La Canso 800 ans apres la Croisade contre les Albigeois n°5 - juin 2009 Édito E ncore aujourd’hui, bien souvent, lorsqu’on évoque le Moyen Âge, l’époque de la féodalité, on imagine des temps de barbarie et d’obscurantisme. Et il est vrai que la Croisade contre les Albigeois, ses épisodes sanglants et ses manifestions de cruauté n’encouragent guère à réviser ces idées reçues. Pourtant, on ne saurait réduire les temps médiévaux à l’expression de cette violence. N’oublions pas que ce fut aussi une époque où, dans le Midi, s’est développée une forme de littérature originale et novatrice, la poésie lyrique des troubadours, donnant ainsi une valeur nouvelle à une langue jugée jusqu’alors indigne d’être écrite, la langue d’oc. et anniversaire que nous commémorons a ujourd’hui doit nous permettre de découvrir cette culture qui fut la nôtre, qui vit encore lorsqu’on lit ou lorsqu’on écoute un poème de Ramon de Miraval ou de Peire Cardenal. La table ronde de Limoux consacrée le 19 juin à « la culture méridionale au XIIIe siècle » fut une invitation à l’évasion, au voyage dans un monde plus serein, un monde de vraies valeurs, d’art et de culture. C Marcel Rainaud Sénateur de l’Aude Président du Conseil général Ramon de Miraval (BNF, ms fr 12473, f° 52) La Croisade des Barons De la conquête de la vicomté de Carcassonne à la croisade contre Toulouse L’automne 1209, des premières conquêtes à la mort de Trencavel D evenu vicomte de Carcassonne, Simon de Montfort doit faire face à une situation difficile : nombreux sont les seigneurs croisés qui, considérant qu’ils ont rempli leurs obligations, souhaitent rentrer chez eux. C’est donc à la tête d’effectifs considérablement réduits que Montfort entreprend la conquête des domaines qui lui ont été concédés. Car, s’il en a le titre, il est loin d’avoir la jouissance de l’ensemble de la vicomté : certes, Carcassonne et Béziers sont prises ; Narbonne, ainsi que quelques autres bourgs, s’est ralliée mais de nombreux vassaux, fidèles à Trencavel, résistent. Après avoir laissé des hommes d’armes à Carcassonne, Montfort se dirige sur Alzonne, puis sur Fanjeaux où il ne rencontre aucune résistance, ce que confirme Pierre des Vaux-de-Cernay dans sa chronique : « la plupart des châteaux de la région avaient été par crainte des croisés complètement abandonnés ». Par sa situation géographique, au carrefour de plusieurs routes (vers le Toulousain, le pays de Foix, le Razès et l’Albigeois), Fanjeaux constitue un point stratégique qui ne manque pas d’intérêt. De là, l’armée croisée se rend à Castres où les habitants lui rendent hommage et lui livrent la ville. Après avoir soumis une partie du diocèse d’Albi et installé une garnison à Limoux, Montfort assiège Preixan, fief du comte de Foix ; ce dernier vient lui faire allégeance, lui donne son fils en otage et lui remet la place forte convoitée. ans ce pays désormais en grande partie sous la domination des croisés, un château devient le symbole de la résistance armée : le château de Cabaret (actuelle commune de Lastours). Pierre des Vaux-de-Cernay s’en émeut : « Forteresse des environs de Carcassonne, presque imprenable et défendue par de nombreux chevaliers, Cabaret résistait plus que les autres à la chrétienté et à notre comte. C’était un foyer d’hérésie ». En novembre 1209, Bouchard de Marly, qui avait reçu de Simon de Montfort la seigneurie de Saissac, se dirige vers Cabaret à la tête d’une petite troupe de chevaliers. Il tombe dans une embuscade et il a le dessous : il est fait prisonnier avec quelques-uns de ses compagnons. Les attaques contre les garnisons mises en place par les croisés se multiplient et à l’entrée de l’hiver, Montfort a perdu plus de quarante places fortes. uelque temps auparavant, le 10 novembre 1209, Raimond Roger Trencavel meurt dans sa prison (qui, si on en croit Joseph Poux, ne saurait être identifiée avec la Tour Pinte comme le prétend une tradition locale). L’auteur de la première partie de La Cansó, Guillaume de Tudèle y voit une mort naturelle : « Mais ce qui doit arriver nul ne peut l’éviter. Le vicomte fut pris à ce moment-là, ce me semble, du mal de dysenterie, dont il lui fallut mourir ». En complète contradiction avec ce point de vue, le continuateur D Q À découvrir La Tròba. Anthologie chantée des troubadours, XIIe et XIIIe siècles Avec le soutien de la Région LanguedocRoussillon et du CIRDOC, Gérard Zucchetto a entrepris depuis 2007 de faire découvrir au grand public les chansons des troubadours dont la notation musicale nous est parvenue par les manuscrits médiévaux. Ce projet ambitieux comprendra 8 coffrets, contenant chacun 4 CD-Rom et des livrets donnant la transcription et la traduction intégrale des textes. A ce jour, trois coffrets ont été édités. Le troisième vient juste de sortir. Le « Troubadours Art Ensemble » y interprète, entre autres, des poèmes de Peire Vidal, de Raimbaut de Vaqueiras, de Perdigon ou de Ramon de Miraval. Une manière originale d’aborder et d’apprécier la poésie lyrique méridionale. Édité par le Conseil général de l’Aude Centre administratif départemental 11855 Carcassonne cedex 9 Directeur de la publication : Alain Tarlier Rédaction : Archives départementales de l’Aude 41 avenue Claude Bernard 11855 Carcassonne cedex 9 Responsable de la rédaction : Sylvie Caucanas Photographies : A. Estieu, A. Fernandez (Archives départementales) ISSN : 4141-0180 R Tirage : 3 000 exemplaires, publication gratuite Compogravure : t2p numéric 04 68 77 22 22 Impression : De Bourg - Narbonne de La Cansó voit dans cette mort un crime perpétré sur l’ordre des croisés. Maladie ou crime, il est bien difficile de trancher. Toujours est-il que cette mort vient conforter la position de Simon de Montfort à la tête de la vicomté. ’hiver interrompt les combats. En mars 1210, un nouveau contingent de croisés vient en Languedoc renforcer les troupes de Simon de Montfort. L’armée peut passer de nouveau à l’offensive. L Du printemps à l’automne 1210 : à l’assaut des châteaux et des villages A u printemps 1210, Montlaur se soulève contre la garnison française qui occupe le village. La répression ne se fait pas attendre et Montfort fait pendre les habitants qui ne se sont pas enfuis. Les croisés entreprennent de reconquérir le terrain qu’ils avaient perdu à l’automne et d’étendre leurs conquêtes. Bram assiégé ne résiste aux assauts que trois jours. Le traitement subi est des plus cruels : « quant aux défenseurs de cette place, plus d’une centaine eurent les yeux crevés, le nez coupé : un seul fut éborgné afin de mener à Cabaret le cortège ridicule de nos ennemis » (Pierre des Vaux-de-Cernay). Le résultat est immédiat : les populations sont frappées de terreur et le Minervois se soumet. Seule la cité de Minerve et le château de Ventajou, près de Félines, résistent. En avril, le château d’Alaric tombe aux mains de l’armée croisée. ers la mi-juin, le comte de Montfort prend position devant Minerve. Protégée par deux ravins très profonds, la ville paraît imprenable. Mais l’armée croisée, qui a reçu le renfort de troupes d’Ile-de-France et qui, de surcroît, a obtenu le concours du vicomte de Narbonne, est nombreuse et bien armée. Elle dispose de machines de guerre : deux mangonneaux et une « grande et excellente » pierrière surnommée « Malevoisine ». Le résultat ne se fait pas attendre : de larges brèches dans les remparts et au bout de quelques jours les vivres qui manquent. Le seigneur Guillaume de Minerve capitule. Les croisés pénètrent dans la ville au chant du Te Deum. Cent quarante cathares, qui ont refusé d’abjurer leur foi, périssent par le feu. A près la prise de Minerve le 22 juillet 1210, les redditions se précipitent. C’est d’abord le seigneur de Ventajou, puis Aimery, seigneur de Montréal. Et la guerre se poursuit : tout le pays doit se soumettre à Simon de Montfort, le nouveau vicomte de Carcassonne. C’est au tour de Termes d’être assiégé. Pierre des Vaux-de-Cernay est fortement impressionné par le site : « Termes… était d’une force étonnante et incroyable. Il semblait humainement tout à fait imprenable : il était bâti au sommet d’une haute montagne sur un grand rocher naturel, entouré de ravins profonds et inaccessibles… De plus, à un jet de pierre du château, un piton isolé portait un fortin de petite dimension, mais d’une grande solidité, nommé Termenet ». Le siège dure neuf mois, les assiégés résistent avec vaillance et Guillaume de Tudèle, qui pourtant leur est hostile, leur rend hommage dans La Cansó : « Jamais ne dit-on aussi solide garnison que celle qui occupait ce château… Il s’y fit maint corps à corps, maint arçon y fut rompu, il y eut force chevaliers et force robustes Brabançons tués [il s’agit de mercenaires], mainte enseigne et maint beau gonfalon perdus que les assiégés emportèrent de force là-haut dans leur donjon, en dépit des efforts des croisés, qu’ils le voulussent ou non. Ni mangonneaux, ni pierriers ne faisaient aucun mal aux assiégés, qui avaient des vivres en abondance, de la viande fraîche et du lard salé, du vin et de l’eau pour boire et du pain à foison. V Les ruines du château de Minerve au début du XXe siècle (A. D. Aude, 2 Fi 1378) Si le Seigneur Dieu ne leur avait envoyé quelque fléau, comme il fit par la suite en leur donnant la dysenterie, ils n’eussent jamais été pris ». Dans la nuit du 22 au 23 novembre, les assiégés, démoralisés par les bombardements et les travaux de sape, affaiblis par la maladie, cherchent à s’enfuir. Montfort s’empare du château. Raymond de Termes est fait prisonnier. e retentissement de la prise de Termes frappe les esprits, tout autant que l’avait fait la prise de Minerve. D’autres forteresses tombent, pratiquement sans combats : Coustaussa, Puivert. À la fin de l’année 1210, Simon de Montfort a étendu ses conquêtes très loin au sud de Carcassonne et s’est rendu maître des plus importants bastions de résistance, à l’exception toutefois de Cabaret. L La croisade contre le comté de Toulouse E n juin 1209, le comte de Toulouse, Raymond VI, a fait sa soumission à la papauté ; il a obtenu la levée de son excommunication et réussi à détourner de ses terres l’armée croisée, la laissant s’attaquer à son vassal et neveu Raymond Roger Trencavel. Mais en septembre, après le refus des consuls de Toulouse de livrer les hérétiques de leur ville, les légats pontificaux excommunient une nouvelle fois Raymond VI qui, malgré ses efforts, ne parvient pas à obtenir l’absolution. En février 1211, la rupture avec l’Église est consommée. Simon de Montfort est en droit désormais de confisquer le comté de Toulouse. n mars 1211, l’armée croisée, qui a reçu d’importants renforts, s’empare de Cabaret, délivrant de ce fait Bouchard de Marly. Montfort peut dès lors s’attaquer au comté de Toulouse. Il met le siège devant Lavaur qui résiste un mois durant Le 3 mai, la ville tombe. Selon La Cansó, plus de quatre-vingts chevaliers sont pendus, quatre cents habitants brûlés et le seigneur de la ville, dame Guiraude, sœur d’Aimery de Montréal, est « jetée dans un puits et couverte de pierres par les croisés : ce fut un malheur et un crime, car personne au monde, sachez-le E véritablement, ne se serait éloigné de cette dame sans en avoir reçu de quoi se rassasier ». n juin 1211, les croisés marchent sur Toulouse et font le siège de la ville. Mais devant le nombre et la combativité des défenseurs, Montfort préfère se retirer et lance un raid vers Cahors et Rocamadour. Le camp adverse profite de ce départ et mobilise ses forces pour lancer une contre-offensive : Raymond VI « convoque l’ost en Toulousain, en Agenais et du côté de Moissac et par toute sa terre, aussi loin qu’il en possède » (La Cansó). Sur les conseils d’Hugues de Lacy, seigneur d’origine irlandaise, Montfort décide de se porter au devant de l’armée toulousaine et de l’attendre dans sa place forte de Castelnaudary. Nous n’avons que peu d’éléments sur la date de cette bataille, vraisemblablement en septembre-octobre 1211. Les Méridionaux, bien que plus nombreux, sont défaits. Leurs assauts sont repoussés. Alors que Montfort exerce seul le commandement de l’armée croisée, la coalition toulousaine ne parvient pas à se mettre d’accord sur une stratégie : on assiste à une succession d’initiatives personnelles, sans cohérence et de ce fait vouées à l’échec. Raymond-Roger, comte de Foix, fut à l’origine d’une de ces attaques contre l’armée croisée ; battu, il fait courir le bruit qu’il est vainqueur, que Montfort a été saisi et pendu. Raymond VI en fait autant. Bientôt, la rumeur enfle et tout l’Albigeois se soulève. En peu de temps les croisés perdent plus d’une cinquantaine de places. Montfort gagne Fanjeaux où il a décidé de prendre ses quartiers d’hiver. E La bataille de Castelnaudary, La Cansó (S. et B. Lalou) Retour sur la table ronde du 24 avril « Catharisme et croisade » Le 24 avril dernier se tenait au Conseil général, à Carcassonne, la première des cinq tables rondes prévue dans le cadre de la Commémoration. Devant une assistance nombreuse et attentive, les conférenciers ont brillamment introduit notre propos. Pilar Jimenez est revenue sur les idées reçues qui font du catharisme une religion orientale alors qu’il s’agit d’un christianisme dissident. Alain Demurger a insisté sur ce qui différencie profondément les croisades en Orient de la croisade contre les Albigeois. Martin AlviraCabrer a dressé le tableau des moyens militaires mis en œuvre en Languedoc en 1209 : guerre de siège, massacres perpétrés pour abattre toute résistance, guerre psychologique ou de renseignement. En contrepoint, Anne Brenon mettait en évidence la politique menée par l’Église cathare pour faire face aux persécutions : la clandestinité, la fuite, le martyre, etc. La formule expérimentée ce soir-là (des interventions qui se complétaient, qui se répondaient, un débat avec la salle) s’est révélée concluante, même si le public a parfois regretté que le temps imparti aux communications soit si bref. Photographie J.-L. Gasc La Chronique de Guillaume de Puylaurens D e nombreuses chroniques nous content l’histoire de la Croisade contre les Albigeois. Toutefois, il en est trois qui ont retenu l’attention, par leur qualité littéraire et par le souci de vérité historique que montrent leurs auteurs, en dépit de leurs prises de position idéologiques. Nous avons déjà évoqué deux d’entre elles dans nos précédents numéros : La Cansó et l’Historia Albigensis. La Chronique de Guillaume de Puylaurens n’a pas le renom de ces deux récits ; pourtant elle mérite tout autant notre intérêt. Portant sur une très longue période, de 1201 à 1276, la chronique est composée à partir de souvenirs personnels, de quelques documents écrits (obituaires, chartes, lettres pontificales, etc.) et de récits déjà rédigés (La Cansó et l’Historia Albigensis de Pierre des Vaux-de-Cernay, notamment). Un seul manuscrit, datant des années 1300-1330, conservé à la Bibliothèque nationale de France, présente l’œuvre dans son intégralité. L ’auteur nous est très mal connu. Sans doute originaire de Toulouse, Guillaume de Puylaurens est très certainement né dans les premières années du XIIIe siècle. Il semble avoir fait partie de l’entourage des évêques de Toulouse (Foulque, de 1228 à 1230, puis Raimond du Falga, vers 1240) mais il est également un proche du comte de Toulouse dont il a été le chapelain. Nous ignorons son patronyme mais il semble acquis qu’il fut curé de Puylaurens (actuelle commune du Tarn). G uillaume n’a ni l’âme poétique de l’Anonyme, ni le verbe enflammé et l’art de décrire de Pierre des Vaux-de-Cernay. Il incarne une voie moyenne, relatant les faits assez froidement. Pour lui, le Midi est rongé par le mal hérétique et la croisade est de ce fait inévitable. Fort de ce constat, toutes les actions sont justifiables et le massacre de Béziers n’est que le résultat de l’entêtement des habitants : « Les citoyens, pour leurs péchés, privés de l’inspiration divine, alors qu’ils eussent dû venir pacifiquement au devant des arrivants, crurent, dans leur orgueil, pouvoir résister.[…] Ils se réfugièrent dans l’asile des églises. Les assaillants […] en massacrèrent plusieurs milliers, en l’an du Seigneur 1209 ». En revanche, il condamne fortement les excès de son propre camp dès que l’objectif des croisés s’écarte de la lutte contre l’hérésie et que les exactions sont menées à leur seul profit, pressurant les terres dont ils sont nouvellement dotés ou pratiquant le pillage et le rançonnage des populations. Il s’agit là pour lui d’un pervertissement de la croisade. B ien que souvent bref et laconique, faisant parfois silence sur des événements importants, la Chronique de Guillaume de Puylaurens est une source de premier plan qui nous fait connaître des épisodes de la croisade absents des autres récits. La chasse au faucon, Pontifical de Pierre de La Jugie, (Trésor de l’Église St Just de Narbonne) En avantpremière Voici le programme de la troisième table ronde qui se tiendra à Castelnaudary (Présidial) le 11 septembre 2009 de 17 h à 19 h 30 La société méridionale au XIIIe siècle - Les comtes de Toulouse face à la croisade, par Laurent Macé, maître de conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail. - Les Trencavel dans la société féodale languedocienne, par Hélène Débax, maître de conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail. - Rôle et place de l’Église dans la société méridionale du XIIIe siècle, par Daniel Le Blévec, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Montpellier III-Paul Valéry. - La société féodale dans le nord de la France, par Nicolas Civel, Docteur en histoire médiévale (Université Paris X-Nanterre). Entrée gratuite. Inscription auprès des Archives départementales de l’Aude par courrier (41 avenue Claude Bernard, 11855 Carcassonne cedex 9) ou par mail [email protected]