Cancer de la vessie Chimiothérapie et cancer de la vessie 1 Dr Yohann Loriot Département de Médecine Oncologique Service d’Innovation Thérapeutique et Essais Précoces (SITEP) Institut de Cancérologie Gustave Roussy, Villejuif [email protected] Le cancer de vessie est une pathologie fréquente, il se situe au deuxième rang des pathologies urologiques en France. Le rôle du tabac est clairement établi, mais la part des causes professionnelles n’est pas négligeable. Plus de 90% des tumeurs de vessie sont développées aux dépens de l’épithélium urothélial ou transitionnel. Les autres formes histologiques sont rares : cancer épidermoïde, adénocarcinome, tumeur neuroendocrine, sarcome. Les tumeurs urothéliales regroupent deux maladies distinctes : - les tumeurs superficielles (75% des tumeurs vésicales) : Ces tumeurs sont accessibles à un traitement endoscopique conservateur (résection transurétrale qui doit être complète) éventuellement suivi d’un traitement adjuvant en - fonction du stade et du grade (BCG ou Mitomycine intravésical). les tumeurs infiltrantes. Elles représentent 20% des cancers de vessie et par définition elles infiltrent le plan musculaire de la vessie, et présentent un risque d’extension lymphatique et hématogène (métastases pulmonaires, hépatiques et osseuses). Protocoles de chimiothérapie des cancers de vessie métastatiques Les leçons de l’ère du MVAC (1980-2000) Cancer de la vessie 2 Plusieurs molécules ont démontré leur activité en monothérapie (Cisplatine, Carboplatine, Méthotrexate, Doxorubicine, Vinblastine, Vincristine, Cyclophosphamide, 5-FU). De 1985 à 2000, plusieurs protocoles de polychimiothérapies ont été largement utilisé en pratique dont le M-VAC ( Méthotrexate, Vinblastine, Adriamycine et Cisplatine) décrit dans l’étude princeps de l’équipe du Memorial Sloan Kettering Cancer Center. L’ère du MVAC a permis de définir 6 leçons concernant de la prise en charge des cancers de vessie métastatique : - Les cancers urothéliaux métastiques sont chimiosensibles Pour le M-VAC, les résultats de l’étude princeps du MSKCC (confirmés par des études complémentaires) ont rapporté des taux de réponse objective de 50 à 70% dont 15% à 25% de réponse complète (RC). - Cependant les cancers de vessie métastatiques ne sont pas chimio curables La majorité des patients répondeurs rechutent au cours de la première année avec une médiane de survie de 12 à 14 mois, et moins de 5% des patients sont vivants sans maladie à 5 ans. - Le protocole de chimiothérapie MVAC est toxique Le M-VAC est un traitement efficace mais toxique. Les toxicités de grade 3-4 observées sont digestives, muqueuses et hématologiques avec 3 -5% de décès toxique. Ceci a obligé à mettre en balance le bénéfice-risque de ce protocole. - Des facteurs pronostiques simples ont été définis pour les patients métastatiques A partir de l’étude princeps du MSKCC, il a été développé un modèle pronostique basé sur l’état général des patients et la présence de métastases viscérales, avec des médianes de survie de 33, 13 et 9 mois pour les patients avec 0, 1 ou 2 facteurs de mauvais pronostique. - La chirugie des masses résiduelles est toujours à discuter Cancer de la vessie 3 Il n’existe pas d’étude randomisée, mais il est toujours indispensable de discuter de façon systématique chez les patients répondeurs de la chirurgie des sites résiduels après chimiothérapique lorsqu’elle est réalisable. La survie médiane des patients mis en RC par exérèse de sites résiduels étant identique à celle des patients mis en RC par la chimiothérapie dans l’expérience du MSKCC (41 vs 33 vs 0% de survie à 5 ans). - Les facteurs de croissance ont permis le développement du MVAC intensifié Le développement des facteurs de croissance a permis de modifier le protocole MVAC pour optimiser ces résultats en augmentant la dose intensité du M-VAC. Un schéma original d’administration du M-VAC a été évalué en comparaison au MVAC standard dans une étude randomisée prospective de l’EORTC. Dans ce schéma, les quatre produits sont administrés à J1 avec un rythme d’administration tous les 14 jours (sous couvert de facteurs de croissance). Le taux de réponse obtenu est supérieur dans le protocole intensifié : 73 % versus 58 % (p=0,008) de même que la survie sans progression (9,1 vs 8,2 mois p=0,03). En revanche, aucun gain sur la survie globale n’a été observé. Le MVAC-I était par contre moins toxique que le MVAC en raison de l’utilisation de facteurs de croissance. Encadré : Protocoles de chimiothérapie utilisés dans les cancers de vessie-MVAC intensifié : Methotrexate 30 mg/m2 , Jour 1 Vinblastine 3 mg/m2, Jour 2 Adriamycine(doxorubicine) 30 mg/m2, Jour 2 Cisplatine 70 mg/m2, Jour 2 Tous les 14 jours, avec utilisation de G-CSF Les nouvelles chimiothérapies Cancer de la vessie 4 Au milieu des années 1990, l’introduction de la gemcitabine (taux de réponse de 31%) a représenté un tournant dans la prise en charge des cancers de vessie. D’autres agents ont été aussi testés comme le Docétaxel (30%), le Paclitaxel (28%) ou Ifosfamide (21%) en monothérapie, mais ces derniers n’ont pas permis d’améliorer la survie des patients métastatiques comparés au MVAC. Une étude randomisée de phase III comparant le régime MVAC à GC (G : 1000mg/m2/j J1 J8 J15 ; C : 70 mg/m2/j J2. (J1 =J 28) a été conduite par EORTC et inclus 405 patients. Cette étude a montré que le protocole GC était moins toxique que le MVAC (le protocole M-VAC a généré plus de toxicité globale) : 65% et 30% de neutropénie de grade 4, dont 14 et 2% de neutropénie fébrile, 22% et 1% de mucite de grade 3-4 ; 6 décès dans le bras M-VAC et 2 dans le bras GC. La toxicité plaquettaire est significativement supérieure dans le bras GC: 57% de grade 3-4 versus 21%). Cependant, cette étude qui était une étude de supériorité du GC, n’a pas montré de supériorité du GC par rapport au MVAC en terme de survie globale (14,8 mois M-VAC et 13,8 mois GC ) ou de taux de réponse (45,7% et 49,4% (12% de RC dans les deux bras ). Compte tenu du bénéfice en termes de toxicité, le GC est devenu en pratique le nouveau standard thérapeutique. Encadré : En pratique, dans les cancers de vessie avancés Pour les patients de bon pronostic : il est recommandé soit le MVAC-I ou GC. Pour les patients de pronostic intermédiaire : le protocole GC est choisi en priorité. Pour les patients de mauvais pronostic ou « unfit » : il n’existe pas de standard et il peut être recommandé de ne pas faire de chimiothérapie, ou une chimiothérapie par gemcitabine seul. Chez les patients à la fonction rénale altérée : il n’y a pas de protocole optimal, ni de recommandations basées sur des études randomisées. L’association carboplatine gemcitabine est le plus souvent utilisée, en sachant que l’efficacité du carboplatine est Cancer de la vessie 5 inférieure au cisplatine. Il est aussi possible de réduire les doses de cisplatine, ou d’utiliser des doublets sans platine. Si la fonction rénale est normale : il ne faut pas utiliser ni carboplatine, ni oxaliplatine, ni doublet sans cisplatine. Jusqu’en 2010, il n’y avait pas de traitement standard de deuxième ligne. Récemment, la vinflunine a montré un bénéfice extrêmement modeste en survie chez les patients traités en deuxième ligne. Très récemment, des essais précoces évaluant les inhibiteurs des checkpoints immunitaires (PD-1 et PDL-1) ont retrouvé une efficacité antitumorale inédite justifiant la conduite d’essais de grande ampleur en seconde ligne. Chimiothérapie dans les cancers de vessie de stade localisé La prise en charge des stades localisés relève en fait d’une réflexion pluridisciplinaire (urologue, anatomopathologiste, radiothérapeute, oncologue médical). Le traitement de référence des carcinomes urothéliaux de vessie infiltrant le muscle (CUVIM) est la cystectomie. Les résultats de cette intervention sont globalement modestes, avec des taux de survie à 5 ans de l'ordre de 60%. Chimiothérapie adjuvante Les données bibliographiques concernant la chimiothérapie adjuvante des CUVIM opérés sont pauvres. Les essais comparatifs menés dans ce cadre souffrent de biais méthodologiques majeurs (très faible puissance statistique, arrêts précoces non justifiés …) qui ne permettent pas de tirer de conclusion formelle. Une méta-analyse reposant sur les données individuelles de 491 patients inclus dans 6 essais, une réduction du risque de décès de 25% a été mise en évidence, pour un gain absolu de 9% à 3 ans. Le faible nombre de patients inclus limite clairement la pertinence de ces analyses. Une récente étude italienne, interrompue prématurément, n’a pas mis en évidence de gain significatif Cancer de la vessie 6 de survie en faveur du bras chimiothérapie adjuvante par gemcitabine et cisplatine dans une population de 194 patients, y compris dans la population de patients présentant des ganglions métastatiques. Chimiothérapie néoadjuvante Le qualificatif « néo-adjuvant » s’applique par définition à un traitement administré de principe avant un traitement local à visée curative – alors que ce dernier pourrait être techniquement réalisé d’emblée – dans le cadre de la prise en charge d’une maladie de stade localisé. Dans un essai mené par le Southwest Oncology Group aux Etats-Unis chez 317 patients inclus sur une période de 11 ans (1987-1998), une amélioration de la survie globale, importante quantitativement (77 mois versus 46 mois), mais à la limite de la significativité statistique (p=0,05), a été observée en faveur des patients traités par 3 cycles de MVAC (méthotrexate, vinblastine, doxorubicine et cisplatine) avant la cystectomie, après un suivi médian de près de 9 ans. Dans un autre essai international mené chez 976 patients inclus sur une période de 6 ans (1989-1995), la chimiothérapie néo-adjuvante a comporté 3 cycles de CMV (cisplatine, méthotrexate, vinblastine) avant le traitement local vésical, qui pouvait être chirurgical ou radiothérapique. Pour l’ensemble de la population, le gain absolu de survie à 3 ans a été de 5,5% (55,5% versus 50%, p=0,075) pour les patients ayant reçu la chimiothérapie néo-adjuvante. Le même gain significatif de 5% à 5 ans a été détecté dans une deuxième méta-analyse reposant sur les données individuelles de 3005 patients inclus dans 11 essais (50% versus 45%, p=0,003), avec une réduction du risque de décès de 14% pour les patients ayant reçu une chimiothérapie d’association incluant le cisplatine. Il n’existe aucune donnée justifiant l’utilisation du carboplatine dans cette indication. Vers de nouvelles approches thérapeutiques Cancer de la vessie Plusieurs axes de développement sont à l’étude : 7 - L’identification de facteurs pronostiques et prédictifs moléculaires dans les stades localisés ou métastatiques - Le développement de nouveaux cytotoxiques - Le développement de thérapeutiques ciblées : anti HER2, anti EGFR, inhibiteurs d’angiogénèse… En effet, l’explosion des nouvelles technologies d’analyse biologique des tumeurs permettent de mieux comprendre les caractéristiques génétiques tumorales des tumeurs urothéliales. Celles-ci sont caractérisées au stade métastatique par de nombreuses anomalies différentes affectant la voie FGF, PI3K et RAS. Les études en cours devraient pouvoir quelles sont les anomalies réellement responsables de la progression tumorale. L’année 2014 a été marquée par les résultats d’essais précoces évaluant les inhibiteurs de PD1 et PDL1 montrant une efficacité importante chez les patients métastatiques résistants aux sels de platine. La tolérance semble également particulièrement bonne chez ces patients avec de lourdes comorbidités. L’année 2015 sera possiblement l’année de la confirmation avec les résultats de l’étude de phase II évaluant le MPDL3280A (inhibiteur de PDL-1) qui, en cas de succès, pourrait obtenir l’approbation en Amérique du Nord. Eléments bibliographiques - Bajorin DF et al . Long-term survival in metastatic transitional-cell carcinoma and prognostic factors predicting outcome of therapy. J Clin Oncol. 1999 ;17:3173-3181. Cancer de la vessie 8 - Sternberg CN, Yagoda A, Scher HI, et al: M-VAC (methotrexate,vinblastine, doxorubicin and cisplatin) for advanced transitional cell carcinoma of the urothelium. J Urol 139:461-466, 1988 - Sternberg CN et al. seven year update of an EORTC phase III trial of high dose M-VAC chemotherapy versus classic M-VAC in advanced urothelial tract tumours. Eur J Cancer. 2006 ;42:50-54 - Von der Maase H, Hansen SW, Roberts JT. et al. Gemcitabine and Cisplatin versus Methotrexate, Vinblastine, Doxorubicin, and Cisplatin in advanced or metastatic bladder cancer: Results of a large, randomized, multinational, multicenter, phase III study. J Clin Oncol, 18, 3068 – 3077, 2000. - Grossman HB, Natale RB, Tangen CM et al. Neoadjuvant cisplatin, methotrexate, and vinblastine chemotherapy for muscle invasive bladder cancer : a randomised control trial Lancet 1999 ; 354 : 533-40 Neoadjuvant chemotherapy plus cystectomy compared with cystectomy alone for locally advanced bladder cancer. N Engl J Med 2003 ;349 : 859-66 - Advanced Bladder Cancer Meta-analysis Collaboration (2005) Adjuvant chemotherapy in invasive bladder cancer: a systematic review and meta-analysis of individual patient data. Eur Urol 48: 189-201 - Bellmunt J, Théodore C, Demkov T, Komyakov B, Sengelov L, Daugaard G, Caty A, Carles J, Jagiello-Gruszfeld A, Karyakin O, Delgado FM, Hurteloup P, Winquist E, Morsli N, Salhi Y, Culine S, von der Maase H. Phase III trial of vinflunine plus best supportive care compared with best supportive care alone after a platinum-containing regimen in patients with advanced transitional cell carcinoma of the urothelial tract. J Clin Oncol. 2009 Sep 20;27(27):4454-61. Epub 2009 Aug 17.