Hypertension artérielle pulmonaire

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CONSULTATION DE COULOIR
Hypertension artérielle pulmonaire
par Peter Docherty, M.D., FRCPC
En décembre 2010, une femme de 47 ans vous est transférée d’un hôpital de la périphérie où on l’avait admise
pour essoufflement à l’effort. Son essoufflement avait commencé graduellement le printemps précédent et progressé jusqu’à une dyspnée marquée à la moindre activité, comme prendre sa douche, s’habiller ou même
franchir quelques pas (classe IV selon l’Organisation mondiale de la santé [OMS]).
Elle a remarqué un œdème distal aux jambes et a éprouvé des vertiges, sans perte de conscience. Elle n’a pas
présenté de toux, de fièvre, de douleurs thoraciques ni d’orthopnée. À l’échocardiogramme, on ne remarque pas
de dysfonction du cœur gauche, mais on soupçonne la présence d’une hypertension pulmonaire, avec une pression artérielle pulmonaire systolique estimée à 80 mm Hg.
La tomoangiographie du thorax ne révèle aucune embolie pulmonaire, mais on note de très légers signes de
maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC).
es antécédents médicaux de la patiente révèlent un tabagisme établi à 25 paquets-années et elle commencé à
recevoir du budésonide/formotérol en inhalateur trois
mois avant l’épisode d’essoufflement.
Elle ne présente aucun antécédent de thromboembolie
veineuse et elle a mené deux grossesses à terme, sans complications. On ne note aucun antécédent ni facteur de risque de maladie hépatique ou d’infection par le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH). On a évoqué une légère persistance du foramen
ovale ou une communication interauriculaire lorsqu’elle était
toute jeune.
La patiente souffre depuis sept ans d’un syndrome de Raynaud
relativement grave, qui affecte ses doigts et ses orteils et qui a été
associé à des ulcères digitaux ayant entraîné l’amputation de l’extrémité de deux doigts. Elle prend de la nifédipine à libération
contrôlée depuis trois ans.
À l’interrogatoire, elle admet que depuis peu, la peau de ses
mains et des ses pieds semble plus tendue, mais ne fait état d’aucun autre signe articulaire ou extra-articulaire lié à une maladie
des tissus conjonctifs.
Elle prend aussi 30 mg de nifédipine à libération contrôlée,
20 mg de furosémide et 25 mg de spironolactone chaque jour, en
plus de son budésonide/formotérol. Ses antécédents familiaux
sont sans particularités.
À l’examen, on note une tension artérielle basse, à 84/58, un
pouls à 100 bpm régulier. Sa saturation en oxygène est à 99 %
sous quatre litres d’oxygène par minute. La tension veineuse jugulaire est élevée, 4 cm au-dessus de l’angle sternal. On ne note
aucun souffle ventriculaire. La composante pulmonaire du
second bruit cardiaque (B2) est augmentée et on note un souffle
2/6 pansystolique au rebord sternal gauche inférieur qui n’est
pas modifié par la respiration. On observe un léger œdème
pédieux. Le reste de l’examen médical général est normal.
À l’examen musculosquelettique, la patiente présente une
légère sclérodactylie, des capillaires anormaux au niveau du sillon
L
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latéral de l’ongle avec anses dilatées et géantes et zones de dystrophie capillaire. On note aussi des cicatrices déprimées au
bout des doigts, une télangiectasie aux mains, une tension
cutanée au visage, des signes positifs de sclérodermie au
niveau du cou et l’amputation des deux annulaires proximaux
au niveau de l’articulation interphalangienne.
Le test d’anticorps antinucléaires (AAN) est positif, avec un
titre de 1/640, d’aspect anticentromère, concordant avec un
diagnostic de sclérose systémique cutanée limitée.
Autres épreuves notables effectuées :
• Test de marche de six minutes : 242 m, sans désaturation en
oxygène. La normale varie selon l’âge, le poids et la présence
d’autres comorbidités, mais est d’environ 494 m chez les
femmes et de 575 m chez les hommes1.
• Peptide cérébral natriurétique : 1 191 pg/mL (normal < 100).
• Échocardiogramme : mouvement septal paradoxal, ventricule droit (VD) nettement hypertrophié, pression artérielle
pulmonaire systolique 80, aucun épanchement péricardique significatif, fonction ventriculaire gauche (VG) normale.
Pour l’instant, on croit fortement que la patiente souffre
d’hypertension pulmonaire et d’hypertension artérielle pulmonaire très probablement secondaire à une sclérose systémique.
Toutefois, on ne peut poser le diagnostic d’hypertension
artérielle pulmonaire (HAP) qu’après avoir écarté les causes les
plus fréquentes de l’hypertension pulmonaire, soit maladie du
cœur gauche, maladie pulmonaire/hypoxémie significatives et
thromboembolie pulmonaire. Il existe des traitements spécifiques pour l’HAP, mais ils sont coûteux et parfois inutiles, voire
nuisibles chez les patients dont l’hypertension pulmonaire est
causée par autre chose. Il faut en outre envisager encore
d’autres causes d’HAP (Tableau 1)2. En particulier, la possibilité
d’un shunt intracardiaque, qu’il faut exclure.
Tableau 1. Nouvelle classification de l’HP de la WHO2
1. Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
1.1. Idiopathique
1.2. Familiale
1.3. Due à des médicaments et toxines
1.4. Associée à :
1.4.1. Connectivites
1.4.2. Infection VIH
1.4.3. Hypertension portale
1.4.4. Cardiopathie congénitale
1.4.5. Bilharziose
1.4.6. Anémie hémolytique chronique
1.5. HTAP persistante du nouveau-né
11. Maladie veino-occlusive pulmonaire et/ou
hémangiomatose capillaire pulmonaire
2. HTP d'origine cardiaque gauche
3. HTP associée aux pathologies pulmonaires et/ou hypoxémie
4. HTP post-thromboembolique chronique
5. HTP due à des mécanismes peu clairs et/ou multifactoriels
Examens subséquents
Épreuves de fonction pulmonaire :
• Volume expiratoire maximal en une seconde (VEMS) 64 % de
la valeur prévue
• Capacité vitale expiratoire forcée (CVF) 80 %
• VEMS/CFV 68 %
• Capacité de diffusion 16 %
Commentaire : La patiente présente une légère restriction respiratoire, mais le signe important ici est la réduction isolée et disproportionnée de la capacité de diffusion, qui indique la
présence de mauvais échanges gazeux. Cette caractéristique peut
être présente et progresser pendant des années avant l’apparition
des signes cliniques ou échocardiographiques d’hypertension
pulmonaire chez les patients qui souffrent de sclérose systémique3.
Tomographie pulmonaire de ventilation/perfusion :
• Normale
Commentaire : Il est important d’écarter le diagnostic d’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique puisqu’elle
est potentiellement curable au moyen d’une thromboendartériectomie pulmonaire.
Cathétérisme du cœur droit :
• Pression de l’oreillette droite : 13
• Pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) : 53 (79/39)
• Résistance vasculaire pulmonaire : 1 008 dyn.s.cm-5
(12,6 unités de Wood)
• Pression capillaire pulmonaire bloquée : 14
• Débit cardiaque : 3,1 L/min
• Absence de shunt (augmentation de l’oxygène)
Commentaire : L’échocardiogramme ne procure qu’une estima-
tion de la pression artérielle pulmonaire systolique et peut soit
sous-estimer ou surestimer la pression réelle. Le cathétérisme du
cœur droit est la norme diagnostique pour l’HAP (PAP moyenne
> 25 mm Hg et pression de l’artère pulmonaire bloquée normale
< 15 mm Hg). Le cathétérisme du cœur droit est utile pour mesurer la gravité de l’HAP, écarter une maladie du cœur gauche (qui
n’est pas toujours visible à l’échographie), reconnaître les patients
susceptibles de répondre à de fortes doses de vasodilatateurs
(généralement non testé/observé chez les patients atteints d’une
maladie des tissus conjonctifs) et pour écarter les shunts intracardiaques.
Une fois les autres causes d’hypertension pulmonaire exclues
et selon les résultats du cathétérisme du cœur droit, nous confirmons le diagnostic d’hypertension artérielle pulmonaire. Sans
traitement, le pronostic de cette patiente est plutôt sombre, avec
une espérance de vie probablement inférieure à six mois4.
Traitement
Le traitement de base de l’hypertension artérielle pulmonaire est
utilisé malgré le manque de données tirées d’études contrôlées.
Certaines preuves appuient le recours aux anticoagulants dans
l’HAP idiopathique; toutefois, leur rôle et leur innocuité restent à
préciser dans l’HAP secondaire à une maladie des tissus conjonctifs. On utilise des diurétiques pour gérer l’insuffisance cardiaque droite et la surcharge volumique ventriculaire droite qui
se manifestent par une augmentation de la pression veineuse
jugulaire et un œdème des membres inférieurs. On recommande
une oxygénothérapie pour maintenir la saturation en oxygène audessus de 90 %, étant donné que l’hypoxémie peut aggraver
l’HAP.
Plusieurs voies pathogènes ont été incriminées dans l’hypertension artérielle pulmonaire. Le résultat final est une augmentation de la résistance vasculaire, une diminution du débit sanguin
dans la circulation pulmonaire et, ultimement, une insuffisance
cardiaque droite. Nous disposons de certains traitements spécifiques pour l’HAP. Ces traitements ciblent généralement l’équilibre entre les médiateurs de la vasodilatation et de la vasoconstriction, mais de manière plus importante, ils peuvent influer
sur le remodelage/l’hypertrophie de la paroi vasculaire, en plus
d’exercer des effets sur la fonction plaquettaire.
Les antagonistes des récepteurs de l’endothéline-1 (bosentan,
ambrisentan) et les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5
(PDE-5) (sildenafil) seraient généralement des options envisageables pour commencer. Toutefois, la maladie de notre patiente
est déjà très avancée, phase IV, selon l’OMS.
Dans ce cas-ci, le traitement avéré le plus efficace est un analogue de la prostacycline par voie intraveineuse, comme
l’époprosténol (époprosténol sodique). Ce traitement requiert un
enseignement rigoureux au patient et une observance thérapeutique exemplaire puisque son emploi est fastidieux. L’époprosténol sodique s’administre en perfusion intraveineuse continue,
au moyen d’une pompe à perfusion portable en raison de sa
demi-vie brève, de 3 à 5 minutes, et compte tenu que toute interruption peut entraîner une hypertension pulmonaire de rebond.
Le médicament doit également être refroidi, protégé de la
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CONSULTATION DE COULOIR
Tableau 2 : Suivi du patient
Date
Époprosténol
(ng/kg/min)
Classification
WHO
Test de marche
six min. (mètres)
PCN
Hémodynamiques
Écho
Décembre 2010
--
4
242
1 191
PAPm 53
RVP 1 008
IC 1,9
Mars 2011
33
3
350
--
--
PAPS 80
Mouv. septal
paradoxal
VD hypertrophié
--
Juin 2011
40
3
--
184
Février 2012
46
2
405
38
PAPm 42
RVP 492
IC 3,6
--
lumière et mélangé quotidiennement par le patient ou son
aidant. La pose d’un cathéter veineux central à demeure comporte en outre un risque d’infection.
Pour diverses raisons, y compris le fait que notre patiente
provient d’une région très reculée du Nouveau-Brunswick, elle
n’opte pas pour l’époprosténol sodique intraveineux et choisit
plutôt un traitement de tréprostinil par voie sous-cutanée en
continu à l’aide d’une petite pompe à perfusion. Ce traitement est
significativement plus facile à gérer pour les patients puisque
c’est un analogue plus stable de la prostacycline. La demi-vie du
médicament est beaucoup plus longue (environ 4,5 heures) de
sorte qu’une interruption temporaire du traitement ne pose pas
de problème grave. Toutefois, la plupart des patients manifestent
des réactions cutanées douloureuses au point de perfusion, qui
s’améliorent généralement après quelques semaines. Les premières études sur le tréprostinil ne permettent pas une recommandation de catégorie A pour son utilisation chez les patients
présentant une classe IV selon l’OMS. Les doses utilisées ici,
toutefois, sont relativement faibles. Dans la pratique clinique, les
doses administrées pour obtenir un effet thérapeutique équivalent sont significativement plus élevées avec le tréprostinil
qu’avec l’époprosténol. En doses plus élevées, nous avons été
impressionnés par l’efficacité et l’innocuité chez nos patients,
même chez ceux dont la maladie est avancée.
Les traitements spécifiques pour l’HAP sont extrêmement
chers (entre 15 000 $ et 75 000 $ par année, et plus s’il s’agit
d’un traitement d’association) et ils sont parfois inutiles, voire
nuisibles dans d’autres formes d’hypertension pulmonaire. Il est
important de procéder à un suivi fréquent des patients pour vérifier l’efficacité et l’innocuité des traitements. Plusieurs mesures
paramétriques sont utilisées, notamment la classe fonctionnelle
(de l’OMS), la capacité d’effort (p. ex., test de marche de six minutes), les taux de peptide cérébral natriurétique, qui sont tous en
corrélation avec la survie (Tableau 2).
Les échocardiogrammes en série peuvent révéler une amélioration des pressions artérielles pulmonaires. Toutefois, toute
modification de la taille du ventricule droit et de son fonction-
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PAPS 65
Septum légèrement aplati
nement est très importante puisque la fonction ventriculaire
droite est un déterminant crucial de la survie. La mesure directe
en laboratoire d’hémodynamie demeure la norme.
Heureusement, notre patiente obtient de très bons résultats.
La réaction au point de perfusion a été douloureuse au début,
mais, au fil du temps, s’est atténuée. Sa maladie s’améliore significativement et ne nécessite pas l’ajout d’autres traitements spécifiques pour l’HAP.
Cette réponse n’est pas typique chez un patient atteint d’HAP
de classe IV. Toutefois, elle illustre le bienfait potentiel d’une prise
en charge appropriée. Malheureusement, de nombreux patients
atteints de sclérodermie qui souffrent d’HAP reçoivent leur diagnostic tardivement. Certains ne s’aperçoivent pas de leur essoufflement à l’effort parce que les autres manifestations de leur
maladie limitent leurs activités. En tant que rhumatologues, nous
devons nous assurer que nos patients atteints de sclérodermie
subissent régulièrement un test de dépistage de l’HAP et que des
examens plus poussés soient demandés dès le moindre soupçon.
La prise en charge de l’HAP est coûteuse, complexe et fastidieuse
et elle requiert une très importante formation des patients. Tous
les patients chez qui on soupçonne une HAP doivent être pris en
charge en collaboration par l’équipe pluridisciplinaire d’un centre spécialisé.
Références :
1) Enright PL, Sherrill DL. Reference equations for the six-minute walk in
healthy adults. Am J Respir Crit Care Med 1998; 158(5 Pt 1):1384-7.
2) Simonneau G, Robbins IM, Beghetti M, et coll. Updated Clinical
Classification of Pulmonary Hypertension. J Am Coll Cardiol 2009; 54(Suppl.
1):S43-54.
3) Steen V, Medsger TA Jr. Predictors of isolated pulmonary hypertension in
patients with systemic sclerosis and limited cutaneous involvement. Arthritis
Rheum 2003; 48(2):516-22.
4) D'Alonzo GE, Barst RJ, Ayres SM, et coll. Survival in patients with primary
pulmonary hypertension. Results from a national prospective registry. Ann
Intern Med 1991; 115(5):343-9.
Peter Docherty, M.D., FRCPC
Chef de clinique, Département de médecine interne
Hôpital Horizon Health Network de Moncton
Moncton, Nouveau-Brunswick
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