(Deliège) : une invention britannique exploitée par les

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Structuralisme
On le voit Evans Pritchard se situe à la frontière entre fonctionnalisme et
structuralisme, héritier du premier et pont vers le second : pour lui la structure
est une abstraction et ne se trouve pas dans la société comme le pensait
Radcliffe- Brown. Qui plus est il existe selon lui dans les sociétés plusieurs
structures et il n’a nulle intention de faire du réductionnisme !
J’ai dit que le structuralisme marquait d’une certaine façon la fin de l’illusion
scientiste en anthropologie. Je dois dire encore également que ce scientisme
régnait dans le matérialisme historique et dans l’anthropologie marxiste qui a
séduit aussi bien les théoriciens que les idéalistes humanitaristes dans les années
60 à 80. C’est que l’anthropologie n’existe pas toute seule : elle suit ou précède
l’histoire des sciences et les modes.
Deliège (2001) nous montre comment la pensée de Lévi-Strauss (LS) se
comprend en référence au rationalisme incarné dans une discipline voisine
prometteuse : la linguistique. La terminologie utilisée dans le domaine de
l’anthropologie des religions qui de théologie devient science des religions est
tout aussi révélatrice du projet scientifique des sciences humaines dans les
mêmes années. La paléontologie et la branche de la bio-anthropologie illustrent
la même tendance.
Démythifier, rationaliser, identifier la structure sous-jacente.
Déjà dans les structures élémentaires de la parenté nous voyons la tendance de
LS à construire ou reconstruire des modèles et des systèmes abstraits qui
pourraient être comparés à d’autres et qui devraient idéalement pouvoir se
réduire à une formule universelle (ex. l’interdiction de l’inceste, l’échangealliance). Ce qui intéressait LS c’était davantage le « mécanisme » de la
parenté que la réalité sociale qui lui correspondait.
Il n’est pas étonnant que LS ait puisé ses modèles dans la discipline qui selon lui
était la première des sciences sociales à pouvoir prétendre au statut de science
parce qu’elle semblait se prêter à la formalisation, à la mise en formules:
La linguistique
Nous n’avons pas eu l’occasion de parler encore de la linguistique, alors que
nous avons mentionné l’influence de la psychologie et de la psychanalyse sur
l’anthropologie notamment le culturalisme.
Qu’en est-il de la linguistique? Sous sa forme ancienne elle s’appelait plutôt
grammaire car on étudiait dans la langue les relations logiques; sous cette forme
elle avait intéressé les Français déjà au XVIIe siècle (la fameuse grammaire de
Port Royal à laquelle est attachée le nom de Descartes).
Le langage serait ainsi l’expression et la représentation de la pensée. En étudiant
les langues des diverses sociétés, on devrait pouvoir dégager les lois de leur
pensée.
L’histoire de l’étude de la langue nous montre les mêmes problématiques et les
mêmes tentatives de théorisations que l’histoire de l’ethnologie:
 la question de savoir s’il y avait une langue primitive dont auraient
découlées les autres - l’hébreu bien sûr dans la tradition judéo-chrétienne
qui faisait remonter tout le genre humain à Adam sinon à Noé, mais
également
 l’idée de classer les langues sur une échelle de valeurs en fonction de
leur développement. Ce développement, comme les populations ellesmêmes, nous montrerait une complexité croissante qui viendrait illustrer
une fois de plus la théorie évolutionniste des cultures, allant du primitif
simple, élémentaire, au complexe civilisé dont nos langues sont des
exemples.
Plus intéressante, quoique limitée également est la perspective qui étudie dans
une langue la présence ou l’absence de certains concepts, de pratiques et
compare celles-ci dans différentes cultures ou leurs différences d’une culture à
l’autre: par exemple y’a-t-il un mot pour dire « berceau » en langue eskimo? Si
oui se rapporte-t-il à un objet et à une pratique de bercement des enfants? Le
rapport entre le terme, le concept et la pratique correspondante constitue une
analyse plus fine que le simple repérage de termes présents et/ou semblables.
L’exemple toujours cité est le nombre de termes divers dans les langues eskimo
pour désigner une seule –à nos yeux- réalité : la neige…
Mais il y a toujours le risque de faire du réductionnisme et de conclure par
exemple que parce qu’il n’y a pas de terme pour dire « mariage » dans telle
langue, cette institution n’existe pas dans cette société. Cette question sera
toujours débattue : celle de la transcription correcte des institutions et des faits
ethnographiques dans des langues étrangères. Comment parler de mariage pour
décrire une certaine forme d’union des couples sans trahir les particularités que
cette union comporte dans telle ou telle culture ?
Du point de vue de la méthode, pour un ethnologue comme Servier (1986 :
L’ethnologie), l’étude de la langue parlée met en évidence les avantages de
l’ethnologie sur l’histoire: le parler diffère selon le sexe, la classe d’âge, la
position sociale etc...sans compter les études des accents et des intonations qui
montrent d’ailleurs qu’il est impossible de donner une transcription phonétique
écrite vraiment correcte parce que d’abord il n’existe pas de langue type, mais
seulement des locuteurs qui la parlent et qui y impriment précisément des
caractéristiques culturelles propres au groupe et à l’individu (toujours le
problème de la généralisation abusive : ethnie, culture, religion, nation : peut-on
en parler sans distorsion, sans généralisation abusive ? Les Français, ou pire, les
Occidentaux conçoivent que….
La langue révèle-t-elle vraiment la manière de penser ? Si oui ne faut-il pas
corroborer les observations linguistiques avec celles des pratiques ?
A la fin du XVIIIe siècle on découvre le sanskrit que l’on prend pour la langue
mère des langues indo-européennes: cette découverte délimitera un nouveau
champ de recherche et de comparaison (et de filiation bien sûr), mais aussi la
recherche de lois de transformation des mots d’une langue à l’autre: ex Vater,
Pater, Father
C’est avec Ferdinand de Saussure (1857-1913), un Genevois de bonne famille -,
(arrière petit fils d’Horace Bénédict de Saussure le naturaliste et découvreur du
Mont Blanc) et son cours de linguistique générale (publié par ses élèves après sa
mort en 1916) que la linguistique se rapproche de la sociologie et de
l’anthropologie. En effet de Saussure veut redonner à la langue son contexte
institutionnel et social: la langue est un système de communication à l’intérieur
d’une communauté; son étude doit permettre d’établir une science structurale
du sens.
On retrouve chez lui certaines des idées du fonctionnalisme: comment ce moyen
de communication, la langue, fonctionne-t-il dans la société et existe-t-il des lois
identifiables?
Par rapport à la philologie dont elle veut se détacher, la linguistique de de
Saussure se distingue par la prise en compte du langage parlé (non écrit) ou
plutôt de la langue parlée, car il fait une distinction entre langue et langage : le
langage n’est pas l’objet propre de la linguistique, mais bien la langue et la
parole qui l’exprime et l’infinité des énoncés possibles.
La langue ne se limite donc pas aux énoncés existants ; elle est une ressource
potentielle d’énoncés quasi infinis; elle est un système abstrait et constitue un
fait social
La parole en revanche est une réalité individuelle et un fait empirique observable
C’est à de Saussure que remontent les distinctions aujourd’hui classiques entre
signifiant (segment phonique) et signifié (sens) qui constituent les signes,
éléments du système.
Il s’agira dès lors de trouver les unités linguistiques pertinentes, c’est-à-dire qui
font sens (si on y substitue une autre unité le sens change) à savoir les
phonèmes…
L’idée générale est que tous les éléments de la langue sont solidaires ou
interdépendants: la relation prime donc sur la « nature » ou l’essence.
De même a-t-il distingué la synchronie qui l’intéresse de la diachronie
habituellement envisagée et qui prête à l’interprétation évolutionniste.
Distinctions reprises par Lévi Strauss
L’autre aspect commun de la linguistique et de l’anthropologie sociale, c’est la
volonté de trouver des réponses à l’intérieur du domaine observé: la société à la
société (Durkheim), la langue à la langue (fonctionnalisme et lois internes)
Cependant, dans un deuxième souffle, la linguistique va passer à une approche
syntaxique, c’est-à-dire des règles qui engendrent la compétence linguistique
d’un sujet et non pas simplement l’analyse formelle des énoncés en signes
(sémiologie):
c’est
la
grammaire
générative
de
Chomsky
(compétence/performance remplacent langue/parole)
Mais on critiquera également l’abstraction de cette nouvelle école
D’autres linguistes se sont penchés sur le contexte, sur le sujet parlant, les sousentendus etc..
Deux branches cadettes sont nées: la psycholinguistique et la sociolinguistique
dont le titre annonce à lui seul le programme.
L’engouement pour la linguistique structurale a cessé chez les ethnologues, avec
LS et la critique du structuralisme et de ses limites formelles.
Mais elle a connu un développement important et a nourri un mouvement
littéraire français de sémiologie, dans l’école des philosophes structuralistes
comme Foucault et à sa suite Derrida, Kristeva , ou du psychanalyste Jacques
Lacan ou encore de Roland Barthes critique littéraire et sémiologue. Ces
auteurs parlent un langage de linguistes et recourent aux termes consacrés:
signes, signifiant, signifié etc.....et font une sorte de sociologie linguistique de
leur propres société.
Lévi Strauss tourne définitivement le dos à la querelle évolutionniste de savoir si
les primitifs contemporains peuvent être considérés comme notre passé
(tentation toujours présente). Il tourne également le dos à l’histoire et fera
pencher la balance vers la synchronie c’est-à-dire un comparatisme spatial plutôt
que temporel. Le changement ne l’intéresse pas ; mais au contraire les
permanences, les structures que révèlent les mythes et les systèmes de parenté
des sociétés primitives. En cela il suit la voie tracée par la linguistique : lire
Deliège p. 33 :
Au-delà de l’empirisme, LS veut entrer dans la pensée sauvage (abstraite)
« Le structuralisme comme machine à supprimer le temps et l’homme »
(Deliège) : une invention britannique exploitée par les philosophes français.
(Deliège p. 42-52)
Deliège montre bien comment Lévi Strauss a emprunté son principe
d’interprétation à l’anthropologie sociale britannique et en particulier à Radcliffe
Brown. Mais la structure chez lui n’est pas empiriquement observable elle est
déduite, comme dans la grammaire, et jamais apparente en tant que telle (42-43).
(Pour RB les objets ont une structure pour LS ils révèlent une structure, mais
celle-ci est construite (révélée) par l’observateur (modèle) (44) elle donc en
quelque sorte un instrument heuristique
Ce mouvement qui fait basculer les sciences humaines de l’étude des faits
(empirisme) et des hommes vers des nœuds de relations (des structures
d’échanges) est un écho tardif de ce qui s’était passé dans les sciences physiques
au début du 20è siècle. L’objet de l’étude n’est plus les natures ou les essences,
mais bien les structures de construction. Cette révolution épistémologique est
encore à l’œuvre aujourd’hui dans l’effort de déconstruction et de dévoilement
de l’aspect construit des concepts utilisés par les sciences humaines : culture,
nation, ethnie etc
Nous retrouvons ici le vieux stéréotype qui oppose le pragmatisme et
l’empirisme britanniques à l’idéalisme abstrait français : mais ce stéréotype est
d’importance. Lévi Strauss se rattacherait ainsi à l’idée d’une pensée universelle
qui crée des formes en fonction de son imaginaire social et non l’inverse comme
le voulait l’école sociologique de Durkheim. Il va sans dire qu’il se concentrera
sur les similitudes et non sur les différences, puisqu’il adopte un point de vue
universaliste.
Lire p.48
De ce point de vue, le structuralisme demeure fidèle à deux principes ou
positions classiques de l’anthropologie à savoir d’une part l’universalisme, soit
l’universalité de l’esprit humain (unité du genre humain, variété des cultures :
comparatisme) et d’autre part à l’analyse du fonctionnement de cet esprit hors
du temps ou des changements (il ne s’agit pas de reconstituer une histoire ou une
évolution mais bien de comprendre comment cela fonctionne dans plusieurs
cultures transversalement).
Lire p 50
Pensée symbolique : ambivalence du symbole et pensée binaire (pp 48 49)
Hell, dans son ouvrage Le sang noir, illustre une des applications possibles d’un
structuralisme non pas à des processus aussi globaux que le chamanisme mais à
des pratiques de chasse géographiquement bien identifiées. On retrouve chez lui
les couples d’oppositions binaires classiques, héritées de l’analyse structurale (le
cru et le cuit etc) dans des couples comme sauvage-nature-chasse / cultureélevage sang noir/sang rouge, échauffement/dessèchement, hiver/été. Le
structuralisme, sous cet aspect de mise en opposition de termes antinomiques
(homme/femme, arrondi/pointu, chaud/froid, clair/sombre etc.. demeure une des
méthodes les plus employées en anthropologie sociale, chez les anthropologues
qui veulent expliquer des contenus, trouver des sens au-delà de la simple
fonction. C’est que –pour les structuralistes mais de manière assez large- l’esprit
humain fonctionne selon ces distinctions/oppositions (lune/soleil, jour/nuit,
haut/bas etc)
La tâche de l’analyste p. 49
Mais le structuralisme est rejoint sous cet aspect par toute une école
d’anthropologie de l’imaginaire (Gilbert Durand) qui met en évidence la polarité
des symboles. Toutefois, au-delà d’une simple opposition binaire entre deux
éléments contraires (jour/nuit) on trouvera dans chacun d’eux une polarité : la
nuit peut être par exemple la nuit des ténèbres infernales mais également la nuit
de la connaissance mystique avec une polarité positive. Il faut souligner de ce
point de vue que l’anthropologie symbolique n’est pas essentialiste et n’attribue
pas aux symboles une valeur définitive. Au contraire, elle tente de repérer sous
les divers usages des mêmes symboles, des constantes.
L’efficacité symbolique
Par sa conception de la pensée symbolique et de son efficacité LS se démarque
définitivement de l’école durkheimienne et marxiste. Il adopte la perspective
selon laquelle il existe des logiques propres à la pensée symbolique, c’est-à-dire
une pensée sauvage, tout aussi rationnelle dans ses exigences même si elle ne se
fonde pas sur la logique causale habituelle.
Il est ainsi amené dans un chapitre de son fameux ouvrage Anthropologie
structurale à aborder la question de « Magie et Religion » déjà abordée par
Mauss, il est vrai, mais souvent reléguée par l’ethnologie évolutionniste dans le
domaine du primitivisme. Successivement LS va analyser la question de
l’efficacité symbolique. Au lieu de reléguer ces phénomènes dans le monde de
l’irrationnel, LS va tenter de leur donner une explication rationnelle en se basant
sur des théories de la sociologie (l’envoûtement ou le sort comme exclusion
sociale) et de la psychanalyse, le chaman officiant à la manière maïeutique du
psychanalyste.
La magie
Pour que la magie soit efficace il faut certaines conditions : lire LS p. 184-5
A cause de notre esprit analytique exclusif nous avons de la peine à accepter
plusieurs explications à un phénomène, une explication « physique » et une
explication « mythique ».
Dans le « complexe chamanistique » trois éléments ou acteurs doivent agir de
concert pour que la guérison ait lieu : le chaman, le malade et le public lire p.
201.
Toute son explication de la guérison est fondée sur la croyance qui rend
vraisemblable et acceptable le mal dans un système cohérent et partagé par la
société lire Deliège p. 111
Deliège critique vivement cette explication psychologique purement
conjecturale et psychologique et doute de l’efficacité d’un chant dont on ne
comprend pas les paroles. Pour lui cette explication est « primitiviste » - il est
vrai que dans la pensée sauvage LS en voulant réhabiliter la pensée des sauvages
en la taxant non plus de pré-logique mais de bricolage, certes valable, tombe
dans le piège que tend toute comparaison de ce genre. Clastres de ce point de
vue réussit mieux à faire valoir la différence radicale des sociétés sans pouvoir
institutionnalisé (La société contre l’Etat)
Mais il est tout de même étonnant de trouver sous la plume d’un LS, la
reconnaissance de l’efficacité du rituel ou du chant. Est-ce à cause de sa culture
artistique développée que LS quitte momentanément son rationalisme assoiffé
de systèmes pour parler d’efficacité de la musique et de rituel ?
Parallèlement ses volumineuses études du mythe n’essaient pas de ramener ce
dernier à une autre réalité qui l’expliquerait (réductionnisme), mais constitue ou
reconstitue une réelle mytho-logie. Ce que Deliège ne semble pas apprécier
puisqu’il en conclut au caractère mythique su structuralisme lui-même (lire
119-120 Deliège)
Si Deliège caricature parfois la pensée de LS d’autres au contraire on en fait une
idole
Mais reprocher à LS de passer sous silence, comme Deliège le fait ici p. 129
l’émotion, le merveilleux, la joie, la peine et l’amour c’est comme de reprocher
à son grand père de ne pas s’être laisser aller à pleurer ou à exprimer en public
ses sentiments. Il faut être bien insensible –et n’avoir jamais vu d’interview de
LS pour lancer une telle affirmation : cas typique de critique anachronique qui
ne tient pas compte des traditions et des usages, ce qui, pour un ethnologue est
un manque de talent !
Que la lecture des mythologiques soit ennuyeuse peut-être, mais il faut
comprendre le but que s’était fixé LS, la science! Mais Deliège se rachète dans
le dernier chapitre du livre lorsqu’il reconnaît au moins à LS le don de créativité.
Il conclut en effet par ces phrases : 165.
Le structuralisme de LS je l’ai dit, s’inscrit dans un mouvement intellectuel
parisien, avec des figures qui marqueront pour des décennies la pensée française
et qui marquera fortement la pensée anthropologique américaine
Parmi les enthousiastes de LS et du structuralisme on compte des amateurs de
formalisme et de parenté, mais également des réformateurs du marxisme, car
cette religion a su s’adapter, elle aussi pour survivre…
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