Peut-on recommander l’eau du robinet pour la détersion d’une plaie ? Docteur Fabien SQUINAZI Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris Les plaies chroniques • plaies ouvertes évoluant depuis plusieurs semaines sans tendance à la cicatrisation – ulcères de jambe – plaies diabétiques neuropathiques ou artériopathiques – escarres – plaies chirurgicales compliquées ⇒ plaies à haut risque car augmentation des complications au cours du temps Flore microbienne des plaies chroniques • un mélange de plusieurs espèces microbiennes en surface et en profondeur • tissus lésés : conditions plus favorables de prolifération que sur la peau saine et points d’ancrage des micro-organismes • origines : peau et muqueuses du patient : milieu extérieur et désinfectants contaminés La flore microbienne aux trois stades d’une plaie chronique • phase de nécrose et de détersion (plaie fibrineuse sèche ou humide) ⇒ majorité de bacilles Gram négatif • phase de bourgeonnement (plaie rouge) ⇒ mélange de bacilles Gram négatif et bactéries Gram positif • phase d’épidermisation ⇒ majorité de bactéries Gram positif Les micro-organismes retrouvés • bacilles Gram négatif – flore digestive : Escherichia coli, Klebsiella – flore digestive (séjour hospitalier, antibiothérapie) Enterobacter, Serratia, Citrobacter, Proteus vulgaris, Morganella, Providencia – milieux extérieurs : Pseudomonas aeruginosa, Stenotrophomonas maltophilia Les micro-organismes retrouvés • bactéries anaérobies (hypoxie des tissus lésés) – coques Gram positif : Peptostreptococcus – bacilles Gram négatif : Fusobacterium, Bacteroïdes, Prevotella, Porphyromonas • coques Gram positif – – – – staphylocoques (SARM) streptocoques non hémolytiques (S. viridans) streptocoques hémolytiques A, B, C ou G entérocoques Les états microbiens d’une plaie chronique • contamination : présence de germes sans multiplication • colonisation : multiplication de germes sans réaction de l’hôte puis plateau de croissance • infection : réponse de l’organisme à la multiplication de germes avec signes locaux et/ou généraux (suppuration, inflammation, extension rapide de la plaie, douleur, fièvre…) Plaie infectée • infection = quantité de germes (dose) x virulence / résistance de l’hôte > 105 ou 106 germes par gramme de tissu biopsié ou > 103 germes (streptocoque β hémolytique) • certains facteurs exposent à un risque augmenté d’infection de plaie : diabète déséquilibré, corticothérapie, âge avancé, athérosclérose, immunodéficiences acquises, œdème, malnutrition protéino-énergétique, alcoolisme, antécédents de chirurgie ou de radiothérapie Soin de la plaie chronique • éviter la contamination par des micro-organismes provenant : – d’autres sites du patient (contamination endogène, en particulier la flore fécale) – de l’environnement ou d’autres patients (contamination exogène) • un soin propre mais non stérile • sans antiseptiques, ni antibiotiques locaux toxicité sur la cicatrisation, pouvoir bactéricide faible voire nul, risque élevé d’allergie de contact, possibilité d’induction de résistance bactérienne Soin à la phase de détersion • Objectifs : – diminution significative de la charge bactérienne indésirable en excès sur la plaie, – élimination des débris et cellules mortes asphyxiant la plaie, – respect des cellules jeunes, des cytokines et des facteurs de croissance – respect du pH, – soin non agressif localement Soin à la phase de détersion • nettoyage à l’eau du réseau (eau pour soins standards) et savon hypoallergénique neutre, puis rinçage efficace à l’eau du réseau par un jet d’eau tiède, de force moyenne • détersion de la fibrine adhérente à la curette stérile • dernier rinçage au sérum physiologique • application d’un dispositif médical stérile adapté et recouvert d’un pansement secondaire Soin aux autres phases • Phases de bourgeonnement et d’épidermisation – lavage au sérum physiologique – application d’un dispositif médical stérile adapté et recouvert d’un pansement secondaire • Plaie infectée – augmentation du nombre de réfections de pansement et de leur pouvoir d’absorption – utilisation de dispositifs médicaux contenant de l’argent et d’antibiotiques per os ou intraveineux Eau destinée à la consommation humaine Bactéries E. coli Limite de qualité 0/100ml entérocoques 0/100ml Référence de qualité coliformes 0/100ml sulfitoréductrices 0/100ml aérobies 22°C Rapport < 10 aérobies 36°C /valeur habituelle Eau du réseau intérieur : facteurs promoteurs du biofilm • • • • • • • charge organique de l’eau entrante nature, âge et état des matériaux relargage de composés biodégradables vitesse de circulation faible, stagnation de l’eau températures intermédiaires (25° - 50°C) entartrage (porosité, accrochage) corrosion (porosité, nutriment) Des pathogènes opportunistes dans l’eau du robinet • bacilles à Gram négatif : – – – – – – – – – Legionella spp. dont L.pneumophila, Pseudomonas spp. dont P.aeruginosa, Aeromonas spp. dont A. hydrophila, Flavobacterium spp. dont F.meningosepticum , Alcaligenes spp., Achromobacter spp., Xanthomonas spp., Acinetobacter spp., entérobactéries. Des pathogènes opportunistes dans l’eau du robinet • bactéries à Gram positif : – Staphylococcus spp. dont Staphylococcus aureus, – Bacillus spp., – Clostridium spp • bactéries particulières : – Mycobactérium spp. dont Mycobacterium kansasii, M. xenopi, M. chelonei, M. fortuitum Eau du réseau non traitée • soins standards – flore aérobie revivifiable à 22°C (≤ 100 UFC/ml) et à 36°C (≤ 10 UFC/ml) – coliformes totaux < 1 UFC/ 100 ml – Pseudomonas aeruginosa < 1 UFC/ 100 ml – Legionella pneumophila < 1000 UFC / litre Eau du réseau traitée • eau bactériologiquement maîtrisée – flore aérobie revivifiable à 22°C < 1 UFC/ 100 ml – Pseudomonas aeruginosa < 1 UFC/ 100 ml – Legionella pneumophila < 250 UFC / litre Maîtrise de la qualité microbiologique de l’eau • lutte contre la stagnation de l’eau (dimensionnement, hydraulique des réseaux, utilisation de l’eau) • maîtrise de la température de l’eau • lutte contre l’entartrage et la corrosion • traitement complémentaire de l’eau • choix des matériaux Rôle des bactéries dans les plaies chroniques • rôle bénéfique : attirent neutrophiles et macrophages ⇒ sécrétion de facteurs de croissance (granulation) ⇒ excrétion de lactate (angiogenése, synthèse de collagène) ⇒ augmentation de la prolifération vasculaire Rôle des bactéries dans les plaies chroniques • rôle néfaste : aspects qualitatifs – présence d’espèces bactériennes virulentes • streptocoques hémolytiques A, C, G , Staphylococcus aureus, bacilles Gram négatif aérobies et anaérobies – en cas d’état vasculaire médiocre ou de patients fragiles : présence d’espèces peu virulentes • streptocoque viridans, staphylocoques blancs, entérocoques – mécanismes de synergie (polymicrobisme) Rôle des bactéries dans les plaies chroniques • rôle néfaste : aspects quantitatifs – corrélation entre nombre de bactéries et mauvaise évolution clinique ⇒ valeur seuil numérique de 100 000 germes par gramme de tissu ou par millilitre d’exsudat ⇒ examen direct positif du frottis coloré par le Gram et examiné au microscope à immersion – autres causes : traumatismes répétés, ischémie, hypoxie,… Conclusion • limiter la contamination bactérienne indésirable en excès sur la plaie chronique, sur les plans qualitatif et quantitatif ⇒ nettoyage avec une eau pour soins standards, peu chargée en micro-organismes, avec absence de Pseudomonas aeruginosa ⇒ sinon, nettoyer avec une eau traitée avec maîtrise des micro-organismes hydriques