Tumor Budding dans le carcinome colorectal

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H i g H l i g H t s 2 011 : Pat H o l o g i e
Tumor Budding dans le carcinome colorectal:
une vedette sur le banc des remplaçants?
Alessandro Luglia, Gieri Cathomasb
a
b
Klinische Pathologie, Institut für Pathologie, Universität Bern
Kantonales Institut für Pathologie, Liestal
Introduction
Alessandro Lugli
Les auteurs ne
déclarent aucun
soutien financier ni
d’autre conflit
d’intérêt en
relation avec cet
article.
Quel joueur disponible est le meilleur pour gagner le
match et doit donc être envoyé sur le terrain par l’entraîneur, cela fait souvent l’objet de discussions très
animées chez les fans de football. Elles le sont tout
autant aujourd’hui encore pour la question de savoir
quels sont les facteurs pronostiques les plus importants du carcinome colorectal (CCR). Il ne s’agit malheureusement ici pas d’un match, mais souvent de vie
ou de mort. Chaque année, en Suisse quelque 4000 personnes ont un CCR et 1600 en meurent. L’introduction
d’une chimiothérapie adjuvante a nettement amélioré
la survie à 5 ans, mais chez le patient individuel la
question se pose encore de savoir s’il profite d’un traitement adjuvant ou si tout autre traitement est inutile
[1, 2].
Les stades tumoraux selon l’Union Internationale
Contre le Cancer (UICC), basés sur l’expansion de la
tumeur d’après la classification TNM, sont aujourd’hui
encore la solide colonne vertébrale de l’estimation
du pronostic. Un important paramètre est l’absence
(stade II) ou la présence de métastases ganglionnaires
(stade III); ce dernier stade se traite généralement par
chimiothérapie adjuvante de nos jours. Il s’est cependant avéré qu’un sous-groupe de patients au stade II a
une évolution tout aussi défavorable, voire pire que
ceux ayant des métastases ganglionnaires, et il serait
maintenant important que ces patients à haut risque
reçoivent un traitement adjuvant, mais sans en exposer un grand nombre inutilement.
La classification TNM comporte déjà le degré de différenciation (grading, G) d’autres descripteurs (facultatifs) tels qu’invasion lymphatique (L), veineuse (V)
et périneurale (Pn). D’autres facteurs sont venus s’y
ajouter, dont la configuration du front de la tumeur
(infiltratif ou expansif), la perforation de la séreuse,
lesdits tumor deposits (foyers tumoraux isolés dans
le tissu péricolique) ou l’expansion de l’atteinte circonférentielle [3]. La liste des marqueurs immunohistochimiques et moléculaires examinés est encore plus
longue [4]. Ces derniers ont pris de la valeur surtout
comme marqueurs prédictifs de la réponse à un traitement ciblé. Mentionnons la recherche de la mutation K-RAS qui permet de n’attendre une réponse à un
traitement anti-EGFR (cétuximab, panitumimab) que
dans le type sauvage. D’autres marqueurs moléculaires pronostiques sont les mutations B-RAF et l’instabilité des microsatellites. De nombreux autres marqueurs, surtout immunohistochimiques, décrits dans
la littérature ont souvent le même destin tragique: ils
sont abandonnés à cause du manque de reproductibilité, de validation et de standardisation, parfois peutêtre à tort.
Nous tenons à présenter ici un marqueur morphologique pronostique archi connu mais souvent sous-estimé,
le Tumor Budding (TBU) ou bourgeonnement tumoral.
Définition et aspects pathogénétiques
du Tumor Budding (TBU)
Le TBU est défini comme la preuve microscopique de
cellules tumorales isolées ou en groupes (jusqu’à 5 cellules au maximum) dans le front d’invasion du carcinome [5]. Il faut le distinguer de la configuration du
front tumoral, jugée sur le faible grossissement. Un
budding dit significatif (high grade) se trouve dans
20–40% des CCR (fig. 1 x). Biologiquement, le bourgeonnement tumoral est l’expression morphologique
d’une transition épithélio-mésenchymateuse (EMT),
qui est une importante condition de l’infiltration de la
tumeur dans les vaisseaux lymphatiques et sanguins
[6]. Les cellules s’isolent après la perte de molécules
d’adhésion (par ex. E-cadhérine) pour préparer le
stroma environnant à leur invasion en libérant des enzymes (par ex. métalloprotéines matricielles comme
MMP2 ou MMP9) et d’autres signaux. Fait surprenant,
les cellules ayant ce phénotype mésenchymateux montrent
une très faible prolifération, ceci malgré un potentiel
d’agression accru des cellules tumorales individuelles.
Il semble donc que d’autres facteurs entrent en jeu au
front d‘expansion, à savoir la réponse immunitaire locale et le rapport entre les bourgeons tumoraux (buds)
comme «attaquants» et les lymphocytes CD-8 positifs
comme «défenseurs» [7].
Rôle pronostique du Tumor Budding
De très nombreuses études de ces dernières années se
sont intéressées à l’association TBU et paramètres clinicopathologiques. Indépendamment du stade tumoral
global, le TBU semble être associé à un stade T supérieur avec invasion de vaisseaux lymphatiques et sanguins, de même qu’à la présence de métastases ganglionnaires et à distance. Plusieurs études multivariables
viennent en outre à l’appui de l’indépendance pronostique du TBU sur le stade TNM [8, 9]. En conséquence
de quoi le TBU a été ajouté dans la dernière classification de l’OMS comme nouveau facteur pronostic officiel
du CCR [3].
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été démontré il y a plusieurs années déjà que dans les
biopsies prélevées avant l’opération, la mise en évidence de nombreux bourgeons tumoraux était en corrélation avec un envahissement ganglionnaire confirmé
par la suite dans les pièces de résection [15]. Du fait
qu’il va de soi que les biopsies ne se font pas sur le front
d’invasion mais au milieu de la tumeur, le budding intratumoral (ITB) a été opposé au budding péritumoral
(PTB). Les études les plus récentes confirment que l’ITB
peut être utilisé pour juger de la prise en charge préopératoire, notamment en ce qui concerne les éventuelles
métastases ganglionnaires [16].
Discussion et perspectives
Figure 1
Tumor Budding dans le CCR: A: vue du front d’invasion d’un adénocarcinome du côlon
(HE, 50x). B: détail avec cellules tumorales bien reconnaissables (isolées et en petits
groupes [buds]; HE, 400x). C: immunohistochimie avec anticorps anti-cytokératine (CK22)
permettant une meilleure visualisation des cellules cancéreuses (400x).
Tumor Budding dans le diagnostic courant
En pratique courante, le TBU peut intervenir dans la prise
en charge du patient dans les 3 situations suivantes:
Carcinomes pT1 dans les polypectomies
Les carcinomes invasifs dans les polypectomies sont la
plupart du temps des découvertes fortuites. Ces carcinomes pT1 présentent un risque faible, mais évident
d’avoir déjà fait des métastases ganglionnaires [10].
Dans plusieurs études, le TBU – en plus d’autres critères
histologiques tels que stade tumoral, invasion de vaisseaux lymphatiques et sanguins ou profondeur de l’infiltration dans la sous-muqueuse – s’est avéré être un
bon marqueur de la probabilité d’une éventuelle métastase ganglionnaire et du même fait d’une résection
chirurgicale à envisager [11, 12].
Traitement adjuvant du CCR au stade II
Comme cela a été présenté en introduction, les CCR de
stade II peuvent évoluer de très différentes manières
malgré l’absence de découverte de métastases ganglionnaires. Plusieurs études ont montré qu’un très important budding implique un mauvais pronostic et peut
donc influencer dans une grande mesure la décision
d’effectuer une chimiothérapie adjuvante chez un patient ayant un CCR de stade I [13, 14].
TBU à la biopsie
Dans les 2 situations ci-dessus, le TBU est examiné sur
le matériel réséqué ou les polypectomies. Il a cependant
Une question se pose, celle de savoir pourquoi le TBU
n’est pas beaucoup plus largement utilisé de routine
pour la planification du traitement. Comme c’est si souvent le cas la raison en est l’absence de standardisation:
au moins 4 différents systèmes de scoring sont décrits
dans la littérature et tous ont montré qu’ils sont en corrélation avec le pronostic [8, 9, 13, 14]. Mais il manque
un système d’appréciation unanimement reconnu, tel
que nous le connaissons d’autres examens, par ex. le
comptage des mitoses dans des champs microscopiques
très précisément définis (high power fields, HPF), tel qu’il
s’est imposé dans de nombreuses tumeurs. Une telle
standardisation devrait permettre d’utiliser le bourgeonnement tumoral dans le diagnostic et la prise en
charge des patients de routine ou, comme dans l’image
présentée en introduction, ne pas laisser le TBU sur le
banc des remplaçants mais l’exploiter dans l’évaluation
du CCR comme le meilleur joueur pour la décision clinique.
Correspondance:
Prof. A. Lugli
Leiter Klinische Pathologie
Institut für Pathologie
Universität Bern
Murtenstrasse 31
CH-3010 Bern
alessandro.lugli[at]pathology.unibe.ch
Prof. G. Cathomas
Chefarzt
Kantonales Institut für Pathologie
Kantonsspital Liestal
Mühlemattstrasse 11
CH-4410 Liestal
gieri.cathomas[at]ksli.ch
Références
Vous trouverez la liste des références en ligne sous www.medicalforum.ch
en annexe à l’article.
Forum Med Suisse 2012;12(3):54–55
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Tumor Budding beim kolorektalen Karzinom: ein Spitzenspieler auf
der Ersatzbank? /
Tumor Budding dans le carcinome colorectal: une vedette sur le
banc des remplaçants?
Literatur (Online-Version) / Références (online version)
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