La recherche et ses avancées

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Association Française
Des Intolérants Au Gluten
La recherche et ses avancées
Par le Docteur Nadine Cerf-Bensussan, directeur de recherche à l’INSERM. Elle dirige les unités
« Immunité Intestinale » à l’Institut IMAGINE et à l’Université Paris Descartes-Sorbonne.
Les connaissances sur la maladie cœliaque
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La maladie cœliaque est probablement la première maladie humaine liée aux changements
de l’environnement par le progrès humain, la domestication et la culture des céréales il y a
10 000 ans dans le croissant fertile.
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Sa première description clinique est ancienne, dès le 2nd siècle après JC, à Rome, par un
médecin d’origine grecque, Aretaeus de Cappadoce. Celui-ci reconnaît l’origine digestive des
symptômes et lui donne le nom de passion cœliaque, coeliakos voulant dire creux ou tube
digestif en grec. Ce médecin fournit une description clinique précise et suspecte déjà une
origine alimentaire. Aretaeus reconnaît aussi qu’il s’agit d’une maladie affectant plus souvent
les femmes et affectant l’enfant comme l’adulte
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À la fin du 19e siècle la maladie est redécrite par un pédiatre anglais, Samuel Gee qui connaît
les écrits de Arateus imprimés au 16e siècle et conserve le nom «cœliaque ». Il décrit les
lésions intestinales caractéristiques de la maladie à partir d’observations autopsiques.
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À la suite de ces travaux et pendant la plus grande partie du 20 e siècle, la maladie cœliaque
est considérée comme une maladie pédiatrique rare. L’origine alimentaire est fortement
suspectée, conduisant à de nombreux essais de régimes, largement infructueux jusqu’au
début des années 1950, quand un autre pédiatre, Willem Karrel Dicke, cette fois ci
hollandais, démontre le rôle déclenchant du gluten issu du blé, du seigle et de l’orge et
propose le régime sans gluten qui permet depuis la guérison des patients.
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Pendant la décennie suivante, l’apparition des capsules pour biopsies permet à la pédiatre et
anatomopathologiste Margot Shiner de démontrer l’intérêt diagnostique de la biopsie
intestinale. Simultanément, Alaster Frazer montre que les enzymes digestives (pepsine,
trypsine) qui servent à digérer les protéines alimentaires sont peu efficaces pour digérer le
gluten, laissant de larges fragments (ou peptides) intacts. Ces travaux vont conduire à
rechercher les mécanismes à travers lesquels les peptides du gluten non digérés par les
enzymes digestives peuvent être «toxiques» vis-à-vis de l’intestin.
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L’hypothèse de facteurs de prédisposition génétique pour la maladie cœliaque est évoquée
dès les années 1960 en raison de la fréquence des cas familiaux. Un mécanisme immunitaire
est évoqué avec les progrès de l’immunologie à la fin des années 1970. Plusieurs arguments
viennent rapidement renforcer cette hypothèse avec la démonstration d’une association de la
maladie cœliaque avec certaines molécules d’histocompatibilité ou molécules HLA.
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Ces molécules, découvertes en 1958 par Jean Dausset (Prix Nobel 1980) jouent en effet un
rôle clé dans les réponses immunes. D’autres arguments sont l’observation d’une
augmentation importante des cellules immunitaires dans l’épithélium intestinal par Anne
Ferguson en 1975, puis la mise en évidence d’anticorps dans le sérum contre le gluten
(anticorps anti-gliadines) puis contre une protéine endogène (anticorps anti-endomysium) au
début des années 1980.
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C’est néanmoins seulement en 1997 que les travaux de Detlef Schuppan permettent
d’identifier la cible tissulaire reconnue par les anticorps anti-endomysium avec la
transglutaminase, démontrant qu’il s’agit d’une réponse auto-immune et autorisant la
production d’un nouveau test sérologique très spécifique. Le dépistage des anticorps antiendomysium ou anti-transglutaminase dans le sérum dans différentes populations conduit
alors de façon inattendue à détecter la maladie cœliaque chez de nombreux sujets
présentant peu, voire pas de symptômes ou des symptômes atypiques. Ces tests révèlent aussi
l’apparition possible de la maladie à tous les âges de la vie, comme cela avait été suggéré par
Arateus. La description clinique de la maladie change radicalement et la maladie cœliaque
devient un diagnostic à considérer par les gastro-entérologues de patients adultes mais aussi
par d’autres spécialistes.
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Une étape importante dans la compréhension du mécanisme de la maladie cœliaque est
franchie en 1990 grâce aux travaux de Ludvig Sollid, qui identifie la molécule HLA-DQ2
comme le principal facteur génétique conférant le risque de développer la maladie. Ce
médecin chercheur montre ensuite en 1994 comment cette molécule HLA-DQ2, présente chez
90% des patients, peut accommoder les peptides du gluten et activer le système immunitaire.
Ces travaux sont confirmés et complétés par ceux d’autres chercheurs, notamment de Fritz
Koning, qui montrent le rôle comparable de la molécule HLA-DQ8, une autre molécule HLA
présente chez les 10% de sujets cœliaques qui n’ont pas la molécule HLA-DQ2. Ces chercheurs
montrent aussi comment la transglutaminase reconnue par les auto-anticorps caractéristiques
de la maladie, peut modifier les peptides du gluten pour promouvoir leurs interactions avec
les molécules HLA-DQ2 ou DQ8 et ainsi favoriser l’activation du système immunitaire.
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Il apparaît néanmoins assez vite que le mécanisme découvert par Ludvig Sollid est nécessaire
mais non suffisant pour déclencher la maladie cœliaque. Une première hypothèse testée dans
les années 2002-2010 grâce aux progrès très rapides des approches génétiques à grande
échelle est l’intervention de facteurs génétiques complémentaires. Les études réalisées sur
des milliers de patients ont identifié à ce jour environ 50 régions du génome présentant des
variations qui modifient le risque de développer la maladie cœliaque. Néanmoins la majorité
de ces variations sont détectées à l’extérieur de gènes, gênant la compréhension de leurs
conséquences. En outre chacune modifie seulement de façon minime le risque de maladie et,
dans leur ensemble, ces variants rendent compte de moins de 14% du risque. Il apparaît donc
à ce jour que ces approches ne sont pas suffisantes pour éclairer précisément la pathogénie
de la maladie. Ces travaux suggèrent néanmoins que les facteurs génétiques de susceptibilité
de la maladie cœliaque sont très proches de ceux des maladies auto-immunes, une
observation qui conforte les observations cliniques puisqu’il est désormais établi que 20%
environ des patients cœliaques peuvent développer de telles maladies, notamment un
diabète de type I ou une thyroïdite.
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Ces données ont conduit d’autres chercheurs et notamment notre équipe à chercher d’autres
mécanismes capables d’expliquer la rupture de tolérance au gluten, soit très tôt dans la vie
dès la première introduction du gluten, soit beaucoup plus tard après une longue période de
tolérance. Une première série de travaux nous ont conduits à identifier la production
anormale d’un facteur soluble appelée interleukine 15 dans l’intestin des patients.
Il apparaît aujourd’hui clairement que la production excessive de cette molécule peut
altérer les mécanismes de régulation dans l’intestin et indure une perte de tolérance à une
protéine alimentaire. Cette molécule semble aussi jouer un rôle important dans la survenue
de certaines complications de la maladie, notamment l’apparition d’une résistance au régime
et la survenue de lymphomes, une complication maligne très rare mais sévère. Le(s)
mécanisme(s) à l’origine de la production excessive d’interleukine 15 chez les patients
reste(nt) cependant à élucider.
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Une seconde série de travaux débutée plus récemment nous ont aussi permis de mettre en
évidence un second mécanisme qui pourrait favoriser la perte de tolérance au gluten. Nous
avons en effet montré que les anticorps produits dans l’intestin contre le gluten ne peuvent
pas jouer leur rôle protecteur normal en piégeant les peptides du gluten dans la lumière
intestinale pour empêcher leur absorption. Chez les patients, du fait de l’expression
anormale d’un récepteur (appelé CD71) à la surface de l’intestin, les larges complexes formés
par les peptides du gluten et ces anticorps peuvent au contraire être transportés à l’intérieur
de l’organisme avec plusieurs conséquences : d’une part un contact accru du gluten avec le
système immunitaire, d’autre part probablement des signaux donnés localement qui
pourraient participer à l’activation du système immunitaire ou aux lésions intestinales.
Les défis actuels de la recherche
Sur le plan des mécanismes, les travaux en cours nécessitent d’être poursuivis pour identifier
l’origine de la production anormale d’interleukine 15, préciser les conséquences des signaux induits
par les complexes de gluten et d’anticorps, mais aussi identifier de nouveaux mécanismes d’action
du gluten. Ainsi les travaux de Detlef Schuppan ont récemment suggéré des effets toxiques
indépendants du système immunitaire de certains composants du gluten. Une complication rare de
la maladie cœliaque est l’apparition d’une résistance au régime sans gluten. Nos travaux ont permis
d’élucider le mécanisme seulement chez certains patients. Enfin, les mécanismes à l’origine de
certaines manifestations extra intestinales de la maladie cœliaque restent aussi à ce jour mal
compris, notamment les atteintes du foie et les possibles difficultés de grossesses.
Sur le plan de l’épidémiologie, il est important de suivre l’augmentation de la prévalence de la
maladie cœliaque suggérée par les études aux USA et dans certains pays européens comme la
Suède. S’agit-il d’une augmentation de prévalence comparable à celle observée pour toutes les
maladies immunes dans les pays développés dont le mécanisme est à ce jour mal compris. Une
hypothèse en cours d’analyse est le rôle de modifications de la flore intestinale dans ces pays,
notamment induites par les changements dans notre alimentation et dans notre hygiène. Faut-il
aussi envisager que les processus de sélection du blé aient augmenté le contenu en protéines
immunogènes ou qu’un changement des modes de cuisson favorise leur immunogénicité. Il n’existe
pas à ce jour d’arguments solides étayant ces hypothèses. Il serait aussi nécessaire de définir les
mécanismes déclenchant la maladie à des âges très divers de la vie. Une étude européenne dont le
résultat est très attendu tente de préciser si l’introduction du gluten sous couvert d’allaitement
maternel peut protéger contre le développement de la maladie chez les enfants à risque. Enfin, les
études à la recherche de facteurs infectieux déclenchant restent à ce jour sans réponse définitive.
Une autre question du ressort de l’épidémiologie est le rôle protecteur du régime sur l’apparition
de complications. Cette protection est désormais bien établie dans les formes de maladie cœliaque
très symptomatiques. Ce régime est-il nécessaire dans les formes cliniquement silencieuses ? Dans
ces cas, le risque de complications semble en effet moins important. Néanmoins la révélation
possible de la maladie chez des adultes par ses complications incite à une grande prudence et à de
nouvelles études.
Au plan du traitement, le régime sans gluten reste à ce jour le seul traitement efficace de la
maladie cœliaque. Plus ou moins bien accepté en raison des contraintes qu’il impose, il a
l’avantage d’être sans risque. La très grande diversification et la disponibilité croissante des
produits sans gluten devraient le rendre plus facile à suivre. Néanmoins, de nombreux chercheurs
s’investissent pour trouver des alternatives. Une piste parvenue à l’étape commerciale est
l’utilisation d’enzymes administrés oralement pour aider à l’hydrolyse complète du gluten dans la
lumière intestinale. L’efficacité de ce traitement reste à ce jour à prouver et ces enzymes semblent
pour l’instant utilisés exclusivement en complément du régime pour lutter contre de faibles
contaminations des aliments par le gluten. D’autres chercheurs tentent de trouver des médicaments
capables d’empêcher l’absorption du gluten ou de bloquer sa reconnaissance par le système
immunitaire. Certains envisagent même une vaccination qui serait capable, non de stimuler le
système immunitaire comme la plupart des vaccinations, mais de le rendre tolérant. Nos travaux
actuels nous conduisent à envisager avec une grande prudence cette dernière approche et de
nombreux travaux seront nécessaires pour en évaluer les dangers potentiels. L’absence à ce jour de
véritable modèle animal de maladie cœliaque reste un inconvénient important pour analyser ces
stratégies. Enfin il est indispensable d’identifier des traitements pour les cas rares de maladie
cœliaque réfractaires au régime sans gluten. Plusieurs laboratoires essaient de développer des
outils pour bloquer l’interleukine 15. Néanmoins, l’étude de ces patients reste nécessaire pour
définir les cas dépendants ou non d’une surproduction d’interleukine 15 et identifier le rôle possible
d’autres mécanismes.
Compte tenu de la grande efficacité du régime sans gluten chez la vaste majorité des patients
et de l’absence de risque lié à ce traitement, une grande prudence est de mise avant
d’envisager l’utilisation de nouveaux médicaments qui pourraient exercer des effets
secondaires indésirables.
Le GERMC
Groupe d’Étude et de Recherche sur la
maladie cœliaque
Créé en 1998, le GERMC est une association dont le but est de promouvoir les études sur la
recherche clinique et physiopathologique sur la maladie cœliaque.
Le GERMC est composé de chercheurs, gastro-entérologues, pédiatres, biologistes, internistes et
d’anatomopathologistes. Il se fonde sur la participation bénévole de médecins et de chercheurs
français. Des représentants de l’AFDIAG favorisent l’interface entre chercheurs, médecins et
patients.
Le GERMC fait le point plusieurs fois par an sur les travaux en cours et détermine de nouveaux axes
de recherche. Il peut bénéficier de dons et de fonds de soutien aux projets de recherche.
Président : Professeur Christophe Cellier
C.H.E. Georges Pompidou – Paris 15
Laboratoire d’Immunité Intestinale. Institut Imagine. Paris 15
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