DOSSIER MISE AU POINT Prise en charge de l’hypotension orthostatique J.-L. Elghozi1, J.-M. Sénard2 Service de néphrologie Adultes, Groupe hospitalier Necker – Enfants Malades, Paris Service de pharmacologie clinique, Faculté de médecine, Toulouse [email protected] 1 2 L e patient présentant une hypotension orthostatique (hO) a un risque de mortalité et de morbidité cardiovasculaire accru [1]. C’est pour cela qu’on traite l’hO. Vouloir traiter l’hO c’est donc la chercher mais aussi la comprendre. La chercher implique une mesure de la pression artérielle (PA) en position debout. La comprendre, c’est disposer de bases sur la régulation tensionnelle. Chercher l’hypotension orthostatique Des symptômes posturaux peuvent être présents, tels qu’une sensation d’étourdissement allant parfois jusqu’à la syncope, une vision trouble, des vertiges avec un risque de chute, des Traiter l’hypotension céphalées, des douleurs de la nuque ou encore une sensaorthostatique suppose de la chercher et de vouloir tion de poids sur les épaules. Ils surviennent au lever rapide la comprendre. ou lors du maintien prolongé de la station debout. Les symptômes de l’hO ne sont pas toujours présents, ce qui ne doit surtout pas amener le clinicien à s’affranchir d’une mesure de la PA en position debout. Ces symptômes ne sont pas spécifiques de l’hO et peuvent être en relation avec d’autres anomalies posturales de la PA ou de la fréquence cardiaque (FC). Contrairement aux idées reçues la présence de symptômes ne signifie pas que l’hO est sévère dans la mesure où il n’existe pas de lien entre l’intensité des symptômes et le degré de la chute tensionnelle. 14 L’hO est définie par une réduction de la PA systolique d’au moins 20 mm Hg et/ou de la PA diastolique d’au moins 10 mm Hg survenant dans les 3 minutes qui suivent le lever, indépendamment des symptômes posturaux [2]. La prévalence de l’hO augmente avec l’âge [1]. Environ un sujet sur 5 de plus de 65 ans présente une hO [3] et cette prévalence avoisine 50 % chez les patients hospitalisés, poly pathologiques ou traités par des antihypertenseurs. Chez les hypertendus traités, une chute de la PA systolique debout indique un plus grand risque d’accident vasculaire cérébral et une chute de la PA diastolique augmente plutôt le risque d’infarctus [4]. Comprendre l’hypotension orthostatique L’orthostatisme est une contrainte cardiovasculaire qui s’est ajoutée à celle de la sortie de l’eau de la poche amniotique [5]. L’hypotendu peine à perfuser son cerveau en position debout ce qui peut lui occasionner différents symptômes. Le sang stagne dans les membres inférieurs et le pelvis chez tout un chacun en orthostatisme. Dans l’eau, le retour veineux est facilité par la compression des veines exercée par le liquide et de fait, l’hypotendu se sent bien en piscine. Etre couché n’est pas aussi efficace qu’être dans l’eau pour remonter le sang jusqu’au cœur, mais au moins la gravité ne tend pas à ramener le sang vers les pieds. L’éjection du sang vers le cerveau requiert aussi moins de pression en clinostatisme. L’hypotendu AMC pratique n°232 novembre 2014 orthostatique est ainsi mieux… couché à défaut d’être immergé. Il peut aussi monter sur un vélo et pédaler penché en avant. Ainsi, le sang revient mieux au cœur mécaniquement et l’éjection cardiaque vers le cerveau est plus aisée car la tête est moins haut perchée. Le sujet sain met en jeu deux réflexes lors du lever : le baroréflexe à basse pression et le baroréflexe à haute pression. Le baroréflexe à basse pression est sensible à la baisse de pression du volume cardio-thoracique, ce qui déclenche une activation sympathique associée à une sécrétion de rénine qui, toutes les deux, ont pour objet de remonter la volémie et de restaurer la PA. Ce réflexe répond à une variation de la volémie par une correction de la volémie. Sa mise en jeu est plus lente que celle du réflexe déclenché par une variation de la PA systémique qui est dit baroréflexe à haute pression. Celui-ci est sensible à la distension des zones dites barosensibles situées sur la crosse aortique et la portion initiale des carotides internes (bulbes carotidiens). La désactivation de ce réflexe intervient dans l’urgence de l’orthostatisme, lorsque la chute du retour veineux due à la gravité retentit sur la PA. En effet, le volume d’éjection systolique diminue et la baisse du débit cardiaque qui en résulte tend à diminuer la PA. Le délai de réponse très court du baroréflexe à haute pression permet à celui-ci de corriger rapidement une perturbation tensionnelle par une correction tensionnelle. La désactivation de ce réflexe se traduit par une double action sur le cœur et sur les artères [6]. Le cœur s’accélère (activation sympathique et inhibition vagale concomitantes) et les artères se contractent (activation sympathique) (figure 1). L’accélération cardiaque physiologique se vérifie ainsi debout et témoigne de l’intégrité du système nerveux autonome. Il faut cependant souligner le rôle primordial de la vasoconstriction artériolaire sympathique (action alpha-stimulante de la noradrénaline) dans l’adaptation posturale. En témoigne l’adaptation orthostatique parfaite du transplanté cardiaque qui pourtant ne s’accélère pas en orthostatisme du fait de l’énervation du greffon [7]. AMC pratique n°232 novembre 2014 MISE AU POINT Quatre formes d’hypotension orthostatique Il faut commencer par mettre de côté l’intolérance transitoire à l’orthostatisme particulièrement fréquente chez les sujets jeunes et longilignes. Ici, la PA chute immédiatement lors du lever, ce qui peut occasionner la survenue de symptômes mais elle se normalise spontanément en quelques secondes. Attention aussi à l’intolérance orthostatique observée chez les personnes qui ont déjà spontanément des tensions basses couché. Ces personnes n’entrent pas dans la définition de l’hO mais dans la mesure où le degré de la chute tensionnelle en position debout est conditionné par le niveau de la PA couché, une petite réduction orthostatique de PA chez une DOSSIER J.-L. Elghozi, J.-M. Sénard V\PSDWKLTXH SDUDV\PSDWKLTXH $FK 1$ &°XUHW$UWqUHV Figure 1. Représentation schématique du baroréflexe à haute pression [6]. Une chute de PA génère une inhibition parasympathique et une activation sympathique. 15 DOSSIER MISE AU POINT Prise en charge de l’hypotension orthostatique personne ayant déjà une « petite tension » en position couchée peut occasionner des symptômes. Inversement, lorsque la PA systolique couché est élevée, dans le cas d’une hypertension artérielle, on pourrait considérer qu’il n’y a une hO que lorsque la PA systolique chute de 30 mm Hg debout [2]. Certaines formes d’hO peuvent aussi porter à confusion car elles n’entrent pas dans la définition consensuelle et actuelle de l’hO. Il en est ainsi des formes d’hO survenant après le délai énoncé de 3 minutes. Il a été montré que la prolongation d’un test d’orthostatisme au-delà de ces 3 minutes fatidiques augmente la probabilité d’un diagnostic positif d’hO. Les syncopes vasovagales et l’hypersensibilité sino-carotidienne posent peu de difficultés diagnostiques mais il n’en est pas de même du syndrome de tachycardie orthostatique posturale lorsqu’il revêt une forme hypotensive dans ses formes extrêmes. L’accélération cardiaque marquée (> 120 bpm ou augmentation > à 30 bpm), qui signe ce syndrome, est inadaptée et peut faire diminuer la PA debout et ainsi engendrer une hypoperfusion cérébrale à l’origine de symptômes. L’hypovolémie Qui n’a pas rencontré de patient hypovolémique, qu’il s’agisse d’une hémorragie, d’une sudation abondante, d’une perte urinaire de sel, d’une diarrhée profuse, d’une privation d’eau ou d’un effet indésirable d’un diurétique par exemple ? Les étiologies peuvent être complexes mais ces formes sont faciles à reconnaître cliniquement, sans parler de l’apport de la biologie (numération, ionogramme, protidémie, dosages hormonaux). La PA peut être légèrement abaissée en position couchée et le cœur déjà rapide. Le passage en position debout (ou l’épreuve d’inclinaison passive avec une table basculante) déclenche une hO avec une accélération cardiaque franche. On peut dire que l’accélération cardiaque est adaptée mais que les capacités de régulation sont dépassées par le degré de l’hypovolémie. L’organisme fonctionne bien mais le faible volume d’éjection systolique l’emporte sur la tachycardie et la vasoconstriction artérielle. 16 L’hypotension orthostatique iatrogène On rencontre souvent une hO chez l’hypertendu traité. Celle-ci est dans la majorité des cas asymptomatique [1]. L’hypertension artérielle réduit la sensibilité du baroréflexe [8]. Cela veut dire que l’adaptation se fait mal dans un sens comme dans l’autre. Autrement dit, un stimulus hypotensif déclenche une hypotension marquée et un stimulus hypertenseur déclenche une hypertension encore plus marquée chez l’hypertendu. A cela viennent s’ajouter les effets des traitements. La sympathectomie lombaire était pourvoyeuse d’hypotension orthostatique. On lui a récemment préféré la dénervation rénale réservée à l’hypertension artérielle résistante [9, 10], avec un enthousiasme tempéré par les résultats de Simplicity-3. Les traitements historiques réduisant l’activité sympathique de façon marquée ont généré de manière systématique de l’hO : ganglioplégiques, réserpine, guanéthidine. Aujourd’hui, les traitements (souvent des associations) combinent plusieurs actions sans totalement abolir la régulation orthostatique. Ils peuvent cependant tous être responsables d’une hO et en particulier, les alpha-bloquants qui limitent la vasoconstriction artériolaire orthostatique. Le piège est l’utilisation d’un alpha-bloquant à visée non antihypertensive, pour réduire la dysurie du prostatique, ce qui ne le prive pas de son action alpha-bloquante vasculaire ! Les antihypertenseurs centraux bradycardisants et inhibiteurs sympathiques (clonidine) sont souvent en cause, les diurétiques réduisent la volémie et donc le retour veineux. Les bêtabloquants sont fréquemment associés à une hO chez le sujet âgé [3]. Les antagonistes calciques et les dérivés nitrés sont de grands pourvoyeurs d’hO alors que les bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone sont moins souvent impliqués. Dans le domaine neurologique, outre les IMAO (synthèse de faux neurotransmetteurs), les phénothiazines (neuroleptiques) et les antidépresseurs tricycliques qui possèdent une action alpha-bloquante, on retrouve les agonistes dopaminergiques et les antiparkinsoniens en général dans les produits causant une hO. La question du sildénafil (dysfoncAMC pratique n°232 novembre 2014 tion érectile) est débattue. L’existence d’une dysautonomie peut limiter l’indication d’un stimulant de l’érection. Cependant, chez le diabétique de type 2, il apparaît que le sildénafil n’entrave pas la régulation cardiovasculaire orthostatique [11]. Il est en revanche établi que prescrire du sildénafil à un coronarien traité par un dérivé nitré est contrindiqué du fait de la potentialisation de la vasodilatation qui engendrerait une baisse de perfusion coronaire, indépendamment du risque accru d’hO. L’insuffisance du baroréflexe Ces cas très exceptionnels méritent un paragraphe particulier car poser le diagnostic d’insuffisance du baroréflexe peut amener à prescrire un traitement [6]. De plus, ces cas démontrent le rôle clé du baroréflexe artériel dans la régulation de la PA : sa faiblesse a des conséquences graves. Une forme transitoire est le déconditionnement qui survient après un alitement prolongé ou qui affecte les spationautes à leur retour sur terre [12]. Le fait de ne plus subir les variations de pression hydrostatique résultant de la gravité tend à faire « oublier » les mécanismes régulateurs. Les formes chroniques extrêmes résultent d’une destruction ou d’une section des 4 nerfs véhiculant l’information sur la distension des barorécepteurs jusqu’au bulbe (premier relais : noyau du tractus solitaire). Il peut s’agir des suites d’une chirurgie du cou [13] ou d’une radiothérapie. D’autres affections rares lèsent la fonction baroréflexe au niveau des barorécepteurs, des afférences ou des centres cardiovasculaires [14-16]. Le passage en position debout peut occasionner une hO mais on est surtout frappé par les épisodes d’hypertension alternant avec des épisodes d’hypotension, le tout sans que la fréquence cardiaque ne s’oppose à ces perturbations, ce qui témoigne de l’insuffisance du baroréflexe. On peut observer des épisodes d’hypertension avec tachycardie, qui amènent à rechercher un phéochromocytome. Ces malades ont des variations fortes de PA dans un sens comme dans l’autre car le baroréflexe ne corrige pas, ne « tamponne » pas ces fluctuations spontanées comme il le fait chez les sujets sains. En AMC pratique n°232 novembre 2014 MISE AU POINT somme, les efférences du système nerveux autonome sont intactes et sont activées (ou inhibées) par le cerveau en n’étant plus soumises au contrôle du baroréflexe. Une émotion peut ainsi engendrer une majoration forte de PA avec tachycardie alors que chez le sujet sain, la variation de PA ne serait que minime. Redonner de la sensibilité au baroréflexe est possible [17] et c’est un des effets de la clonidine [6]. Un exemple de mesure ambulatoire de la PA (MAPA) d’un patient souffrant d’une insuffisance du baroréflexe avant et après traitement par la clonidine est montré sur la figure 2. DOSSIER J.-L. Elghozi, J.-M. Sénard Figure 2. Mesure ambulatoire de la PA d’un patient souffrant d’une insuffisance du baroréflexe avant traitement (haut) et après traitement par la clonidine (bas). Barres rouges : pression artérielle, tracé bleu : fréquence cardiaque. 17 DOSSIER MISE AU POINT 18 Prise en charge de l’hypotension orthostatique Les dysautonomies Comme leur nom l’indique les dysautonomies affectent le système nerveux autonome, en l’occurrence le système efférent ou système effecteur, qui comprend le parasympathique et le sympathique. Le terme ne préjuge pas du siège des lésions nerveuses, périphérique ou central. On distingue parmi ces formes d’hO dites neurogènes : – des dysautonomies secondaires, périphériques correspondant à des neuropathies le plus souvent dues à un diabète [18] en sachant qu’il en existe bien d’autres (amyloses, insuffisance rénale [19], syndromes paranéoplasiques, dysautonomies d’origine auto-immune, infectieuse, médicamenteuse), – des dysautonomies primitives [20] qui font le plus souvent partie des synucléinopathies caractérisées par l’accumulation dans les neurones ou les cellules gliales d’alpha-synucléine comme dans la maladie de Parkinson, la démence à corps de Lewy ou les atrophies multisystématisées. Nous mettrons à part les hO secondaires à des lésions médullaires résultant d’une carence en vitamine B12, d’une sclérose en plaques, d’une sclérose latérale amyotrophique ainsi que les tumeurs médullaires et bien sûr les sections spinales d’origine traumatique qui déconnectent les efférences sympathiques spinales des centres de commande bulbaires. L’inclinaison est alors mal tolérée avec survenue d’hO. Les signes d’appel sont multiples car le système nerveux autonome contrôle nombre de fonctions végétatives. Une incontinence, un déficit sexuel peuvent orienter vers l’urologue, l’andrologue ou le gynécologue et l’exploration urodynamique s’avèrera nécessaire. Ce sont parfois les premiers symptômes. Des troubles de la vue tels qu’une pupille dilatée, des troubles de l’accommodation ou une chute des paupières (ptosis) peuvent amener à consulter un ophtalmologiste. Le ptosis relève du déficit sympathique alors que la pupille dilatée et le trouble de l’accommodation sont de nature vagale (déficit cholinergique). L’atteinte gastrique (gastroparésie) peut justifier un examen manométrique pratiqué par le gastroentérologue. Les troubles de la sudation sont fréquents et on constate une hypersudation au niveau des zones non encore « dénervées », pour compenser en quelque sorte l’absence de sudation des zones dénervées. Il y fait suite une anhidrose avec une intolérance à la chaleur par défaut de la régulation thermique. Une anémie fait partie du tableau, témoignant indirectement du rôle du sympathique dans l’érythropoïèse [21]. Enfin, s’agissant le plus souvent de maladies neurologiques, c’est dans le cadre du bilan initial ou du suivi de ces affections que l’hO neurogène sera recherchée. Hormis la rare pandysautonomie aiguë (réversible), les dysautonomies évoluent lentement. C’est le cas notamment pour la symptomatologie cardiovasculaire. La neuropathie autonome cardiaque, qui marque la sévérité du diabète, doit être recherchée systématiquement. La neuropathie autonome cardiaque peut être considérée comme un marqueur de risque de mortalité totale et de morbi-mortalité cardiovasculaire [22]. Comme on le comprend facilement, l’atteinte des efférences autonomes réduit la composante nerveuse de la variabilité tensionnelle tout en limitant les capacités régulatrices. Ainsi, on observe une réduction de la sensibilité du baroréflexe avec moins de variations de FC en réponse aux variations de PA [18]. La FC de repos augmente et la variabilité de celle-ci diminue, rendant le pouls quasiment fixe. L’absence d’accélération orthostatique de la FC est un signe important de dysautonomie. La dénervation vagale précède l’atteinte sympathique et l’hO qui relève de la dénervation sympathique vasculaire est en général tardive chez le diabétique. Le rythme circadien de la PA est inversé comme dans toutes les dysautonomies. Une batterie de tests apprécie la dénervation autonome (respiration profonde, orthostatisme actif, épreuve de Valsalva). Les maladies neuro-dégénératives constituant les synucléinopathies sont fréquentes et peuvent être compliquées d’une atteinte neurologique centrale. La forme la plus pure (ORPHA441 sur le site Orphanet) a plusieurs dénominations : dysautonomie pure, dysauAMC pratique n°232 novembre 2014 tonomie pure primitive, dysautonomie progressive isolée, insuffisance autonome progressive, syndrome de Bradbury-Eggleston, hypotension orthostatique idiopathique, pure autonomic failure ou PAF pour les Anglo-Saxons. Cette maladie rare se traduit par une hO à chaque lever, sans trouble neurologique associé. L’affection tarde à être reconnue et l’entourage même attribue à la fatigue les symptômes de l’hO. On peut du reste confondre l’hO idiopathique avec la fatigue chronique jusqu’à ce que la mesure de pression précise la cause des symptômes. Il n’est pas rare qu’à l’hO s’associe une hypertension artérielle de décubitus, parfois très importante, ce qui compliquera la prise en charge. Une mesure continue de la PA (Finapres®) avec un test d’inclinaison ou tilt test [23] est souvent utile au diagnostic de ces formes neurogènes d’hO. La figure 3 en est un exemple. La mesure ambulatoire de la PA peut révéler une disparition ou une inversion du rythme circadien de la PA, comme déjà mentionné à propos du diabète. La figure 4 illustre cette inversion. Les explorations spécifiques (fonction pupillaire ou sudorale, analyse de la variabilité tensionnelle et de la FC, microneurographie sympathique, scintigraphie MIBG) sont réservées à certains centres. L’électromyogramme et surtout l’IRM ou la tomodensitométrie cérébrale sont normaux. Les taux plasmatiques de noradrénaline bas au repos n’augmentent pas lors du lever. A ce propos, citons ici une forme exceptionnelle d’hO se présentant comme une hO idiopathique due à l’absence d’une enzyme (dopamine-bêta-hydroxylase) nécessaire à la synthèse de la noradrénaline que l’on diagnostique par les dosages (accumulation de dopamine et de ses métabolites). L’hO idiopathique résulte de dépôts périphériques d’alpha-synucléine. Ceci explique l’absence d’atteinte neurologique, bien que certaines formes évoluent vers une atteinte centrale (syndrome parkinsonien et/ou démence), ce qui a fait évoquer l’existence d’un continuum entre les synucléinopathies. Une forme particulière est l’hO neurogène de la maladie de Parkinson. Elle est particulière car sa fréquence est élevée avec au moins 4 patients parkinsoniens sur 10 qui AMC pratique n°232 novembre 2014 MISE AU POINT présentent une hO. Elle est particulière également car dans la maladie de Parkinson, à la dégénérescence nigro-striatale centrale s’ajoute une accumulation d’alpha-synucléine avec corps de Lewy dans les neurones sympathiques périphériques. L’hO de la maladie de Parkinson peut aussi résulter des traitements renforçant la transmission dopaminergique. Les deux autres formes de synucléinopathies s’associent à des dépôts d’alpha-synucléine dans le tronc cérébral et la moelle épinière. Ainsi, la démence à corps de Lewy qui associe à des troubles cognitifs fluctuants et des hallucinations visuelles, des chutes et des syncopes rapportées à l’hO. Enfin, l’atrophie multi systématisée de mauvais pronostic associe hypotension orthostatique, syn- DOSSIER J.-L. Elghozi, J.-M. Sénard Figure 3. Enregistrement continu de la pression artérielle (Finapres®) d’une patiente de 37 ans souffrant d’une dysautonomie pure avant la mise en route du traitement. Noter l’hypertension artérielle de décubitus, la chute dès l’inclinaison (table de tilt) se maintenant jusqu’au retour à la position horizontale et l’absence de variabilité de la PA. Figure 4. Mesure ambulatoire de la PA d’un patient de 63 ans souffrant d’une dysautonomie pure avec inversion du rythme nycthéméral et hO le matin. 19 DOSSIER MISE AU POINT Prise en charge de l’hypotension orthostatique drome parkinsonien, atteinte pyramidale et syndrome cérébelleux. Outre la clinique qui a une valeur d’orientation majeure, l’imagerie cérébrale ainsi que la scintigraphie cardiaque à la MIBG aident à préciser le diagnostic de ces dysautonomies primitives [20]. Traiter l’hypotension orthostatique On peut remettre debout ces malades handicapés et le traitement n’en est pas moins délicat. La diminution orthostatique du retour veineux n’est pas supportée. Les varices (pelviennes notamment) accentuent le trouble. Les collants ou les chaussettes de contention, les ceintures abdominales ou les vêtements compressifs (marques EffektorTM ou SkinsTM) sont d’un certain secours. On peut bien sûr recommander la piscine ou le vélo en position penché en avant. Des manœuvres fort utiles ont été bien décrites pour éviter de défaillir [24]. Le fait de boire rapidement un grand verre d’eau est une manœuvre efficace simple [25]. Trois axes thérapeutiques sont combinés : une vasoconstriction, une épargne de sel et une remontée de l’hémoglobine. La vasoconstriction La vasoconstriction devrait être veineuse d’abord et les dérivés de l’ergot de seigle, retirés du marché, exerçaient partiellement cette action. L’hO sévère requiert un vasoconstricteur artériel puissant, la midodrine (Gutron®), qui n’agit pas longtemps et doit être renouvelée toutes les 3-4 heures environ, ce qui permet d’ajuster la posologie aux périodes de la journée les plus pénibles. L’éducation thérapeutique joue un grand rôle dans l’ajustement quotidien du Gutron®. Il peut y avoir des jours requérant 4 comprimés et d’autres 10. La vasoconstriction obtenue aide à se tenir debout mais la différence de pression debout-couché n’est pas modifiée et lorsque le patient s’allonge, il est alors très souvent hypertendu couché et peut ressentir des céphalées. On peut recommander alors de soulever la tête de lit. Cette hypertension couché (parfois indépendante du Gutron®) peut requérir un 20 traitement particulier [26]. Un risque inhérent à cette hypertension de clinostatisme est le développement d’une insuffisance rénale. On évitera la prise de Gutron® dans les heures précédant le coucher. On observe souvent avec ce produit des troubles digestifs, difficiles à dissocier des troubles de nature végétative (stase gastrique, motricité digestive perturbée), une contraction de l’urètre (risque de rétention urinaire) et une horripilation (marquée au niveau du cuir chevelu avec une sensation d’irritation). Un risque du Gutron® est la vasoconstriction coronaire. L’épargne de sel L’épargne de sel accompagne la majoration de l’apport sodé (Vichy, comprimés de chlorure de sodium, éventuellement boissons isotoniques type Powerade Ion4® qui est également riche en glucides). L’acétate de fludrocortisone (Flucortac®) est le minéralocorticoïde le plus efficace, à longue durée d’action. La fludrocortisone est un analogue de l’aldostérone. Elle agit au niveau du tube distal du néphron en augmentant la réabsorption du sodium et l’excrétion du potassium et de protons. L’activité glucocorticoïde de la fludrocortisone est faible. L’hO amène à prescrire des doses comprises entre 50 et 200 μg mais cette prescription est faite hors AMM puisque le Flucortac® n’a reçu l’AMM que comme traitement minéralocorticoïde substitutif au cours de l’insuffisance corticosurrénale primaire. Le risque est la survenue d’une hypokaliémie (souvent annoncée par des crampes) imposant une surveillance biologique régulière et pouvant requérir un complément potassique. On surveillera l’absence d’œdèmes reflétant une rétention hydrosodée. Un inconvénient de la rétention hydrosodée est la majoration de la PA en clinostatisme et de ce fait la fludrocortisone est contre-indiquée en cas d’hypertension artérielle en position couchée. La remontée de l’hémoglobine En plus du Gutron® et du Flucortac®, ces patients ont souvent une prescription d’une érythropoïétine recombinante (Aranesp®, AMC pratique n°232 novembre 2014 Binocrit®, Dynepo®, Eporatio®, Eprex®, Mircera®, NeoRecormon®). L’érythropoïétine traite l’anémie, habituelle chez les patients dysautonomiques [21] et de plus exerce un effet vasoconstricteur utile. Un complément martial peut être nécessaire. L’augmentation de l’hématocrite contribue à l’oxygénation cérébrale et les patients se sentant mieux vont exprimer le souhait d’une majoration supplémentaire de leur hématocrite. Il s’agit de réfréner ce désir car le risque de phlébothrombose est déjà grand chez ces patients qui passent beaucoup de temps allongés. Cette prescription est faite hors AMM car l’érythropoïétine n’est indiquée que comme traitement de l’anémie de l’insuffisance rénale chronique et l’anémie des pathologies malignes. Par ailleurs, l’instauration d’un traitement par l’érythropoïétine impose une surveillance tensionnelle stricte et une adaptation des doses des médicaments associés. Autres médicaments La droxydopa (Northera® aux USA), réservée initialement au traitement du déficit exceptionnel en dopamine-bêta-hydroxylase, a reçu l’approbation de la FDA pour traiter l’hO neurogène (les dysautonomies) à la suite de deux essais cliniques concluants mais brefs (deux semaines). La desmopressine (Minirin®, Octim® en pulvérisation nasale), analogue de la vasopressine, peut aider à réduire la nocturie et aussi à passer le cap de l’hO sévère du premier lever [27]. L’octréotide a pour indication privilégiée les chutes de PA postprandiales, dues à la vasodilatation digestive résultant de la sécrétion de peptides digestifs vasodilatateurs. Le patient dysautonomique n’est pas en mesure de générer l’activation sympathique réflexe rétablissant sa PA. On recommande en premier lieu la fragmentation des repas ou la prise d’eau avant le repas (400 ml en 5 minutes), ce qui suffit parfois à minimiser les chutes tensionnelles postprandiales. L’octréotide, apparenté à la somatostatine, s’oppose à l’effet de ces peptides digestifs. L’inconvénient est qu’il faut l’administrer par voie sous-cutanée à proximité des repas mais des analogues actifs par voie orale seront bientôt disponibles. D’autres médicaments ont été testés dans l’hO. La yohimbine (Yocoral®) a une efficacité dans les formes débutantes d’hypotension orthostatique idiopathique [28]. Elle agit comme bloqueur alpha2-adrénergique présynaptique, en augmentant l’exocytose de la noradrénaline des terminaisons sympathiques [29]. La clonidine (Catapressan®) élève la PA dans les formes avancées d’hO du fait de ses effets post-synaptiques et nous avons déjà mentionné son effet dans l’insuffisance du baroréflexe [6]. La pyridostigmine (Mestinon®), inhibiteur d’acétylcholinestérase a été testée également, avec un relatif succès, dans les formes d’hO neurogènes peu évoluées [28]. On peut citer également l’effet bénéfique de l’atomoxétine (Strattera®), inhibiteur de la recapture de la noradrénaline, aujourd’hui retirée du commerce. Enfin rappelons que les patients souffrant d’hypotension orthostatique ont souvent reçu au préalable d’autres produits tels que l’Heptaminol (Ampecyclal®, Hept-A-Myl®) ou l’Etiléfrine (Effortil®) avec des bénéfices faibles amenant à rechercher un traitement plus efficace. MISE AU POINT DOSSIER J.-L. Elghozi, J.-M. Sénard Conflits d’intérêt : J.-L. Elghozi déclare avoir un conflit d’intérêt avec le laboratoire H.A.C. Pharma. J.-M. Sénard déclare avoir des conflits d’intérêt avec les laboratoires Alkopharm, Chelsea Therapeutics/ Lundbeck et Nycomed/Takeda. En pratique Prendre la pression artérielle couché puis debout chez l’hypertendu traité permet la détection d’hypotensions orthostatiques asymptomatiques qui imposent une adaptation thérapeutique. AMC pratique n°232 novembre 2014 21 DOSSIER MISE AU POINT Prise en charge de l’hypotension orthostatique Références [1] Benvenuto LJ, Krakoff LR. Morbidity and mortality of orthostatic hypotension: implications for management of cardiovascular disease. Am J Hypertension 2011;24:135-44. [2] Freeman R, Wieling W, Axelrod F, et al. Consensus statement on the definition of orthostatic hypotension, neurally mediated syncope and the postural tachycardia syndrome. Auton Neurosci 2011;161:46-8. [16] Trang H, Girard A, Laude D, et al. Short-term blood pressure and heart rate variability in congenital central hypoventilation syndrome (Ondine’s curse). Clin Sci 2005;108:225-30. [3] Valbusa F, Labat C, Salvi P, et al. on behalf of the PARTAGE investigators. 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