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Partager la valeur
Introduction
Partage de la valeur
ajoutée et salaire optimal
Jean-Marc Daniel
L
a question de savoir s’il existe un
niveau de salaire optimal dans l’économie est une question ancienne. Pour
les économistes du début du XIXe siècle, la
« loi d’airain des salaires » fixait ceux-ci au
niveau minimal, c’est-à-dire au niveau assurant
juste la survie des travailleurs. Cette notion
d’un salaire ne garantissant que la « reproduction de la force de travail », selon l’expression
de Marx, a conduit aux premières indignations
sur les conditions d’existence des salariés et
au développement des premiers socialismes.
Ceux-ci annonçaient la fin inéluctable d’un
capitalisme condamnant les travailleurs à une
vie médiocre et sans perspectives. Pourtant,
dès cette époque, Ricardo remarquait que la
notion de salaire de subsistance était relative
et que les travailleurs de 1820, dont certes la
vie n’était guère reluisante, vivaient mieux que
ceux de 1750.
La science économique a dès lors cherché si
une règle neutre de fixation des salaires était
possible. Le premier économiste à en avoir
établi une était l’Allemand Johann Heinrich
von Thünen. Ayant développé à cette occasion le premier raisonnement de l’histoire
de l’économie s’appuyant sur une opération
mathématique un peu élaborée1, il a démontré
que la masse salariale dans un pays devait être
la moyenne géométrique de la production et
de la consommation. Assez curieusement, si
on appliquait ce résultat à notre économie, la
part des salaires dans la valeur ajoutée serait
de l’ordre de 70 %, c’est-à-dire quasiment la
part actuelle. Ce résultat fascina tellement von
Thünen qu’il le fit graver sur sa tombe…
Von Thünen écrivait dans les années 1840, si
bien que son économie n’est pas l’économie
moderne ; même si ceux qui ont la curiosité
de lire son raisonnement sont frappés par la
pertinence de son approche, dont le principe
de base est qu’une société doit maximiser le
1. En l’occurrence le calcul de la dérivée d’une fonction.
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Partage de la valeur ajoutée et salaire optimal
revenu de son épargne. Aujourd’hui, le résultat théorique le plus couramment admis est
que les entreprises paient leurs salariés au
niveau de leur efficacité productive, ce que les
économistes appellent leur productivité marginale. Cette règle, à la fois fruit du calcul et du
bon sens, qui veut que le salaire soit représentatif du travail fourni, se heurte aux attentes
politiques. Face à la logique économique existerait une logique plus légitime, celle de la justice sociale. Le partage de la valeur ajoutée
devrait obéir non pas à la nécessité de rémunérer le capital et le travail en fonction de leur
contribution à la croissance, mais se conformer à une vision politique de ce qui est juste.
Un enjeu social
Résultat, les idées se sont multipliées, faisant
du partage de la valeur ajoutée un enjeu social
et une des modalités de la redistribution des
revenus.
Pour aborder ce sujet, nous avons essayé de
sortir des sentiers battus pour voir des aspects
qui ne se limitent pas à une analyse immédiate
de l’évolution des salaires et des profits. De
plus en plus, on s’interroge en termes de partage non seulement sur la nature des rapports
entre les classes sociales, mais aussi sur celle
des rapports entre les générations. C’est ainsi
que nous nous sommes demandé dans ce dossier ce que signifiait par exemple l’existence et
le prolongement indéfini de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). De
même, comme les revendications en termes
de partage de la valeur ajoutée n’ont de sens
que pour transférer du pouvoir d’achat vers
les plus pauvres, la question est de savoir quel
est le moyen le plus efficace de concevoir ce
transfert. Or, en période de progression lente
des revenus, la concurrence, faisant pression
sur les prix et incitant les entreprises à la productivité, ou une politique de la consommation
assurant la meilleure information possible des
consommateurs peuvent apporter plus aux
salariés qu’une augmentation arithmétique de
leur part dans la valeur ajoutée. Nous avons
enfin regardé ce que les politiques volontaristes de redistribution de la valeur ajoutée
peuvent avoir comme résultat en demandant à
Michel Bon, président de l’association Fondact,
de nous donner son point de vue sur la participation et l’intéressement.
L’impôt négatif théorisé par les monétaristes
visait à augmenter le revenu des salariés sans
pénaliser les entreprises. Il est devenu la prime
pour l’emploi du gouvernement Jospin. Cela
signifie que si le partage de la valeur ajoutée,
qui devrait être un des sujets clés de la campagne présidentielle, alimente les débats des
politiques, il nourrit encore ceux des économistes. Les contributions de ce dossier sont là
pour, modestement, éclairer les deux, c’est-àdire rappeler que, de l’épitaphe de von Thünen
aux lois sur la participation, la réflexion sur
le partage de la valeur ajoutée a de multiples
facettes.
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