes les études font état de 15 à 20% de cas récalcitrants, chez qui l’écueil semble être d’ordre psychopathologique et comportemental. 1-Finkel Y for ESPGHAN, Alonso E , Rosenthal PR for NASPGHAN The Paris Consensus on Childhood Constipation Terminology (PACCT) Group . News and Views. J Ped Gastroenterol Nutr, 2005 ; 40 :273-75 2- Schonwald A, Rappaport L Encopresis : assessment and management. Pediatrics in Review, 2004; 25(8), 2783- Brazelli M, Griffiths P. 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