Essai philosophique, je ne suis pas un roman policier, même si les

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Le fin mot de l'histoire
Une double frustration
Essai philosophique, je ne suis pas un roman policier,
même si les analogies ne manquent pas -je suis une
quête, l'autre une enquête-, et c'est là une des raisons
pour lesquelles je vais commencer, dans ces
prolégomènes, par lever tout suspense en dévoilant
d'emblée le fin mot de l'histoire.
Il peut t'être en effet utile, cher lecteur, pour ne pas
perdre le fil au long des développements, de bien saisir
d'emblée à la fois les intentions de mon auteur, des
éléments de sa méthode et son point d'aboutissement.
Je suis le fruit d'une double insatisfaction.
Première frustration : dans les histoires de la
philosophie, nombreuses et de qualité variable, on trouve
trop souvent une suite de monographies juxtaposées,
souvent sommaires, parfois lumineuses et parfois
absconses, mais dont on se demande souvent après coup
d'une part ce qu'il faut en retenir si l'on n'a pas d'examen
à passer et donc de connaissances à faire valoir et à
rentabiliser et d'autre part en quoi ce qu'on a lu peut
contribuer à forger un jugement et guider un
comportement. Malgré les apparences, c'est-à-dire même
si mon fil conducteur est l'histoire de la philosophie
occidentale, je ne suis pas une histoire de la philosophie,
qui n'est ici qu'un terrain de recherche, passionnant,
exploré et exploité en vue de combler une seconde
insatisfaction. Remarque, lecteur, que si tu ne t'es jamais
penché sur l'histoire de la philosophie, j'espère au
passage te convaincre que, faite de règlements de
comptes, de secrets de famille, de trahisons, de coups de
poignard dans le dos, de mesquineries, d'hommages
parfois sincères, souvent hypocrites et rarement
dépourvus d'arrière-pensées, de rivalités d'amour-propre
inavouables, de beaucoup d'orgueil et d'arrogance ; mais
faite aussi de courage admirable allant parfois jusqu'au
sacrifice, de lucidité, d'intégrité, de désintéressement, de
souci de rigueur, de cohérence et de vérité, de beauté, de
désir sincère et parfois couronné de succès de venir en
Extrait de Raison(s) d'être(s) - © 2015 Jean-Pierre Audouin – www.megraph.net
Ça manque de femmes !
L'idée de sens a-t-elle un
sens ?
aide aux hommes, elle tient parfois autant du polar pétri
de pâte humaine que de l'abstraite et soporifique
spéculation théorique. J'aimerais aussi au passage te faire
partager, si tu n'en es pas déjà convaincu, que l'histoire
de la philosophie est si intimement liée au cours de
l'histoire générale des hommes qu'il est quasiment
impossible de comprendre l'une sans l'autre.
Il y a quand même une différence de taille entre une
histoire de la philosophie et un polar : dans un polar, le
flic dit à bon droit qu'il faut "chercher la femme" ;
l'histoire de la philo, on a beau chercher... ça manque de
femmes !
La quête qui sous-tend les pages qui suivent n'est pas
celle du sens mais, d'une manière à la fois plus
ambitieuse, plus modeste et plus inquiète, celle du sens
du sens. Car telle est la seconde frustration qui est à
l'origine de mon existence : pour avoir toujours entendu
parler de "sens de la vie" ou de "crise de sens", mon
auteur n'a pas trouvé de réponse qui lui paraisse
satisfaisante à la question du sens du sens, c'est-à-dire à
la question de savoir ce qu'avoir du sens peut bien
vouloir dire.
Bref, il semble bien qu'on parle de sens à longueur de
temps sans bien savoir de quoi on parle.
C'est ainsi que je crois que son intention en m'écrivant
était de chercher à comprendre un peu mieux le monde
dans lequel il vit, qui lui paraît aller à la dérive vers de
pourtant bien visibles récifs. Je l'ai souvent vu assez
inquiet de l'état dans lequel sa génération de postsoixante-huitards jouisseurs et hypocrites va laisser le
monde en question à ses enfants et petits-enfants. Je l'ai
toujours connu se désolant de l'inculture et de la
cuistrerie de nombre de ses contemporains pourtant
éduqués et instruits, "leaders d'opinion" comme on dit,
cadres, managers, médecins, ingénieurs, profs, chefs
d'entreprises, avocats, journalistes et, pire, écrivains et
hommes politiques. Je l'ai souvent vu consterné par leur
dédain affiché pour la chose intellectuelle au profit de
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Inquiétudes et
jubilations…
l'émotion et de la pose de l'indignation vertueuse, de leur
absence de recul et souvent de lucidité, de leur goût pour
le prêt-à-penser, pour le confort du conformisme et de
l'aveuglement. Je l'ai toujours vu perplexe face à la
frénésie d'agitation de ses contemporains, qui croient
tenir des valeurs avec de "l'efficace", du "résultat", du
"rentable", mais que taraude le sentiment du vide et du
non-sens. Je l'ai souvent entendu soupirer en se
demandant comment, dans une époque aussi informée,
disposant d'un tel passé, d'une telle intelligence et d'une
telle maîtrise techniques, on peut refuser d'admettre les
dérives et de voir les récifs.
Mais je l'ai souvent quand même surpris à jubiler
devant les livres ou les œuvres de gens intelligents ou
drôles, ou sérieux ou lucides, ou courageux, ou élégants,
et parfois tout cela à la fois, car il en reste beaucoup,
même si leur musique a bien du mal à se faire entendre
dans le martèlement débilitant du tintamarre ambiant.
Alors, je l'ai vu sauter sur son téléphone, excité comme
un gosse devant un nouveau jouet, pour faire part de sa
joie à ses copains et à ses enfants (parfois un peu
perplexes...), et la partager avec eux. C'est pour cela qu'il
m'a écrit, mon auteur, pour que tu puisses profiter de ses
trouvailles, si le cœur t'en dit. Alors, il m'a demandé de
commencer par te raconter une histoire, celle d'une
certaine forme d'Intelligence, et m'a chargé de la mission
de te proposer, chemin faisant, d'essayer de cerner ce
qu'avoir du sens peut bien vouloir dire.
Il me semble que tu trembles un peu moins à présent, à
moins que ce ne soit qu'une impression et que tu ne
m'aies déjà refermé…
*
Une carte pour mieux
cheminer
Voilà pourquoi mon sommaire s'appelle "Chemin
faisant" plutôt que "Table des matières". Le chemin se
fait en deux étapes, "Éternités" puis "L'effet dominos"
qui aboutissent chacune à un "Interlude", et tout au long
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de ce chemin, des exergues sont placées en marge du
texte, placées là comme des bornes autrefois au bord des
routes, ou comme des noms sur une carte, ou encore
comme l'album photo d'un voyage. Ce sont ces bornes
qui balisent le chemin. Je t'invite à parcourir la carte, ami
lecteur, avant même de commencer ta lecture, et je
t'invite même à aller jeter un coup d’œil au texte, au
hasard de bornes qui pourraient t'interpeller. Et puis,
regarde bien : tu verras qu'il y en a certaines qui
reviennent souvent...
De la plus haute Antiquité grecque jusqu'à l'apogée du
monde chrétien, c'est-à-dire à la fin du XIII° siècle, la
première étape parcourt quelque deux mille (!) ans
d'histoire de la pensée sous le signe de ses "Obsessions".
D'Anaximandre à Thomas d'Aquin on aura dit en effet à
peu près tout et son contraire et pourtant, si l'on écoute
vraiment les penseurs et philosophes successifs de ces
temps, en s'abandonnant un peu et en se laissant comme
bercer par leurs musiques, on finit par se rendre compte
qu'au-delà de l'incroyable diversité des points de vue,
interprétations, réponses, vérités et certitudes qui
s'affirment ou s'établissent, reviennent inlassablement un
nombre très restreint de questions véritablement
essentielles et comme obsessionnelles, qui semblent bien
hanter l'esprit humain.
L'étonnement philosophique est beaucoup plus
restreint que l'affirmation philosophique.
S'abandonner et se laisser bercer est un risque et
suppose un peu de confiance en nos philosophes... et en
soi : cela suppose qu'il faut cesser de toujours être sur ses
gardes et cesser de se demander en permanence si l'on
est d'accord avec l'auteur du moment et s'il a raison ou
tort. Il faut jouer le jeu et tenter de se laisser pénétrer par
une vision, par une éthique, par un discours, et accepter
de se laisser convaincre. Il faut tenter de vivre la pensée
de l'intérieur. C'est le seul moyen honnête et raisonnable
de parvenir à dévoiler ce que les auteurs ont à dire et
aussi ce que, curieusement, ils n'évoquent pour ainsi dire
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Un peu d'esprit de
synthèse
jamais, à savoir ce que sont les questionnements les plus
intimes qui les taraudent.
Puis il faut mobiliser un peu d'esprit de synthèse pour
faire apparaître le non-dit, l'implicite ou le récurrent.
C'est avec cette attitude et cette méthode, faites à la
fois d'empathie et de distance, d'humilité et d'esprit
critique, d'abandon et de détachement, de sérieux et
d'amusement, de respect et d'ironie que mon auteur est
parvenu à cette conclusion qu'en deux mille ans les
philosophes qu'a retenus la tradition occidentale n'ont
jamais été mus que par six inquiétudes fondamentales
qui structurent leurs quêtes et leurs discours. Le (trop)
peu qu'il connaît à ce jour des philosophies orientales lui
laisse penser qu'elles répondent aux mêmes inquiétudes,
qui sont ainsi posées comme essentielles au sens propre
du mot et constituent la matière d'une sorte
d'anthropologie fondamentale. Il faudra approfondir.
Avis aux amateurs.
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