6. Le Plateau Le Plateau vaudois couvre plus de 1'400 km2, soit près de la moitié du canton. Longtemps considéré comme le grenier de la Suisse Romande, ce vaste territoire essentiellement agricole a subi, durant la seconde partie du 20ème siècle, de profondes mutations en lien avec l'augmentation de la productivité des terres. Les drainages, l'agrandissement des parcelles, l'utilisation de fertilisants et de pesticides, la suppression des haies ont grandement facilité la tâche des agriculteurs, mais ce sont autant d’interventions ayant entraîné une banalisation du paysage rural. Cette évolution s’est également traduite par une banalisation moins visible des milieux naturels et par un appauvrissement de la flore et de la faune, autrefois riches, qui dépendaient des milieux semi-naturels créés par l’agriculture traditionnelle. Prairies naturelles, zones humides, flore des moissons, faune des haies ont ainsi fait les frais de cette évolution. Cette tendance s'est toutefois ralentie ces dernières années. En effet, dès le début des années 1990, de profondes réformes de la politique agricole ont été opérées, parallèlement à une prise de conscience des enjeux biologiques et paysagers dans l'agriculture. De nombreuses mesures de promotion de la biodiversité en zone agricole ont alors été mises en place. Désormais, prestations écologiques, surfaces de compensation et réseaux écologiques visent à favoriser la diversité des habitats naturels, de la faune et de la flore. Coquelicots, bleuets, bruants jaunes, pie-grièche écorcheurs, lièvres figurent ainsi parmi les espèces que vous pouvez observer en parcourant le Gros de Vaud. Si l'agriculture a tout intérêt à prendre soin de la biodiversité, c'est que celle-ci le lui rend bien, en lui fournissant aussi de précieux services : les milieux naturels proches des cultures abritent de nombreux auxiliaires de l’agriculture, tels les insectes pollinisateurs ou prédateurs des ravageurs. La diversité des plantes et les haies assurent également la stabilité des sols et limitent l’érosion. Et finalement, nous profitons tous de cette diversité biologique des campagnes, même si l'économie de marché peine encore à reconnaître à son juste prix cet élément qualitatif essentiel. Une majorité d’entre nous accorde cependant une importance croissante à un paysage de qualité. Les plus curieux retrouvent même des saveurs gustatives végétales que l’on croyait oubliées, le long des haies ou des chemins, et jusque sur les meilleures tables de la région. www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 1/8 Le Plateau, diversité des habitats Le Plateau vaudois représente près de la moitié de la superficie du canton. C'est un vaste territoire de plus de 1'400 km2 aux enjeux multiples. Sa topographie le prédispose en effet aussi bien à l’agriculture qu’à l’urbanisation. Pour répondre aux besoins croissants d’une société en développement, la densité des infrastructures et les surfaces construites n'ont cessé de croître durant la seconde partie du 20ème siècle. Alors qu’en 1960, il était encore possible de parcourir 18 km2 sur le Plateau suisse sans rencontrer d’obstacles artificiels, cette surface s’est réduite à 8 km2 en 2007. Parallèlement, des efforts considérables ont été consentis pour améliorer la productivité des terres et en rationaliser l’exploitation: augmentation de la surface moyenne des parcelles, suppression des obstacles (haies, arbres isolés), drainage des zones humides etc. Les pratiques agricoles ont suivi cette évolution, avec un fort accroissement des apports de fertilisants de synthèse, d'herbicides et de pesticides, et une accélération de la rotation des cultures… Le paysage rural traditionnel semi-naturel a progressivement cédé la place à un paysage toujours plus maîtrisé et technique. Ces grandes mutations ont eu un impact significatif sur le paysage et les habitats naturels, dont le nombre et la diversité ont drastiquement diminué: marais, prairies maigres humides ou sèches, cours d’eau, haies, arbres isolés ont payé un lourd tribut. Cette banalisation ne concerne pas uniquement la valeur esthétique du paysage rural. Elle touche également à sa substance biologique, plus discrète, en appauvrissant les communautés animales et végétales. Cette évolution est particulièrement marquée dans les régions d'agriculture intensive, comme le Gros de Vaud ou la plaine de l'Orbe. Seules les régions les moins rentables d'un point de vue agricole ont conservé jusqu'à aujourd'hui un peu de leur caractère bocager traditionnel, marqué par la présence de haies, de bosquets et de vergers. Îlots forestiers dans un paysage céréalier © D. Gétaz Les arbres, sentinelles paysagères dans le territoire rural © P. Patthey Mosaïque de vergers, de prairies et de champs de colza © G. Porchet Cette évolution se poursuit encore aujourd'hui, de manière atténuée. Pourtant, depuis plusieurs années, la multifonctionnalité de l'agriculture et sa contribution à la conservation du patrimoine naturel et paysager sont unanimement reconnues. Dès le début des années 1990, la prise en compte des enjeux biologiques dans l'agriculture a conduit à la mise en place de nombreux programmes incitatifs destinés à promouvoir la diversité des habitats dans les zones cultivées: les prestations écologiques requises, les surfaces de compensation écologique et les réseaux écologiques sont autant d'instruments au service de la nature et du paysage mis en place dans les exploitations. Les surfaces de compensation écologique représentent approximativement 10% de la surface agricole cantonale. Il s'agit essentiellement de prairies extensives, de jachères, de haies et bosquets, de prés à litière. Gérés de manière différenciée (entretien tardif permettant à la flore et à la faune de compléter leur cycle reproductif), souvent extensive (sans fumure, sans produits phyto-sanitaires), ces milieux constituent actuellement les refuges vitaux de la biodiversité en zone agricole. www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 2/8 Une jachère florale, refuge et lieu de Un pré à litière dans la région de Lavigny. L'exploitation agricole permet nourrissage de nombreuses espèces à de nombreuses espèces de se des milieux agricoles © D. Gétaz maintenir, dont la rainette verte © J. Pellet Un chemin non revêtu, habitat de nombreuses espèces, dont la sauge des prés © S. Jutzeler Une étude récente des stations de recherche agronomique a démontré que, malgré ces efforts, les surfaces de compensation écologique sont souvent comme des îles dans un paysage uniforme et que le manque de liaisons entre elles limite considérablement leur intérêt biologique. Il est en effet indispensable que ces surfaces soient disposées dans le territoire de manière à permettre des échanges entre elles pour la faune et pour la flore. C'est le rôle des réseaux écologiques, dont la promotion est assurée depuis 2001 par l'Ordonnance sur la Qualité Ecologique (OQE). Dans le canton de Vaud, plus de 200 exploitants agricoles ont mis en réseau leurs surfaces de compensation dans 14 régions du canton, pour une surface totale de plus de 12'000 hectares. Ces réseaux écologiques sont constitués de manière à préserver la biodiversité en général, mais également à favoriser des cortèges bien précis d'espèces exigeantes qui font l'objet de mesures particulières (fauche retardée, plantation de haies avec de nombreux épineux, etc.). Le succès de ces réseaux pour ces espèces démontre l'important potentiel de biodiversité que recèlent encore nos paysages ruraux. Une prairie extensive comme élément Les bandes herbeuses en lisière sont semi-naturel dans un réseau OQE © des lieux de passage importants pour A. Maillefer la faune dans les réseaux OQE © A. Maillefer www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 Les réseaux OQE permettent de valoriser des surfaces improductives potentiellement intéressantes pour les espèces-cibles. Ici un champ s’inondant au printemps. © S. Jutzeler 3/8 Le saviez-vous? Le Réseau Ecologique National (REN) est le fruit d'une étude de grande ampleur dont l'objectif est de préserver la flore et la faune par la mise en réseau de leurs habitats. Ce réseau identifie les zones refuges pour la flore et la faune et précise les lieux de passages préférentiels de cette dernière. Parfois qualifié de "réseau vert suisse", le REN est un outil fondamental pour une planification territoriale durable. Sa retranscription au niveau cantonal est le REC (Réseau écologique cantonal), en cours d'élaboration. Il comprend différents sous-réseaux (milieux humides et eaux stagnantes, eaux courantes, zones agricoles…) destinés chacun à satisfaire au mieux les exigences des espèces animales et végétales qui leur sont liées. Le Plateau, diversité des espèces Jusque dans les années 1950-60, le paysage rural du Plateau vaudois abritait une grande diversité d'espèces végétales et animales, directement liée à la diversité des milieux naturels particuliers créés par l'exploitation agricole: prairies maigres, haies, jachères, bassières inondables ou champs de céréales, pour n'en citer que certains. Emblématique de cette richesse, la flore messicole, ou flore des moissons, comprend des dizaines d’espèces en Suisse, dont les plus populaires sont le coquelicot, le bleuet ou la camomille. On y trouve aussi des plantes parmi les plus menacées du pays. Compagne de l’être humain depuis les débuts de l’agriculture, étroitement dépendante des travaux des champs, cette flore a été très appauvrie par l’intensification de l’agriculture. Les espèces les plus sensibles, comme l'adonis d'été, ont disparu du canton. La mise en place de réseaux écologiques axés sur la flore messicole, là où les conditions sont favorables, offre l'opportunité de conserver ce patrimoine: l’espacement de quelques lignes de cultures, le renoncement aux engrais et aux traitements phytosanitaires au bord des champ font partie des mesures à encourager. La camomille, plante médicinale Bleuets et coquelicots dans un champ d’orge L'adonis d'été, disparu du canton de autrefois récoltée dans les champs © S. Jutzeler Vaud © B. Bäumler, CRSF cultivés © S. Jutzeler www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 4/8 On considère que la moitié des oiseaux nicheurs de nos campagnes sont actuellement menacés. L'absence de surfaces extensives pour les nicheurs au sol, la disparition des haies et des bosquets, ou l'absence de vieux arbres à cavités pour les nicheurs cavernicoles sont autant de facteurs aggravant. Ces petites structures sont des éléments clés de l'habitat de nombreux oiseaux nicheurs, comme le bruant jaune et la pie-grièche écorcheur. Le torcol fourmilier est un oiseau devenu rare dans nos paysages agricoles en raison de l'absence d'arbres à cavités nécessaire à sa nidification © A.-C. Plumettaz Le bruant jaune, une espèce Le tarier des prés, un nicheur au sol caractéristique des paysages bocagers qui a besoin des surfaces extensives à où abondent les haies buissonnantes grande échelle © P. Rapin © P. Rapin Habitant symbolique de nos paysages agricoles, le lièvre brun a subi un rapide déclin durant la seconde moitié du 20ème siècle. Il est actuellement répandu dans le canton, mais ses effectifs sont faibles et au seuil de l'extinction dans bon nombre de régions. Le lièvre fait l'objet d'un important programme de suivi dans le canton afin d'évaluer dans quelle mesure la mise en place de jachères florales, de prairies extensives et de haies lui est favorable. Le lièvre brun, un habitant discret de nos campagnes © G. Porchet Le castor est un habitant des cours d'eau de plaine; il est donc naturellement présent dans les zones agricoles du Plateau. Eteint au début du 19ème siècle suite aux persécutions de l'homme, le castor a été réintroduit en Suisse dans les années 1960. Au total, 141 castors ont été lâchés en Suisse de 1957 à 1977, dont 21 dans le canton de Vaud. Le dernier recensement national fait état de 1'600 castors répartis sur 470 territoires. Un succès total! Afin de maintenir et développer les populations de castor tout en réduisant les conflits avec l'agriculture et les propriétaires forestiers, la Conservation de la faune a démarré cette année la rédaction d'un plan d'action cantonal en faveur du castor. Ce document stratégique sera disponible en ligne dès le printemps 2011. www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 5/8 Le castor ne s'éloigne que rarement des cours d'eau pour se nourrir © J. Pellet Un infatigable bûcheron friand de bois tendre © D. Gétaz Le Plateau, diversité des gènes Sur le Plateau, l’agriculture est l’un des acteurs principaux de la diversité génétique. Au fil des siècles, les sélections successives de semences ont permis l’apparition de très nombreuses variétés de légumes, fruits, céréales et plantes fourragères adaptées aux besoins et aux conditions locales ou régionales. Ces variétés anciennes possèdent souvent des propriétés intéressantes, telles que la résistance aux maladies et aux parasites, une adaptation à l’altitude ou encore une composition chimique plus intéressante en termes de nutrition. La sauvegarde de ce patrimoine génétique et culturel fait l’objet de plusieurs programmes de conservation. La diversité génétique des prairies et des cultures peut être mise à mal par certaines pratiques actuelles: jachères, prairies artificielles, chantiers de génie civil et jardins sont autant de surfaces rapidement ensemencées afin d’être cultivées, stabilisées ou fleuries. Or, les semences du commerce utilisées sont souvent produites à partir d’un nombre réduit d’individus, provenant d'autres régions, voire d'autres pays. Ces interventions produisent des surfaces esthétiquement réussies, souvent richement fleuries, mais elles présentent le risque d'un nivellement génétique dommageable pour la diversité naturelle. Les semences introduites exercent une concurrence sur les graines naturellement présentes dans le sol et les empêchent de se développer. C'est le cas par exemple dans les jachères ensemencées avec des mélanges du commerce. Leurs génomes peu diversifiés se répandent ensuite dans les populations naturelles, en réduisant la diversité génétique et en diminuant les capacités des espèces à s’adapter aux conditions locales et aux changements environnementaux. La diversité génétique régionale devrait être préservée, en particulier dans les milieux naturels sensibles. C'est possible par exemple en recourant à l'ensemencement avec des graines prélevées dans les environs. Il s'agit de pratiques simples mises en oeuvre par exemple lorsqu’une prairie est reconstituée après des travaux. On parle alors d’ensemencement à la « fleur de foin » ou avec la méthode de l’« herbe à semences ». Ces techniques apportent une plus-value biologique importante et sont encouragées par le canton dans le cadre des réseaux écologiques notamment. www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 6/8 La prairie où est récoltée l’herbe à semences doit être naturelle et diversifiée © S. Jutzeler Reconstitution d’une prairie à partir du foin d’une prairie voisine © S. Jutzeler Œillet des Chartreux issu d'un ensemencement à partir du foin d'une prairie voisine © S. Jutzeler Le Plateau, prestations offertes par la biodiversité ● Une grande diversité des milieux naturels à proximité des cultures permet de préserver d'importantes communautés d'insectes prédateurs des ravageurs de cultures. Ces espèces (carabes, araignées, etc.) sont qualifiées à juste titre d'auxiliaires des cultures et permettent de réduire l'utilisation de produit de synthèse dans le traitement contre les ravageurs. ● On considère que 70% des plantes sont pollinisées par des animaux. Les insectes pollinisateurs (bourdons, abeilles mellifères et abeilles sauvages en particulier) garantissent ce service essentiel aux cultures. ● La diversité des plantes et des structures paysagères en milieu agricole permet d'assurer la stabilité des sols et de réduire les risques érosifs. Elle permet de tamponner les fluctuations du microclimat (température et disponibilité en eau) et augmente ainsi le rendement des herbages. ● La biodiversité dans les paysages agricoles se reflète dans la diversité de nos produits de consommation que ce soit au travers des variétés céréalières ou des variétés fruitières. ● Un paysage rural offrant une grande diversité d'habitats, de structures et d'espèces constitue un cadre général de vie apprécié par tous les habitants du canton. Paysage bocager à Chavannes-surMoudon © S. Jutzeler Paysage à Lavigny © S. Jutzeler www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 Sentier rural à Cugy © J. Pellet 7/8 ● La biodiversité en milieu rural est également intéressante du point de vue culinaire ou médicinal. Ourlets, lisières et bords de champs sont riches en plantes sauvages comestibles dont la récolte, autrefois banale, apporte aujourd’hui des saveurs nouvelles jusque sur les tables des grands chefs. La reine-des-prés, par exemple, que l’on rencontre fréquemment le long des lisières humides, était autrefois récoltée comme plante médicinale contre les rhumatismes. Aujourd’hui, ses vertus anti-inflammatoires et antalgiques sont toujours reconnues, mais c’est surtout comme plante comestible qu’elle crée la nouveauté, comme par exemple au restaurant du Cerf à Cossonay. La reine-des-prés, une plante qui se redécouvre dans les assiettes © B. Bäumler, CRSF Le Plateau, acteurs de la conservation de la biodiversité Ce qu'il en dit Pour qui veut la chercher, ou simplement regarder au-delà des magnifiques prairies à narcisses et du lis martagon de nos montagnes, la flore du Plateau vaudois offre elle aussi une richesse et des contrastes étonnants: coteaux secs du Léman, prairies montagnardes du Jorat, collines sablonneuses de la Broye, forêts humides du lac de Morat, chaque milieu naturel possède ses espèces caractéristiques adaptées aux conditions locales, certaines fort rares. Comme d'autres éléments du patrimoine collectif, la flore témoigne de l'histoire de la région, de celle de son climat, de son agriculture, de ses traditions alimentaires, … Son évolution se poursuit sous nos yeux. Cette richesse ne se cantonne pas aux réserves naturelles: elle est disséminée partout, dans les villes, au bord des champs, dans les zones industrielles, sur les talus de route, le long des lisières, dans les gravières, les ruisseaux. Cette diversité de milieux montre combien la protection de la flore et son développement sont l'affaire de nombreux partenaires, chacun dans son domaine d'action: agriculteur, municipal et employé communal, garde forestier, cantonnier, sans oublier le particulier dans l'arborisation de son jardin… Vouloir protéger et favoriser la flore indigène, c'est d'abord la connaître et la faire connaître: merci aux naturalistes ! C'est ensuite informer et sensibiliser ceux qui agissent sur le territoire. C'est enfin instaurer des collaborations équilibrées et concrètes, condition pour que nos efforts portent leurs fruits. Franco Ciardo, botaniste au Centre de conservation de la faune et de la nature www.vd.ch/biodiversite-plateau juillet 2010 8/8