REPERCUSSION DE L`ORTHODONTIE SUR LA SANTE PULPAIRE

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Formation l Endodontie
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b
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Répercussions de l’orthodontie
sur la santé pulpaire
CPEA
Rubrique dirigée par Pierre Machtou et Dominique Martin
Arnaud Costi
Les déplacements orthodontiques sont
possibles grâce à un jeu d’apposition/résorption
au niveau de l’os alvéolaire.
Les tissus constitutifs des dents ne participent
pas à proprement parler à ces phénomènes,
mais peuvent y être associés de près ou de loin.
Il est donc légitime de se poser la question
de l’innocuité des traitements orthodontiques
sur la santé pulpaire. Nous allons tenter
d’élucider ce protblème, analysant
successivement les effets directs et indirects,
que l’orthodontie est supposée avoir
sur le complexe dentino-pulpaire.
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Effets directs supposés
La force orthodontique constitue-t-elle
une agression physique pour la pulpe ?
Les derniers travaux réalisés dans le domaine de la biologie moléculaire ont mis en évidence la place centrale de
certaines cellules, dites « mécano-sensibles », capables
de percevoir les contraintes mécaniques et d’avertir les
autres cellules, en vue d’une réponse spécifique.
Au niveau du tissu osseux par exemple, l’ostéocyte
jouerait un rôle de sentinelle, transmettant l’information, tantôt aux ostéoblastes, spécialistes de l’apposition osseuse, tantôt aux ostéoclastes responsables de la
résorption [1].
L’INFORMATION DENTAIRE n° 15 - 17 avril 2013
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d
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1. Vues occlusales maxillaires et latérales
droites d’un patient de 12 ans avec
une occlusion inversée postérieure
droite corrigée à l’aide d’un disjoncteur :
situation initiale (a et d) ;
après 3 semaines d’activation et 1 mois
de stabilisation, les bras latéraux ayant
été coupés (b et e) ;
et après un mois de contention
avec un arc transpalatin (c et f).
Malgré l’intensité de la force délivrée,
qui a permis d’obtenir une action
orthopédique sur la suture intermaxillaire,
comme le prouve l’apparition du diastème
interincisif, aucune symptomatologie
pulpaire n’a pu être enregistrée au niveau
des molaires.
La pulpe, elle aussi, est capable de ressentir les
contraintes physiques extérieures, en particulier
grâce aux cellules vasculaires et nerveuses qu’elle
abrite en son sein et qui agissent en synergie.
Une force orthodontique peut ainsi provoquer,
au niveau pulpaire, une libération de neuropeptides (SP, CGRP [2]) qui vont stimuler la sécrétion
de cytokines et de molécules pro-inflammatoires
(Il-1,6, TNFa) [3]. L’inflammation qui en résulte,
va se manifester par une augmentation du nombre
de micro-vaisseaux [4], une vasodilatation, une perturbation du flux sanguin intrapulpaire, et par une
sensation douloureuse [5]. Cet état de pulpite, qui
survient dans les 2 heures suivant l’application d’une
force orthodontique, ne dure généralement pas plus
de 72 heures. Autrement dit, la réaction pulpaire
post-orthodontique, si elle existe, est généralement
transitoire et réversible [6].
Les études histologiques ont montré par ailleurs
des signes de dégénérescence localisés avec une
diminution de l’activité cellulaire (diminution de la
production de phosphatase alkaline [7]), la survenue
d’apoptose et de nécrose (augmentation de l’enzyme
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f
AST [8]) au niveau des odontoblastes qui tapissent la
pré-dentine. Là encore, ce phénomène de « vieillissement tissulaire prématuré » reste localisé et réversible dans le temps [9]. L’évolution vers la nécrose
généralisée ou l’apparition de lacune de résorptions
radiculaires internes visibles radiologiquement reste
fort heureusement rarissime.
La revue de littérature systématique publiée en
novembre 2012 par Von Böhl et coll. [10] abonde
dans ce sens. Les 24 études retenues ne permettent
pas d’établir à ce jour un lien de cause à effet entre
l’application d’une force orthodontique et l’apparition d’une pathologie pulpaire chez l’Homme, et ce
quelle que soit l’intensité de la force appliquée. Des
modifications histologiques, cellulaires ou moléculaires ont certes été observées immédiatement
après l’application d’une force, mais nous n’avons
quasiment aucun renseignement sur les répercussions pulpaires à moyen et long terme. Or, il y a
fort à parier qu’au bout de quelques jours, quelques
semaines, tout soit revenu à la normale.
L’intensité de la force ne représente pas en tant que
tel un facteur de risque. L’âge du patient et la maturité de la dent semblent être des éléments beaucoup
plus discriminants [11]. C’est peut-être la raison
pour laquelle des forces lourdes dites « orthopédiques » peuvent être appliquées chez les jeunes
enfants et adolescents sans répercussions pulpaires
[12] (fig. 1).
Les contraintes exercées sur l’apex
risquent-elles de léser le paquet
vasculo-nerveux ?
Certains déplacements orthodontiques visent à
déplacer l’apex des dents, parmi lesquels l’ingression
et le torque (fig. 2). Qu’advient-il du paquet vasculonerveux ? Doit-on redouter, à l’instar des luxations
traumatiques, une compression ou, au contraire, un
étirement excessif, capable d’engendrer une ischémie et à terme une nécrose aseptique ?
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2. Schéma représentant l’ingression (a) et le torque radiculaire (b).
F = force, M = moment, CR = centre de résistance.
L’ingression et le torque radiculaire sont en effet des
mouvements à risques, mais la pression va être absorbée dans un premier temps par les tissus durs que
sont le cément et la dentine. Il est fréquent de voir
apparaître un émoussement de l’apex voire un léger
raccourcissement de celui-ci (fig. 3c). Et pourtant, la
vitalité pulpaire est conservée [13].
En fait, les résorptions inflammatoires associées aux
traitements orthodontiques n’ont pas pour origine
un irritant, une bactérie intracanalaire, mais bel et
bien une pression mécanique extérieure, à savoir la
force orthodontique. Dans ces conditions, un traitement endodontique n’a aucun intérêt [14]. Seul l’arrêt
de la pression orthodontique mettra fin à la progression de ces résorptions radiculaires externes et permettra aux phénomènes de réparation de reprendre
le dessus [15].
L’instrumentation rotative engendre-telle une agression thermique ?
Certains gestes orthodontiques nécessitent une instrumentation rotative. C’est le cas notamment de la
« réduction amélaire proximale », plus connue sous
le nom de « stripping », qui permet de résoudre des
encombrements modérés, en particulier chez l’adulte ;
ou lors du débaguage, lorsqu’il s’agit de retirer la colle
et de polir les dents.
L’échauffement constitue effectivement une source
d’agression pulpaire, mais il peut être aisément évité
en utilisant l’eau et l’air de refroidissement (intégrés
aux turbines et contre-angles) [16].
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Effets indirects supposés
La carie et ses complications
Le complexe dentino-pulpaire peut être la cible d’une
attaque carieuse, avant, pendant ou après le traitement
orthodontique. Très souvent, le problème préexistait,
mais il n’a pas été pris en charge : les mauvaises langues auront vite fait d’incriminer l’orthodontie.
Il va de soi qu’un assainissement carieux, endodontique
et parodontal s’impose avant le collage des attaches. La
qualité des soins existants, leur étanchéité coronaire
doivent être réévaluées pour éviter toute percolation
bactérienne, toute récidive carieuse. D’ailleurs, il n’est
pas rare qu’une nécrose se développe à bas bruit sous
un ancien composite ou un volumineux amalgame et
que la dent ne devienne symptomatique qu’à la suite
d’une réactivation de l’appareil. Il ne faudrait pas en
conclure pour autant que l’orthodontie est à l’origine
du problème infectieux.
En revanche, il est vrai que l’appareillage orthodontique, plus ou moins volumineux, rend l’accès au
brossage un peu plus difficile. Pour les patients qui
présentent déjà un risque carieux élevé, il faut peser
le rapport bénéfice/risque avant de coller les attaches
et faire des réévaluations fréquentes par la suite,
quitte à tout arrêter en cours de route, dans l’intérêt
du patient.
L’émail est en première ligne. Des taches de déminéralisation, plus connues sous le nom de « white
spot lésions », peuvent apparaître à la périphérie des
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attaches, et si la mauvaise hygiène persiste, ces taches
peuvent se transformer en cavitations et atteindre
ainsi de façon pernicieuse le complexe dentino-pulpaire [17].
L’orthodontie intervient donc comme un facteur
aggravant puisqu’elle complique l’accès à l’hygiène,
mais c’est un problème qui est loin d’être insurmontable. Il suffit d’utiliser le matériel de brossage adapté,
de façon assidue, et d’effectuer des contrôles réguliers
chez le chirurgien-dentiste, pendant toute la durée du
traitement. Ce dernier pourra éventuellement proposer une supplémentation fluorée, des bains de bouche
ou d’autres moyens prophylactiques.
Les traumatismes
et leurs complications
De même, les dents peuvent subir un traumatisme,
avant, pendant ou après le traitement orthodontique.
Il se trouve que c’est précisément entre 8 et 12 ans,
l’âge orthodontique ou pré-orthodontique, que surviennent la plupart des traumatismes dentaires. Par
ailleurs, certaines malocclusions comme une proalvéolie, prédisposent aux fractures ou aux luxations des
incisives. Il n’est donc pas étonnant que les patients,
qui nécessitent un traitement orthodontique, soient
plus enclins que les autres à subir ou à avoir subi des
traumatismes.
Face à une nécrose pulpaire, comment faire la part
des choses entre ce qui a été causé par un traumatisme et ce qui est lié à l’orthodontie ? C’est justeL’INFORMATION DENTAIRE n° 15 - 17 avril 2013
3. Bilan rétro-alvéolaire
des secteurs antérieurs
maxillaires
et mandibulaires :
à 12 ans, avant traitement
(a) ; à 14 ans, après
expansion maxillaire
grâce à un quadhélix (b) ;
à 16 ans, en cours de
traitement orthodontique
multiattache (c). Il faut
noter que les images
radioclaires appendues
aux apex de 31 et 41
sont apparues bien avant
la pose de l’appareillage
mandibulaire : la nécrose
pulpaire n’est donc pas
d’origine orthodontique
mais plutôt traumatique.
ment là que l’anamnèse médicale, le bilan clinique
et radiographique pré-orthodontique revêtent toute
leur importance. Une analyse fine des documents,
notamment des clichés rétroalvéolaires des incisives,
peut révéler des antécédents de traumatismes passés
inaperçus (fig. 3).
Dans une étude rétrospective avec groupe contrôle,
Brin [18] a montré que le déplacement orthodontique
augmentait les risques de complications post-traumatiques : comme quoi, « traumatisme » et « orthodontie » ne font pas toujours bon ménage. L’orthodontie
doit-elle pour autant être contre-indiquée dès lors
qu’une dent a subi un choc ?
La réponse est bien évidemment NON, à moins que
la dent ne se soit ankylosée, auquel cas, elle ne serait
plus en mesure d’être déplacée, faute de ligament
alvéolo-dentaire. Toutefois, le traitement orthodontique devra être entrepris en respectant certaines
règles qui relèvent du bon sens. Au préalable, il faudra évaluer la santé dentaire et parodontale de chaque
dent, en particulier celle des incisives, qui sont en
première ligne. Le traitement endodontique, s’il est
indiqué, sera entrepris ou du moins initié avant la
pose de l’appareillage [19]. Par mesure de précaution,
les forces appliquées seront légères, les mouvements
de torque ou d’ingression seront limités et contrôlés.
Un suivi pulpaire et parodontal sera assuré de façon
concomitante par le chirurgien-dentiste ou l’endodontiste, pour ne pas passer à côté d’une éventuelle
dégradation, et ce malgré l’application de forces
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légères. En effet, comme le stipulent les dernières
recommandations de l’IADT [20], une dent traumatisée doit faire l’objet d’une surveillance rapprochée
sur une durée de 1 à 5 ans en fonction du type, de
l’intensité du traumatisme et du stade d’édification
radiculaire. D’où l’importance d’une étroite collaboration entre l’orthodontiste d’une part, le dentiste ou
l’endodontiste d’autre part.
Conclusion
L’orthodontie, telle qu’elle est pratiquée de nos jours,
ne représente pas un réel danger pour la pulpe. Les
réactions pulpaires qui peuvent survenir immédiatement après l’application d’une force sont généralement de faible amplitude et conservent, dans
l’immense majorité des cas, un caractère réversible.
Lorsqu’une nécrose pulpaire est dépistée au cours ou
à la suite d’un traitement orthodontique, il faut s’interroger sur son origine : une attention toute particulière doit être accordée aux antécédents traumatiques,
au dépistage des caries et de leurs complications, ainsi
qu’à la qualité des soins déjà réalisés.
Il faut bien garder à l’esprit que l’orthodontie est
l’une des disciplines de l’art dentaire les moins
mutilantes. Dans le cadre de plans de traitements
pluridisciplinaires, elle permet même, grâce à des
réaménagements pré-prothétiques, de préserver la
vitalité pulpaire.
Auteur
Arnaud Costi
Ancien interne en odontologie Paris 7
Spécialiste qualifié en orthopédie dento-faciale
Assistant hospitalo-universitaire Paris VII
Correspondance
21, avenue Niel - 75017 Paris
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