¶ 23-325-G-15 Doléances en prothèse complète A. Braud, O. Hüe, M.-V. Berteretche Après l’insertion prothétique, un certain nombre de doléances à propos des prothèses nouvellement insérées sont exprimées par le patient. Ces doléances objectives ou subjectives sont rapportées immédiatement ou dans des délais plus ou moins brefs. Les doléances immédiates concernent principalement un défaut de stabilité ou de rétention de la prothèse. Des contrôles concernant la base prothétique mais aussi l’occlusion doivent être réalisés. Une phase d’adaptation du patient à cette nouvelle prothèse, concernant l’esthétique, les volumes prothétiques et les appuis lors de la phonation est parfois nécessaire et peut entraîner des plaintes à ce sujet. À court terme, l’apparition de blessures impose d’identifier et de corriger les facteurs en cause. D’autres doléances à propos de morsures jugales, de bruits occlusaux, de stagnation alimentaire ou encore d’« allergies » etc. peuvent être évoquées et doivent être pris en charge. Enfin, des doléances à long terme peuvent apparaître, liées à une altération des surfaces d’appui prothétiques, à défaut d’équilibration occlusale ou encore d’hygiène de la cavité buccale. L’importance du suivi prothétique et de l’information du patient quant à la pérennité dans le temps des réhabilitations prothétiques doit être intégré dans ce cadre. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Prothèse complète ; Doléances ; Joint postérieur ; Brûlures buccales ; Stabilité prothétique Plan ¶ Introduction 1 ¶ Doléances immédiates Doléances objectives Doléances subjectives 2 2 4 ¶ Doléances à court terme Doléances objectives Doléances subjectives 5 5 6 ¶ Doléances à long terme 6 ■ Introduction Selon le dictionnaire Le Littré, le terme doléance correspond à une « plainte au sujet d’un grief ». Si le terme plainte peut sembler peu conséquent, il correspond en effet à « l’expression vocale de la douleur ressentie », il n’en va pas de même pour le terme grief « dommage que l’on subit », ce qui traduit une certaine menace et indirectement signifie demande de réparation. Lors d’une consultation, le patient porteur de prothèses complètes peut être amené à exprimer ses doléances. Celles-ci peuvent conduire, en fonction de leur importance ou de leurs étiologies, à proposer de réaliser une nouvelle réhabilitation prothétique. Dans ce cas, ces doléances font alors partie intégrante de l’examen clinique et doivent être analysées et prises en compte par le praticien afin qu’il les intègre lors de l’élaboration de la nouvelle prothèse. À l’opposé, le patient formule aussi le plus souvent un certain nombre de doléances suite à l’insertion de nouvelles prothèses, Odontologie doléances objectives ou subjectives, qui peuvent être exprimées de manière immédiate, à court terme ou à long terme, mais dans tous les cas, doléances auxquelles le praticien est tenu de répondre. Si les doléances objectives traduisent le plus souvent des insuffisances ou imprécisions techniques, accentuées par des conditions cliniques délicates telles que l’importance de la résorption osseuse, l’état des tissus muqueux recouvrant les surfaces d’appui, des relations intermaxillaires incertaines, des déséquilibres physiologiques, les doléances subjectives elles, témoignent plus d’une inadéquation entre les attentes du patient et la réalisation prothétique [1]. Cependant, la frontière entre doléances objectives et subjectives demeure imprécise. Tout d’abord, le degré de satisfaction est fortement corrélé au confort et à l’absence de douleur, à l’adaptation et à la rétention des bases prothétiques, à la préservation des fonctions masticatoires et phonétiques, et à l’esthétique [2, 3]. Mais le sentiment éprouvé par le patient varie en fonction de ses attentes, qu’elles aient été exprimées ou non ; l’importance de l’examen clinique et de sa composante psychologique prend alors toute son importance. Les paramètres socioéconomiques, en particulier le niveau d’éducation, le statut économique et affectif et la qualité de vie influencent la perception éprouvée par les patients [4, 5]. Ainsi, un niveau d’éducation élevé, un statut affectif équilibré, une qualité de vie agréable sont positivement corrélés avec un bon degré de satisfaction. Par ailleurs, le passif dentaire et médical du patient conditionne l’appréciation de la qualité des prothèses. Étonnamment, pour les patients les plus jeunes, édentés complets et appareillés récemment, dont les tissus de soutien sont de bonne qualité, le degré de satisfaction concernant la rétention des prothèses mandibulaires est inférieur à 1 23-325-G-15 ¶ Doléances en prothèse complète celui des patients édentés de longue date, dont la qualité des tissus de soutien est médiocre, et qui ont expérimenté un grand nombre de prothèses [6]. L’influence de la composante psychologique est non négligeable, elle est liée au comportement du patient vis-à-vis du praticien et à son implication dans la thérapeutique [7, 8]. Des relations praticien-patient hostiles sont par exemple associées à une perception négative de la thérapeutique. En revanche, l’impact de la personnalité du patient sur le degré de satisfaction reste controversé [9, 10]. Sur le plan juridique, en prothèse complète, le praticien est soumis à l’obligation de moyens et non de résultats. Mais la définition des moyens requis demeure délicate. Dans toute la littérature internationale répondant aux critères de l’Evidence Based aucun critère de moyens n’a pu être défini. En France, aucune valeur du « minimal » n’a été déterminée. En conséquence, en cas de difficultés majeures, certains experts conseillent d’informer la compagnie d’assurance [11]. En prothèse complète, la difficulté à concilier les paramètres techniques, cliniques et les attentes du patient souligne l’importance de la communication praticien-patient et du suivi post-insertion. L’information délivrée au patient concerne les options thérapeutiques, les étapes de réalisation, le choix des dents et enfin les soins à apporter aux tissus buccaux et aux prothèses après l’insertion [3]. Dans la majorité des cas, après l’insertion, l’adaptation des nouvelles prothèses complètes nécessite un à deux rendez-vous de contrôle [12]. Cependant, pour 20 % des patients, le nombre de rendez-vous dépasse trois consultations. Le suivi est notamment prolongé en fonction du statut médical et de la prise médicamenteuse du patient [13, 14]. Le nombre de rendez-vous est, par exemple, significativement augmenté pour les patients souffrant de troubles du système nerveux central, de désordres psychiatriques ou de pathologies cardiovasculaires. Seules les différentes doléances en rapport avec des prothèses récemment réalisées au cabinet dentaire sont développées ici. ■ Doléances immédiates Elles sont exprimées immédiatement ou quelques heures après l’insertion des prothèses. responsables de cette instabilité à l’aide de matériaux révélateurs (crayon dermographique, pâtes à base de silicone ou papier à articuler). “ Points importants L’attention du praticien se porte en particulier sur : • l’adaptation de la base prothétique à la surface d’appui : les différences de dépressibilité des tissus de soutien et les exostoses peuvent générer une bascule des bases prothétiques et dégrader la précision de l’adaptation aux surfaces d’appui. Au maxillaire, la présence d’un torus doit par exemple retenir l’attention, car il est souvent en cause lors d’un défaut de rétention. • les bords prothétiques, dont les surextensions interfèrent avec les organes paraprothétiques et les différentes insertions musculaires, ou dont les sous-extensions réduisent les qualités rétentives de la prothèse. La vérification fonctionnelle du libre jeu musculaire et de la mobilisation de la zone concernée permet de souligner les erreurs de conception. • les volumes et extrados prothétiques (surfaces dites « polies stabilisatrices »), qui peuvent interférer avec les éléments de la cavité buccale. Des extrados paratubérositaires convexes sont susceptibles de gêner les mouvements de latéralité de la mandibule en heurtant l’apophyse coronoïde ( Fig. 1 ). Le profil vestibulaire convexe de la base prothétique mandibulaire peut aussi entraver le jeu du muscle orbiculaire des lèvres et interférer avec la sangle labiomentonnière. • le joint postérieur qui, trop court, n’assure pas l’étanchéité postérieure, ou, trop long, peut interférer avec les ligaments ptérygomandibulaires et/ou le voile du palais (Fig. 2). • le joint sublingual et le frein de la langue qui, en fonction de leur position, entraînent un défaut de rétention et de stabilité. Doléances objectives Instabilité des prothèses L’instabilité des prothèses évoquée par le patient, et mise en évidence par le praticien, traduit un manque de rétention et/ou de stabilité. La rétention directe des prothèses amovibles complètes résulte de l’action conjuguée de facteurs physiques, en particulier au niveau de l’interface entre le film salivaire et l’intrados prothétique, de la pression atmosphérique, de la gravité, et de facteurs anatomiques et neuromusculaires. La stabilité ou la rétention indirecte découlent de l’action combinée des facteurs anatomiques, musculaires et occlusaux. L’accumulation d’erreurs techniques, tant au niveau du cabinet que du laboratoire, et la non-prise en compte de troubles physiologiques sont responsables de la faible rétention et de l’instabilité prothétique [15]. La majorité des trois sources de doléances préalablement décrites peuvent être réglées de façon simple par soustraction. Les corrections par addition (défaut d’un joint postérieur par exemple) sont plus complexes et imposent une réfection de la base prothétique [16]. Les erreurs d’occlusion et les interférences occlusales, responsables d’un déplacement des bases prothétiques lors des contacts interdentaires sont éliminées par une équilibration occlusale soigneuse, réalisée sur articulateur. Elle répartit de manière harmonieuse, après contrôle de sa faisabilité, les charges occlusales sur la surface d’appui, contribuant ainsi à la rétention des prothèses [17]. En revanche, un remontage des dents doit être envisagé en cas d’erreurs trop marquées (erreurs de dimension verticale, d’orientation et/ou de niveau du plan occlusal, relation centrée, non-respect du couloir prothétique), non décelées lors de l’essai fonctionnel. Erreurs techniques au cabinet Le temps clinique que le praticien consacre à l’essai fonctionnel est souvent insuffisant et ne lui permet pas de rechercher et de découvrir des erreurs qui se manifestent immédiatement après l’insertion. Les doléances exprimées à propos de la stabilité et de la rétention, doléances les plus fréquemment rapportées, imposent de contrôler à nouveau la précision de l’enregistrement de la surface d’appui, ainsi que celle des zones fonctionnelles en rapport avec les prothèses. L’examen est guidé par les informations subjectives fournies par le patient, mais on recherche surtout à objectiver les imprécisions et erreurs 2 Erreurs techniques au laboratoire Certaines phases de laboratoire sont susceptibles d’altérer la précision prothétique recherchée. Elles se concentrent essentiellement lors de la phase de polymérisation. Le cycle de la polymérisation influence les variations dimensionnelles et les distorsions secondaires des bases prothétiques [18]. En particulier, le refroidissement rapide entraîne des distorsions particulièrement « visibles » au niveau du joint postérieur, à l’origine d’un manque de rétention et de stabilité prothétique. Odontologie Doléances en prothèse complète ¶ 23-325-G-15 Figure 1. Surextention de l’extrados de la prothèse maxillaire dans les régions paratubérositaires mise en évidence par l’utilisation d’un silicone fluide. Le silicone est chassé par le jeu musculaire dans les zones en surextension. Un mauvais traitement postpolymérisation lors du grattage et du polissage des prothèses, plus spécifiquement le non-respect des limites et des épaisseurs des bords prothétiques, altère leur précision et par là même la rétention prothétique. De telles erreurs imposent le plus souvent un nouvel enregistrement de la surface d’appui et des bords avant la réfection des bases prothétiques. Troubles physiologiques Les troubles physiologiques susceptibles de gêner la stabilité et la rétention prothétiques sont nombreux. Troubles neurologiques. Bien sûr, ils doivent avoir été détectés dès l’examen clinique, mais leur incidence sur la stabilité prothétique reste le plus souvent délicate à évaluer. Leurs formes cliniques sont multiples. Les troubles d’origine centrale : la maladie de Parkinson et les dyskinésies linguales sont autant d’obstacles à l’obtention de la stabilité prothétique. Seul l’apport des thérapeutiques implantaires permet de répondre aux doléances qui ne manquent pas de se faire jour. Les paralysies faciales consécutives à un accident vasculaire cérébral ou à une lésion du nerf facial se traduisent par une difficulté à obtenir un joint périphérique efficace (Fig. 3). Seule la réalisation d’un montage plus adapté et de surfaces polies stabilisatrices adéquates permet de répondre à ces doléances. Les nausées [19] : la susceptibilité du patient au réflexe nauséeux est identifiée lors de l’examen clinique. Ce réflexe, soit d’origine innée et lié au blocage des voies aériennes et à l’hypersalivation, soit d’origine acquise et dépendant de stimulations olfactives, visuelles ou acoustiques, doit être géré le jour de l’insertion des prothèses. Si, malgré la préparation du patient et les contrôles fonctionnels, l’insertion s’avère contrariée par des nausées ou des vomissements, la prothèse est raccourcie et désépaissie au niveau des zones réflexogènes. Ultérieurement, la prothèse est à nouveau prolongée de manière à retrouver une rétention et une sustentation optimale. La réfection de la base prothétique est alors bien sûr obligatoire. Troubles salivaires. La salive est un élément essentiel de la rétention et de la protection des tissus de la surface d’appui. Les altérations de la sécrétion salivaire se manifestent soit par une asialie partielle ou totale, soit par une hypersalivation. Asialie partielle ou totale. La diminution partielle ou totale du flux salivaire, en particulier la salive muqueuse sécrétée par les glandes salivaires accessoires, est responsable d’une perte de rétention des prothèses maxillaires et mandibulaires. Le « ménisque » salivaire ne se crée plus, le phénomène d’adhésion disparaît. À ces problèmes techniques s’ajoutent des manifestations subjectives rapportées par le patient, comme la sensation Odontologie Figure 2. Joint postérieur mal conçu se traduisant par une absence de rétention. A. Prothèse présentant un joint postérieur trop court. B. La prothèse est rallongée à l’aide de cire. C. De la résine chémopolymérisable soutenue par la cire rallonge la prothèse. D. Amélioration du joint postérieur par la mise en place d’une résine à prise retardée ; dans un second temps, la prothèse subira une réfection totale. de bouche sèche (xérostomie) ou de brûlures buccales, mais aussi objectives, en particulier une stagnation alimentaire et bactérienne au niveau des surfaces muqueuses et dentaires, une inflammation muqueuse, et des difficultés fonctionnelles altérant la mastication, la déglutition et la phonation [20]. L’étiologie de ces troubles salivaires doit à ce stade être parfaitement identifiée pour proposer au patient un moyen 3 23-325-G-15 ¶ Doléances en prothèse complète salivaires. Celle-ci peut être soit mécanique, en conseillant au patient de mastiquer des chewing-gums sans sucre, soit médicamenteuse, en prescrivant des parasympathomimétiques ou de la pilocarpine qui augmentent temporairement la sécrétion des glandes salivaires accessoires palatines et améliorent ainsi la rétention de la prothèse maxillaire. Les asialies totales chroniques sont les conséquences d’un syndrome de Goujerot-Sjögren, d’une radiothérapie régionale, ou de l’ablation des glandes salivaires. Elles sont malheureusement irréversibles. La thérapeutique est basée sur la prescription de substituts salivaires, les salives artificielles à base de carboxyméthylcellulose et de mucines permettent d’améliorer les conditions buccales grâce à leurs propriétés lubrificatrices et à leur viscosité [21]. Parallèlement, le patient doit prendre conscience de l’intérêt de maintenir une hygiène orale rigoureuse, de la nécessité de s’hydrater fréquemment, et de diminuer sa consommation d’hydrates de carbones, d’alcool et de tabac [20]. Hypersalivation. L’insertion initiale des prothèses ou leur remplacement entraîne de façon réflexe chez certains patients un accroissement de la sécrétion salivaire, dont le volume augmente de 3 à 4 fois par rapport à la sécrétion normale au repos [22, 23]. Ce phénomène reste cependant transitoire, le flux salivaire diminue durant les deux mois suivant l’insertion prothétique. Temporairement, cet « excès » de salive peut engendrer une relative mobilité des prothèses. Doléances subjectives Esthétique Figure 3. Incidence d’une paralysie d’origine faciale sur le comportement de la lèvre inférieure. A. Bouche fermée. B. Bouche ouverte. “ Conduite à tenir Moyens permettant de réduire l’apparition des nausées : • instaurer un climat de détente et de confiance entre le praticien et le patient ; • prémédiquer le patient, à l’aide de métoclopramide (Primpéran®) par exemple ; • réaliser une anesthésie superficielle des zones réflexogènes, en badigeonnant les zones sensibles à l’aide d’un produit anesthésique local (Xylocaïne® 5%). Les sprays anesthésiants sont à proscrire au niveau des voies aérodigestives supérieures ; • contrôler les épaisseurs des bases et la situation des limites périphériques. Au maxillaire, une attention particulière est portée au niveau des zones paratubérositaires pour veiller à ce qu’elles n’empiètent pas sur le volume dévolu à la langue. À la mandibule, au niveau des extensions rétromylohyoïdiennes, l’extrados prothétique peut être amélioré en créant une légère concavité répondant ainsi à la concavité linguale et réduisant encore la gêne ressentie par le patient. d’améliorer la rétention et par là même le port des prothèses. Les diminutions transitoires du flux salivaire sont liées à la prise de certains médicaments, en particulier les neuroleptiques, les diurétiques, les antiparkinsoniens et les antihistaminiques. Dans ce cas, la thérapeutique repose sur la stimulation des glandes 4 L’expression de doléances esthétiques est rare en prothèse complète [6]. L’acceptation de l’esthétique des nouvelles prothèses reste conditionnée par l’implication du patient lors du choix et du montage des dents antérieures [7]. Les essayages esthétiques et fonctionnels permettent au patient de donner son avis et de valider les choix. L’incidence des prothèses sur l’esthétique du visage demeure cependant délicate à évaluer avant l’insertion des prothèses, en particulier l’impact de la prothèse maxillaire sur le soutien et la projection des lèvres [24, 25]. L’avis du patient peut par ailleurs évoluer au cours du traitement ou être influencé par l’opinion de son entourage. Il semble donc essentiel d’insister, lors de la réalisation des prothèses, sur les conséquences des choix esthétiques extrêmes (dents trop blanches, formes ou longueur inadaptées). De plus, la présence d’un tiers (parents, ami proche) est très importante lors de la validation du choix et du montage des dents antérieures. Si les doléances esthétiques sont exprimées après l’insertion, la réponse technique impose la réévaluation du choix des dents antérieures et du montage esthétique. Volumes prothétiques Cette doléance concerne la sensation de confort perçue par le patient. Elle correspond à l’expression d’une gêne fonctionnelle liée à l’encombrement prothétique. Contrairement aux dispositifs fixes, les prothèses amovibles, en particulier complètes, doivent répondre à des impératifs biomécaniques assurant la sustentation, la stabilisation et la rétention. La gêne exprimée par le patient provient soit d’une réelle surextension des bases prothétiques qu’il convient de corriger immédiatement, soit d’une modification importante du volume prothétique par rapport aux anciennes prothèses sous étendues. Les prothèses maxillaires à recouvrement palatin assurant une surface de sustentation optimale peuvent, par exemple, être jugées moins confortables que les prothèses sans recouvrement palatin, pour lesquelles le joint postérieur a été supprimé et la surface de sustentation réduite [26]. Il convient donc de réévaluer les rapports entre les prothèses et les organes paraprothétiques, et de corriger les surextensions éventuelles. En revanche, si les limites et les volumes prothétiques sont corrects, l’explication et la justification de l’extension de la surface d’appui au patient sont nécessaires. Odontologie Doléances en prothèse complète ¶ 23-325-G-15 Phonation Cette doléance correspond à une gêne fonctionnelle subjective. Mais elle peut aussi être associée à des altérations sonores « objectives ». Une évaluation erronée de la dimension verticale d’occlusion entraîne des troubles phonétiques évidents. Une surévaluation provoque l’émission de sifflements tandis qu’une sous-évaluation est à l’origine de chuintements. Cette erreur nécessite une réévaluation complète des prothèses. Si la dimension verticale d’occlusion est correcte et si le montage des dents prothétiques est satisfaisant, aucune difficulté ne devrait exister lors de la phonation. Cependant, plusieurs facteurs mécaniques peuvent être à l’origine de la gêne ressentie par le patient dans la prononciation des sons : le volume des bases prothétiques et les modifications des points d’articulation linguopalatins, entre la langue et le palais prothétique ou les dents maxillaires ; ils peuvent susciter une gêne transitoire. Les variations d’inclinaison des incisives centrales (de 30° du côté palatin à 30° du côté vestibulaire) provoquent, par exemple, des modifications des points d’articulation des palatolinguales ([s], [t], [d], [n]) et des labiodentales ([f], [v]) [27, 28]. Le contrôle des points d’appui linguaux (palatogramme) et du profil des extrados permet d’apprécier objectivement les zones de contacts statiques et dynamiques entre les prothèses et la langue ou les lèvres. Le patient s’adapte rapidement à de légers changements de position des dents ; les variations de volume et d’épaisseur des bases prothétiques nécessitent parfois un temps d’adaptation de l’ordre de 2 semaines. Il incombe au praticien d’informer le patient de cette durée. ■ Doléances à court terme Elles sont exprimées quelques jours après l’insertion des prothèses. Doléances objectives Blessures En quelques jours, le patient a « expérimenté » les qualités fonctionnelles de ses nouvelles prothèses et la principale doléance concerne des douleurs qui le plus souvent sont associées à des signes cliniques, notamment des ulcérations [15, 29]. Aussi, même si l’adaptation de l’intrados a été validée lors de l’insertion prothétique, l’évocation de signes douloureux impose le contrôle des tissus de soutien, de l’intrados et de l’occlusion. • Au niveau des zones douloureuses, l’examen porte sur les tissus de soutien, en particulier à la recherche de lésions muqueuses. • La qualité de l’intrados est ensuite examinée avec soin pour rechercher d’éventuelles épines irritatives oubliées en relation avec les ulcérations muqueuses identifiées. Compte tenu des différences de dépressibilité entre les tissus de soutien, l’adaptation des bases aux surfaces d’appui est évaluée, par exemple à l’aide d’un matériau révélateur silicone très fluide. Les zones de surpressions liées au tassement des tissus, en particulier au niveau des zones non dépressibles (tori, lignes mylohyoïdiennes) sont mises en évidence et atténuées de façon ponctuelle et modérée, puis repolies. • L’analyse des paramètres occlusaux vise enfin à contrôler les surcharges occlusales des tissus de soutien. Trois composants de l’occlusion peuvent être impliqués : une surévaluation de la dimension verticale provoque une hyperhémie de toute la surface de sustentation ; a contrario, une sousévaluation de la dimension verticale d’occlusion entraîne un proglissement de la mandibule qui détermine des surcharges et des blessures dans la région antérieure maxillaire. Odontologie Figure 4. Morsure jugale liée à une surépaisseur des bases prothétiques au niveau de la tubérosité et du trigone. Une erreur d’orientation du plan d’occlusion s’accompagne d’une instabilité prothétique. Une réévaluation des paramètres occlusaux et une réfection complète des prothèses sont alors dans ces deux cas indispensables. L’existence d’une imprécision de l’occlusion en relation centrée et la présence d’interférences occlusales sont responsables de lésions muqueuses ponctuelles et du déplacement des bases prothétiques. Un nouvel enregistrement de la relation centrée, suivi d’une équilibration occlusale statique et dynamique sur articulateur, doit être réalisée [17]. Instabilité et manque de rétention La sensation d’instabilité ou de perte des prothèses peut être objectivée après plusieurs jours. À moyen terme, la perte de rétention entrave les fonctions orales en modulant le schéma moteur, en particulier lors de la mastication [30, 31]. La persistance d’une interférence entre les bords prothétiques et les insertions musculaires, ou encore la présence d’un frein non libéré, peuvent susciter une mobilité lors des mouvements fonctionnels. L’utilisation du crayon dermographique ou de matériaux révélateurs permet de visualiser les zones responsables de la perte de stabilité et de les corriger. Morsures jugales et linguales Les lésions dues aux morsures sont liées le plus souvent à des erreurs de montage des dents postérieures avec un surplomb insuffisant (dans le sens vestibulolingual). Un remodelage de la morphologie des faces vestibulaires des dents mandibulaires (et des faces palatines des dents maxillaires) permet d’accentuer le surplomb et de résoudre simplement ce problème. Parallèlement, le profil des extrados des bases prothétiques peut interférer avec le volume lingual ou jugal. Une absence de concavité au niveau de la région vestibulaire mandibulaire empiète par exemple sur le volume jugal. De même, un espace inférieur à 2 mm entre les bases prothétiques maxillaire et mandibulaire au niveau postérieur peut être responsable d’un pincement de la joue entre la tubérosité et le trigone (Fig. 4). Le remodelage des extrados permet de libérer cet espace. Bruits Le choc des dents antagonistes provoque des bruits qui attirent l’attention, voire une doléance du patient. La réponse à cette doléance réside dans le montage de la dernière molaire maxillaire en résine, voire dans l’enduction de fluoroéthylène comme l’ont proposé Watt et Mac Gregor. Le praticien doit être conscient que ces manifestations sonores sont essentiellement provoquées par l’absence d’espace libre, des erreurs de montage 5 23-325-G-15 ¶ Doléances en prothèse complète (dents montées trop distalement), une instabilité prothétique ou un défaut d’équilibration, et sont dans ce cas associées à la mobilité des prothèses. Stagnation alimentaire et hygiène Le montage, la fausse gencive, la qualité et la forme des extrados contribuent de manière importante à l’hygiène prothétique en facilitant ou non la rétention des aliments. Un montage trop lingualé entraîne souvent l’accumulation de débris alimentaires sur les contours vestibulaires de la base prothétique. En effet, la joue, via le buccinateur, ne peut maintenir le bol alimentaire en regard du plan occlusal favorisant la stagnation des aliments. Une sculpture très accentuée de la fausse gencive, la présence de sulcus marqués au niveau des dents prothétiques et l’absence de papilles qui ne comblent pas les embrasures interproximales contribuent eux aussi à la rétention du bol alimentaire. La présence de concavités accentuées, de reproduction exagérée des profils radiculaires et convexité, favorise le dépôt de plaque dentaire et complique le brossage [32]. Les corrections des surfaces stabilisatrices suivies d’un polissage soigneux, en particulier à l’aide d’un tour à polir conventionnel assorti de pâte ou liquide à polir, permettent de diminuer les aspérités de surface [33] et de répondre aux doléances exprimées. Parallèlement, il semble impératif d’informer et d’enseigner au patient les différentes techniques de nettoyage des prothèses (brossage, ultrasons, immersion) et des muqueuses. Intolérance tissulaire et « allergies » Les irritations, inflammations, et manifestations allergiques au niveau de la muqueuse buccale sont le plus souvent provoquées par un taux élevé de méthacrylate de méthyle résiduel. Les patients rapportent alors des sensations douloureuses de brûlures buccale et linguale, associées à la présence d’érythème et d’érosion au niveau de la muqueuse buccale [34, 35]. Le type de résine, la composition, le pourcentage de monomère et de polymère, et le temps du cycle de polymérisation influencent le taux de monomère résiduel des résines acryliques [36]. La méthode de polymérisation modifie de plus la toxicité ; les résines chémopolymérisables semblent produire plus de monomère résiduel que les résines thermopolymérisables [37]. Le taux de monomère relargué est enfin maximal dans les premières 24 heures après polymérisation ; la toxicité résiduelle peut cependant être diminuée en plongeant les prothèses pendant ce temps dans une solution aqueuse [38]. Plusieurs résines hypoallergéniques (méthacrylate modifié, polyuréthane) relarguant moins de monomères résiduels après polymérisation que les résines polyméthacrylate de méthyle, ont été commercialisées ces dernières années [39]. Leurs caractéristiques mécaniques sont cependant encore mal connues. Doléances subjectives Gustation L’insertion d’une prothèse complète maxillaire ne recouvre pas les bourgeons du goût, localisés au niveau de la langue et non au niveau du palais dur. Seule une très faible densité de bourgeons existe au niveau du voile du palais. Les doléances des patients à propos du goût sont, en réalité, à rapporter à une modification des perceptions somesthésiques induite notamment par le recouvrement de la voûte palatine [40]. La perception de la texture des aliments est réduite, et les informations thermiques sont également fortement diminuées par le caractère « isolant » de la base prothétique en résine par rapport à la muqueuse buccale. Par ailleurs, on ne peut négliger, lors de l’insertion d’une première prothèse complète, la composante 6 psychologique de cette doléance. Il faut donc tenter d’expliquer au patient la complexité de la sensation gustative, car aucune solution n’a démontré une réelle efficacité (création de rugosités sur l’extrados de la voûte palatine ou réalisation d’une plaque métallique, meilleure conductrice thermique). Mastication Malgré la bonne qualité des prothèses, les patients témoignent d’une diminution des capacités masticatoires, c’est-à-dire d’un degré non négligeable de difficulté à mastiquer certains aliments (la viande, certains légumes, comme les céleris ou les carottes fraîches, ou les fruits, comme les pommes) [41]. La perception de la texture des aliments et l’adaptation musculaire au bol alimentaire sont altérées chez le patient édenté complet appareillé [42]. L’efficacité masticatoire des sujets appareillés, correspondant au nombre de cycles de mastication nécessaires pour transformer un aliment en résidus calibrés, est multipliée par deux par rapport à celle des sujets dentés [43, 44]. Il semble donc impératif d’informer le patient, lors du choix thérapeutique, des conséquences de l’édentement complet sur la qualité de vie et de l’évolution de la perception et des performances orales. Brûlures buccales Parmi les douleurs buccales rencontrées, une symptomatologie de brûlure buccale est évoquée chez plus de 10 % des patients porteurs de prothèses complètes amovibles [45]. Cette doléance est souvent associée à une insatisfaction concernant la qualité des prothèses, la mastication et la phonation. Il convient alors d’établir le diagnostic différentiel entre une réaction d’hypersensibilité, une infection (candidose par exemple), une sécheresse buccale ou un réel syndrome de brûlures buccales. Celui-ci se caractérise par l’absence de signe clinique visible, malgré l’expression de douleurs permanentes ou intermittentes au niveau de la langue, de la partie muqueuse des lèvres ou de la partie antérieure du palais dur. Les symptômes douloureux peuvent être accompagnés de signes subjectifs de xérostomie, de dysphagie, de dysgueusie ou de sensation de goût métallique, ou encore d’halitose [46]. Plusieurs voies thérapeutiques se sont ouvertes ces dernières années, en particulier basées sur une prise médicamenteuse (antidépresseurs, analgésie, hormones, vitamines) ou axées sur des thérapies rééducatives (relaxation, activité physique, psychothérapie, thérapie comportementale). Aucun consensus étiologique et thérapeutique n’a pu cependant être établi [46, 47]. ■ Doléances à long terme Le degré de satisfaction des patients évolue dans le temps. Les doléances les plus exprimées un an après l’insertion prothétique concernent la sensation de gêne et l’apparition de zones douloureuses au niveau des tissus de soutien [48]. Deux ans après l’insertion, la prothèse mandibulaire, en particulier le confort lors de la mastication, est mieux acceptée par les patients. En revanche, la satisfaction des patients vis-à-vis de la prothèse maxillaire, notamment en ce qui concerne l’adaptation et l’esthétique, diminue au cours des deux premières années [49]. Ces doléances témoignent de la dégradation des qualités biomécaniques des prothèses et des paramètres locaux à moyen et long terme. Dès les premières semaines, et au cours de la première année, les paramètres occlusaux sont modifiés, en particulier lors du montage de dents en résine acrylique [50]. En conséquence, les tissus de soutien subissent des contraintes majorées ponctuelles, responsables à moyen terme de lésions des tissus de soutien, et à long terme de phénomènes de résorption. Le mauvais entretien des prothèses peut ensuite engendrer une colonisation microbienne, en particulier bactérienne et mycosique, des bases prothétiques et des surfaces Odontologie Doléances en prothèse complète ¶ 23-325-G-15 muqueuses à l’origine de stomatites [51]. Les lésions muqueuses sous-prothétiques, stomatites ou hyperplasies, sont corrélables avec le manque d’informations et de recommandations concernant l’entretien des prothèses et des tissus de la cavité buccale [52]. Il semble donc impératif d’insister auprès du patient sur la nécessité de maintenir une hygiène buccale et prothétique convenable et de l’informer des moyens de nettoyer les surfaces prothétiques et muqueuses. Enfin, il semble impératif de convenir avec le patient d’un calendrier de rendez-vous afin d’assurer le suivi prothétique à moyen et long terme. En fonction de la sévérité des signes cliniques, la perte des qualités biomécaniques des prothèses et le délabrement des structures buccales nécessitent soit la réfection complète des prothèses, soit la mise en condition locale et la réhabilitation des prothèses existantes. . ■ Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] [19] [20] Wolff A, Gadre A, Begleiter A, Moskona D, Cardash H. Correlation between patient satisfaction with complete dentures and quality, oral condition, and flow rate of submandibular/Sublingual salivary glands. Int J Prosthodont 2003;16:45-8. Sato Y, Hamada S, Akagawa Y, Tsuga K. A method for quantifying overall satisfaction of complete denture patients. J Oral Rehabil 2000; 27:952-7. Smith PW, McCord JF. What do patients expect from complete dentures? J Dent 2004;32:3-7. 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Hüe, Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier. M.-V. Berteretche, Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier ([email protected]). Université Paris 7 Denis Diderot, Service d’odontologie Garancière Hôtel-Dieu, 5, rue Garancière 75006 Paris, France. Toute référence à cet article doit porter la mention : Braud A., Hüe O., Berteretche M.-V. Doléances en prothèse complète. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Odontologie, 23-325-G-15, 2007. Disponibles sur www.emc-consulte.com Arbres décisionnels 8 Iconographies supplémentaires Vidéos / Animations Documents légaux Information au patient Informations supplémentaires Autoévaluations Odontologie