Chapitre 2 N OMBRES R ÉELS Depuis la découverte de « nombres irrationnels » par les disciples de l’École de Pythagore (VIe siècle avant J.-C.) le sens mathématique des « nombres réels » était devenu flou : leur sens géométrique évident (repérage sur une droite) ne semblait pas s’accomoder d’une définition à partir des nombres entiers. Une construction explicite de l’ensemble des nombres réels fut pour la première fois proposée par Karl W EIERSTRASS [mathématicien allemand, 1815–1897]. Il mettait fin ainsi à une quête de vingt-six siècles en mathématiques ! Sa présentation, qui est proche de celle que nous suivons dans ce chapitre, est la plus naturelle qui soit : elle est basée sur la représentation décimale des nombres, chose familière aux écoliers même. Reste qu’une quête si longue ne peut pas se finir en quelques mots : la construction est nécessairement délicate, et implique certaines conséquences surprenantes. D’autres mathématiciens ont ensuite proposé des constructions plus simples, mais aussi plus abstraites (Dedekind par les coupures ; Cantor par les suites de Cauchy). L’ensemble R obtenu est dans tous les cas le même (au sens que toutes les constructions donnent des ensembles ayant exactement les mêmes propriétés), et il n’a pas de « trou » comme Q : en conséquence il est bien représenté géométriquement par la « droite réelle », le plus simple des objets mathématiques « continus ». 2.A B ORNES INF ÉRIEURES ET SUP ÉRIEURES Commençons par un rappel sur ces notions qui nous seront essentielles dans la suite. Considérons un ensemble ordonné de nombres N , c’est-à-dire N, Z, Q ou R (mais pas C, qui n’est pas ordonné !). D ÉFINITION 2.1 On dit qu’un sous-ensemble A de N est minoré s’il existe un nombre m ∈ N plus petit que tous les éléments de A (c’est-à-dire : ∀a ∈ A, a > m). Tout nombre m ayant cette propriété est alors appelé un minorant de A. De même on dit que A est majoré s’il existe un nombre plus grand que tous les éléments de A ; un tel nombre est appelé un majorant de A. Un ensemble à la fois minoré et majoré est dit borné. 2 C HAPITRE 2 — N OMBRES R ÉELS Tout sous-ensemble de N est minoré (par 0), mais N ou l’ensemble des nombres premiers ne sont pas majorés, car aucun nombre n’est plus grand que tous les entiers (ou que tous les entiers premiers). Si m est un minorant de A, il est évident d’après la définition que tout nombre plus petit que m est aussi un minorant. Donc un ensemble minoré a en général un grand nombre de minorants. La même remarque vaut pour les majorants éventuels. D ÉFINITION 2.2 On dit qu’un ensemble de nombres A possède un plus petit élément s’il existe un nombre m ∈ A plus petit que tous les éléments de A. Ce nombre s’appelle le plus petit élément de A, ou encore l’élément minimal de A. On le note min A. On définit de manière similaire le plus grand élément, ou élément maximal de A ; on le note max A. Ainsi un élément minimal est un minorant qui se trouve aussi dans l’ensemble (et en particulier l’ensemble n’est pas vide !). De ce fait il ne peut y avoir au plus qu’un seul élément minimal : s’il y en avait deux, disons m1 et m2 on aurait à la fois m1 6 m2 (car m1 est un minorant de A et m2 ∈ A) et m2 6 m1 (car m2 est un minorant de A et m1 ∈ A), donc m1 = m2 . P ROPOSITION 2.1 minimal. Un ensemble non-vide et fini a toujours un élément maximal et un élément C’est assez évident et la démonstration est facile : faire une récurrence sur le nombre d’éléments. Un ensemble non minoré n’a pas d’élément minimal ; il en va de même de l’ensemble vide. Mais même un ensemble non-vide et minoré peut ne pas en avoir : prenons par exemple A = {x ∈ Q; 0 < x} ; alors A est minoré par 0, mais n’a pas d’élément minimal (sauriez-vous le démontrer ?). D’une façon générale, tout intervalle ]a, b[ de Q ou de R est à la fois minoré et majoré (par a et b respectivement), sans avoir d’élément minimal ou maximal. On a cependant la propriété suivante : T H ÉOR ÈME 2.1 Tout sous-ensemble de Z non-vide et minoré a un élément minimal ; et tout sous-ensemble de Z non-vide et majoré a un élément maximal. En particulier, tout sous-ensemble non-vide de N a un élément minimal, car il est forcément minoré (par 0). Démonstration. Soit A ⊂ Z non-vide (donc contenant au moins un élément a0 ) et minoré : il a donc un minorant m0 (et m0 6 a0 notamment). Raisonnons par l’absurde et supposons que A n’a pas d’élément minimal. Un élément ak étant donné dans A, pour un certain k (au début pour k = 0 seulement), construisons par récurrence ak+1 de la manière suivante : comme ak n’est pas l’élément minimal de A (puisque nous avons supposé qu’il n’y en avait pas), alors il n’est pas un minorant, et donc il existe un ak+1 ∈ A tel que ak+1 < ak . Comme il s’agit de nombre entiers, ak+1 < ak implique que ak+1 6 ak − 1 6 ak−1 − 2 6 · · · 6 a0 − k. En particulier dès que k > a0 − m0 on obtient ak+1 < a0 − (a0 − m0 ) = m0 . Mais, comme ak+1 ∈ A, cela contredit le fait que m0 est un minorant. La démonstration pour l’élément maximal est similaire. Cette notion d’élément minimal ou maximal est donc utile dans les ensembles d’entiers, mais beaucoup moins dans les rationnels ou réels : on a vu qu’un ensemble aussi simple qu’un intervalle ouvert n’en avait pas. Dans ce cas, c’est la notion de borne inférieure ou supérieure qui est pertinente. 2.B — D ÉVELOPPEMENT D ÉCIMAL D ÉFINITION 2.3 On dit qu’un sous-ensemble non-vide A de N admet une borne inférieure s’il est minoré et qu’il existe un minorant de A plus grand que tous les autres ; on le note alors inf A. On définit de manière similaire la borne supérieure (éventuelle), qui est le plus petit des majorants ; on la note sup A. Donc inf A est l’élément maximal de l’ensemble des minorants de A (attention au sens : l’ensemble des minorants n’a pas, en général, d’élément minimal) ; en d’autres termes c’est celui qui est « le plus proche de A ». Lorsqu’il existe, il est unique puisque c’est l’élément maximal d’un ensemble. Il est facile de montrer que si A a un élément minimal, alors il a aussi une borne inférieure qui est égale à min A (et une propriété similaire pour l’élément maximal éventuel). Nous verrons dans la suite (proposition 2.5) que les bornes inférieure et supérieure d’un intervalle ]a, b[ de R sont exactement a et b, comme le bon sens le suggère ; et il en va de même des intervalles fermés de l’un ou l’autre côté, ou des deux. Mais cette propriété n’est pas vraie dans par exemple l’ensemble A = √ Q.√Considérons {x ∈ Q ; x2 < 2} (c’est-à-dire en fait Q ∩ − 2, 2 en faisant appel aux nombres réels). Cet ensemble est évidemment non-vide (0 ∈ A) et borné car x2 < 2 ⇒ x2 6 4 ⇒ −2 6 x 6 2. Supposons qu’il a une borne supérieure dans Q, et notons-la µ. Nous avons ou bien µ2 < 2, ou bien µ2 > 2, car on sait qu’il n’y a pas de rationnel de carré égal à 2. Montrons qu’en fait aucun des deux éventualités n’est possible, ce qui donne une contradiction logique. Écrivons µ = p/q avec p, q entiers positifs. Si µ2 < 2, on a donc µ2 < 4 d’où µ < 2 donc 2q − p > 0. De ce fait, si nous posons α = (pn + 2q − p)/qn, où n > 0 est un entier arbitraire, nous trouvons que a ∈ Q et a > µ. De plus µ2 < 2 implique p2 < 2q 2 ; un petit calcul montre alors que α2 < 2 lorque n est choisi suffisamment grand, donc α ∈ A. Nous avons donc trouvé un élément de A strictement plus grand que µ, ce qui est contredit le fait que µ est un majorant, et donc l’hypothèse µ2 < 2 est absurde. Par conséquent on doit avoir µ2 > 2, ce qui implique p > q et p2 > 2q 2 . Ici on pose β = (pn + q − p)/qn ∈ Q et on voit que 0 < β < µ, mais que pour n suffisamment grand, on a β 2 > 2 ; de ce fait, β est un majorant de A inférieur strictement à µ, ce qui est encore une contradiction. Cette absence de borne supérieure matérialise le fait intuitivement évident que Q a un √ « trou » à la position 2 : les carrés des rationnels passent de valeurs < 2 aux valeurs > 2 à cet endroit, sans continuité. Le fait qu’il existe un ensemble de nombres dépourvu de ces « trous » est loin d’être évident : c’est tout l’objet de la construction de l’ensemble des nombres réels. Dans R, le problème disparaı̂tra : le même ensemble A aura une borne inférieure et une √ √ borne supérieure (− 2 et 2). 2.B D ÉVELOPPEMENT D ÉCIMAL On appelle nombre décimal un rationnel qui peut s’écrire sous la forme n/10k . De tels nombres se notent aussi sous la forme ±n0 ,α1 α2 . . . αk avec n0 ∈ N, αi ∈ {0, . . . , 9}. Le signe ± est ici soit + (nombres positifs) soit − (nombres négatifs), n0 s’appelle la partie principale et αi les décimales du nombre. On a par exemple 21 = 1051 = 0,5, −31789 1000 = −31,789, etc. Nous avons tous appris à l’école comment manipuler de tels nombres. Nous avons appris aussi que 13 , par exemple, n’est pas un décimal parce qu’il faudrait l’écrire sous la forme 0,33333 · · · , avec une infinité de chiffres 3. Nous allons voir nous ne sommes pas forcés de nous limiter à un nombre fini de décimales. Cependant, considérer des nombres avec une infinité de décimales, si naturel que cela paraisse, 3 4 C HAPITRE 2 — N OMBRES R ÉELS requiert quelques précautions. Commençons par nous interroger sur le sens de l’écriture 13 = 0,33333 · · · . Quel sens exact donner à l’infinité de chiffres 3 ? Pour cela, regardons plus en détail ce que signifie l’écriture n0 ,α1 α2 . . . αk (nous nous limitons pour le moment aux nombres positifs pour simplifier). C’est en fait une notation abrégée : k X αi α1 α2 αk n0 ,α1 α2 . . . αk = n0 + + + · · · + k = n0 + . 10 100 10i 10 déf i=1 (Par exemple 12,008 = 12 + 8/1000.) Cela explique notamment pourquoi on peut ajouter des zéros à la fin sans changer la valeur du nombre. Considérons maintenant le cas d’un nombre An constitué d’un groupe de p > 1 décimales qui se répètent n fois (c’est-à-dire que αp+i = αi pour i 6 (n − 1)p) : n répétitions p p p X X z }| { X αi αi αi An = 0, α1 . . . αp α1 . . . αp · · · α1 . . . αp = + + · · · + i+p(n−1) 10i 10i+p 10 i=1 i=1 i=1 ! p X αi 1 1 = 1 + p + · · · + p(n−1) . 10i 10 10 i=1 Donc An est de la forme A1 (1 + x + x2 + · · · + xn−1 ) avec ici x = 1/10p = 10−p . Mais c’est une formule classique que 1 + x + · · · + xn−1 = (1 − xn )/(1 − x) (savez-vous le redémontrer ? essayez de multiplier par 1 − x). Donc B − 10−pn B = An 6 B où B := A1 . 1 − 10−p Notons aussi Cn le nombre ayant les mêmes décimales que An , sauf la dernière qui est changée en la décimale suivante (c’est-à-dire un 0 sera changé en 1, un 1 en 2, etc., et un 9 changé en 0 mais avec propagation d’une retenue sur la décimale précédente) ; en d’autres termes Cn = An + 10−pn . Supposons donc que l’on puisse donner un sens à A∞ , le même type de nombre mais avec une infinité de décimales. On doit avoir A∞ > An parce que les np premières décimales sont les mêmes, mais que les suivantes sont nulles dans An . Par ailleurs A∞ 6 Cn car ces deux nombres ont les mêmes premières décimales, mais ensuite une décimale de Cn est plus grande que celle qui lui correspond dans A∞ . Donc on a ∀n ∈ N, B − 10−pn B = An 6 A∞ 6 Cn = An + 10−pn 6 B + 10−pn Il existe un unique nombre rationnel qui satisfait cette relation, c’est B (pourquoi est-ce le seul ?). Il est donc naturel de décider que A∞ = 0,α1 . . . αp α1 . . . αp · · · (avec une infinité de répétitions) n’est autre qu’une représentation décimale de B = A1 /(1 − 10−p ). Si nous essayons avec une infinité de 3, c’est-à-dire p = 1 et α1 = 3, nous trouvons A1 = 3/10 et B = 3/10/(1 − 1/10) = 3/9 = 1/3, donc 31 = 0,33333 · · · comme espéré. En multipliant notre nombre A∞ par 10−k , on ne fait que rajouter k décimales nulles au début, et on peut ensuite aisément ajouter un décimal ; donc n0 ,β1 β2 . . . βk α1 . . . αp α1 . . . αp · · · = n0 ,β1 β2 . . . βk + 10−k A∞ est aussi une représentation d’un rationnel. 2.C — D ÉFINITION DES NOMBRES R ÉELS ; RELATION D ’ ORDRE On peut enfin démontrer que tout rationnel positif a une représentation décimale de ce type, avec un paquet de décimales qui se répètent indéfiniment, comme par exemple 829 70 = 11,8428571428571428571 · · · . Pour cela, il suffit de se rappeler comment on apprend à trouver les décimales à l’école primaire : pour 829/70 par exemple, on « pose la division » de 829 par 70 en cherchant un premier chiffre, et en calculant un produit et un reste ; puis on recommence sur le reste, obtenant un nouveau chiffre, etc. Or chaque reste est inférieur au dénominateur (ici 70), donc il n’y a qu’un nombre fini de restes possibles. Par conséquent, au bout d’un nombre fini d’étapes (au plus 70, mais ici au bout de six en fait), le reste courant doit être égal à un reste déjà vu, et de ce fait la suite des opérations se répète, y compris les décimales. On voit même que la longueur du paquet répété de décimales ne peut excéder le dénominateur de la fraction. Pour les nombres décimaux, la représentation décimale usuelle est simplement complétée avec un nombre infini de zéros. Cependant, ces nombres sont un peu particuliers, car ils admettent une autre représentation décimale, avec un nombre infini de 9 (sauf le nombre zéro). Par exemple, si nous reprenons le calcul précédent avec p = 1, α1 = 9, nous trouvons A1 = 9/10 9 1 et B = 10 /(1 − 10 ) = 1. Donc 0,9999 · · · = 1 = 1,0000 · · · . Cela représente un inconvénient pour la suite, et nous utiliserons la terminologie suivante : D ÉFINITION 2.4 On dit qu’une représentation décimale est impropre si elle comprend des décimales toutes égales à 9 à partir d’un certain rang (donc ∃n ∈ N, ∀i > n, αi = 9), ou bien si elle est de la forme −0,0000 · · · . Dans le cas contraire, on parle de représentation décimale propre. Seuls les nombres décimaux (y compris zéro) ont deux représentations décimales, dont une impropre. (Pour le nombre zéro, la représentation propre est +0,0000 · · · .) Les autres nombres n’ont qu’une seule représentation, toujours propre. 2.C D ÉFINITION DES NOMBRES R ÉELS ; RELATION D ’ ORDRE Nous avons maintenant les éléments nécessaires pour donner une définition possible des réels. Celle-ci n’est pas la plus directe, mais elle est conforme à l’intuition que l’on a de ces nombres, et à leur pratique dans l’enseignement primaire et secondaire. D ÉFINITION 2.5 On appelle nombre réel toute écriture décimale propre de la forme ±n0 ,α1 α2 · · · , où ± est + ou −, n0 ∈ N, et αi ∈ {0, . . . , 9} pour tout i ∈ N∗ . On note R l’ensemble des nombres réels. Il y a donc une infinité de décimales, et le point essentiel est qu’on ne suppose pas qu’elles se répètent. Mais comme on ne l’interdit pas non plus, on a immédiatement : P ROPRI ÉT É . Tout nombre rationnel est un réel, i.e. Q ⊂ R. Inversement, si les décimales d’un réel se répètent, alors c’est un rationnel ; si elles sont nulles à partir d’un certain rang, c’est un décimal (on a exclu pour le moment les représentations impropres). Si toutes les décimales sont nulles, c’est un entier (égal à ±n0 ). Dans tous ces cas, on continuera à écrire ces nombres sous leur forme classique et non leur développement décimal (par exemple on écrira 0 et non +0,0000 · · · ). On a pour le moment un ensemble « en vrac », sans aucune structure existante. Nous allons ajouter les propriétés que l’on souhaite avoir sur ces réels, à savoir les opérations, etc. Commençons par l’ordre (c’est-à-dire les inégalités). La comparaison à zéro revient simplement à examiner le signe : 5 6 C HAPITRE 2 — N OMBRES R ÉELS D ÉFINITION 2.6 On dit qu’un réel x = ±n0 ,α1 α2 · · · est positif (et l’on écrit x > 0) si ± est + ; et l’on dit qu’il est strictement négatif (et l’on écrit x < 0) dans le cas contraire. On note −x le nombre réel égal à ∓n0 ,α1 α2 · · · , ou à zéro si x = 0. (Ici ∓ signifie le signe opposé à ±.) On dit que x est strictement positif (et l’on écrit x > 0) si −x < 0 ; dans le cas contraire on le dit négatif (et l’on écrit x 6 0). Nous savons tous déjà comment comparer deux nombres écrits en représentation décimale : on regarde les signes, puis la partie principale (devant la virgule), puis éventuellement les décimales successives. Soit écrit en toutes lettres : D ÉFINITION 2.7 Soit deux réels x = ±m0 ,α1 α2 · · · et y = ±n0 ,β1 β2 · · · , non nuls. On dit que x < y si l’un des cas suivants se présente : 1. ou bien x < 0 et y > 0 ; 2. ou bien 0 < x et 0 < y et m0 < n0 ; 3. ou bien 0 < x et 0 < y et m0 = n0 et il existe k ∈ N∗ tel que αi = βi pour tout i < k, et αk < βk ; 4. ou bien x < 0, y < 0 et −y < −x par les règles précédentes. On dit que x > y si −x < −y ; que x 6 y si x < y ou x = y ; que x > y si x > y ou x = y. On a ainsi épuisé tous les cas possibles, donc : P ROPOSITION 2.2 y < x ou x = y. Deux réels sont toujours comparables, c’est-à-dire que ∀x, y ∈ R, x < y ou On dit que « R est totalement ordonné ». Il partage cette propriété avec N, Z et Q. Les définitions ci-avant permettent en fait de comparer deux représentations décimales, mêmes impropres. Dans la suite, nous ne nous limiterons plus aux représentations propres, mais nous utiliserons en plus : D ÉFINITION 2.8 On dit que deux représentations décimales x = ±m0 ,α1 α2 · · · et y = ±n0 ,β1 β2 · · · correspondent au même nombre réel, s’il n’existe aucune autre représentation décimale z telle que x < z < y d’après les règles précédentes. On écrit alors x = y. Le lecteur pourra vérifier que +0,0000 · · · et −0,0000 · · · représentent le même nombre (zéro), ainsi que +0,9999 · · · et +1,0000 · · · (l’entier 1). Inversement, si x et y sont deux représentations décimales propres et différentes, alors elles ne correspondent pas au même nombre réel. P ROPOSITION 2.3 Pour tout réel x, il existe un entier n ∈ Z tel que n > x. Démonstration. Si x = m0 ,α1 α2 · · · > 0, alors on vérifie facilement que n = m0 + 1 convient. Si x = −m0 ,α1 α2 · · · < 0, alors n = −m0 (ou même 0) convient. La propriété suivante montre qu’entre deux réels distincts, on peut en trouver un autre, et même un décimal. P ROPOSITION 2.4 Si x et y sont deux réels tels que x < y, alors il existe un nombre réel, et même un nombre décimal z, tel que x < z < y. Il existe même une infinité de nombres décimaux vérifiant cette double inégalité. 2.D — P ROPRI ÉT É DE LA BORNE SUP ÉRIEURE Démonstration. Commençons par trouver un z adéquat. Si x < 0 < y, il suffit de choisir z = 0. Dans la suite, on examine le cas où x et y sont de même signe. Supposons par exemple que x > 0, l’autre cas étant similaire. Nous écrivons le développement décimal propre de x et y comme dans la définition 2.7. Les décimales de x ne sont pas toutes égales à 9 à partir d’un certain rang (sinon on aurait un développement impropre) ni toutes égales à celles de y (sinon x = y). Soit k le rang de la première décimale de x telle que αk 6= βk (et k = 0 si m0 6= n0 ) ; et soit ` le premier entier supérieur à k tel que α` < 9. Posons α e` = 1 + α` et z = m0 ,α1 . . . α`−1 α e` de sorte qu’il est évident que z est décimal et z > x. Mais on a aussi z < y parce que les k premières décimales de z sont les mêmes que celles de x, et qu’elles sont identiques à celles de y sauf la k-ième. Maintenant que nous savons qu’il existe toujours un décimal entre deux réels distincts, appelons z0 un premier décimal tel que x < z0 < y. Puis appliquons la même propriété à x et z0 (qui est aussi un réel) : il existe donc un z1 tel que x < z1 < z0 < y. On continue ainsi à construire par récurrence zk+1 décimal tel que x < zk+1 < zk < y. Les décimaux construits sont tous distincts et compris entre x et y ; il y en a une infinité. Maintenant que nous savons comparer des réels, nous pouvons parler d’ensembles de réels majorés, bornés, etc. 2.D P ROPRI ÉT É DE LA BORNE SUP ÉRIEURE C’est la propriété cruciale de R. T H ÉOR ÈME 2.2 (B ORNE SUP ÉRIEURE ) Soit A un sous-ensemble non-vide et majoré de R ; alors il admet une borne supérieure. De même, si A ⊂ R est non-vide et minoré, alors il admet une borne inférieure. Rappelons qu’une telle propriété est fausse dans Q. Ce théorème représente le « gain » que nous obtenons en construisant R. Comme nous le verrons ensuite, bien des choses reposent dessus. . . Démonstration. Pour des raisons pratiques, il est un peu plus facile de considérer le cas de la borne inférieure d’abord. Soit donc A un ensemble non-vide et minoré. Supposons dans un premier temps que 0 est un minorant de A, c’est-à-dire ∀x ∈ A, x > 0. Si 0 ∈ A, le problème est réglé : inf A = 0 et A a même un élément minimal. Dans la suite, on supposera que 0 ∈ / A. Cependant, comme A est non-vide, il possède au moins un élément e a > 0. Notons M l’ensemble des minorants de A. Nous cherchons à montrer qu’il admet un élément maximal. Considérons d’abord les majorants entiers : M0 := {n ∈ Z;n ∈ M}. C’est un ensemble d’entiers non-vide (il contient 0) et majoré car tous ses éléments sont inférieurs à e a. Donc d’après le théorème 2.1, il a un élément maximal que nous notons n0 . On voit que n0 ∈ M0 et que n0 + 1 ∈ / M0 , par définition de l’élément maximal : donc n0 ∈ M, mais n0 + 1 ∈ / M. Nous allons construire par récurrence les décimales αi d’un nombre réel n0 ,α1 α2 · · · , qui sera l’élément maximal de M recherché. Supposons donc que pour un certain k ∈ N, nous ayons trouvé α1 , α2 , . . . , αk dans {0, . . . , 9} tels que le nombre décimal µk := n0 ,α1 α2 . . . αk vérifie µk ∈ M et µk + 10−k ∈ / M. (2.1) 7 8 C HAPITRE 2 — N OMBRES R ÉELS Au début, nous avons juste construit n0 , et aucune décimale (k = 0), mais µ0 := n0 vérifie bien la relation ci-dessus. Montrons que l’on peut construire µk+1 à partir de µk . Pour cela, considérons l’ensemble Dk contenant les dix nombres décimaux de la forme n0 ,α1 α2 . . . αk β avec β ∈ {0, . . . , 9}. On remarque que le premier de ces nombres est simplement µk , et comme µk ∈ M, l’ensemble Dk ∩ M n’est pas vide. Comme il ne peut avoir plus de dix éléments, il en possède un plus grand que les autres d’après la proposition 2.1. Notons αk+1 la (k + 1)−ième décimale de celuici, et µk+1 := n0 ,α1 . . . αk+1 . Par définition d’un élément maximal, µk+1 ∈ M, et si αk+1 < 9, alors µk+1 + 10−(k+1) = n0 ,α1 α2 . . . αk β avec β = 1 + αk est dans Dk mais pas dans M. Si αk+1 = 9, alors µk+1 = µk + 9/10k+1 donc µk+1 + 10−(k+1) = µk + 10−k ∈ / M par hypothèse de récurrence. Nous avons donc fini de démontrer (2.1). Notons maintenant µ le nombre réel n0 ,α1 α2 · · · et montrons que µ est le plus grand des minorants de A. Il faut d’abord montrer que µ est un minorant. Considérons donc un élément x ∈ A et montrons que x > µ ; pour cela nous remarquons d’abord que c’est évident si x = µ, donc on suppose x 6= µ dans la suite. Écrivons son développement décimal propre x = m0 ,β1 β2 · · · . Comme on sait que n0 ∈ M, on a n0 6 x, donc n0 6 m0 . Si m0 > n0 , on a tout de suite x > µ d’après la définition 2.7. Supposons donc m0 = n0 ; comme x 6= µ, ils n’ont pas la même représentation décimale : donc on peut trouver un entier k > 0 tel que αi = βi si i < k mais αk 6= βk . Mais nous savons que µk est un minorant de A, donc µk 6 x ; comme µk s’écrit sous la forme n0 ,α1 α2 . . . αk , cela implique αk < βk . Et de ce fait, nous avons prouvé que µ 6 x. Montrons maintenant que µ est le plus grand minorant de A. Pour cela, nous aurons besoin de savoir que la représentation décimale de µ obtenue est propre, c’est-à-dire que les chiffres αi ne sont pas tous égaux à 9 à partir d’un certain rang. Si c’était le cas en effet, nous pourrions noter k le rang de la dernière décimale différente de 9 (k = 0 s’il n’y en a pas), de sorte que αk < 9 mais αi = 9, ∀i > k. Posant α ek := 1 + αk , on voit que n0 ,α1 . . . αk−1 α ek (ou n0 + 1 si k = 0) est la représentation décimale propre de µ. Mais c’est aussi le nombre µk+1 + 10−(k+1) , puisque αk+1 = 9. D’après (2.1), ce nombre n’est pas dans M, ce qui contredit le fait que µ est un minorant. Considérons maintenant un autre minorant ν et supposons par contradiction que ν > µ. En écrivant le développement décimal de ν = m0 ,β1 β2 · · · , montrons d’abord que m0 = n0 . Dans le cas contraire, on aurait m0 > n0 puisque ν > µ ; mais dans ce cas, n0 + 1 est un minorant de A parce que n0 + 1 6 m0 (nombres entiers) et m0 6 ν. Or nous savons que cela n’est pas le cas. Donc il faut que m0 = n0 et l’hypothèse ν > µ implique l’existence d’un k > 0 tel que αi = βi si i < k, et αk < βk (parce que nous avons ici des représentations propres). Cette dernière condition implique à son tour que ν > n0 ,β1 . . . βk > n0 ,α1 . . . αk + 10−k = µk + 10−k . Mais ce dernier nombre n’est pas un minorant de A d’après (2.1), donc ν ne peut pas en être un non plus. Nous avons donc fini de démontrer que tout ensemble de réels non-vide, minoré par zéro, a une borne inférieure. Pour un ensemble non-vide, minoré par un nombre négatif, la démonstration est similaire mais il faut faire attention au signe : les µk sont négatifs, et donc les inégalités sur les décimales sont inversées. Il en va de même pour la démonstration relative aux ensembles majorés. Ou on peut la déduire de l’autre en posant −A := {x ∈ R; −x ∈ A} et en remarquant que sup A = inf(−A). Exercice 2.a Soit x > 0 un réel, écrit en décimal sous la forme n0 , α1 α2 . . . . Notons xk sa troncature à la k-ième décimale, c’est-à-dire le nombre décimal n0 , α1 α2 . . . αk , et X l’ensemble 2.D — P ROPRI ÉT É DE LA BORNE SUP ÉRIEURE de toutes ces troncatures, qui est donc un sous-ensemble de l’ensemble des décimaux. Montrez que x est la borne supérieure de X. Dans quels cas est-il l’élément maximal ? Que peut-on dire dans le cas où x < 0 ? 2.D.1 Intervalles D ÉFINITION 2.9 Soit a, b deux réels. On appelle intervalles ouverts les ensembles suivants : ]a, +∞[ := {x ∈ R ; a < x} ]−∞, b[ := {x ∈ R ; x < b} ]a, b[ := ]−∞, b[ ∩ ]a, +∞[ = {x ∈ R ; a < x < b} et intervalles fermés les ensembles suivants : [a, +∞[ := {x ∈ R ; a 6 x} ]−∞, b] := {x ∈ R ; x 6 a} [a, b] := ]−∞, b] ∩ [a, +∞[ = {x ∈ R ; a 6 x 6 b}. On peut définir aussi des intervalles semi-ouverts et semi-fermés du type ]a, b] par exemple. Notons que [a, +∞[ et ]−∞, a] sont bien des intervalles fermés par définition, malgré le crochet ouvrant du côté de l’infini. Par ailleurs, si b < a, alors ]a, b[ = [a, b] = ∅ d’après la définition. Par contre, si b > a, alors l’intervalle ]a, b[ est non vide (et même contient des décimaux) d’après la proposition 2.4. P ROPOSITION 2.5 Soit a, b des réels avec a < b. Les intervalles ]a, +∞[, ]a, b[ et [a, +∞[ ont tous pour borne inférieure a. Les intervalles ]a, b[, ]−∞, b[ et ]−∞, b] ont tous pour borne supérieure b. Démonstration. Montrons par exemple que I = ]a, +∞[ admet a pour borne inférieure. Par définition, il est clair que I est minoré par a. Soit µ un autre minorant de I, et supposons que µ > a. Dans ce cas, il existe un z tel que a < z < µ d’après la proposition 2.4. Et en particulier z ∈ I, ce qui contredit le fait que µ est un minorant. D ÉFINITION 2.10 On dit qu’un sous-ensemble A non-vide de R est une section finale si ∀a ∈ A, ∀y ∈ R, y > a ⇒ y ∈ A. En d’autres termes A est une section finale s’il contient tous les intervalles de la forme ]a, +∞[, avec a ∈ A. Il est évident qu’un intervalle de la forme ]b, +∞[ est lui-même une section finale, et il en va de même de [b, +∞[ ; et R entier est bien sûr une section finale. Le théorème suivant indique que ce sont les seules : T H ÉOR ÈME 2.3 Soit A une section finale de R. Alors ou bien A = R, ou bien il existe un b ∈ R tel que A = ]b, +∞[ ou A = [b, +∞[. Cette propriété est elle-aussi spécifique à R. Dans Q par exemple, l’ensemble {x ∈ Q ; x > 0 et x2 > 2} est une section finale, mais n’est pas de l’une des formes précédentes : voyez-vous pourquoi ? 9 10 C HAPITRE 2 — N OMBRES R ÉELS Démonstration. Soit A une section finale, et supposons que A 6= R. Montrons d’abord que A est minoré. Pour cela, on note que puisque A 6= R, il existe x ∈ R tel que x ∈ / A. Si a ∈ A, on doit avoir a > x parce que, d’après la définition d’une section finale, x > a ⇒ x ∈ A qui est faux. Nous avons donc montré que x est un minorant de A. Comme A est non-vide par hypothèse (définition des sections finales), et minoré comme on vient de le voir, il admet une borne inférieure notée b. Soit y > b un réel ; comme b est le plus grand minorant de A, y n’est pas un minorant et donc il existe a ∈ A tel que a < y. De ce fait, y ∈ A d’après la propriété de définition des sections finales. Nous avons donc montré que tout réel > b est dans A, autrement dit ]b, +∞[ ⊂ A. Soit maintenant y < b ; il existe un z tel que y < z < b d’après la proposition 2.4. Comme b est un minorant de A on a z ∈ / A. Mais cela implique que y ∈ / A, sinon la propriété de section finale entraı̂nerait z ∈ A. Nous avons donc montré que tout réel < b n’est pas dans A, c’est-à-dire que A ⊂ [b, +∞[. Évidemment seuls les deux intervalles ]b, +∞[ et [b, +∞[ vérifient ces deux inclusions. 2.E O P ÉRATIONS SUR LES R ÉELS Nous savons comment additionner, soustraire, et multiplier des décimaux. Nous allons en déduire comment exécuter les mêmes opérations sur les réels en utilisant les nombres décimaux. Notons cependant qu’on ne peut pas donner une méthode directe. En effet, l’addition de décimaux par exemple doit se faire en partant de la dernière décimale (pour propager les retenues). Mais dans le cas des réels, il n’y a pas de dernière décimale ! Évidemment, si l’on a π = 3,141592654 · · · et e = 2,718281828 · · · , on se doute que π + e = 5,859874482 · · · , mais comment être sûr que les décimales omises ne modifient pas en fait le résultat ? T H ÉOR ÈME ET D ÉFINITION 2.4 Soit x = m0 ,α1 α2 · · · , y = n0 ,β1 β2 · · · deux réels positifs. Pour tout k ∈ N∗ , notons xk := m0 ,α1 . . . αk et yk = n0 ,β1 . . . βk , qui sont des nombres décimaux. Alors l’ensemble A := {x1 + y1 , x2 + y2 , . . .} = {xk + yk : k ∈ N∗ } est majoré. Sa borne supérieure est appelée la somme de x et y : on la note x+y. Si x et y sont rationnels, cela donne la somme habituelle de rationnels. Notons yek := yk + 10−k ; l’ensemble B := {x1 − ye1 , x2 − ye2 , . . .} = {xk − yek : k ∈ N∗ } est majoré également. Sa borne supérieure est appelée différence de x et y, on la note x − y. Si x et y sont rationnels, cela donne la différence habituelle de rationnels. Autrement dit, pour additionner, on tronque les nombres à la k-ième décimale, on ajoute les décimaux obtenus, et finalement on prend le plus petit réel dépassant tous les résultats obtenus de cette façon. Notons que nous n’avons défini pour l’instant que la somme et différence de réels positifs : mais on l’étend à tous les réels en se ramenant à des nombres positifs avec les règles habituelles : par exemple si x > 0, y < 0, alors x + y := x − (−y) et x − y := x + (−y) ; si x < 0, y < 0, alors x + y = −((−x) + (−y)) et x − y = (−y) − (−x), etc. Avec ces extensions, la soustraction n’apparaı̂t plus que comme un cas particulier de l’addition, et en particulier on peut facilement montrer que x − y = x + (−y) pour tout x, y. 2.E — O P ÉRATIONS SUR LES R ÉELS Démonstration. Soit n et m deux entiers tels que n > x et m > y. Comme pour tout k, on a xk 6 x < n, yk 6 y < n, on a xk + yk < n + m et n + m est donc un majorant de A. Donc A admet une borne supérieure µ. Montrons que lorsque x et y sont décimaux, on a bien µ = x + y (avec la somme ordinaire des décimaux). Dans ce cas en effet, toutes les décimales de x sont nulles à partir d’un certain rang k1 et celles de y à partir d’un rang k2 . Pour tout k > max(k1 , k2 ), alors xk + yk = x + y et A est donc en fait un ensemble fini. Comme par ailleurs xk 6 x et yk 6 y pour tout k, on trouve que x + y est en fait l’élément maximal de A, donc aussi sa borne supérieure. La propriété similaire pour les rationnels peut être démontrée en utilisant les propriétés de l’approximation des rationnels par des décimaux. Nous ne la donnons pas ici, mais nous verrons que cela résulte aussi de propriétés plus générales des suites réelles. La démonstration sur B est très similaire ; on a utilisé yek pour avoir −e yk 6 −y. P ROPRI ÉT É . Pour tous réels x, y, z, on a x + y = y + x et x + (y + z) = (x + y) + z. On dit que l’addition est commutative et associative. La démonstration, facile, est laissée au lecteur : elle repose sur le fait que ces égalités sont déjà vraies pour les décimaux. Notons aussi que x + 0 = x pour tout x, ce qui évident d’après la définition. On dit que 0 est élément neutre de l’addition. T H ÉOR ÈME 2.5 Soit x, y des réels tels que x 6 y. Alors, pour tout z ∈ R, on a x + z 6 y + z. On dit que l’addition préserve l’ordre. Démonstration. Examinons par exemple le cas où les trois nombres x, y, z sont positifs (les autres cas sont similaires). Notons xk , yk , zk leur troncature à la k-ième décimale. Comme x 6 y, on a xk 6 yk d’après la règle de comparaison donnée dans la définition 2.7. Donc aussi xk +zk 6 yk + zk . Comme yk + zk 6 y + z par définition de la somme, on a donc xk + zk 6 y + z : ainsi y +z est un majorant de l’ensemble des (xk +zk ) ; il est donc plus grand que sa borne supérieure x + z. On déduit facilement que si x 6 y et a 6 b, alors x + a 6 y + b (faire deux étapes). De plus, toutes ces propriétés sur les inégalités larges sont aussi vraies avec des inégalités strictes. D’après l’écriture décimale π = 3,141592654 · · · et e = 2,718281828 · · · , on voit que 3,141592654 6 π 6 3,141592655 et 2,718281828 6 e 6 2,718281829 ; donc par addition, on trouve que 5,859874482 6 π + e 6 5,859874484. Ainsi les premières décimales de π + e sont bien 5,85987448, mais on n’est pas sûr de la suivante (il faudrait connaı̂tre des décimales supplémentaires dans les nombres initiaux). C’est là un problème classique (et grave) en informatique, où les calculs sur les « nombres à virgule flottante » (c’est-à-dire des « décimaux » en base 2) impliquent des troncatures. La multiplication et la division de deux réels se définissent de manière similaire : il faut commencer par des nombres positifs (non-nul pour le dénominateur dans la division), et prendre la borne supérieure de xk yk pour définir xy et de x/e yk pour x/y (dans ce dernier cas, on se limitera aux valeurs de k pour lesquelles yk 6= 0). Les définitions s’étendent aux autres réels avec les règles de signe bien connues. Les propriétés de la multiplication et de la division de réels sont bien connues, nous ne les détaillons pas ici. Le lecteur est invité à écrire les équivalents des théorèmes précédents pour ces opérations. P ROPOSITION 2.6 ny > x. Pour tout réel x, et pour tout réel y > 0, il existe un entier n ∈ Z tel que 11 12 C HAPITRE 2 — N OMBRES R ÉELS C’est une propriété très simple, partagée par N, Z et Q, mais que tous les ensembles n’ont pas. En hommage à Archimède qui l’avait utilisée de manière intensive pour sa « méthode d’exhaustion », on dit que « R est archimédien ». Démonstration. Appliquer la proposition 2.3 à x/y. L’ensemble des nombres réels, doté de sa relation d’ordre < et de ces opérations est un corps totalement ordonné (pour une définition détaillée de ces termes, voir cours d’algèbre) ; c’est le seul qui soit aussi archimédien et complet (c’est-à-dire satisfaisant la propriété de la borne supérieure, en l’occurence). Ainsi R est unique.