Romanisation

publicité
1/8
29/10/2014 |
Romanisation
Phénomène évolutif et diversifié qui a touché la plupart des peuples soumis par Rome, la romanisation peut
se définir comme une mutation plus ou moins profonde des sociétés indigènes, consécutive à l'adoption d'une
civilisation étrangère. Processus complexe, né de la rencontre de deux cultures, la romanisation ne saurait se
réduire à une simple acculturation imposée par le vainqueur: en acceptant progressivement de nouveaux
modes de vie, la société celtique et rhétique (Celtes, Rhètes), loin d'être restée passive, a su faire preuve
d'initiatives, redéfinir voire créer des modèles culturels, tout en restant fidèle à certaines traditions
ancestrales. C'est ainsi que le monde gallo-romain apparaît comme le résultat d'un profond changement du
cadre de vie, où la part des survivances, en raison d'une connaissance encore lacunaire de la civilisation
celtique, reste difficile à saisir. Phénomène bien antérieur à l'intégration politique, la romanisation a été
favorisée non seulement par l'adhésion rapide des élites au modèle proposé par Rome, mais aussi par le
réalisme politique des Romains qui ont su maintenir les cadres identitaires des peuples soumis et intégrer
l'aristocratie des anciens chefs gaulois aux nouvelles formes du pouvoir. Le rythme et l'intensité de la
romanisation varient selon les régions et les circonstances: ainsi, le bassin lémanique et le Bas-Valais
apparaissent davantage imprégnés de romanité que le nord-ouest du Plateau ou que les vallées alpines,
restées plus longtemps attachées à leurs traditions, tandis que les colonies romaines de Nyon (Colonia Iulia
Equestris), d'Avenches (Aventicum) et d'Augst (Augusta Raurica), mais aussi le Tessin méridional, se révèlent
plus romanisés que la Suisse nord-orientale, moins peuplée et restée à l'écart des grands axes de circulation.
Auteur(e): Daniel Paunier
1 - Les débuts de la romanisation
Avant même l'influence de Rome, l'expansion grecque en Occident, en particulier la fondation de la colonie
phocéenne de Marseille vers 600 av. J.-C., a largement contribué à l'évolution de la société celtique, qu'il
s'agisse de règles d'urbanisme et d'architecture, de techniques agricoles ou de nouvelles pratiques
commerciales, sociales, artistiques et religieuses. Les migrations des Celtes au IVe s. av. J.-C., qui s'emparent
de Rome en 387 et s'installent en Italie du Nord, la multiplication des contacts avec les civilisations urbaines
du bassin méditerranéen dès le IIIe s. av. J.-C., l'engagement de nombreux mercenaires celtes dans les
armées hellénistiques, la conquête romaine de la Gaule cisalpine, puis de la Gaule transalpine, vont stimuler
les contacts et conduire à la restructuration de la société gauloise et à l'émergence de la civilisation des
oppida (Oppidum ), premier signe d'un processus d'urbanisation. Dès lors, les échanges avec le monde
romain s'intensifient: Rome conclut des alliances pour contrôler les grands axes, des marchands romains
parcourent la Gaule; véritable révolution économique, plusieurs peuples, dont les Helvètes, rendent leur
monnaie compatible avec le système monétaire romain; pendant la guerre des Gaules, des membres de
l'aristocratie celte rejoignent l'état-major de César et des indigènes s'engagent dans les troupes romaines
d'auxiliaires: autant d'occasions de rencontres et d'échanges. Aussi, lorsque l'empereur Auguste prend le
pouvoir, la romanisation est-elle en marche depuis plusieurs siècles.
Auteur(e): Daniel Paunier
2 - Intégration du territoire de la Suisse dans l'Empire romain
2.1 - Organisation territoriale, politique et administrative
Si la région des lacs italiens et tessinois ainsi qu'une partie du territoire de Genève passent sous le contrôle
de Rome dès le IIe s. av. J.-C., si deux colonies, premiers foyers de romanisation, sont établies à Nyon vers
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
2/8
50/46 av. J.-C. et à Augst en 44 av. J.-C., c'est avec la conquête des Alpes, commencée en 25 av. J.-C. et
achevée probablement en 13 av. J.-C., que l'ensemble de la Suisse actuelle est annexée à l'Empire romain.
L'établissement de postes militaires en relation avec l'offensive romaine contre les Germains, puis le retrait
des troupes sur le Rhin, consécutif à la défaite de Varus en 9 apr. J.-C., trahit la ferme mainmise de l'armée
romaine sur le territoire. Progressivement, certains oppida sont abandonnés tandis que d'autres continuent
d'être occupés sans rupture apparente.
Entre 16 et 13 av. J.-C. probablement, Auguste entreprend la réorganisation de la Gaule: subdivision en
provinciae , recensement de la population, mise en place d'un vaste réseau routier, fondation de villescapitales et d'agglomérations secondaires. Chaque territoire des anciens peuples gaulois devient une entité
administrative et politique, la cité (Civitas ), dotée d'un chef-lieu, centre urbain conforme aux critères romains
de l'urbanitas, où les élites indigènes exercent le pouvoir; c'est ainsi qu'Avenches devient la capitale des
Helvètes, Augst la caput gentis des Rauraques, et Martigny (Forum Claudii Vallensium) le chef-lieu des
peuples du Valais, regroupés par l'empereur Claude en une seule entité. Certains peuples (Helvètes,
Allobroges) conservent sous l'Empire d'anciennes circonscriptions (Pagus ), survivances du temps de
l'indépendance. Des agglomérations secondaires (Vicus ), dépendant administrativement du chef-lieu et
manière de relais entre la ville et la campagne, sont réaménagées ou créées ex nihilo dès l'époque
augustéenne, probablement à la suite d'une décision impériale. Dans les campagnes, les villae , exploitations
rurales à la romaine dont la plupart restent aux mains des grandes familles de l'aristocratie gauloise,
supplantent progressivement mais partiellement les fermes indigènes, tandis qu'une nouvelle cadastration
permet de fixer l'assiette de l'impôt foncier et de procéder, le cas échéant, à une redistribution des terres.
Les institutions municipales, calquées sur celles de Rome, comprennent un sénat local (ordo decurionum) et
deux duumviri, élus pour une année, chargés de la gestion générale; édiles, questeurs ou préfets complètent
le pouvoir exécutif des cités; dans les vici, les habitants (vicani) se réunissent en assemblées, présidées par
des curatores ou des magistri, choisis, eux aussi, pour un an. Le droit romain, complexe et parfaitement
codifié, s'impose, complété, en particulier pour les non-citoyens, par des règles locales; la justice est rendue
soit par des magistrats supérieurs (duumviri jure dicundo) dans le cadre des cités, soit par le gouverneur de la
province, voire, pour les cas graves, par l'empereur, juge souverain. Malgré l'existence de lois et de tribunaux
chez les Gaulois, le nouveau système juridique marque à l'évidence un net hiatus avec le passé. Quant à
l'organisation territoriale, mise en œuvre dès l'époque augustéenne, elle est loin de marquer une rupture
totale: depuis le IIe s. av. J.-C., l'émergence simultanée des oppida et d'un habitat dispersé (exploitations
agricoles, résidences aristocratiques), comme l'existence, bien attestée aujourd'hui, d'un vaste réseau routier
et de parcellaires, préfigurent la forte structuration du paysage de l'époque gallo-romaine.
Auteur(e): Daniel Paunier
2.2 - Présence et rôle de l'armée
Le repli des troupes romaines sur la rive gauche du Rhin en 9 apr. J.-C. et la consolidation de la frontière
rhénane par Tibère, puis par Claude, eurent pour conséquence l'établissement d'un camp légionnaire à
Windisch (Vindonissa) et l'installation de postes militaires (castella), notamment à Augst et à Zurzach. La
présence successive de trois légions et de troupes auxiliaires, soit en permanence environ 6000 soldats, a
constitué un important facteur de romanisation: avec l'armée, la population indigène est entrée en contact
direct avec la culture et les usages romains; en assurant le ravitaillement des troupes, en collaborant au
transport des marchandises venues de loin, en offrant aux soldats des biens et des services, elle a bénéficié
d'un essor économique incontestable, tout en s'ouvrant à la civilisation du vainqueur. L'enrôlement
d'indigènes dans les troupes auxiliaires a également contribué à favoriser l'adoption de nouveaux genres de
vie; l'épigraphie cite des cohortes formées d'Helvètes, de Rauraques ou de soldats issus des peuples
valaisans et livre plusieurs témoignages de soldats originaires du territoire suisse, morts sur des terres
lointaines. A la fin de leur service (généralement vingt à vingt-cinq ans), les auxiliaires pérégrins reçoivent un
diplôme de l'empereur leur conférant, ainsi qu'à leurs descendants, le rang de citoyen romain. Quant aux
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
3/8
légions, formées essentiellement de citoyens, elles furent dans de très rares cas commandées par des nobles
indigènes, à l'exemple de l'Helvète C. Iulius Camillus, tribun militaire.
Les anciens soldats (vétérans) s'établissent souvent dans la région où ils ont fait leur service, deviennent
propriétaires fonciers et nouent des liens étroits avec l'aristocratie municipale. L'armée peut aussi participer
au développement régional en mettant à la disposition des autorités locales des ingénieurs et des spécialistes
pour la construction de routes, de ponts, d'aqueducs ou de monuments publics. Après l'abandon du camp de
Vindonissa en 101 apr. J.-C., consécutif au déplacement de la frontière de l'Empire (Limes ) plus au nord, la
présence de l'armée restera très discrète jusqu'au Bas-Empire; seuls quelques détachements seront appelés
à surveiller les routes, notamment à Genève, à Vevey et à Soleure.
Auteur(e): Daniel Paunier
3 - Peuplement et société
Si l'occupation romaine a exercé une influence déterminante sur la civilisation et pourrait laisser croire à un
renouvellement complet du peuplement, les sources littéraires, épigraphiques et archéologiques ne peuvent
que confirmer à la fois l'origine indigène de la population et la romanisation des élites, en particulier par
l'acquisition de la citoyenneté romaine. A la veille de la conquête, la société gauloise comprend trois classes
principales: l'élite aristocratique (chevaliers et druides) qui exerce le pouvoir, le peuple, pratiquement privé
de droits, et les esclaves, tandis que les catégories sociales de l'Empire romain comportent, hormis
l'empereur et sa famille, l'ordre sénatorial, l'ordre équestre, l'ordre des décurions, les riches affranchis, enfin
les couches inférieures (hommes libres, affranchis, esclaves). Dans les territoires soumis par Rome, les
hommes libres sont devenus des "pérégrins".
L'accession à la citoyenneté romaine, un des ressorts essentiels de la romanisation, peut résulter d'un octroi
individuel ou collectif du droit de cité; dans les cités de droit latin, comme Avenches ou le Valais, les notables
qui ont exercé toutes les charges municipales reçoivent ipso facto les droits et les privilèges du citoyen
romain; l'armée, enfin, permet, elle aussi, de bénéficier d'une telle promotion. Dès les premières années de
l'Empire, l'aristocratie locale s'est intégrée à la structure sociale romaine en assumant des magistratures
civiles et des fonctions militaires; ainsi, parmi la grande famille des Camilli d'Avenches, qui a exercé les plus
hautes charges dans la cité des Helvètes, certains membres ont déjà reçu la citoyenneté de l'empereur
Auguste, peut-être même de Jules César; l'un d'entre eux, C. Iulius Camillus, privilège rare, a accédé à l'ordre
équestre grâce à une faveur de Galba. Cette élite, d'origine foncière, prompte à adopter le modèle romain, a
largement contribué à la mutation, rapide et profonde, de la société indigène.
Progressivement, et de plus en plus largement, les couches supérieures et moyennes obtiennent la
citoyenneté, jusqu'au moment où l'édit de l'empereur Caracalla accorde ce droit à tous les habitants de
condition libre de l'Empire en 212 apr. J.-C. Quant aux femmes, en général de même rang social que leur
mari, elles ne peuvent accéder, dans les charges officielles, qu'à la prêtrise, notamment du culte des
impératrices (huit attestations). Dans le droit romain, qui ne s'applique qu'aux citoyens, et selon le régime
matrimonial, l'épouse est soumise à la tutelle de son mari, de son père ou d'un parent. Hormis le service du
culte impérial, les mentions des activités féminines (femmes d'affaire, médecins, employées ou domestiques)
restent rares en Suisse; on peut mentionner toutefois à Avenches Pompeia Gemella, nourrice, et peut-être
éducatrice du futur empereur Titus.
Auteur(e): Daniel Paunier
4 - Villes et campagnes
4.1 - L'espace urbain
S'il est admis aujourd'hui de considérer les oppida, qui concentrent les pouvoirs économique, administratif,
politique et religieux, comme des "villes celtiques", on ne saurait les comparer aux fondations
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
4/8
méditerranéennes, dont l'urbanisme est l'expression même de la civilisation gréco-romaine: en Gaule, le tracé
des enceintes, de conception et de formes très diverses, ne répond pas toujours aux exigences d'une défense
efficace, les voies et les places ne s'inscrivent guère dans un système strictement orthogonal, les monuments
publics (temples, enclos) restent discrets, la gestion de l'eau ne relève d'aucune priorité et l'habitat des élites
se caractérise davantage par la qualité des objets quotidiens et le raffinement de la cuisine que par le luxe
architectural. Le processus d'urbanisation, consécutif à la réorganisation de la Gaule par Auguste et
expression de la volonté du pouvoir central, a été largement stimulé par les élites locales, promptes à créer,
souvent à leurs frais, des cadres à la romaine pour exercer leur pouvoir. Si les villes ont pu connaître un
rythme de développement variable selon les circonstances politiques et économiques, elles ont reçu, dès
l'époque augusto-tibérienne pour Nyon, Avenches et Augst, dès le règne de Claude pour Martigny,
l'équipement monumental nécessaire à la vie politique, religieuse, économique et sociale imposée par le
modèle romain: trame urbaine avec larges rues à caniveaux bordées de portiques, forum avec temple romain
classique sur podium et basilique, thermes, lieux sociaux de détente et de récréation (Amphithéâtre,
Théâtre), marchés, aqueducs et réseaux d'égouts (Adduction d'eau), fontaines et nymphées, gestion des
déchets et des ordures, mais aussi, à côté de demeures plus modestes, domus de l'élite, maisons à cour
intérieure d'inspiration méditerranéenne, richement ornées, expression matérielle du rang social de leurs
propriétaires. Ces centres urbains, où le remplacement progressif des structures en terre et en bois dès la
seconde moitié du Ier s. apr. J.-C. a profondément transformé le paysage, constituent une véritable image de
la romanité, propre à stimuler la mutation des modes de vie et des mentalités.
Les vici, où la présence des traditions indigènes est plus marquée, cherchent, eux aussi, à se doter d'un
paysage urbain à la romaine; mais, en raison d'un statut inférieur et faute de moyens financiers, ce dernier
reste plus modeste: trame viaire plus souple, absence de temples de type romain, maisons généralement de
plan allongé, regroupant les activités artisanales et domestiques, présence exceptionnelle de domus. Dans
les Alpes, les bourgades, telle Gamsen-Waldmatte (comm. Brigue-Glis), qui remontent presque toutes à l'âge
du Fer, répondent, elles aussi, à un plan directeur, mais peu contraignant; elles se distinguent par des
techniques de constructions traditionnelles (terre et bois), parfaitement adaptées au milieu, qui perdureront
bien au-delà de l'époque gallo-romaine.
Auteur(e): Daniel Paunier
4.2 - L'espace rural
Foyers de romanisation, les villae transposent à la campagne l'image et le bien-être urbains. C'est à partir de
l'époque augusto-tibérienne que les premiers établissements, d'abord en bois, puis en maçonnerie dès le
milieu du Ier s. apr. J.-C., souvent intégrés dans de nouveaux parcellaires, commencent à s'implanter
progressivement dans le territoire; ils remplacent, soit au même endroit, soit à une certaine distance, les
fermes indigènes en terre et en bois entourées d'un enclos fossoyé. Leur densité et leur extension atteignent
leur apogée au cours du IIe s. apr. J.-C. C'est alors que la partie résidentielle (pars urbana), luxueusement
aménagée, peut prendre l'aspect d'un véritable palais à la campagne (Orbe-Boscéaz) et que le secteur
réservé à l'exploitation agricole et à l'artisanat (pars rustica) connaît son plus grand développement.
Les activités principales sont la céréaliculture, l'élevage, l'arboriculture et les cultures maraîchères. Signe de
romanisation, de nouvelles plantes sont introduites, telles le coriandre, le fenouil, l'aneth, le seigle, l'avoine, le
froment et la vigne; avec la maîtrise de la greffe, l'arboriculture se développe: le noyer et le prunier,
notamment, viennent enrichir les espèces déjà connues; la palette des animaux domestiques s'élargit, avec
l'introduction de l'âne, du mulet, du chat et du pigeon; la taille du cheptel est augmentée par de meilleures
conditions d'élevage et des croisements sélectifs avec des races originaires d'Italie ou de Gaule méridionale.
Les techniques agricoles s'améliorent: amendement des terres par marnage et fumure, perfectionnement de
l'araire, sélection des semences, apparition des moulins hydrauliques, introduction des tonneaux, des fumoirs
à viande et des fours de séchage (fruits, céréales).
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
5/8
Dans le domaine alpin, les villae sont établies dans les basses vallées du Rhône et du Rhin, où la topographie
et l'étendue des terres permettent une exploitation agricole à grande ou moyenne échelle. Dans les hautes
vallées, la conquête romaine n'a pu modifier fondamentalement une économie essentiellement agropastorale, déterminée par les conditions topographiques et climatiques. Les constructions, en bois ou en
pierres sèches, restent fidèles aux techniques traditionnelles et l'élevage des caprinés demeure largement
préférentiel, comme il l'a été depuis le Néolithique et le restera jusqu'au Ve s. apr. J.-C. au moins.
Auteur(e): Daniel Paunier
5 - La vie quotidienne
Le latin, langue administrative, mais aussi culturelle de l'Empire, largement diffusé dans les écoles qui ont
remplacé l'enseignement des druides et sont ouvertes à toutes les classes de la population, aux filles comme
aux garçons, s'est rapidement imposé. Néanmoins, l'emploi de la langue vernaculaire, en particulier pour
l'expression orale, est attesté au moins jusqu'au Bas-Empire. L'usage de l'écriture, introduit en Gaule au IIe s.
av. J.-C. pour répondre aux impératifs du commerce, se répand très vite lui aussi. Les inscriptions, officielles
ou privées, gravées sur pierre ou sur bronze, qui constituent une nouveauté, les tablettes à écrire, les objets
inscrits ou les graffiti témoignent à l'évidence du processus d'alphabétisation des indigènes dès l'époque
augustéenne. Le cadre de la vie quotidienne, avec de nouvelles formes d'urbanisme et un paysage rural
renouvelé, s'est transformé; dans l'habitat privé, les signes de la romanité se traduisent par les techniques de
construction (maçonnerie, tuiles), le décor (peintures murales, mosaïques, statuaire, stucs), l'agencement, la
spécificité (salons, salles à manger, chambres à coucher, cuisines) et le confort des pièces (chauffage par
hypocauste), l'éclairage (lampes à huile, lanternes) ou l'ameublement (la maison celtique ne connaît
généralement ni bancs, ni tables, ni lits, ni foyers surélevés: toutes les activités se déroulent au niveau du
sol). La vaisselle trahit une évolution des habitudes culinaires, différenciée toutefois selon les classes sociales
et les régions. Dès le Ier s. av. J.-C., de nouveaux modèles importés du bassin méditerranéen ou imités dans
des officines locales (mortiers, cruches, vaisselle de table à vernis rouge, céramique fine) cohabitent avec des
formes indigènes traditionnelles. Avec les importations d'amphores, ils témoignent de l'adoption d'usages
alimentaires méditerranéens, où l'huile d'olive, le vin et les condiments relevés, comme le vinaigre et les
sauces de poisson (garum), mais aussi les cuissons à l'étouffée et les braisés, connaissent une faveur
particulière; la cuillère, bien avant la fourchette, apparaît.
La toge romaine est portée par les citoyens lors des cérémonies officielles; sinon, la tunique, le manteau,
souvent agrafé par une fibule, et les chaussures, généralement cloutées, constituent les éléments essentiels
de l'habillement; les femmes suivent la mode diffusée par les impératrices (coiffure, maquillage, parure).
L'hygiène et le bien-être connaissent des améliorations importantes par l'usage des thermes et la pratique du
sport, l'aménagement d'égouts et de latrines, mais aussi par le développement de la médecine et le
perfectionnement de la pharmacopée; l'espérance de vie, même si sa valeur moyenne reste modeste,
s'accroît sensiblement. Enfin, l'offre des loisirs se romanise, notamment avec le théâtre, lieu de diffusion de la
culture romaine; à côté de la lyre et du carnyx gaulois, la palette des instruments de musique s'enrichit par
l'adoption de la flûte, des cymbales, du luth, de la cithare ou de l'orgue hydraulique.
Auteur(e): Daniel Paunier
6 - La vie économique
Si les échanges commerciaux à longue distance, pratiqués dès l'époque de Hallstatt, se sont intensifiés vers
la fin du IIe s. av. J.-C., si, au même moment, certains peuples gaulois ont adapté leur monnayage au système
romain, si l'existence d'un réseau routier préromain déjà développé est désormais confirmé, il faut attendre
l'époque augustéenne pour que l'essor économique s'affirme, avant de connaître son apogée dans la seconde
moitié du Ier et au IIe s. apr. J.-C. L'adoption du système pondéral et monétaire romain, une administration
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
6/8
souple et efficace, des règles juridiques précises et la réorganisation du réseau de communications terrestres
et fluviales, devenues plus sûres, vont stimuler les échanges. Des relais (mansio ou mutatio), des bureaux de
douane prélevant des taxes destinées à remplacer les péages préromains et des postes de contrôle du trafic
confiés à des détachements de l'armée jalonnent les grands axes; les voies fluviales et lacustres se
développent par la mise en place d'aménagements portuaires (Genève, Lausanne-Vidy, Avenches).
Les corps de métiers spécialisés s'organisent en corporations: nautes du Léman, bateliers de l'Aar et de la
Thielle, negotiatores cisalpini et transalpini, negotiatores salsarii et leguminari (marchands de légumes et
d'olives) qui prennent en charge et contrôlent les échanges. De nombreuses marchandises arrivent de la
Méditerranée, d'Afrique, d'Orient, de Gaule ou de Bretagne (denrées alimentaires, vaisselle, verre, métaux,
marbres, meules, mais aussi des produits rarement conservés, comme les tissus ou les épices); en échange,
le territoire exporte des salaisons, des bois, des récipients en pierre ollaire, des cristaux de roche, des objets
manufacturés, notamment en bronze. Au carrefour des grandes voies d'échanges à travers les Alpes et le Jura
et le long du couloir rhodanien devenu prépondérant sous l'Empire, le territoire de la Suisse actuelle s'est
intégré de bonne heure au réseau commercial international.
Auteur(e): Daniel Paunier
7 - Techniques, artisanat et art
L'utilisation traditionnelle de la terre et du bois pour les constructions se maintient pendant tout l'Empire,
toutefois la romanisation se manifeste par l'adoption de la maçonnerie, de la pierre de taille, du marbre
(importé essentiellement du bassin méditerranéen), des tuiles, des enduits de mortier de chaux et des sols en
dur (mortier, béton de tuileau, dallages de pierre ou de terre cuite). Outre les peintures murales et les
mosaïques, le décor s'enrichit par l'emploi des placages de pierre, de la marqueterie ou des stucs; le confort
s'accroît avec le chauffage à air chaud (hypocauste) et une maîtrise de la gestion de l'eau (drainages,
canalisations maçonnées ou en bois, en plomb ou en terre cuite, égouts). La pierre est systématiquement
exploitée dans des carrières pour sa mise en œuvre dans les constructions, la confection de meules ou la
fabrication de récipients en pierre ollaire.
De nouvelles techniques s'imposent, comme le moulage, utilisé pour les lampes, les statuettes ou les décors
en relief, la fabrication de vaisselle à vernis rouge grésé, le soufflage du verre, qui permet une fabrication à
large échelle, enfin la tabletterie, un emploi utilitaire de l'os très peu développé chez les Celtes. Si la statuaire
en bois, en pierre, plus rarement en bronze, est désormais bien attestée chez les Gaulois, elle ne se
généralisera qu'à l'époque romaine, dans la vie publique comme dans la sphère privée. Malgré quelques
réminiscences ou certains traits pouvant renvoyer à des courants populaires, italiques ou gaulois, ce sont les
canons de l'art gréco-romain qui s'imposent.
Des œuvres prestigieuses sont importées dès l'époque augustéenne, ornant places et monuments publics,
riches demeures et mausolées de l'élite; d'autres pièces relèvent de productions locales, souvent de grande
qualité elles aussi. L'art celtique, aux créations si originales, comme la littérature, essentiellement orale, ont
pratiquement disparu. Désormais, les Gallo-Romains se conforment aux genres et aux canons de la culture
classique; la tradition ne reste perceptible que dans des œuvres mineures ou dans l'artisanat.
Auteur(e): Daniel Paunier
8 - Religion et pratiques funéraires
Malgré le poids des traditions, la romanisation va également introduire des changements fondamentaux dans
le domaine religieux. Les druides et les valeurs qu'ils représentent, incompatibles avec le nouvel ordre
romain, sont interdits, de même que les sacrifices humains et la polygamie. Pour assurer la cohésion de
l'Empire, le culte de l'empereur est institué et de nouveaux espaces religieux sont aménagés, signes
tangibles de l'établissement de la religion officielle; règles du sacré, rites sacrificiels et institutions
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
7/8
sacerdotales relèvent du modèle romain. Les dieux ancestraux, qui conservent souvent leur nom
(Cantismerta, Epona, Lugoves, Taranis, Naria et bien d'autres), leur origine naturelle (Poeninus, divinité
topique du sommet du Grand-Saint-Bernard) ou animale (taureau tricorne, déesse-ourse Artio) ainsi que leurs
attributs, doivent s'adapter à de nouvelles règles, sans toutefois que la correspondance entre dieux gaulois et
divinités romaines proposée par César (interpretatio romana) ne soit aussi contraignante; mais leur vraie
nature, faute d'une connaissance suffisamment précise de la religion gauloise, échappe, pour l'heure, à toute
analyse.
Des sanctuaires suburbains, comme à Avenches ou à Augst, réservés aux dieux officiels de la cité, réunissent
les divinités du panthéon romain et les dieux indigènes réinterprétés, dont certains, comme Caturix chez les
Helvètes, deviennent des dieux publics; il en va de même pour des ensembles cultuels régionaux, comme à
Studen-Petinesca et Thoune-Allmendingen, où les dieux ancestraux ont dû prendre des valeurs nouvelles,
compatibles avec les usages romains. L'architecture religieuse se transforme en adoptant le temple romain
classique sur podium et le fanum gallo-romain, avec cella surélevée et galerie périphérique, une création
originale fortement influencée par Rome, qui confirme une manière de rupture avec le passé gaulois.
Désormais, les dieux ont pris, sauf exception, une forme humaine et le temple où se dressent leurs effigies
est devenu leur demeure. La survivance de sanctuaires de type celtique, comme l'enclos à fossés de
Lausanne-Vidy, encore en fonction au Ier s. apr. J.-C., reste exceptionnelle. Dans la sphère privée, le culte
domestique romain, avec son laraire regroupant les statuettes des divinités, est largement adopté, en
particulier par les élites.
Dans le domaine funéraire, régi lui aussi par la loi romaine, l'incinération, déjà présente à la fin de La Tène,
s'impose à l'exception du massif alpin où le rite de l'inhumation perdure pendant tout l'Empire malgré la
romanisation des offrandes, voire de l'architecture des tombes (Tessin). Conformément à l'usage romain, les
nécropoles s'établissent à l'extérieur du périmètre urbain; les défunts sont parfois brûlés à l'emplacement
même de la tombe, tandis que les nouveau-nés et les enfants en bas âge échappent à la crémation. Reflet de
la hiérarchie sociale, les sépultures peuvent être signalées par des structures modestes qui n'ont guère laissé
de traces, des stèles sculptées ou inscrites, indiquant généralement le nom, l'âge, le statut et la carrière du
mort, des édicules maçonnés, voire d'imposants mausolées, dont l'architecture et le langage iconographique
s'inspirent directement des canons gréco-romains, monuments d'orgueil et de faire-valoir, propres à exalter la
prééminence sociale et culturelle des notables. Rares sont les références à d'anciennes pratiques, comme le
dépôt d'armes, attesté par exemple à Remetschwil au début du Ier s. apr. J.-C. dans une tombe romanisée.
Auteur(e): Daniel Paunier
9 - Conclusions
La romanisation a entraîné une mutation profonde de la société celtique et de son cadre de vie sans que le
substrat ethnique ne subissent de modifications notables. Plusieurs facteurs ont pu favoriser le phénomène:
des échanges de longue date entre deux civilisations qui présentaient de nombreux points communs, une
longue période de paix et de prospérité après une conquête conduite sans ménagement, l'octroi d'une large
autonomie à des cités devenues romaines de plein droit mais toujours dirigées par une même élite indigène,
l'esprit d'ouverture, mais aussi l'absence de fanatismes religieux. Considérer la romanisation, un phénomène
exceptionnel dans l'histoire, comme une réussite peut être légitime, mais doit être nuancé. Si la mutation
s'est réalisée avec l'encouragement de Rome et l'assentiment des notables, si les indigènes, à en croire
Tacite, "sont devenus différents sans s'en apercevoir", on ne saurait passer sous silence ni la perte d'identité
dont a été victime la population, ni l'aliénation, voire la disparition presque totale d'une riche culture. La
société indigène romanisée va assurer une longue continuité historique et linguistique en Suisse romande, en
Rhétie et au Tessin, tandis que la partie alémanique du pays, progressivement colonisée par les Germains à
partir du VIe s. apr. J.-C. jusqu'à la Sarine, adoptera peu à peu une nouvelle identité culturelle et linguistique
(Alamans). Si les colonies d'Augst, de Nyon et d'Avenches n'ont pu conserver leur importance (leur place sera
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
8/8
occupée par Bâle, Genève et Lausanne), l'héritage gallo-romain restera toutefois partout vivant,
particulièrement grâce à l'Eglise, qui conservera l'usage du latin et une organisation administrative et
hiérarchique à l'image de Rome, et par la survivance du droit romain, perceptible du haut Moyen Age à nos
jours.
Auteur(e): Daniel Paunier
Références bibliographiques
Bibliographie
– Ch. Goudineau, Regard sur la Gaule, 1998
– D. Paunier, «Dix ans d'archéol. gallo-romaine en Suisse», in Revue du Nord, 80, 1998, 235-251
– G. Woolf, Becoming Roman, 1998
– SPM, 5
– W. van Andringa, La religion en Gaule romaine, 2002
– L. Flutsch, L'époque romaine ou la Méditerranée au nord des Alpes, 2005
– D. Paunier, dir., La romanisation et la question de l'héritage celtique, 2006
Auteur(e): Daniel Paunier
URL: http://www.hls-dhs-dss.chF12293.php
© 1998-2017 DHS: tous les droits d'auteur de cette publication sont réservés au Dictionnaire historique de la Suisse, Berne. Les textes sur
support électronique sont soumis aux mêmes règles que les textes imprimés. Droits d'utilisation et modalités de citation (PDF)
Téléchargement