Anatomie clinique de la cheville et du pied Comprendre pour bien traiter M. SCEPI Points essentiels t La « cheville traumatique » intéresse le plus souvent quatre articulations : la tibio-fibulaire distale, la talo-crurale, la subtalaire et le groupe articulaire tarso-métatarsien et médio-tarsien. t Les points d’insertion du naviculaire et de la base du processus styloïde du Ve métatarsien peuvent être le siège de fracture en raison des contraintes mécaniques qui s’y appliquent en traumatologie (notamment dans les mécanismes indirects). t Les éléments anatomiques antérieurs de contention sont faibles, ce qui explique les transmissions des contraintes sur les appareils ligamentaires collatéraux et subtalaires. t Les groupes articulaires fonctionnels et anatomiques sont étroitement liés et doivent engager à toujours envisager des atteintes anatomiques multiples (et ne pas se contenter d’évoquer une « banale » entorse du complexe ligamentaire collatéral latéral). t La proximité des éléments destinés à la vascularisation et à l’innervation du pied doit conduire à un examen clinique soigneux de ces fonctions devant une cheville traumatique (notamment en cas de luxations et/ou de fractures). Introduction La connaissance de l’anatomie clinique de la cheville et du pied est indispensable pour l’urgentiste qui aborde les pathologies traumatiques et fonctionnelles de ces deux entités. Ce chapitre est différent des classiques descriptions dans le sens où il se veut volontairement pratique, « dynamique » (description des structures dans le mouvement) et en relation directe avec la clinique aux urgences. L’anatomie clinique de la cheville et du pied aux urgences se conçoit comme un ensemble fonctionnel comprenant les articulations de la M. Scepi ( ), Service Accueil Urgences – SAMU – SMUR, CHU Hôpital Jean Bernard, 86021 Poitiers Cedex. Laboratoire d’Anatomie. Faculté de Médecine. Université de Poitiers. – e-mail : [email protected] Sous la direction de M. Bendahou, K. Saidi, S. Besch, F. Khiami, Traumatisme de la cheville ISBN : 978-2-8178-0351-7, © Springer-Verlag Paris 2013 1 4 1 Traumatisme de la cheville cheville (talo-crurale, tibio-fibulaire distale et subtalaire) et celles du pied (articulation transverse du tarse ou tarso-métatarsienne en particulier). Nous envisagerons donc ces différentes entités anatomo-fonctionnelles et les points essentiels de l’anatomie afin de comprendre les lésions et d’interpréter au mieux les différentes imageries aux urgences. Anatomie clinique appliquée des articulations de la cheville Pour l’urgentiste, l’anatomie clinique concerne les articulations talo-crurale, subtalienne et tibio-fibulaire distale. Les traumatismes sont soit directs et concernent les lésions des éléments osseux, soit indirects et intéressent les éléments, capsulaires, ligamentaires et ostéo-chondraux. Ces derniers mécanismes étant les plus fréquents, il est essentiel de connaître l’anatomie de ces éléments et leurs aspects cliniques fonctionnels. Anatomie clinique de l’articulation talo-crurale C’est l’articulation, communément dénommée articulation de la « cheville », qui unit le squelette jambier et le tarse : mortaise tibio-fibulaire/talus. Elle est très intimement associée sur le plan anatomique et fonctionnel à l’articulation tibio-fibulaire distale (cf. infra). Les éléments ostéo-chondraux en présence sont : la face inférieure du tibia, la surface articulaire de la malléole médiale, la surface articulaire de la malléole latérale et la trochlée du talus. Lors des traumatismes de la cheville, tous ces éléments peuvent être atteints de façon isolée ou associée (fig. 1). Fig. 1 – Vue postérieure des articulations talo-crurale et subtalaire (pied en varus équin) (d’après P. Kamina). 1 : tibia ; 2 : fibula ; 3 : talus ; 4 : calcanéus ; 5 : ligament collatéral médial (deltoïde) ; 6 : ligament collatéral latéral (fibulaire) : ligament talo-fibulaire postérieur et ligament calcanéo-fibulaire ; 7 : ligament talo-calcanéen interosseux. Anatomie clinique de la cheville et du pied. Comprendre pour bien traiter Anatomie de surface Le bord antérieur de l’extrémité inférieure du tibia est palpable en dedans de la saillie du tendon du muscle tibial antérieur lorsque le pied est en flexion dorsale ; la palpation se continue sur le versant médial pour atteindre très facilement la malléole médiale. La malléole latérale est aisément palpable sur sa face antérieure, latérale et postérieure. En arrière, de part et d’autre de la saillie du tendon calcanéen, les deux gouttières rétro malléolaires sont palpables et doivent apparaître libres de tout épanchement. En avant et en dehors de la saillie du tendon du muscle tibial antérieur, la saillie des tendons du muscle extenseur des orteils masque la palpation de l’articulation tibio-fibulaire distale. Anatomie des éléments capsulo-ligamentaires La capsule articulaire est composée de deux tuniques : l’une fibreuse et l’autre synoviale. La capsule fibreuse est mince, lâche et s’insère sur le pourtour des surfaces cartilagineuses, sauf en avant où elle s’en éloigne sur la trochlée du talus. Les éléments ligamentaires de l’articulation talo-crurale ont bénéficié de nombreuses descriptions anatomiques, parfois à l’origine de classifications nosologiques. Deux entités anatomo-fonctionnelles sont à connaître : le ligament collatéral latéral (fibulaire) et le ligament collatéral médial (tibial). Chacune de ces entités est formée de plusieurs ligaments. Ligament collatéral latéral (fibulaire) Il est constitué de trois faisceaux qui convergent vers la malléole latérale : – ligament talo-fibulaire antérieur : souvent dénommé « faisceau antérieur » ; il est court, large et décrit un trajet antérieur et médial qui va de la face antérieure de la malléole latérale jusqu’au col du talus, en avant de la surface articulaire malléolaire latérale (fig. 2) ; – ligament talo-fibulaire postérieur : souvent dénommé « faisceau postérieur » ; il est épais et très résistant ; il décrit un trajet horizontal et médial qui va de la face postérieure de la malléole latérale jusqu’au tubercule latéral du talus (fig. 2) ; – ligament calcanéo-fibulaire : souvent dénommé « faisceau moyen » ; il est long et décrit un trajet oblique en bas et en arrière, qui va de l’extrémité de la malléole latérale à la face latérale du calcanéus (fig. 2) ; Ligament collatéral médial (tibial) Ce complexe ligamentaire résistant et épais est aussi appelé ligament deltoïde à cause de sa forme en triangle à sommet malléolaire. 5 6 1 Traumatisme de la cheville Il est constitué de deux « couches » ligamentaires : – une couche superficielle : elle est elle-même constituée de deux éléments ligamentaires : le ligament tibio-naviculaire et le ligament tibio-calcanéen ; – une couche profonde constituée également de deux éléments ligamentaires distincts : le ligament tibio-talaire antérieur et le ligament tibio-talaire postérieur (fig. 3). Fig. 2 – Vue latérale de la cheville. Fig. 3 – Vue médiale de la cheville. 1 : liga1 : ligament collatéral latéral : ligament talo- ment collatéral médial : couche superficielle ; fibulaire antérieur ; 2 : ligament collatéral 2 : ligament collatéral médial : couche profonde. latéral : ligament talo-fibulaire postérieur ; 3 : ligament collatéral latéral : ligament calcanéo-fibulaire ; 4 : rétinaculum des extenseurs ; 5 : fibula ; 6 : calcanéus. Éléments anatomiques de voisinage (rapports essentiels de l’articulation talo-crurale) Ils sont d’ordre tendineux (passage des tendons des muscles destinés au pied et aux orteils), vasculaire et nerveux. – En avant : l’articulation est en rapport avec les tendons des muscles, long extenseur des orteils, long extenseur du gros orteil, tibial antérieur. L’artère et les veines tibiales antérieures accompagnées du nerf fibulaire profond passent en dehors de la saillie du tendon du muscle tibial antérieur, en avant de l’articulation (pouls pédieux). La veine grande saphène décrit son trajet en avant de la malléole médiale. – En arrière : en arrière et médialement, dans la gouttière rétromalléolaire médiale, les rapports se font avec : les tendons des muscles long fléchisseur des orteils, long fléchisseur du gros orteil, tibial postérieur. L’artère et les veines tibiales postérieures accompagnées du nerf tibial cheminent dans cette gouttière. Le tendon calcanéen et son espace rétrotibial délimitent les deux gouttières rétromalléolaires (fig. 4). – En arrière et latéralement, dans la gouttière rétromalléolaire latérale, les rapports se font avec l’artère et les veines fibulaires. Anatomie clinique de la cheville et du pied. Comprendre pour bien traiter En arrière de la malléole latérale, se trouvent les tendons des muscles court et long fibulaires dans leur gaine synoviale et leur coulisse fibreuse (fig. 5). La veine petite saphène passe en arrière de la malléole latérale. Fig. 4 – Coupe horizontale et rapports de l’articulation talo-crurale (d’après P. Kamina). 1 : tibia ; 2 : fibula ; 3 : ligament tibio-fibulaire antérieur ; 4 : ligament tibio-fibulaire postérieur ; 5 : ligament tibio-fibulaire interosseux ; 6 : tendon du muscle long extenseur des orteils ; 7 : tendon du muscle long extenseur du gros orteil ; 8 : tendon du muscle tibial antérieur ; 9 : artère et veines tibiales antérieures ; 10 : nerf fibulaire profond ; 11 : tendon du muscle long fléchisseur des orteils ; 12 : tendon du muscle long fléchisseur de l’hallux ; 13 : tendon du muscle tibial postérieur ; 14 : artère et veines tibiales postérieures ; 15 : tendon calcanéen ; 16 : tendons des muscles long et court fibulaires. Fig. 5 – Ligament collatéral latéral. Vue latérale de la cheville. 1 : ligament talo-fibulaire postérieur ; 2 : fibula ; 3 : tendon du muscle court fibulaire ; 4 : tendon du muscle long fibulaire ; 5 : processus styloïde du Ve métatarsien. Anatomie fonctionnelle L’articulation talo-crurale va intervenir dans deux compartiments fonctionnels, statiques et dynamiques. La statique de cette articulation trouve son intérêt dans le maintien de la station érigée. Cette fonction, propre à l’Homme, exige une stabilité parfaite du talus en grande partie assurée par l’articulation talo-crurale et ses éléments anatomiques. La stabilité antéro-postérieure est assurée dans les déplacements antérieurs par le bord antérieur de l’extrémité inférieure du tibia, les ligaments antérieurs, le groupe des muscles extenseurs des orteils et tibial antérieur ainsi que les muscles fibulaires. Dans le sens postérieur, la stabilité est assurée par le bord postérieur de l’extrémité inférieure du tibia, le rétrécissement postérieur de la mortaise tibio-fibulaire et les ligaments postérieurs. En ce qui concerne la dynamique de cette articulation, il n’existe qu’un seul degré de liberté dans la talo-crurale, ce qui ne permet 7 8 1 Traumatisme de la cheville que des mouvements de flexion/extension dans un plan sagittal. La flexion est le mouvement qui rapproche le dos du pied de la face antérieure de la jambe et son amplitude varie de 20 à 30°. L’extension est le mouvement qui éloigne le dos du pied de la face antérieure de la jambe et son amplitude varie de 30 à 60°. Schématiquement, l’axe de mouvement, transversal, passe par la trochlée du talus et est perpendiculaire à celle-ci. Lors des mécanismes les plus fréquents de traumatismes de la cheville, le talon décolle de son appui au sol et, de ce fait, l’articulation talo-crurale se trouve « suspendue », soumise aux contraintes traumatiques et à l’énergie cinétique du traumatisme qui s’appliquent sur les structures de maintien mais également ostéo-chondrales (fig. 6). Fig. 6 – Vue postérieure des éléments anatomiques de maintien actif des articulations talo-crurales et du tarse (d’après P. Kamina). 1 : tendon du muscle court fibulaire ; 2 : tendon du muscle long fibulaire ; 3 : tendon du muscle fléchisseur des orteils ; 4 : tendon du muscle long fléchisseur de l’hallux ; 5 : tendon du muscle tibial postérieur ; 6 : tendon calcanéen. Repères anatomiques radiologiques essentiels L’anatomie morphologique de cette articulation présente des repères que l’on retrouve lors des examens de radiographies standard pratiqués aux urgences lorsque la clinique le demande. Sur un cliché de face centré : l’interligne talo-crural doit être régulier et présenter un espace articulaire de même épaisseur, la malléole latérale descend plus bas que la malléole médiale et les images des corticales osseuses ne doivent pas présenter de solution de continuité (fig. 7). Sur le cliché de profil centré : les deux malléoles sont visibles mais se superposent, la partie postérieure de l’extrémité inférieure du tibia est plus basse que la partie antérieure, le calcanéus et le sinus du tarse sont visibles avec un angle talo-crural de 80° et l’interligne talo-crurale et la trochlée du talus (dôme) sont réguliers (fig. 8). Anatomie clinique de la cheville et du pied. Comprendre pour bien traiter Fig. 7 – Cliché standard de cheville de face – repères anatomiques. 1 : tibia ; 2 : fibula ; 3 : interligne talo-crural ; 4 : interligne tibio-fibulaire distal ; 5 : talus. Fig. 8 – Cliché de profil de la cheville – repères anatomiques. 1 : tibia ; 2 : fibula ; 3 : talus ; 4 : calcanéus ; 5 : interligne talo-crural ; 6 : espace rétrotibial ; 7 : naviculaire. Anatomie clinique de l’articulation tibio-fibulaire distale Il s’agit d’une syndesmose qui unit l’extrémité distale du tibia à celle de la fibula. Fonctionnellement, cette articulation est intimement liée à la précédente. Anatomie de surface La palpation de cette articulation est aisée à la face antérieure et médiale de la malléole latérale. Lors des traumatismes de la cheville, cette palpation est douloureuse et l’anatomie de surface est effacée par un épanchement traumatique fréquent à ce niveau. Anatomie des éléments capsulo-ligamentaires La surface articulaire fibulaire, convexe, s’articule médialement avec son homologue tibiale, concave. La capsule articulaire est ténue et renforcée par trois structures ligamentaires : – ligament tibio-fibulaire antérieur : il naît de l’incisure antérieure du tibia et se dirige vers le bord antérieur de la malléole latérale sur lequel il se termine ; – ligament tibio-fibulaire postérieur : structure très résistante, ce ligament naît du bord postérieur de la malléole latérale et s’étend en éventail à la face postérieure de l’articulation pour se terminer à la face postérieure de l’incisure fibulaire du tibia ; – ligament interosseux : il est constitué d’un ensemble de courts faisceaux fibreux qui unissent les deux surfaces articulaires (fig. 9). 9 10 Traumatisme de la cheville 1 Fig. 9 – Articulation tibio-fibulaire distale – coupe frontale (d’après P. Kamina). 1 : tibia ; 2 : fibula ; 3 : interligne articulaire et ligament interosseux ; 4 : ligament tibiofibulaire postérieur. Fig. 10 – Repères radio-anatomiques de l’articulation tibio-fibulaire distale – vue de face. Interligne articulaire < 6 mm, à 1 cm du plan de la surface articulaire du tibia. Anatomie fonctionnelle En statique, cette articulation est presque immobile et contribue à la stabilité de la cheville et du pied (station érigée, appui monopodal statique). En dynamique, lors des mouvements de flexion, la fibula est le siège d’une légère ascension et sa surface articulaire se rapproche de celle du tibia (rotation médiale associée). Lors des mouvements d’extension, ces déplacements s’inversent. Cette articulation est donc fonctionnellement associée de façon intime aux amplitudes de la précédente et contribue ainsi à la stabilité dans la marche. Repères anatomiques radiologiques aux urgences Sur un cliché de face centré, l’interligne tibio-fibulaire distale doit être inférieure ou égale à 6 mm (sinon : diastasis) (fig. 10). Anatomie clinique de l’articulation subtalaire Articulation synoviale de type ellipsoïde, elle unit le talus et le calcanéus. À ce titre, elle est considérée comme une articulation du tarse. Cependant, étant donné son architecture et son importance fonctionnelle, elle doit être envisagée comme faisant partie intégrante des articulations de la cheville au sens clinique du terme. Anatomie clinique de la cheville et du pied. Comprendre pour bien traiter Anatomie de surface Difficilement palpable, elle peut cependant être explorée dans sa stabilité en bloquant le talus et en imprimant des mouvements antéro-postérieurs et latéraux au calcanéus (qui doit rester solidaire du talus). Anatomie des éléments articulaires Les surfaces articulaires, postérieures du talus et du calcanéus sont exactement inversement conformes (très excavée pour le talus et très convexe pour le calcanéus). La capsule fibreuse doublée de sa membrane synoviale, est renforcée par trois ligaments : talo-calcanéen médial, talo-calcanéen latéral, talo-calcanéen postérieur. Le ligament talo-calcanéen interosseux est une lame fibreuse, courte et résistante, tendue verticalement dans le sinus talo-calcanéen (sinus du tarse) (fig. 11). Fig. 11 – Ligaments talo-calcanéens et articulation subtalaire. 1 : talus ; 2 : calcanéus ; 3 : ligament talo-calcanéen interosseux ; 4 : ligament talocalcanéen médial ; 5 : ligament talo-calcanéen postérieur. Anatomie fonctionnelle L’anatomie fonctionnelle de cette articulation doit être conçue en étroite liaison avec celle des articulations talo-crurale et transverse du tarse. Néanmoins, au niveau de l’articulation subtalaire, trois axes de mouvements sont à envisager : sagittal, transversal et vertical. Selon l’axe vertical, les mouvements du calcanéus sont de type abduction et adduction : on dit classiquement que le calcanéus « vire ». Selon l’axe transversal, le calcanéus présente des mouvements de rotation antérieure et postérieure : le calcanéus « tangue ». Selon l’axe sagittal, les mouvements effectués sont des rotations médiale et latérale : le calcanéus « roule ». Tous ces mouvements combinés, associés à ceux permis, et démultipliés par les autres articulations du tarse, vont aboutir à des mouvements complexes, « associés », mais cependant de la plus haute importance fonctionnelle : les mouvements d’inversion (amenant la plante du pied vers l’intérieur, vers l’axe du corps, et éversion, amenant la plante du pied vers l’extérieur). Ces notions d’anatomie fonctionnelle trouvent toute leur importance dans la compréhension de la genèse des lésions ligamentaires et ostéochondrales associées dans la plupart des traumatismes de la cheville. 11 12 1 Traumatisme de la cheville Repères anatomiques radiologiques Sur le cliché de profil, le processus latéral du talus doit être à l’aplomb du sinus talo-calcanéen. L’interligne talo-calcanéen est normalement régulier (en l’absence d’arthrose). Anatomie clinique appliquée des articulations du tarse intéressées dans les traumatismes indirects de la cheville Anatomie clinique de l’articulation transverse du tarse Cette articulation unit le tarse antérieur et postérieur. Ce complexe articulaire fonctionnel comprend l’articulation calcanéo-cuboïdienne, d’une part, et l’articulation composée talocalcanéo-naviculaire d’autre part. Les mouvements de l’articulation transverse du tarse sont étroitement liés à ceux de l’articulation subtalaire. La palpation de l’os naviculaire et du cuboïde est possible cliniquement à la face dorsale du pied, mais les tests cliniques de ces articulations sont impossibles dans leur individualité. Une exploration clinique de l’articulation transverse du tarse peut se faire en bloquant le calcanéus et en empoignant l’avant-pied tout en imposant à ce dernier des mouvements de rotation selon l’axe sagittal du pied (passant par le IIème métatarsien). En cas de douleurs et d’absence de lésion osseuse à la radiographie, ce test clinique permet de suspecter fortement une lésion. La capsule articulaire est mince et renforcée par plusieurs ligaments (calcanéo-cuboïdiens, calcanéo-naviculaires, talo-naviculaire). Un ligament est commun aux articulations calcanéo-naviculaire et calcanéo-cuboïdienne : le ligament bifurqué. Il prend son attache à la face dorsale du calcanéus et se bifurque avant de se terminer sur le naviculaire et sur le cuboïde. Son atteinte dans les traumatismes indirects de la cheville avec forte énergie cinétique provoquerait certaines fractures naviculaires non déplacées ou des fractures parcellaires (« arrachements » osseux) (figs. 12 et 13). D’un point de vue fonctionnel, les axes et les mouvements s’accordent avec ceux de l’articulation subtalaire pour permettre l’inversion ou l’éversion du pied. Les muscles moteurs de l’inversion sont les muscles tibiaux (antérieur et postérieur) et le long extenseur du I. L’amplitude moyenne est de 30°. Elle est de 25° pour l’éversion dont les muscles responsables sont le muscle court fibulaire et le muscle long fibulaire. Anatomie clinique de la cheville et du pied. Comprendre pour bien traiter Fig. 12 – Articulation transverse du Fig. 13 – Cliché de profil de la cheville centré sur tarse – vue supérieure de l’articulation le tarse révélant une fracture du naviculaire témoin talo-calcanéo-naviculaire (d’après d’une lésion du ligament bifurqué. P. Kamina). 1 : calcanéus ; 2 : naviculaire ; 3 : face inférieure du talus ; 4 : ligament bifurqué ; 5 : ligament talo-calcanéen interosseux. Anatomie clinique des articulations des os du tarse distal entre eux Ces articulations sont palpables cliniquement à la face dorsale du cou-de-pied. Cinq articulations unissent les os du tarse distal entre eux : – l’articulation cunéo-naviculaire ; – l’articulation cuboïdo-naviculaire ; – les articulations inter-cunéiformes médiale et latérale ; – l’articulation cunéo-cuboïdienne. Articulation cunéo-naviculaire Elle est de type condylaire et unit les trois cunéiformes à l’os naviculaire. La capsule articulaire est mince, en continuité pour les trois articulations. Les ligaments sont au nombre de deux : le ligament cunéo-naviculaire dorsal, mince, fragile lors des traumatismes en extension de la tibio-tarsienne et de l’avant-pied, et le ligament cunéo-naviculaire plantaire, plus résistant mais souvent peu sollicité dans les traumatismes de cheville. Cette anatomie explique aisément les « arrachements » osseux de la face dorsale de l’os naviculaire (lésion radiologique fréquemment associée aux lésions ligamentaires de la talo-crurale [fig. 13]). D’un point de vue fonctionnel, les mouvements dans ces articulations sont intimement liés à ceux de l’articulation subtalaire. Les axes de mouvement sont transversal (flexion/extension) et sagittal (rotations axiale, médiale et latérale). 13 14 1 Traumatisme de la cheville Articulation cuboïdo-naviculaire Elle est de type syndesmose et unit le naviculaire et le cuboïde. Le ligament cuboïdo-naviculaire est épais. Articulations intercunéiformes médiale et latérale et articulation cunéo-cuboïdienne Les surfaces articulaires sont maintenues par des ligaments plantaires et dorsaux et surtout par des ligaments interosseux, très résistants, situés en arrière des surfaces articulaires et contribuant efficacement au maintien de l’axe du pied. D’un point de vue fonctionnel, ces trois groupes d’articulations constituent une « assise » importante dans les appuis statiques et dynamiques et complètent les fonctions des autres articulations du tarse pour assurer la stabilité dans la station érigée. Ainsi, l’anatomie clinique, appliquée à la biomécanique de la « cheville », intéresse plusieurs groupes articulaires dans les aspects statiques et dynamiques (fig. 15). Ces associations anatomiques expliquent facilement les associations lésionnelles dans les pathologies traumatiques et la difficulté d’établir en urgence un diagnostic lésionnel précis, notamment dans la pathologie traumatique ligamentaire. Fig. 14 – Hypothèses biomécaniques : pied au sol/talon au sol. L’articulation subtalaire est la première sollicitée (1), puis le ligament talofibulaire antérieur et la capsule (2), le tendon du muscle court fibulaire, puis les ligaments talo-fibulaire postérieur et calcanéo-fibulaire avec le tendon du long fibulaire (3). Fig. 15 – Axes de mouvements pied au sol. Toutes les articulations concourent ensemble à la réalisation de ces mouvements, tous nécessaires à la marche en station érigée. La maturité des structures suivant l’âge explique également les lésions anatomiques qui peuvent en découler (exemple : fréquence des traumatismes épiphysaires chez l’enfant). Dans la physiopathologie des lésions des traumatismes indirects de la cheville, il faut distinguer les traumatismes avec pied au sol/talon en charge et ceux avec pied au sol/talon en décharge et avant-pied en charge (réceptions de sauts ou impulsions). En effet, lorsque le talon n’est pas en contact avec le sol, les contraintes vont se répartir Anatomie clinique de la cheville et du pied. Comprendre pour bien traiter dans l’avant-pied, puis dans la talo-crurale en fin de cinétique. Dans le cas où le talon est au sol, les contraintes vont d’abord se répartir via la subtalaire, puis le ligament talo-fibulaire antérieur et la capsule, continuer par le ligament talo-fibulaire postérieur et le tendon du muscle court fibulaire pour – en fin de cinétique – atteindre le ligament calcanéo-fibulaire et le tendon du muscle long fibulaire (fig. 14). Quoi qu’il en soit, une parfaite connaissance des structures anatomiques et de leurs fonctions facilitera l’examen clinique, l’interprétation de l’imagerie et parfois même les indications thérapeutiques devant un traumatisme de la cheville. Bibliographie 1. 2. 3. 4. Kamina P (2012) Atlas d’anatomie. Paris, Maloine Kamina P (2008) Anatomie clinique. Tome 1. Paris, Maloine Rodineau J (1978) La cheville. Paris, Laboratoire Besins-Iscovesco Golan P, Vega J, de Leuw PAJ et al. (2010) Anatomy of the ankle ligaments: a picturial essay. Knee Surg Traumatol Arthrosc 18 : 557-69 5. Kapandji IA (1974) Physiologie articulaire. 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