La Canso 800 ans apres la Croisade contre les Albigeois n°4 - Avril 2009 La Croisade des Barons Du sac de Béziers à la prise de Carcassonne Les appels à la croisade É Édito L es manifestations culturelles organisées dans le cadre de la commémoration de la Croisade contre les Albigeois ont officiellement débuté à Lagrasse le 3 avril dernier, sous l’égide de M. Alain Tarlier, président de la Commission Culture du Conseil général. Vous avez été nombreux à répondre au rendez-vous et je ne doute pas que le programme désormais largement diffusé dans notre département n’attire un large public. ue vous soyez férus d’histoire ou de simples amateurs, que vous soyez Audois de longue date ou implantés récemment dans notre département, que vos goûts vous portent vers le spectacle vivant ou que vous préfériez les joies d’une randonnée au grand air, vous trouverez dans le programme qui vous est offert de quoi vous satisfaire pleinement. Alors, ne boudez pas votre plaisir et venez partager avec nous ces moments de culture. Q Marcel Rainaud Sénateur de l’Aude Président du Conseil général lu en 1198, le pape Innocent III dénonce l’hérésie qui se développe dans le Midi de la France. Le 28 mai 1204, déçu par les résultats des missions de prédication qu’il a encouragées, il interpelle le roi de France Philippe Auguste : “Confisquez les biens des comtes, des barons et des citoyens qui ne voudraient pas éliminer l’hérésie de leurs terres, ou qui oseraient l’entretenir…”. Sans réponse de la part du souverain et devant la persistance des échecs des campagnes de prédication lancées par son légat, l’abbé de Cîteaux Arnaud Amaury, le pape se tourne à nouveau vers le roi de France en novembre 1207 ; dans le même temps, il alerte directement les “comtes, barons et chevaliers fidèles au Christ, établis dans le royaume de France…”. Après avoir dépeint un pays « infecté par l’hérésie”, le pontife romain en appelle à la force armée : “Puisqu’aucun remède n’a d’effet sur le mal, que celui-ci soit extirpé par le fer”. Le roi de France, alors en guerre contre les Anglais, ne souhaite pas intervenir ; il feint d’accepter mais à des conditions telles que le pape ne peut que refuser. ’assassinat du légat du pape, le moine cistercien de Fontfroide, Pierre de Castelnau, le 14 janvier 1208, non loin de Saint-Gilles-du-Gard, détermine le pape à prêcher la croisade. Il désigne le comte de Toulouse Raymond VI comme instigateur du crime et appelle à la guerre sainte le roi de France et les barons du royaume : “En avant ! Chevaliers du Christ ! En avant ! Courageuses recrues de l’armée chrétienne !”. D’abord réticent et refusant de s’engager personnellement, Philippe Auguste finit par accorder à un certain nombre de ses vassaux l’autorisation de prendre la croix. L Les barons prennent la croix A ussi se croisa-t-on en France dans tout le royaume quand on sut qu’on serait absous de ses péchés. Jamais je n’ai vu, de ma vie, aussi grand rassemblement que celui qu’on fit alors contre les hérétiques et les Vaudois. C’est là que se sont croisés et le duc de Bourgogne et le comte de Nevers et beaucoup d’autres puissants seigneurs. Ainsi s’exprime l’auteur de la Chanson de la Croisade, Guillaume de Tudèle. Au printemps 1209, l’armée croisée s’ébranle vers le sud, empruntant la vallée du Rhône, avec à sa tête le légat pontifical Arnaud-Amaury, abbé de Cîteaux. Le 18 juin 1209, Raymond VI fait sa soumission aux légats du pape à Saint-Gilles et prend lui aussi la croix. Ce geste place le comté de Toulouse sous la protection directe du Saint-Siège ; Arnaud-Amaury dirige alors l’armée croisée vers les terres de Raymond-Roger Trencavel, vicomte de Carcassonne, de Béziers et d’Albi, qui n’a pu conclure d’accord avec l’Église. À découvrir Le programme des manifestations culturelles organisées dans le cadre de la commémoration de la Croisade contre les Albigeois vient de paraître. Si vous ne l’avez pas encore reçu, n’hésitez pas à nous le demander (envoi gratuit, archives @cg11.fr ) Le sac de Béziers L ’armée croisée parvient sous les murs de Béziers le 21 juillet 1209. “Ce fut une armée merveilleusement grande… : vingt mille chevaliers armés de toutes pièces et plus de deux cent mille vilains et paysans ; et dans ce nombre je ne compte pas les clercs et les bourgeois. Il y avait là des gens de tous pays, proches ou éloignés…”. Cette armée, dont Guillaume de Tudèle exagère vraisemblablement le nombre, plante ses tentes sur les rives de l’Orb. Face à l’ultimatum des croisés leur intimant l’ordre de livrer les hérétiques présents dans la ville, les habitants de Béziers refusent, prenant la décision “en commun par serment, avec les hérétiques eux-mêmes, de défendre leur cité contre les croisés”, si on s’en rapporte à la relation que firent au pape les légats pontificaux. ’assaut est donné le 22 juillet, et le soir même, la ville n’est plus que ruines et cendres. Les “ribauds” (routiers et valets d’armes qui constituent l’armée croisée aux côtés des chevaliers et des archers) ne font pas de quartiers et massacrent tous L ceux qu’ils rencontrent. Quant à la phrase attribuée à Arnaud Amaury, abbé de Cîteaux : “Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens”, elle est rapportée par un moine cistercien allemand Pierre Césaire de Heisterbach, près de quarante ans plus tard. Extraite d’un verset de la seconde épître de saint Paul à Timothée, cette phrase n’a vraisemblablement jamais été prononcée ; elle reflète bien toutefois l’état d’esprit des croisés : le massacre de Béziers est destiné à semer la terreur et à dissuader les cités voisines d’opposer toute résistance. C’est ce qu’exprime clairement Guillaume de Tudèle dans La Cansò : “les barons de France et des alentours de Paris, les clercs et les laïques, aussi bien les princes que les marquis, tous et chacun convinrent entre eux que dans chaque ville fortifiée, devant laquelle l’armée se présenterait et qui refuserait de se rendre, tous les habitants, dès qu’elle serait prise d’assaut, seraient passés au fil de l’épée. Il ne s’en trouverait plus aucune qui osât leur résister, tant la terreur serait grande après de tels exemples”. La prise de Béziers (La Cansò, S. et B. Lalou) Édité par le Conseil général de l’Aude Centre administratif départemental 11855 Carcassonne cedex 9 Directeur de la publication : Alain Tarlier Rédaction : Archives départementales de l’Aude 41 avenue Claude Bernard 11855 Carcassonne cedex 9 Responsable de la rédaction : Sylvie Caucanas Photographies : A. Estieu, A. Fernandez (Archives départementales) ISSN : 4141-0180 R Tirage : 3 000 exemplaires, publication gratuite Compogravure : t2p numéric 04 68 77 22 22 Impression : De Bourg - Narbonne Le siège de Carcassonne L a stratégie de la terreur porte ses fruits. Au passage de l’armée croisée, seigneurs et bourgs se soumettent. Le vicomte et l’archevêque de Narbonne, accompagnés d’une députation de nobles et de bourgeois de la ville, s’engagent à apporter leur soutien matériel et financier à la lutte contre les hérétiques. e soir du 1er août, les croisés arrivent devant les remparts de Carcassonne, ils établissent leur camp au nord de la Cité, devant le Bourg. Le vicomte RaymondRoger de Trencavel a mis sa ville en état de défense. Le 3 août, l’armée croisée L s’empare du bourg et prend position sur les berges de l’Aude, coupant l’accès des assiégés à la rivière. Peu de temps après, le roi d’Aragon Pierre II vient au camp des croisés offrir sa médiation. Il souhaite obtenir un accord et ainsi venir en aide à son vassal Trencavel. Mais la seule concession qu’il obtient des croisés (laisser sortir de la ville Trencavel et onze des ses hommes, tandis que Carcassonne est livrée à l’armée des assiégeants) ne peut satisfaire le vicomte qui décide de lutter jusqu’au bout. Après cet échec, Pierre II s’en retourne dans son royaume. Une conférence inaugurale réussie Le 3 avril dernier, dans l’abbaye de Lagrasse, M. Gérard Gouiran, professeur de linguistique romane à l’Université de Montpellier III- Paul Valéry, évoquait l’une des sources principales d’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire du Languedoc. Attaque de la Cité par les Croisés. Gravure d’après un dessin de Paul Sibra, début XXe siècle (A. D. Aude, 2 Fi 2876) L es combats reprennent. Jets de boulets de pierre et travaux de sape ébranlent les défenses. Encerclés de très près, les habitants de la Cité, privés d’eau et malades, connaissent, si on s’en rapporte à Guillaume de Tudèle, des “souffrances comme ils n’en avaient jamais enduré de leur vie”. Trencavel se livre alors en otage : il doit rester prisonnier jusqu’à ce que les clauses de la capitulation soient intégralement remplies. De fait, il ne fut jamais libéré et demeura dans son cachot jusqu’à sa mort le 10 novembre 1209. Quant aux habitants de Carcassonne, on leur fait grâce de la vie mais ils doivent quitter la ville “en chemise et en braies”, sans pouvoir emporter aucun de leurs biens. e 15 août les croisés ont pris possession de la Cité de Carcassonne. Ils tiennent une assemblée sous l’autorité du légat pontifical Arnaud Amaury : conformément au droit de croisade, il faut attribuer les terres conquises à un nouveau et “bon seigneur choisi par élection”. Le comte de Nevers, le duc de Bourgogne puis le comte de Saint-Pol se voient offrir tour à tour la vicomté. Tous trois L refusent : “ils dirent qu’ils possédaient assez de terre pour vivre aussi longtemps qu’il leur serait donné dans le royaume de France, patrie de leurs pères ; aussi ne se souciaient-ils pas des dépouilles d’autrui”. Et Guillaume de Tudèle de rajouter : “il n’y a personne qui ne se croie déshonoré s’il accepte ce fief”. Ces refus qui peuvent nous surprendre s’expliquent : ces trois seigneurs sont des grands feudataires du royaume, déjà en possession d’importants domaines ; leur engagement dans la croisade est essentiellement spirituel et ils considèrent comme infamant et non conforme aux règles féodales de recevoir du pape - et non de leur suzerain légitime, le roi - un fief confisqué à un autre seigneur. Aussi, c’est à la suite d’un conseil plus réduit comprenant Arnaud Amaury, deux évêques et quatre chevaliers qu’est désigné le successeur du vicomte déchu. Le choix se porte sur un seigneur d’Ile-de-France, qui s’est illustré en Terre Sainte et dans les combats pour la prise de Carcassonne : Simon, seigneur de Montfort et d’Épernon, comte de Leicester, communément appelé “comte de Montfort”. Sous le titre “La Chanson de la Croisade, un chant de résistance”, la conférence mettait en évidence toute l’originalité de l’œuvre, tout particulièrement de la seconde partie du manuscrit due à un auteur anonyme, proche des comtes de Toulouse. Par son propos, tout à la fois savant et aisément accessible, M. Gouiran a captivé l’assistance et lui a assurément donné le désir de découvrir le texte original. La lecture donnée peu après par M. Antoine Chapelot, comédien et directeur artistique du Théâtre de l’Hyménée (Lagrasse) venait combler ce souhait. Il nous tint sous le charme de la traduction d’Henri Gougaud plus d’une heure durant. Photographies J.-L. Gasc Pierre des Vaux-de-Cernay L ’historien de la Croisade contre les Albigeois dispose de sources exceptionnelles, et notamment de récits circonstanciés des événements faits par des contemporains ou peu de temps après. On dénombre près de 175 textes historiques rédigés entre 1209 et 1328, en faisant mention. Avec la Chanson de la Croisade contre les Albigeois que nous avons évoquée dans un précédent numéro, l’Hystoria Albigensis est un des plus célèbres. on auteur, Pierre des Vaux-de-Cernay, voit le jour dans les dernières années du XIIe siècle. Il entre en religion dans l’abbaye cistercienne des Vaux-de-Cernay (dont il prend le nom). Ce monastère, situé dans la vallée de Chevreuse et généreusement doté par les Montfort, est dirigé par son oncle Guy alors abbé, e dernier, compagnon de Simon de Montfort lors de la IVe Croisade, est nommé évêque de Carcassonne en 1212. Pierre le rejoint bientôt et commence alors la rédaction de sa chronique, l’Hystoria Albigensis, devenant ainsi “l’historiographe officiel des croisés”. L’œuvre, rédigée en latin et dédiée à Innocent III, est toute entière à la gloire des croisés et de la croisade : les hérétiques incarnent le Mal et les seigneurs du Midi sont à ses yeux coupables et indignes de pardon ; les croisés, des chevaliers du Christ, luttent pour que le Bien l’emporte. ême si le récit est partial et souvent très polémique, la relation des faits est dans l’ensemble tout à fait digne de foi. L’auteur rapporte des événements qu’il a vécus ou qui lui ont été rapportés par des acteurs directs (son oncle, des prélats, des chefs militaires qu’il a pu côtoyer au cours de ses séjours en Languedoc). Son récit commence avec les premières prédications contre les hérétiques en 1206 et s’achève sur la mort de Simon de Montfort devant Toulouse en juin 1218. ’œuvre de Pierre des Vaux-de-Cernay a connu une grande diffusion. Au contraire de la Chanson de la Croisade dont on ne connaît qu’un manuscrit médiéval, nous disposons de onze copies médiévales, dont trois du XIIIe siècle. L’Hystoria Albigensis est souvent citée par les contemporains de l’auteur et contribua sans aucun doute à faire connaître les événements dans le royaume de France et au-delà. S C M L « Cette ardeur de parti, la fureur de conviction religieuse qui s’y joint et qui étouffe à un degré rare, même dans le camp des Croisés, tout sentiment de justice et de pitié, donnent à la narration de l’écrivain une véhémence, une verve de passion et de colère qui manquent à la plupart des chroniques, quelque terribles qu’en soient les scènes, et animent celles-ci d’un intérêt peu commun… Il en est peu de plus partiales que la sienne et qui doivent être lues avec plus de méfiance ; mais aucune n’est plus intéressante, plus vive, et ne fait mieux connaître le caractère du temps, des événements et du parti de l’historien. » En avantpremière Voici le programme de la deuxième table ronde qui se tiendra à Limoux (salle Louis Coste, 14 rue Blanquerie) le 19 juin 2009 de 17 h à 19 h 30 La culture méridionale au XIIIe siècle - Les chansonniers au Moyen Âge, par Fabio Zinelli, directeur d’étude en philologie romane à l’École Pratique des Hautes Études, Paris. - Une culture du verbe trobar clus et traditions jongleuresques chez les troubadours, par Linda Paterson, professeur à l’université de Warwick (Grande-Bretagne). - Troubadours en pays d’oc, par Daniel Lacroix, professeur de littérature médiévale à l’Université de Toulouse II-Le Mirail. - Culture et savoirs en Languedoc au XIIIe siècle, par Jacques Verger, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Paris IV-Sorbonne. Entrée gratuite. Inscription auprès des Archives départementales de l’Aude par courrier (41 avenue Claude Bernard, 11855 Carcassonne cedex 9) ou par mail [email protected] François Guizot, 1824 Château de Puivert, salle des musiciens : reconstitution d’un des culs-de-lampe, XIXe s. (A. D. Aude, 4 T 243)